Rapport n° 152 (2006-2007) de Mme Catherine PROCACCIA , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 11 janvier 2007

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N° 152

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2006-2007

Annexe au procès-verbal de la séance du 11 janvier 2007

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, APRÈS DÉCLARATION D'URGENCE, de modernisation du dialogue social,

Par Mme Catherine PROCACCIA,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gérard Dériot, Jean-Pierre Godefroy, Mmes Claire-Lise Campion, Valérie Létard, MM. Roland Muzeau, Bernard Seillier, vice-présidents ; MM. François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Anne-Marie Payet, Gisèle Printz, secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, MM. Jean-Paul Amoudry, Gilbert Barbier, Daniel Bernardet, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Mmes Isabelle Debré, Christiane Demontès, Sylvie Desmarescaux, M. Claude Domeizel, Mme Bernadette Dupont, MM. Michel Esneu, Jean-Claude Etienne, Guy Fischer, Jacques Gillot, Francis Giraud, Mmes Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, Annie Jarraud-Vergnolle, Christiane Kammermann, MM. Serge Larcher, André Lardeux, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Mme Raymonde Le Texier, MM. Roger Madec, Jean-Pierre Michel, Alain Milon, Georges Mouly, Mmes Catherine Procaccia, Janine Rozier, Michèle San Vicente-Baudrin, Patricia Schillinger, Esther Sittler, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Alain Vasselle, François Vendasi, André Vézinhet.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 12 èm e législ.) : 3456, 3465 et T.A. 630

Sénat : 117 (2006-2007)

Syndicats.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le manque de concertation entre le Gouvernement et les partenaires sociaux, syndicats et patronat, pour l'élaboration des normes en droit du travail conduit régulièrement à des tensions sociales, dont la « crise du CPE » 1 ( * ) a fourni l'exemple récent le plus flagrant ; elle aboutit également parfois à l'adoption de règles excessivement rigides et tatillonnes, déconnectées des réalités de terrain, dont la législation sur les trente-cinq heures constitue l'exemple type.

Les procédures de consultation et de concertation avec les partenaires sociaux, qui peuvent aller jusqu'au renvoi d'un projet à la négociation collective, ne sont pourtant pas inexistantes dans notre pays. Mais des considérations d'opportunité politique amènent parfois les pouvoirs publics à se dispenser du concours des partenaires sociaux dans l'élaboration des réformes. Croyant en accélérer le cours, ils en obèrent en réalité l'efficacité, dans la mesure où des mesures rejetées par les employeurs ou par les salariés risquent fort d'être mal appliquées dans les entreprises. Et l'irruption d'une crise sociale rend inenvisageable pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, l'élaboration d'une nouvelle réforme portant sur le même thème.

On pourrait arguer que cette difficulté française, qui trouve son origine dans une défiance ancienne à l'égard des corps intermédiaires, pourrait être surmontée par une simple évolution de nos pratiques, sans qu'il soit besoin d'adopter un texte législatif. Votre commission partage plutôt, sur ce point, la conviction de Dominique-Jean Chertier qui estime, dans son rapport, qu'une « simple évolution des pratiques ne semble ni crédible sans aiguillon normatif, ni à la hauteur des enjeux » 2 ( * ) .

Le projet de loi présenté par le Gouvernement s'inspire, pour partie, des recommandations contenues dans ce rapport, sans en reprendre toutefois l'ensemble des conclusions, qui auraient impliqué l'adoption d'une révision constitutionnelle. Il bénéficie également des enseignements tirés d'expériences étrangères ou des règles en vigueur au niveau communautaire

Plusieurs pays européens ont en effet une pratique de la concertation et du dialogue social beaucoup plus développée et formalisée que la nôtre. Une grande part des règles de droit du travail applicables en Allemagne ou dans les pays nordiques, par exemple, sont d'origine conventionnelle.

Le projet de loi propose d'instaurer une procédure de concertation obligatoire, applicable à tous les projets de réforme envisagés par le Gouvernement en matière de droit du travail, d'emploi et de formation professionnelle qui relèvent du champ de la négociation nationale interprofessionnelle. Elle pourra être suivie, si les partenaires sociaux le souhaitent, d'une phase de négociation débouchant éventuellement sur un accord. L'information des partenaires sociaux et le dialogue avec le Gouvernement sur ses projets en matière sociale seront également renforcés. Cette nouvelle procédure ne portera pas atteinte aux prérogatives constitutionnelles du Parlement qui devra ensuite adopter les modifications législatives nécessaires, le cas échéant, pour une bonne application de l'accord.

La rédaction de ce projet de loi a été précédée d'une concertation très approfondie qui a permis de dégager un large consensus entre les organisations syndicales et patronales dont votre commission a pu mesurer la réalité 3 ( * ) . Il devrait contribuer à faire évoluer les rapports sociaux dans notre pays afin, pour reprendre les termes employés par le Président de la République, de « sortir de la logique du conflit, encore trop présente dans notre pays » pour « fonder une culture de la négociation, du compromis, de la responsabilité » 4 ( * ) .

I. LES PARTENAIRES SOCIAUX DEMEURENT TROP FAIBLEMENT ASSOCIÉS À L'ÉLABORATION DES RÉFORMES EN DROIT DU TRAVAIL

Quoique la concertation soit une pratique fréquente dans notre pays, la qualité du dialogue social est souvent jugée insuffisante : il obéit à des modalités très diverses, dont la portée est aléatoire, et ne présente pas un caractère systématique.

Une rapide comparaison avec les pratiques en vigueur à l'étranger montre que la place du dialogue social dans l'élaboration des normes en droit du travail pourrait être accrue avec profit.

A. LES MODALITÉS VARIÉES DU DIALOGUE SOCIAL

La plus grande partie des règles applicables en matière de droit du travail dans notre pays sont d'origine étatique (lois et règlements). En règle générale, les accords conclus par les partenaires sociaux, au niveau national, de la branche ou de l'entreprise, ne sont applicables que s'ils sont plus avantageux pour les salariés, en vertu du principe dit « de faveur ». Le Gouvernement s'efforce cependant fréquemment d'associer les organisations représentatives de salariés et d'employeurs à l'élaboration de ses projets. Cette association peut être plus ou moins étroite :

- au minimum, les partenaires sociaux peuvent être informés des projets ou des décisions gouvernementales ;

- ils peuvent ensuite être consultés : ils sont alors invités à donner leur avis sur les orientations proposées, selon une procédure qui peut être officieuse ou officielle, si elle prend place dans le cadre de l'une des multiples instances consultatives existant au niveau national ;

- l'étape suivante est celle de la concertation : elle suppose un processus interactif entre le Gouvernement et les partenaires sociaux, le Gouvernement étant amené à faire évoluer ses projets pour tenir compte des observations qui lui sont formulées ;

- enfin, les partenaires sociaux peuvent définir eux-mêmes les règles applicables par la négociation d'un accord collectif, ensuite repris par la loi.

Dans son rapport précité, Dominique-Jean Chertier insiste sur la multiplicité des instances de consultation et sur les interactions entre la loi et la négociation collective.

1. De multiples instances consultatives

Au fil du temps, le nombre d'instances consultatives compétentes sur les questions d'emploi, de droit du travail, de formation professionnelle n'a cessé d'augmenter. Les organisations syndicales et patronales les plus représentatives siègent dans ces instances et peuvent donc y faire entendre leur voix.

On peut notamment citer :

- le comité supérieur de l'emploi, qui émet des avis sur les orientations de la politique de l'emploi et sur les textes qui lui sont soumis, en particulier la convention d'assurance chômage ;

- la commission nationale de la négociation collective, consultée sur les projets de loi et de décrets relatifs à la négociation collective, sur l'extension et l'élargissement des accords collectifs ainsi que sur la fixation du Smic ;

- le conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie, qui produit des avis et rapports sur les questions de formation professionnelle ;

- le conseil supérieur de la participation ;

- le conseil supérieur de la prud'homie, consulté sur les projets de loi et de décrets concernant les conseils de prud'hommes ;

- le conseil supérieur de la prévention des risques professionnels, qui est consulté sur tous les textes intervenant en la matière et peut formuler des propositions ;

- le conseil national de l'insertion par l'activité économique, qui peut être consulté par le Gouvernement sur toute question relative à l'insertion par l'activité économique ;

- le conseil supérieur pour le reclassement professionnel et social des travailleurs handicapés, consulté sur les textes législatifs ;

- la commission nationale de lutte contre le travail illégal ;

- le conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre femmes et hommes, consulté sur tout projet de texte entrant dans son domaine d'intervention.

On le voit, peu de domaines de l'action gouvernementale échappent aujourd'hui au champ de compétence de ces instances consultatives. L'impression dominante est davantage celle d'un trop-plein que d'une pénurie. Encore cette liste ne mentionne-t-elle pas le Conseil économique et social, qui peut être saisi de tout projet de loi ou de décret à caractère économique et social, ni les instances d'expertise et de diagnostic partagé, telles que le conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (Cerc) et le conseil d'orientation pour l'emploi (COE). Le Gouvernement a donc rarement la possibilité d'intervenir sans que les partenaires sociaux ne puissent faire connaître leur point de vue.

2. Les interactions entre la loi et la négociation collective

Les partenaires sociaux sont parfois les producteurs, ou les inspirateurs directs, des règles adoptées par le législateur. Un projet de loi peut en effet reprendre tout ou partie des dispositions d'un accord négocié.

Comme le montre le rapport de Dominique-Jean Chertier, la reprise par la loi du contenu d'un accord national interprofessionnel est devenue une pratique courante depuis le début des années soixante-dix. Les exemples sont nombreux : législation sur le salaire minimum (1970), loi du 16 juillet 1971 sur la formation professionnelle, loi du 19 janvier 1978 sur la mensualisation... Plus près de nous, on peut citer la loi du 4 mai 2004 sur la formation professionnelle tout au long de la vie et le dialogue social, qui reprend des dispositions de la « Position commune » des partenaires sociaux sur les voies et moyens de l'approfondissement de la négociation collective du 16 juillet 2001 et de l'accord national interprofessionnel (ANI) du 5 décembre 2003.

La loi peut également inviter les partenaires sociaux à engager une négociation puis intervenir, si nécessaire, une seconde fois pour en tirer les conséquences. Cette procédure avait déjà été utilisée dans les années quatre-vingt (sur le droit à l'expression directe des travailleurs en 1982, sur la suppression de l'autorisation administrative de licenciement en 1986) et l'a été à nouveau dans la période récente.

La loi du 3 janvier 2003, portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques, a ainsi invité les partenaires sociaux à négocier sur le traitement social des restructurations. Cette négociation n'a cependant pas abouti, ce qui a amené le Gouvernement à insérer, dans le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, un volet consacré aux licenciements économiques.

Puis la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005 a renvoyé à la négociation le soin de définir les modalités d'application de la convention de reclassement personnalisée (CRP) instituée par son article 74. Cette négociation a abouti et les partenaires sociaux ont signé, le 5 avril 2005, un accord national interprofessionnel, agréé par arrêté ministériel le 24 mai 2005. La loi du 26 juillet 2005, relative au développement des services à la personne et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, a ensuite procédé, dans le code du travail, aux adaptations nécessaires à la bonne application de la CRP.

La loi portant réforme des retraites du 21 août 2003 avait également invité les partenaires sociaux à engager, d'une part, une négociation sur « la définition et la prise en compte de la pénibilité au travail », d'autre part, une négociation sur l'emploi des seniors. Si la première négociation s'est aujourd'hui passablement enlisée, la seconde a abouti, le 9 mars 2006, à la signature d'un accord national interprofessionnel. Une des mesures-phares prévues par cet accord - la création d'un CDD « seniors » pour les demandeurs d'emploi de plus de cinquante-sept ans - a été mise en oeuvre par le décret n° 2006-1070 du 28 août 2006, aménageant les dispositions relatives au contrat à durée déterminée pour favoriser le retour à l'emploi des salariés âgés.

Enfin, la loi peut subordonner le bénéfice de certaines de ses dispositions à la conclusion d'un accord de branche ou d'entreprise, qui en précise les modalités d'application. La loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise du 31 mars 2005 subordonne par exemple le bénéfice des heures choisies à la conclusion d'un accord collectif. L'accord doit déterminer les conditions dans lesquelles les heures choisies sont effectuées, ainsi que la majoration de rémunération et les contreparties auxquelles elles donnent lieu.

Il arrive aussi que la loi fixe un régime de droit commun, auquel les partenaires sociaux peuvent déroger par voie d'accord. La loi de cohésion sociale ouvre une telle possibilité en matière de procédure de licenciement économique (accord de méthode). La loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social du 30 décembre 2006 ouvre une faculté analogue en matière d'information du comité d'entreprise dans les entreprises d'au moins trois cents salariés.

Dans tous les cas de figure, le législateur est libre de reprendre ou non les dispositions de l'accord négocié par les partenaires sociaux ou de le modifier.

B. UN DIALOGUE SOCIAL QUI DEMEURE PEU FORMALISÉ ET DONT LA PORTÉE EST ALÉATOIRE

On l'a vu, le dialogue social est loin d'être inexistant dans notre pays. Il demeure cependant encore insatisfaisant, pour plusieurs raisons.

En premier lieu, le dialogue avec les partenaires sociaux demeure peu formalisé : ses modalités varient considérablement d'un dossier à l'autre. Comme l'écrit Dominique-Jean Chertier, « le système français est un mélange de formel et d'informel. Il oscille entre des contacts officieux, utiles mais indicibles, des grands-messes, visibles mais rituelles et parfois improductives, et des procédures de consultation très formelles et souvent subalternes ».

La coexistence de multiples procédures, ne s'inscrivant dans aucun cadre prédéfini, conduit parfois à des malentendus, sources d'insatisfaction, entre le Gouvernement et les organisations représentatives : il arrive régulièrement que les partenaires sociaux aient le sentiment d'avoir été tenus à l'écart de l'élaboration d'un texte alors que le Gouvernement estime avoir fait le nécessaire en remplissant ses obligations légales de consultation des instances compétentes.

Le renvoi à la négociation, bien qu'il ne soit plus exceptionnel, ne présente toutefois aucun caractère systématique . Notre droit ne prévoit pas de temps réservé à la négociation entre patronat et syndicat, à la différence de ce qui existe au niveau communautaire.

Dans l'exposé des motifs de la loi du 4 mai 2004 précitée, le Gouvernement avait pourtant affirmé sa volonté de systématiser la pratique du renvoi à la négociation collective : « le Gouvernement prend l'engagement solennel de renvoyer à la négociation nationale interprofessionnelle toute réforme de nature législative relative au droit du travail. Par conséquent, il saisira officiellement les partenaires sociaux, avant l'élaboration de tout projet de loi portant réforme du droit du travail, afin de savoir s'ils souhaitent engager un processus de négociation sur le sujet évoqué par le Gouvernement ». Dénué de valeur juridiquement contraignante, cet engagement n'a été qu'imparfaitement respecté. Le souci du Gouvernement de procéder à des réformes rapides et d'agir sans délai au service de nos concitoyens l'a souvent conduit à écarter cette phase de renvoi à la négociation au profit d'une simple concertation avec les partenaires sociaux.

Selon certains, la France a connu en matière de dialogue social « le meilleur comme le pire » et le projet de loi vise à « généraliser le meilleur ». 5 ( * )

C. DES COMPARAISONS INTERNATIONALES RICHES D'ENSEIGNEMENT

Les modalités d'association des partenaires sociaux à l'élaboration des réformes sociales varient considérablement d'un pays à l'autre. Chaque Etat est tributaire d'une tradition nationale, qui assigne une place et des prérogatives différentes au pouvoir politique et aux partenaires sociaux. Il serait faux, de ce point de vue, de considérer la France comme une « exception » dans un monde où un dialogue social harmonieux serait la règle. Le dialogue social, au sens où nous l'entendons en Europe continentale, est ainsi très peu présent en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. La pratique étendue de la négociation collective est surtout l'apanage des pays du nord de l'Europe : le modèle-type est ici celui de l'Allemagne qui reconnaît une autonomie aux partenaires sociaux pour fixer les règles dans certains domaines. L'Union européenne, pour sa part, a développé une procédure originale de renvoi à la négociation collective avant toute prise de décision politique.

1. L'Allemagne reconnaît aux partenaires sociaux une véritable autonomie dans certains domaines

La Loi fondamentale allemande, interprétée par le juge constitutionnel et complétée par une loi sur les accords collectifs adoptée en 1949, garantit aux partenaires sociaux une autonomie pour déterminer les règles relatives aux conditions de travail et aux rémunérations.

Les partenaires sociaux ont la possibilité de saisir le juge constitutionnel s'ils estiment que le législateur empiète sur leur domaine de compétence. Dans ce cas, la Cour constitutionnelle apprécie si les circonstances justifient une intervention du Parlement.

En pratique, les interventions législatives ont cependant été fréquentes, puisqu'il existe des lois fédérales sur les congés payés, la promotion et la protection de l'emploi, la protection contre le licenciement, le transfert des salariés en cas de changement d'employeur, etc. La proposition faite pendant la campagne électorale de 2005 d'instaurer par la loi un salaire minimum fédéral confirme la porosité croissante entre la sphère d'autonomie contractuelle reconnue aux partenaires sociaux et la sphère d'intervention du pouvoir politique.

2. Le droit communautaire réserve un temps à la négociation entre partenaires sociaux

Les articles 138 et 139 du traité instituant la Communauté européenne définissent la procédure applicable au niveau européen pour l'élaboration des textes en matière sociale.

L'article 138 impose à la commission de procéder à une double consultation des partenaires sociaux avant d'engager une réforme :

- elle doit d'abord, avant de présenter des propositions, consulter les partenaires sociaux sur l'orientation possible d'une action communautaire ;

- puis, si elle estime, après cette première consultation, qu'une action communautaire est souhaitable, elle consulte à nouveau les partenaires sociaux sur le contenu de la proposition envisagée. Les partenaires sociaux remettent à la commission un avis ou, le cas échéant, une recommandation.

A l'occasion de cette deuxième consultation, les partenaires sociaux peuvent informer la commission de leur volonté d'engager une négociation , dans les conditions prévues à l'article 139 CE. La durée de la négociation ne peut dépasser neuf mois, sauf prolongation décidée en commun par les partenaires sociaux concernés et la Commission.

L'article 139 fixe les modalités de mise en oeuvre des accords conclus au niveau communautaire : il peut y être procédé selon les procédures et pratiques propres aux partenaires sociaux et aux États membres ou, à la demande conjointe des parties signataires, par une décision du conseil sur proposition de la commission.

En pratique, la « décision » du conseil a toujours pris la forme d'une directive, ce qui laisse une marge de manoeuvre aux Etats membres pour préciser les règles applicables. Le traité n'indique pas si le conseil est tenu de respecter à la lettre l'accord négocié ou s'il peut le modifier. Dans le silence des textes, cette seconde interprétation paraît devoir être retenue ; en pratique, cependant, le conseil s'est toujours borné à traduire fidèlement dans ses décisions la volonté des partenaires sociaux 6 ( * ) .

A ce jour, cinq accords interprofessionnels ont été adoptés dans le cadre de la procédure de concertation communautaire : sur le congé parental en 1995, le travail à temps partiel en 1997, le travail à durée déterminée en 1999, le télétravail en 2002 et le stress en 2004.

D'autres négociations n'ont en revanche pas abouti, comme l'illustre l'échec des négociations sur le comité d'entreprise européen (en 1993), sur l'aménagement de la charge de la preuve en cas de discriminations fondées sur le sexe, sur la prévention du harcèlement sexuel au travail (en 1996), sur l'information et la consultation des travailleurs (en 1997), sur la protection des travailleurs en cas d'insolvabilité de l'employeur (en 2000), sur le travail intérimaire (en 2001).

En plus des accords interprofessionnels, les partenaires sociaux ont la possibilité de négocier des accords applicables à un ou plusieurs secteurs d'activité. On peut citer, à titre d'illustration, l'accord de 2006 relatif à la protection de la santé des travailleurs manipulant et utilisant de la silice cristalline, l'accord signé en 2000 sur le temps de travail dans le secteur du transport aérien ou encore l'accord-cadre conclu en 1997 sur l'emploi salarié agricole.

3. La Grande-Bretagne et les Etats-Unis laissent en revanche peu de place à la négociation collective

Un rapide détour par ces pays permet de mieux apprécier la variété des configurations choisies au niveau national.

En Grande-Bretagne , la négociation collective interprofessionnelle est totalement absente : l'unique confédération syndicale britannique, le Trade Union Congress (TUC), ne négocie jamais d'accord avec son équivalent patronal, la confédération de l'industrie britannique (CBI). La négociation de branche a quasiment disparu, hormis dans certains secteurs où elle se maintient de manière résiduelle, comme la construction ou l'imprimerie.

L'élaboration des projets de loi donne lieu à une simple consultation des partenaires sociaux (ou des autres intérêts en présence). Une charte de bonne pratique prévoit que la durée de la consultation est d'au moins douze semaines, sauf urgence. La consultation est conduite par l'administration concernée par le projet de loi et peut revêtir les formes les plus variées.

Aux Etats-Unis , aucune procédure formalisée de concertation avec les partenaires sociaux n'est prévue. Tout au plus peut-on noter la pratique consistant à créer des commissions présidentielles pour préparer les grandes réformes. Ces commissions réunissent différents experts, parmi lesquels peuvent figurer des syndicalistes ou des représentants des employeurs. Ces commissions, dont la durée de vie est limitée, ne sont pas sans rappeler les grandes commissions régulièrement mises en place en France pour approfondir des débats de société, comme la commission Stasi sur la laïcité en 2003 ou la commission Thélot sur l'avenir de l'école en 2004.

Le projet de loi de modernisation du dialogue social présenté par le Gouvernement présente des points communs avec la procédure existant au niveau communautaire, même s'il se veut moins contraignant. Sans aller jusqu'à réserver un champ d'intervention aux partenaires sociaux, il s'efforce également d'améliorer la coordination entre les initiatives du Gouvernement et celles des organisations patronales et syndicales.

II. LE PROJET DE LOI INSTAURE UNE NOUVELLE PROCÉDURE DE CONCERTATION ET ENCOURAGE LA NÉGOCIATION

Longuement préparé, ce projet de loi recueille un assez large accord des partenaires sociaux. Il leur garantit une meilleure association à l'élaboration des réformes sociales et leur donnera la possibilité de se saisir de tout projet de réforme pour mener une négociation. Gage de son efficacité, le projet de loi institue une procédure d'une grande souplesse, qui respecte les prérogatives constitutionnelles du Gouvernement et du Parlement.

A. LA GENÈSE DU PROJET DE LOI

Le projet de loi s'appuie, sans les reprendre entièrement, sur les recommandations du rapport Chertier. Il a donné lieu à une intense concertation dans le courant du second semestre 2006, qui a permis de dégager un relatif consensus entre les partenaires sociaux.

1. Les recommandations du rapport Chertier...

C'est en décembre 2005, donc avant le déclenchement de la « crise du CPE », que le Premier ministre Dominique de Villepin a demandé à Dominique-Jean Chertier, ancien conseiller social de Jean-Pierre Raffarin, de faire « des propositions sur les moyens d'améliorer le dialogue entre le Gouvernement et les partenaires sociaux ». Son rapport a été remis au Premier ministre le 31 mars 2006. Ses recommandations s'articulent autour de trois priorités.

a) Construire un « agenda partagé » de réformes

Le rapport recommande de formaliser davantage, en début de législature, le programme de réformes gouvernemental en matière sociale, afin de pouvoir procéder à une meilleure répartition des tâches entre pouvoirs publics et partenaires sociaux. Certains sujets pourraient être renvoyés d'emblée à la négociation collective, tandis que d'autres donneraient lieu à une initiative gouvernementale, suivie d'une concertation.

Ce programme de travail serait régulièrement réactualisé, en lien notamment avec le programme annuel de réformes présenté chaque année à Bruxelles, et le Premier ministre pourrait prononcer un discours annuel devant le Conseil économique et social pour faire le bilan de l'avancement des réformes.

b) Réserver un temps à la concertation pour l'ensemble des réformes

Le rapport suggère de prévoir une période obligatoire de concertation, dont la durée pourrait être fixée à trois mois, entre l'annonce d'un projet de réforme et l'adoption d'un projet de loi en Conseil des ministres.

Cette période serait mise à profit pour procéder à une concertation approfondie avec les partenaires sociaux, selon des modalités annoncées à l'avance, et en s'appuyant sur un document d'orientation indiquant les orientations retenues.

Pour garantir le respect de cette procédure, une loi organique, dédiée à la procédure d'élaboration des textes, pourrait en fixer les modalités. Son adoption devrait être précédée d'une révision - limitée - de la Constitution, qui effectuerait un renvoi à la loi organique.

La concertation pourrait, dans certains cas, déboucher sur une négociation : les partenaires sociaux disposeraient d'un délai d'un mois pour faire connaître au Gouvernement leur intention d'ouvrir une négociation. Dans cette hypothèse, un nouveau délai 7 ( * ) s'ouvrirait alors, pendant lequel le Gouvernement s'abstiendrait de toute initiative, laissant le soin aux partenaires sociaux de rechercher un accord.

En cas d'échec des négociations, le Gouvernement pourrait alors reprendre l'initiative. En cas d'accord, le Gouvernement aurait deux options : soit retenir le texte de l'accord sans en altérer le contenu, soit le refuser en motivant sa décision.

Le Parlement serait contraint d'effectuer le même choix binaire et devrait soit approuver l'accord en totalité, soit le rejeter. Conscient que l'abandon par les parlementaires de leur droit d'amendement pourrait être politiquement difficile à faire accepter, Dominique-Jean Chertier suggère que le Parlement vote une loi d'habilitation autorisant le Gouvernement à transcrire l'accord dans la loi par voie d'ordonnance...

Reconnaître un tel pouvoir normatif aux partenaires sociaux pose immédiatement la question de leur légitimité, et donc de leur représentativité. Cette question a fait l'objet d'une analyse approfondie dans un autre rapport, commandé à Raphael Hadas-Lebel 8 ( * ) , président de section au Conseil d'Etat.

c) Rationaliser les instances du dialogue social

Le rapport Chertier préconise de réformer la composition et le mode de fonctionnement du Conseil économique et social pour le placer au coeur des processus de concertation et de réduire drastiquement le nombre des instances consultatives.

2. ...ont servi de base à une concertation approfondie

Dès juin 2006, le Premier ministre a procédé à une première série d'échanges bilatéraux avec les organisations syndicales et patronales pour connaître leurs réactions aux propositions du rapport Chertier. Un document de synthèse a ensuite été adressé à chacun des participants pour servir de base aux discussions suivantes.

A la fin du mois d'août, le ministère du travail a adressé aux partenaires sociaux des fiches d'orientation pour préparer une deuxième série de rencontres bilatérales, suivie d'une dernière série de rencontres début octobre.

Puis le Président de la République a annoncé solennellement la mise en oeuvre prochaine de la réforme du dialogue social lors de son discours prononcé devant le Conseil économique et social le 10 octobre 2006. Il a fixé clairement le cap à suivre : « Il ne sera plus possible de modifier le code du travail sans que les partenaires sociaux aient été mis en mesure de négocier sur le contenu de la réforme engagée. Et aucun projet de loi ne sera présenté au Parlement sans que les partenaires sociaux soient consultés sur son contenu ». Le Chef de l'Etat entend ainsi « placer les partenaires sociaux au coeur de l'élaboration des normes et des réformes sociales ».

Un avant-projet de loi a enfin été présenté à la commission nationale de la négociation collective le 6 novembre 2006.

B. UNE RÉFORME QUI FAIT L'OBJET D'UN ASSEZ LARGE CONSENSUS

1. Les principales dispositions du projet de loi

Le projet de loi de modernisation du dialogue social repose sur un triptyque : concertation, consultation, information.

a) Une nouvelle procédure de concertation

Le projet de loi pose un principe simple, conforme au souhait exprimé par le Chef de l'Etat : tout projet de réforme dans le domaine du droit du travail, de l'emploi ou de la formation professionnelle devra faire l'objet d'une concertation, en vue de l'ouverture éventuelle d'une négociation nationale interprofessionnelle.

b) Une consultation désormais systématique

Le projet de loi prévoit ensuite une consultation obligatoire de la commission nationale de la négociation collective, du comité supérieur de l'emploi ou du conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie sur les projets législatifs et réglementaires entrant dans leur champ de compétences respectif. Cette procédure donne une nouvelle occasion aux partenaires sociaux, représentés dans ces instances, de faire connaître leur point de vue.

c) Un échange d'informations renforcé entre le Gouvernement et les partenaires sociaux

S'inspirant de la notion « d'agenda partagé » avancée par le rapport Chertier, le projet de loi prévoit enfin qu'une réunion de la commission nationale de la négociation collective sera consacrée, chaque année, à un échange d'informations entre le Gouvernement et les partenaires sociaux, le premier présentant son programme de réforme et son calendrier, les seconds l'état d'avancement de leurs négociations.

2. Un accord s'est dégagé sur le texte

Lors de leur consultation le 6 novembre 2006, les organisations syndicales et professionnelles se sont déclarées, à la quasi-unanimité, favorables au projet de loi, considérant qu'il constituait une indéniable avancée.

Certaines organisations, le Medef notamment, auraient souhaité aller plus loin et demandent une révision de la Constitution pour garantir que les accords seront transcrits dans la loi sans modification et pour définir un champ réservé au dialogue social. Toutes reconnaissent, cependant, que le texte marque une réelle avancée.

Plusieurs organisations se sont inquiétées de possibles dérives dans l'utilisation de la dérogation ouverte par le texte en cas d'urgence, qui permet de ne pas appliquer la procédure préalable de concertation. L'Assemblée nationale a tenu compte de leurs observations et a adopté, lors de l'examen du texte en première lecture, un amendement imposant au Gouvernement de motiver et de faire connaître aux partenaires sociaux sa décision de recourir à l'urgence.

La FNSEA et l'UNAPL 9 ( * ) , pour leur part, ont exprimé la crainte que les spécificités des secteurs qu'elles représentent - exploitations agricoles et professions libérales, respectivement - ne soient pas suffisamment prises en compte dans le cadre de la négociation d'un accord national interprofessionnel auquel elles n'auraient pas été associées et qui deviendrait ensuite applicable à l'ensemble des secteurs professionnels.

Tout en comprenant leur préoccupation, votre commission considère cependant que la procédure de concertation introduite par le projet de loi a pour vocation de définir les normes applicables à l'ensemble des salariés, et qu'elle doit donc conserver un caractère interprofessionnel. Elle n'est pas exclusive, toutefois, de la tenue de négociations sectorielles permettant de fixer les règles applicables à telle ou telle branche d'activité. Lors de son audition par votre commission, le ministre délégué au travail, à l'emploi et à l'insertion professionnelle des jeunes, Gérard Larcher, s'est engagé solennellement à procéder à une concertation avec les organisations représentatives sur les projets de réforme en droit du travail spécifiques à ces secteurs d'activité 10 ( * ) .

On peut ajouter enfin que l'obligation de consultation, également prévue par le projet de loi, garantit à la FNSEA et à l'UNAPL qu'elles pourront faire connaître leur point de vue et demander au Gouvernement d'adapter, le cas échéant, un accord interprofessionnel. Les auditions parlementaires préalables à l'examen du projet de loi transcrivant l'accord leur donneront une nouvelle occasion d'exprimer leurs demandes.

S'agissant de la procédure parlementaire, certaines organisations - la CFTC, la CFE-CGC et l'UNAPL en particulier - ont appelé de leurs voeux la création d'espaces de dialogue entre les partenaires sociaux et les parlementaires, afin de bien expliciter le contenu des accords conclus.

Votre commission souhaite que des échanges approfondis puissent effectivement avoir lieu entre les partenaires sociaux et les commissions en charge des affaires sociales dans chacune des assemblées. L'audition des organisations syndicales et professionnelles avant l'examen d'un projet de loi est une pratique assez systématique, mais les commissions manquent souvent du temps nécessaire pour approfondir ces discussions. Peut-être faudrait-il envisager, à l'avenir, de réviser le règlement des assemblées pour garantir aux commissions un délai minimum pour l'examen des réformes portant sur le droit du travail.

C. UN PROJET DE LOI À LA PORTÉE VOLONTAIREMENT LIMITÉE

1. Un projet respectueux des prérogatives du Gouvernement et du Parlement

Le projet de loi de modernisation du dialogue social peut sembler, à première vue, en retrait par rapport aux recommandations du rapport Chertier. Il n'enferme la procédure de concertation dans aucun délai et n'impose, ni au Gouvernement ni au Parlement, de reprendre inchangé l'accord négocié par les partenaires sociaux.

Imposer une procédure plus contraignante aurait cependant posé des problèmes de constitutionnalité : un projet de loi ordinaire ne saurait remettre en cause le pouvoir reconnu au Gouvernement et aux parlementaires en matière d'initiative des lois, pas plus que leur droit d'amendement. Le bon déroulement de la procédure reposera donc, en grande partie, sur la volonté de tous les acteurs d'être fidèles à l'esprit de la démarche de concertation. Les partenaires sociaux devront négocier de bonne foi, dans un délai raisonnable, sans chercher à « enterrer » une réforme en prolongeant sans cesse leurs discussions par des manoeuvres dilatoires. Le Gouvernement et le Parlement devront veiller, autant que possible, à préserver les équilibres négociés par les organisations syndicales et patronales. Lors de son audition, le ministre Gérard Larcher s'est montré confiant : « l'esprit de la réforme va modifier les pratiques et empêchera toute dérive qui permettrait d'utiliser le dépôt d'une proposition de loi ou le droit d'amendement comme moyen de contourner la procédure de concertation » 11 ( * ) . Votre commission espère que cette prévision se vérifiera.

Respectueuse des accords conclus par les partenaires sociaux, elle souhaite cependant affirmer avec force son refus de toute remise en cause, par le biais du renvoi à la négociation collective, du droit d'amendement reconnu aux parlementaires. Les élus de la nation ont une approche différente, et complémentaire de celle des partenaires sociaux, des enjeux attachés aux relations du travail et à la politique de l'emploi et ne sauraient accepter que leurs propositions soient systématiquement rejetées par le Gouvernement au motif qu'il ne faudrait pas altérer « l'équilibre » trouvé par les partenaires sociaux.

Le ministre a également apporté des précisions sur le sort à réserver aux lois de transposition des directives communautaires : elles ne seront soumises à concertation que si la directive laisse une marge d'appréciation significative aux Etats membres ; dans le cas contraire, la concertation ne s'imposera pas.

2. Un projet de loi qui laisse ouverte la question de la représentativité des acteurs

Renforcer la place du dialogue social dans l'élaboration des normes en droit du travail pose immédiatement la question de la légitimité des acteurs.

La publication du rapport de Raphaël Hadas-Lebel et l'adoption, par le Conseil économique et social, d'un avis favorable à une réforme de la représentativité syndicale 12 ( * ) ont encouragé la CFDT et la CGT à demander l'adoption d'un amendement au projet de loi de modernisation du dialogue social visant à réformer les règles de représentativité syndicale.

Plusieurs amendements en ce sens ont été déposés à l'Assemblée nationale par des députés de l'opposition, mais ont été rejetés. S'il est incontestable que la réforme du dialogue social pose la question de la légitimité de ses acteurs, il ne semble pas qu'un consensus se soit aujourd'hui dégagé sur la nature et les modalités de la réforme à mettre en oeuvre. Il convient de rappeler, à cet égard, que l'avis du CES a été approuvé malgré le vote négatif de plusieurs organisations représentatives syndicales (CFTC, FO et CFE-CGC) et patronales (Medef et CGPME).

Dans ces conditions, votre commission considère qu'il serait prématuré de procéder, dès aujourd'hui à une réforme de la représentativité syndicale - qui poserait d'ailleurs aussi la question de la représentativité des organisations patronales - et souhaite que la réflexion se prolonge sur ce dossier. Elle devrait constituer l'une des premières applications de la réforme du dialogue social instaurée par le projet de loi.

*

* *

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission vous demande d'adopter le projet de loi de modernisation du dialogue social .

EXAMEN DES ARTICLES

Article premier (art. L. 101-1 à L. 101-3 du code du travail) - Institution de nouvelles procédures de dialogue social

Objet : Cet article vise à instaurer une concertation obligatoire avec les partenaires sociaux avant toute réforme en matière de travail, d'emploi et de formation professionnelle, la consultation des instances réunissant les partenaires sociaux avant la mise en oeuvre de ces réformes et un échange régulier entre le Gouvernement et les partenaires sociaux sur les projets de réforme en cours et à venir.

I - Le dispositif proposé

Le présent article insère au début du code du travail trois nouveaux articles L. 101-1 à L. 101-3, regroupés dans un titre préliminaire intitulé « Dialogue social », comportant un chapitre unique.

? Le nouvel article L. 101-1 propose d'instaurer une procédure de concertation avec les partenaires sociaux, préalable à toute réforme dans le domaine du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle.

Son premier alinéa définit d'abord le champ d'application de la procédure de concertation.

Elle s'applique à tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement dans les domaines des relations individuelles et collectives de travail, de l'emploi et de la formation professionnelle susceptible de donner lieu à une négociation nationale interprofessionnelle.

La notion de « projet de réforme » impose que la concertation intervienne en amont de la procédure législative, avant que le Gouvernement n'ait arrêté ses décisions et adopté un projet de loi en Conseil des ministres.

En l'absence de définition juridique de cette notion, on peut se demander si une modification du code du travail, même anodine, constitue une « réforme » ou si elle suppose, au contraire, un projet d'une certaine ampleur.

Il semble que l'interprétation la plus extensive de cette notion doive être retenue. Elle seule serait compatible avec les propos du Président de la République, selon lesquels « il ne sera plus possible de modifier le code du travail sans que les partenaires sociaux aient été mis en mesure de négocier sur le contenu de la réforme engagée » 13 ( * ) . Le rapporteur pour l'Assemblée nationale, Bernard Perrut, partage cette analyse, puisqu'il indique dans son rapport que toutes les « initiatives gouvernementales » feront l'objet de la concertation 14 ( * ) .

Le cas des lois de transposition des directives communautaires appelle cependant un commentaire particulier. Doivent-elles être soumises à la procédure de concertation, alors que les directives fixent aux Etats membres les objectifs à atteindre ? La réponse ne peut être ici que nuancée : si la directive laisse aux Etats un large pouvoir d'appréciation du contenu de la transposition, il paraît raisonnable de considérer la loi de transposition comme une « réforme » et d'engager la concertation ; en revanche, si la directive enserre les autorités nationales dans un cadre très strictement défini, qui prive la concertation de toute raison d'être, la loi de transposition ne saurait être considérée comme une réforme, mais plutôt comme une simple mesure d'adaptation du droit national aux dispositions communautaires.

Par ailleurs, la procédure de concertation ne s'applique qu'aux projets envisagés par le Gouvernement et ne concerne donc pas les réformes engagées par les parlementaires : une proposition de loi ou un amendement pourront toujours être déposés sans délai.

En ce qui concerne le champ d'application des réformes donnant lieu à concertation, sont d'abord mentionnées les relations individuelles et collectives de travail, l'emploi, puis la formation professionnelle :

- la distinction entre relations individuelles et relations collectives de travail est classique en droit du travail. La notion de relations individuelles de travail renvoie aux rapports qu'entretient chaque salarié avec son employeur et correspond à des matières telles que le droit des contrats de travail, du licenciement, des conditions de travail, de la durée du travail ou de la rémunération. Les relations collectives de travail sont celles que noue l'employeur avec un ensemble, organisé ou non, de salariés et recouvrent des matières telles que le régime des institutions représentatives du personnel, le droit syndical, le droit de la négociation collective ou le droit des conflits collectifs ;

- l'augmentation du chômage a conduit à adopter des mesures en droit du travail destinées à favoriser l'emploi , regroupées notamment dans le titre II du livre troisième du code du travail ;

- les réformes qui ont un impact indirect sur l'emploi, une réforme des retraites par exemple, mais qui relèvent, par nature, davantage du domaine de la protection sociale ou de la politique fiscale devraient en revanche être exclues du champ de la procédure de concertation, sans quoi celle-ci aurait un périmètre excessivement large. Le Gouvernement peut toutefois bien sûr procéder à une large concertation, comme il l'a fait pour la réforme des retraites de 2003, sans qu'elle s'inscrive dans le cadre juridique institué par le présent article ;

- enfin, les dispositifs relevant de la politique de formation professionnelle figurent dans le livre neuvième du code du travail, à l'exception de l'apprentissage, présenté dans le livre premier.

Le projet de réforme doit ensuite être susceptible de donner lieu à une négociation nationale interprofessionnelle . Les réformes à caractère sectoriel ou d'application locale échapperaient donc à la procédure de concertation, de même que les réformes relatives à des dispositions d'ordre public (organisation des juridictions prud'homales, compétence de l'inspection du travail, par exemple).

Le Gouvernement procède à la concertation avec les organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives au niveau national .

La liste des syndicats de salariés représentatifs au niveau national est fixée par un arrêté du 31 mars 1966. Les cinq centrales représentatives sont la confédération générale du travail (CGT), la confédération générale du travail-Force ouvrière (CGT-FO), la confédération française démocratique du travail (CFDT), la confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) et la confédération française de l'encadrement-confédération générale des cadres (CFE-CGC).

La représentativité des organisations d'employeurs n'est, en revanche, définie par aucun texte. Au niveau interprofessionnel, cependant, les organisations dont la représentativité est incontestée sont le mouvement des entreprises de France (Medef), la confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) et l'union professionnelle artisanale (UPA).

La concertation se déroule en vue de l'ouverture éventuelle d'une négociation nationale interprofessionnelle. Il s'agit de favoriser une élaboration de la norme sociale par les partenaires sociaux eux-mêmes. Ils peuvent cependant considérer qu'il n'y a pas lieu de négocier, par exemple si le caractère relativement mineur de la réforme envisagée ne le justifie pas ou encore si les positions trop éloignées des parties en présence rendent peu plausible la conclusion d'un accord.

Le deuxième alinéa de l'article précise que la concertation s'appuie sur un document d'orientation , remis aux partenaires sociaux par le Gouvernement, et qui présente :

- des éléments de diagnostic ;

- les objectifs poursuivis ;

- les principales options .

Le document d'orientation permet de disposer d'une base de travail, facilitant les échanges entre le Gouvernement et les partenaires sociaux, et de mieux identifier les enjeux.

Le troisième alinéa indique dans quelles conditions les organisations représentatives peuvent décider d'engager une négociation nationale interprofessionnelle.

Elles doivent d'abord indiquer au Gouvernement leur intention d'engager une telle négociation, puis lui faire connaître le délai qu'elles estiment nécessaire pour la conduire. Ni la décision d'engager la négociation, ni la durée de la négociation elle-même, ne sont enfermées dans une condition de délai.

Pour que la négociation ait de meilleures chances d'aboutir, il convient que le plus grand nombre possible d'organisations acceptent d'y prendre part. Au minimum, il faut que le nombre d'organisations impliquées dans la négociation soit suffisant pour qu'un accord puisse être valablement conclu 15 ( * ) .

Le quatrième alinéa de l'article L. 101-1 prévoit une exception à l'application de la procédure de concertation : le Gouvernement peut se soustraire à l'application des dispositions susvisées s'il déclare l'urgence . Il fait alors connaître sa décision aux organisations représentatives.

Le Gouvernement a indiqué qu'il entend réserver le recours à la procédure d'urgence à des circonstances particulières, tenant notamment à des motifs d'ordre ou de santé publics, qui imposeraient l'élaboration d'un texte dans des délais très brefs. Le recours à l'urgence pourrait aussi être motivé par la volonté de résoudre une crise sociale grave.

? Le projet de loi propose ensuite d'insérer dans le code du travail un nouvel article L. 101-2 , qui crée une procédure de consultation de diverses instances dans lesquelles les partenaires sociaux sont représentés.

Le Gouvernement devra en effet soumettre les projets de loi, élaborés au vu des résultats de la procédure de concertation et de négociation, à l'une des instances suivantes :

- la commission nationale de la négociation collective (CNNC), compétente pour les textes relatifs aux relations individuelles et collectives de travail ;

- le comité supérieur de l'emploi (CSE), pour les textes portant sur l'emploi ;

- le conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie , pour les textes relatifs à la formation professionnelle.

? Créé par une loi du 13 novembre 1982, la commission nationale de la négociation collective (CNNC) comprend :

- le ministre chargé du travail ou son représentant, qui en assure la présidence ;

- le ministre chargé de l'agriculture ou son représentant ;

- le ministre chargé de l'économie ou son représentant ;

- le président de la section sociale du Conseil d'Etat ;

- en nombre égal, des représentants des organisations syndicales de salariés les plus représentatives sur le plan national, d'une part, et des représentants des organisations d'employeurs les plus représentatives sur le plan national, dont les représentants des agriculteurs et des artisans, et des entreprises publiques, d'autre part.

La commission nationale de la négociation collective est chargée de faire au ministre chargé du travail des propositions de nature à faciliter le développement de la négociation collective. Elle émet un avis sur les projets de lois et de décrets relatifs à la négociation collective, sur l'extension et l'élargissement des conventions et accords collectifs, sur l'interprétation de clauses d'une convention ou d'un accord collectif et sur la fixation du Smic. Elle suit l'évolution des salaires effectifs et des rémunérations minimales déterminées par les conventions et accords collectifs et examine le bilan annuel de la négociation collective. Elle veille enfin au respect dans les conventions collectives du principe d'égalité entre les salariés (égalité entre les hommes et les femmes, non discrimination).

Deux sous-commissions sont constituées en son sein :

- la sous-commission des conventions et accords ;

- la sous-commission des salaires.

? La composition et les missions du comité supérieur de l'emploi (CSE) sont fixées par un décret du 25 octobre 2006.

Ce comité comprend trente-quatre membres, en plus du ministre du travail qui en assure la présidence :

- neuf représentants de l'Etat (les ministères du travail, du budget, de l'industrie, de l'éducation nationale, de l'agriculture, de l'aménagement du territoire, de l'équipement et du tourisme sont représentés) ;

- dix représentants des organisations syndicales de salariés représentatives au plan national (CGT, CFDT, CGT-FO, CFTC, CFE-CGC) ;

- dix représentants des organisations professionnelles d'employeurs (Medef, CGPME, UPA, UNAPL, FNSEA) ;

- trois représentants des collectivités territoriales (communes, départements et régions) ;

- deux membres du conseil d'administration de l'Unedic, qui gère l'assurance chômage.

Le CSE peut siéger en formation plénière ou en commission permanente, qui compte un effectif plus réduit.

Il est consulté dans les cas prévus par les lois et règlements, ainsi que par le ministre chargé du travail sur toute question relative à l'orientation et à l'application de la politique de l'emploi. En l'état actuel des textes, sa consultation n'est jamais obligatoire.

? Le conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFTLV) a été institué par la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.

Pléthorique, ce conseil comprend :

- un représentant des ministres chargés de la formation professionnelle, de l'éducation, de l'intérieur, des petites et moyennes entreprises, de l'agriculture, de la santé et des affaires sociales, de l'économie et des finances, de l'outre-mer, des sports, de la parité et de l'égalité professionnelle, soit dix représentants de l'administration ;

- deux députés et deux sénateurs ;

- vingt-cinq conseillers régionaux et un conseiller de l'Assemblée de Corse ;

- douze représentants des organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives sur le plan national ;

- trois représentants d'organismes consulaires et trois représentants d'organismes intéressés à la formation professionnelle ;

- trois personnes qualifiées en matière de formation professionnelle nommées par arrêté du ministre chargé de la formation professionnelle ;

- le président de la commission nationale de la certification professionnelle.

Il compte en outre un nombre de membres suppléants égal à celui des titulaires, qui peuvent assister aux réunions du conseil mais ne participent au vote qu'en l'absence du membre titulaire. La durée du mandat de ses membres est fixée à trois ans.

Le conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie a pour missions :

- de favoriser, sur le plan national, la concertation entre les acteurs pour la conception des politiques de formation professionnelle et le suivi de leur mise en oeuvre ;

- d'évaluer les politiques régionales d'apprentissage et de formation professionnelle tout au long de la vie ;

- de donner son avis sur la législation et la réglementation applicables en matière de formation professionnelle tout au long de la vie et d'apprentissage ;

- d'établir, tous les ans, un rapport sur l'utilisation des ressources financières consacrées à la formation professionnelle tout au long de la vie ainsi qu'à l'apprentissage et, tous les trois ans, un rapport d'évaluation des politiques régionales d'apprentissage et de formation tout au long de la vie.

Le Gouvernement n'est pas lié par les résultats de la procédure de concertation et de négociation : les projets de loi ou de règlement sont élaborés « au vu des résultats » de la procédure, qui constituent un élément d'appréciation important politiquement, mais non contraignant juridiquement 16 ( * ) .

? Le nouvel article L. 101-3 , introduit dans le code du travail par le projet de loi, propose d'instaurer un rendez-vous annuel d'échanges entre le Gouvernement et les partenaires sociaux.

Chaque année, le Gouvernement devra présenter à la commission nationale de la négociation collective ses orientations pour l'année à venir en matière de relations du travail, d'emploi et de formation professionnelle, ainsi que le calendrier envisagé pour leur mise en oeuvre.

De leur côté, les organisations patronales et syndicales représentatives au niveau national devront présenter l'état d'avancement des négociations interprofessionnelles en cours, ainsi que le calendrier de celles qu'elles entendent mener ou engager dans l'année à venir.

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a d'abord choisi de donner au chapitre unique du nouveau titre préliminaire du code du travail l'intitulé suivant : « Procédures de concertation, de consultation et d'information ». Cet intitulé rend compte des trois procédures instituées à l'article premier et permet de préciser le contenu de la notion de dialogue social.

Elle a ensuite souhaité préciser le champ d'application de la procédure de concertation en indiquant qu'elle concerne tout projet de réforme qui « relève » du champ de la négociation nationale interprofessionnelle, et non « susceptible de donner lieu » à une telle négociation. L'Assemblée a estimé cette nouvelle formulation plus claire et objective que la précédente.

Elle a également réécrit l'alinéa consacré à la procédure d'urgence afin de mieux l'encadrer : le Gouvernement devra informer les partenaires sociaux de sa décision de déclarer l'urgence et la motiver .

A l'article L. 101-3, l'Assemblée nationale a imposé la publication du compte-rendu des débats prévus entre le Gouvernement et les partenaires sociaux dans le cadre de la CNNC.

Elle a enfin complété cet article par un alinéa qui dispose que le Gouvernement remettra chaque année au Parlement un rapport présentant toutes les procédures de concertation et de consultation mises en oeuvre pendant l'année écoulée, en précisant les domaines dans lesquels ces procédures sont intervenues et les différentes phases de ces procédures. Cette mesure vise à améliorer l'information du Parlement.

III - La position de votre commission

Votre commission approuve la nouvelle procédure de concertation introduite par cet article, qui constitue indiscutablement le coeur de la réforme, ainsi que les précisions bienvenues apportées par l'Assemblée nationale.

Cette procédure permet de formaliser et de systématiser des pratiques de concertation, qui connaissent actuellement des formes très variées au gré des circonstances. Elle devrait mettre un terme à l'incompréhension qui prévaut parfois entre le Gouvernement et les partenaires sociaux en fixant une règle du jeu plus claire.

Elle se caractérise par une grande souplesse , qui est sans doute indispensable pour garantir le succès de la réforme. La durée de la négociation entre les partenaires sociaux n'est, par exemple, enfermée dans aucun délai, à la différence de la procédure communautaire qui fixe un délai de neuf mois. Il est en effet apparu difficile de déterminer a priori une durée maximale de négociation, alors que la concertation a vocation à s'appliquer à des sujets présentant un degré de complexité très variable. Certaines négociations pourront être très rapides, d'autres nécessiteront des travaux beaucoup plus longs. Dans l'hypothèse où la durée de la négociation deviendrait manifestement déraisonnable, le Gouvernement aura toujours la possibilité de présenter un projet de loi devant le Parlement, les obligations qui lui incomberont au titre de la procédure de concertation ayant alors été remplies.

L'accord éventuellement conclu par les partenaires sociaux ne s'impose pas aux autorités politiques. Le Gouvernement et le Parlement peuvent choisir de le transcrire dans la loi, comme de s'en écarter. Cette souplesse préserve les prérogatives constitutionnelles du Gouvernement et des parlementaires, en matière d'initiative des lois et de droit d'amendement. On peut supposer toutefois que, dans la grande majorité des cas, la volonté de bien légiférer conduira à retenir le compromis élaboré par les partenaires sociaux.

L'obligation faite au Gouvernement de présenter ses projets de loi et de règlement à diverses instances consultatives, dans lesquelles siègent les partenaires sociaux, le contraindra à justifier les éventuels écarts entre l'accord négocié et le projet finalement rédigé.

La commission nationale de la négociation collective se voit par ailleurs confortée dans son rôle de lieu d'échanges privilégié entre le Gouvernement et les organisations syndicales et patronales. Elle favorisera une meilleure coordination entre leurs initiatives respectives.

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission vous demande d'adopter cet article sans modification.

Article 2 (art. L. 136-2 et L. 322-2 du code du travail) - Modification des attributions de la commission nationale de la négociation collective et du comité supérieur de l'emploi

Objet : Cet article confère une nouvelle compétence consultative à la commission nationale de la négociation collective (CNNC) et au comité supérieur de l'emploi (CSE).

I - Le dispositif proposé

Le paragraphe I modifie le 2° de l'article L. 136-2 du code du travail.

Dans sa rédaction actuelle, cet alinéa du code du travail dispose que la CNNC a pour mission de donner un avis sur les projets de loi et de décrets relatifs à la négociation collective.

Il est ici proposé d'élargir le champ de compétence de la CNNC en indiquant qu'elle a pour mission de donner un avis sur les projets de loi, d'ordonnances et de décrets relatifs aux règles générales relatives aux relations individuelles et collectives de travail. Cette modification permet de mettre en cohérence la liste des missions de la CNNC avec la nouvelle procédure de consultation introduite à l'article premier.

Le paragraphe II insère un nouvel alinéa à l'article L. 322-2 du code du travail pour adapter les compétences du CSE qui sera désormais chargé d'émettre un avis sur les projets de loi, d'ordonnances et de décrets relatifs à l'emploi.

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a adopté un amendement rédactionnel à cet article.

III - La position de votre commission

Les dispositions figurant à cet article constituent des mesures de coordination avec les modifications introduites à l'article premier du projet de loi.

Votre commission vous demande donc de l'adopter sans modification.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITION DU MINISTRE

Réunie le mardi 9 janvier 2007 , sous la présidence de M. Nicolas About, président , la commission a procédé à l'audition de M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes , sur le projet de loi n° 117 ( 2006-2007), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, de modernisation du dialogue social .

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes , a tout d'abord indiqué que le projet de loi de modernisation du dialogue social propose de traduire, dans un nouveau chapitre préliminaire du code du travail, les principes posés par le chef de l'Etat dans son discours prononcé, le 10 octobre dernier, devant le Conseil économique et social. Ce texte marque, malgré sa brièveté, une étape importante de l'histoire des relations sociales.

Ce projet s'inscrit dans la continuité des actions engagées depuis 2002 : la plupart des textes récents ont élargi le champ de la négociation collective, par exemple en matière de durée du travail ou de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Cette politique a favorisé une activité conventionnelle soutenue à tous les niveaux ; en 2005, quarante-quatre accords nationaux interprofessionnels, 1.144 accords de branche et au moins 20.000 accords d'entreprise ont été conclus.

Le projet de loi a donné lieu à une concertation approfondie avec les partenaires sociaux. En décembre 2005, le Premier ministre a demandé à Dominique-Jean Chertier d'élaborer un rapport formulant des propositions de modernisation du dialogue social, qui ont servi de base aux discussions avec les organisations syndicales et professionnelles. Plusieurs séries de rencontres bilatérales ont été organisées, en s'appuyant sur des fiches d'orientation, et des déplacements ont été organisés en Espagne et aux Pays-Bas pour étudier comment ces pays ont su moderniser leurs relations sociales. La concertation s'est achevée le 6 novembre 2006 par la présentation du projet de loi devant la commission nationale de la négociation collective (CNNC).

Ce projet de loi recueille un assez large accord de la part des organisations syndicales et professionnelles, même si certaines d'entre elles auraient souhaité qu'il intègre la réforme de la représentativité syndicale.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes , a ensuite indiqué que le projet s'articule autour de trois grands axes : concertation, consultation et information.

Désormais, lorsque le Gouvernement envisagera une réforme concernant les règles générales du droit du travail, il devra, dans un premier temps, se concerter avec les organisations syndicales et professionnelles représentatives au niveau national et interprofessionnel, qui lui indiqueront si elles souhaitent négocier un accord.

Ensuite, les textes législatifs et réglementaires élaborés au vu des résultats de la concertation et de la négociation seront soumis pour avis aux instances du dialogue social que sont la commission nationale de la négociation collective (CNNC), le comité supérieur de l'emploi (CSE) et le conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV).

Enfin, un rendez-vous annuel est prévu entre le Gouvernement et les partenaires sociaux pour échanger sur leurs calendriers respectifs de concertation et de négociation. L'Assemblée nationale a adopté un amendement garantissant la publicité de ces échanges.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes , a ensuite abordé plusieurs points qui ont pu susciter un débat.

En premier lieu, il a souligné que la procédure de concertation ne concernerait que les organisations représentatives au niveau interprofessionnel, à l'exclusion donc de la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et de l'union nationale des professions libérales (UNAPL). Cependant, le ministre s'est engagé solennellement à ce que les réformes en droit du travail concernant spécifiquement ces secteurs fassent l'objet d'une concertation avec ces organisations représentatives.

Il a fait observer, en second lieu, que le projet de loi n'enferme la négociation dans aucun délai rigide, afin de conserver à la procédure une très grande souplesse. Mais les partenaires sociaux devront faire connaître leur intention d'engager une négociation dans un délai raisonnable, dont la durée satisfasse l'ensemble des parties.

S'agissant des règles d'engagement de la négociation, il est souhaitable que la négociation implique le plus grand nombre possible d'organisations de salariés et d'employeurs et nécessaire, à tout le moins, qu'elle implique un nombre d'organisations suffisant pour pouvoir conclure un accord.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, a ensuite précisé que le projet de loi n'affecte pas les pouvoirs constitutionnels du Gouvernement et du Parlement ; il ne modifie en rien la procédure de dépôt des propositions de loi et ne porte pas atteinte au droit d'amendement. Mais l'esprit de la réforme voudrait que soient modifiées les pratiques et que l'on évite certaines dérives telles que le dépôt d'une proposition de loi ou d'un amendement pour contourner la procédure de concertation.

En ce qui concerne la question posée par la transposition en droit national des directives communautaires, deux cas de figure peuvent être distingués : si la directive laisse aux Etats membres une importante marge de manoeuvre, le texte de transposition sera alors une « réforme » au sens de la loi et sera soumis à la procédure de concertation ; en revanche, si la directive enserre les autorités nationales dans un cadre très strict, la procédure de concertation n'aura plus de justification, le texte de transposition n'étant plus une réforme mais une simple mesure d'adaptation du droit national au droit communautaire.

Puis M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes , a évoqué les interrogations soulevées par l'existence d'une procédure d'exception en cas d'urgence. Si le principe d'une telle exception n'est pas contesté, un risque d'abus a parfois été souligné. C'est pourquoi l'Assemblée nationale a précisé que le Gouvernement devra faire connaître aux partenaires sociaux et motiver sa décision de déclarer l'urgence, avant de prendre toute mesure appropriée.

Le ministre a enfin abordé la question du sort à réserver à l'accord éventuellement conclu par les partenaires sociaux : cet accord constituera la « colonne vertébrale » du projet de loi ou de décret mettant en oeuvre la réforme.

En conclusion, le ministre a souligné que l'adoption du projet de loi conduirait à traiter, dans un avenir proche, la question de la représentativité syndicale. Raphaël Hadas-Lebel a rédigé un rapport à ce sujet sur lequel le Conseil économique et social (CES) a rendu un avis le 29 novembre dernier. Outre la représentativité syndicale, cet avis aborde aussi les questions de la validité des accords collectifs, de la négociation collective dans les petites et moyennes entreprises et du financement des organisations syndicales. Le Gouvernement juge peu opportun d'aborder ce sujet dans le cadre du présent texte car il lui semble logique de soumettre cette réforme à la procédure de concertation qu'il institue. De plus, les orientations proposées par le CES doivent encore être précisées et il paraît indispensable de rapprocher les points de vue des organisations représentatives.

M. Nicolas About, président , a demandé s'il serait envisageable de prévoir que, dans le cas où l'urgence n'est pas invoquée à l'égard des partenaires sociaux, elle puisse être invoquée devant le Parlement.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur , a d'abord souligné que la réforme de la représentativité syndicale devrait constituer l'une des premières applications de la réforme du dialogue social. Elle a ensuite indiqué s'être interrogée sur l'utilité d'enserrer la procédure de concertation dans des délais stricts, mais a estimé, au vu de ses échanges avec des syndicalistes, qu'il serait illusoire de vouloir fixer à l'avance un délai pour la négociation, compte tenu de la diversité des sujets traités.

Après avoir affirmé son attachement au droit d'amendement parlementaire, elle a demandé si le projet de loi remet en cause le droit d'amendement du Gouvernement. Elle a également souhaité savoir si le Gouvernement compte s'abstenir de toute initiative pendant le déroulement de la négociation et si une telle pratique ne risque pas de ralentir le rythme d'avancement des réformes ; en effet, si l'on peut espérer que le projet de loi favorise une évolution des mentalités, gage d'une négociation rapide, la période de transition à venir risque d'être difficile à gérer. Enfin, elle a demandé dans quelles hypothèses le recours à l'urgence pourrait être invoqué.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes , a estimé que le temps consacré à la concertation n'est pas du temps perdu, dans la mesure où il permet de préparer les esprits au changement. Il a cité l'exemple de la négociation sur l'emploi des seniors, qui a duré une année, mais qui trouve aujourd'hui des applications concrètes.

M. Nicolas About, président , a cependant fait observer qu'une pression des parlementaires peut parfois s'avérer nécessaire pour qu'une négociation aboutisse.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes , a ajouté que la négociation ne saurait, en tout état de cause, être interminable et que le Gouvernement aura in fine la maîtrise de sa durée.

Il a indiqué que l'urgence pourrait être invoquée lors d'une crise sanitaire, par exemple une épidémie justifiant une adaptation de la législation sur la durée du travail, ou lors d'une crise sociale grave.

Il a précisé par ailleurs que si le projet de loi ne porte pas atteinte au pouvoir d'amendement du Gouvernement, il lui serait cependant difficile de faire adopter d'importantes réformes par cette voie, en se dispensant de la phase de concertation.

M. Roland Muzeau a d'abord souligné qu'une plus grande concertation aurait sans doute permis d'éviter la crise du contrat première embauche (CPE) et conduit au rejet du contrat nouvelles embauches (CNE), qui est maintenant contesté devant les tribunaux.

Le groupe communiste républicain et citoyen, favorable à la démarche de concertation, n'a aucune raison de s'opposer frontalement à l'adoption de ce texte, mais il souhaite le compléter dans quatre directions :

- sur la question de la représentativité syndicale, il entend présenter l'amendement rédigé par la CGT et la CFDT, en dépit des quelques réserves qu'il peut avoir à son sujet, considérant qu'il convient de respecter le compromis obtenu par ces organisations syndicales ;

- sur la question des règles de validité des accords collectifs, il compte défendre le principe de l'accord majoritaire : un accord ne saurait être valable que s'il est signé par des organisations représentant une majorité des salariés, et non par des organisations majoritaires en nombre, afin de mettre un terme à des situations choquantes, dont le récent accord sur les intermittents du spectacle offre une nouvelle illustration ;

- il souhaite également réaffirmer l'importance de l'ordre public social et de la hiérarchie des normes en droit du travail ;

- enfin, il s'attachera à préserver le temps du Parlement et à préciser les règles de transpositions des directives.

M. Roland Muzeau a ajouté que la question de la représentativité des organisations patronales est également posée, dans la mesure où le Medef tente de s'arroger une représentativité dont il ne dispose pas dans les faits, comme en témoigne son opposition jusqu'ici infructueuse à l'accord signé par l'UPA, le 12 décembre 2001, pour le développement du dialogue social dans l'artisanat.

M. Louis Souvet a demandé au ministre de préciser ce qu'il entend lorsqu'il évoque un délai « raisonnable » pour le déroulement de la concertation, jugeant que cette incertitude risque d'être un facteur de conflits et de recours en justice. Il a souhaité savoir comment la France se positionne en matière de dialogue social par rapport aux pays étrangers comparables. Il a enfin appelé de ses voeux un investissement plus important dans la formation des cadres des organisations syndicales et patronales afin qu'ils se comprennent mieux.

Mme Marie-Thérèse Hermange a fait observer, sur ce dernier point, que les organisations syndicales et patronales allemandes partagent un même immeuble à Berlin et négocient en permanence.

Mme Gisèle Printz a regretté que le texte ne contienne aucune précision sur la manière dont les partenaires sociaux doivent faire connaître leur intention d'engager une négociation et a demandé pourquoi le Gouvernement a choisi de présenter ce texte si près de la fin de la législature.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes , a d'abord répondu à M. Roland Muzeau que la loi du 4 mai 2004 sur la formation professionnelle tout au long de la vie et le dialogue social a déjà amorcé une transition vers l'affirmation du principe de l'accord majoritaire. Un bilan de l'application de cette loi est prévu en 2008 et pourra être suivi de nouvelles évolutions. Le Conseil économique et social propose de retenir, à titre transitoire, le principe d'une majorité relative avant d'appliquer la règle de l'accord majoritaire. Une concertation doit être menée avec les partenaires sociaux sur ce sujet.

En ce qui concerne la représentativité des organisations professionnelles, il a rappelé qu'elle n'obéit pas aux mêmes règles que celles des organisations syndicales : les organisations professionnelles doivent toujours prouver leur représentativité, alors qu'une liste de syndicats présumés représentatifs au niveau national est fixée par un arrêté de 1966.

Répondant ensuite à M. Louis Souvet, il a estimé que la France accuse un certain retard en matière de dialogue social. Il a cité l'exemple des Pays-Bas qui ont réussi à faire évoluer leurs pratiques depuis la conclusion de l'accord de Wassenaar en 1982. Il a indiqué que le projet de loi peut être rapproché de la procédure prévue à l'article 138 du traité instituant la Communauté européenne, qui donne la possibilité aux partenaires sociaux de se saisir des projets de réforme.

Sur la notion de « délai raisonnable », le ministre a souhaité que de nouveaux rapports s'établissent entre le Gouvernement et les partenaires sociaux et indiqué que le Parlement pourrait jouer un rôle d'aiguillon par le dépôt d'une proposition de loi.

Favorable à une meilleure formation des interlocuteurs syndicaux et patronaux, il a souhaité notamment une réforme des conditions de mise à disposition des salariés auprès des organisations syndicales et professionnelles.

En réponse à Mme Gisèle Printz, il a rappelé que le texte a fait l'objet d'une longue préparation et que son adoption est aujourd'hui demandée par les organisations syndicales et professionnelles. Il a souligné qu'il s'inspire de la « Position commune » arrêtée par les partenaires sociaux en 2001.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur , a indiqué que le rapport Chertier recommande une refonte des nombreuses instances consultatives existant dans le domaine social. Tout en admettant que cette question excède le champ du projet de loi, elle a souhaité qu'elle soit prochainement abordée.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes , a précisé que le Gouvernement avait d'abord proposé de fusionner la CNNC, le CSE et le CNFPTLV, mais que les partenaires sociaux n'avaient pas souhaité procéder dès maintenant à une telle réforme. L'idée d'une rationalisation de ces structures n'est cependant pas abandonnée et pourrait être posée en des termes nouveaux une fois que la réforme de la représentativité aura été effectuée.

En réponse à Mme Isabelle Debré , qui demandait dans quel délai cette réforme pourrait intervenir, le ministre a indiqué qu'il compte débuter ses consultations à la fin du mois de janvier puis effectuer un premier point d'étape devant la CNNC le 6 février 2007.

II. AUDITIONS

Réunie le mercredi 10 janvier 2007 , sous la présidence de M. Nicolas About, président , puis de M. Alain Gournac, vice-président , la commission a procédé à plusieurs auditions se rapportant au projet de loi n° 117 (2006-2007), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, de modernisation du dialogue social .

Elle a organisé une première table ronde réunissant Mmes Michèle Biaggi , secrétaire confédérale chargée de la négociation collective et Delphine Borgel-Peress , membre de la commission nationale de la négociation collective, de la confédération générale du travail - force ouvrière (CGT FO), M. Dominique Olivier , secrétaire confédéral de la confédération française démocratique du travail (CFDT), M. Pierre-Jean Rozet , membre de la commission exécutive confédérale de la confédération générale du travail (CGT), M. Bernard Valette , secrétaire national du pôle « développement-action » et Mme Mira Bevilacqua , de la confédération française de l'encadrement - confédération générale des cadres (CFE-CGC) et MM. Bernard Vivier , vice-président confédéral, et Philippe Louis , trésorier confédéral de la confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC).

Mme Catherine Procaccia, rapporteur , a d'abord souhaité savoir de quelle manière les organisations syndicales sont aujourd'hui associées à l'élaboration des normes en droit du travail et ce qu'apporte le projet de loi par rapport aux pratiques en vigueur.

Mme Michèle Biaggi, secrétaire confédérale chargée de la négociation collective de la CGT-FO, a répondu que les syndicats demandent à être consultés sur les mesures qui affectent la vie des salariés afin d'éviter qu'une crise comme celle du contrat première embauche (CPE) ne se reproduise. Elle a ajouté que les syndicats sont généralement consultés par le Gouvernement mais rarement écoutés.

M. Dominique Olivier, secrétaire confédéral de la CFDT , a indiqué que les partenaires sociaux ont connu le meilleur comme le pire en matière de dialogue social : il est arrivé que la loi reprenne intégralement le contenu d'un accord collectif, comme le montre l'exemple de la loi du 4 mai 2004 sur la formation professionnelle ; à l'inverse, dans le cas du CPE, les syndicats ont été ignorés. Le projet de loi vise à généraliser le meilleur.

M. Nicolas About, président , a demandé quel rôle conserverait le Parlement si le respect du dialogue social lui impose de reprendre intégralement l'accord conclu par les partenaires sociaux.

M. Dominique Olivier a indiqué que la CFDT ne souhaite pas que les partenaires sociaux se substituent au législateur : la démocratie sociale doit compléter la démocratie politique mais n'a pas vocation à la supplanter.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur , a demandé s'il ne faut pas craindre de voir la place du Parlement amoindrie par l'adoption de la réforme du dialogue social.

M. Pierre-Jean Rozet, membre de la commission exécutive confédérale de la CGT , a souligné que les syndicats sont, le plus souvent, consultés sur les projets de réforme du Gouvernement ; mais il arrive que des dispositions soient adoptées par voie d'amendement, sans aucune concertation préalable : la loi du 2 août 2005, en faveur des petites et moyennes entreprises, a fait passer de cette manière la durée du mandat des élus du personnel de deux à quatre ans.

Il a ensuite regretté que le projet de loi n'aborde pas la question des règles de validité des accords collectifs, alors qu'elle n'est pas sans incidence sur le déroulement du débat parlementaire. A titre d'illustration, il a évoqué la loi du 4 mai 2004, sur la formation professionnelle tout au long de la vie et le dialogue social, qui a repris intégralement les termes de l'accord unanime conclu par les partenaires sociaux sur la formation professionnelle, mais qui s'est en revanche écartée, sur certains points, des principes fixés par la « position commune » du 16 juillet 2001, sur les voies et moyens de l'approfondissement de la négociation collective, dans la mesure où celle-ci n'avait été approuvée que par une partie des organisations représentatives.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur , a demandé si la question de la validité des accords ne devrait pas être soumise à la nouvelle procédure de concertation introduite par le projet de loi.

M. Pierre-Jean Rozet a souligné qu'il n'y a pas d'accord entre les organisations syndicales et patronales sur ce sujet. L'avis du Conseil économique et social du 29 novembre 2006 a mis en évidence ces divergences.

M. Bernard Valette, secrétaire national du pôle « développement-action » de la CFE-CGC , a insisté sur l'importance des problèmes de méthode. Afin que la démocratie sociale et la démocratie politique n'entrent pas en concurrence, il faut veiller à ce que les parlementaires soient bien informés sur les points d'équilibre sous-tendant un accord. Ceci fait, le pouvoir politique demeure libre de modifier les équilibres négociés mais il agit alors en toute connaissance de cause et assume sa responsabilité.

M. Bernard Vivier, vice-président confédéral de la CFTC , a estimé que les autorités politiques et les partenaires sociaux ont des rôles complémentaires. Il a regretté que les syndicats soient insuffisamment associés aux réformes, situation qui peut s'expliquer par une caractéristique culturelle typiquement française portant à considérer que le bien commun est défini par l'Etat. Il a souhaité que la France se rapproche des pratiques en vigueur dans les autres pays européens qui accordent une plus large place au dialogue social. Le projet de loi constitue, à cet égard, une avancée très importante, même si certaines organisations, patronales notamment, auraient souhaité aller plus loin et demandent une révision constitutionnelle.

Toutefois, le contrat ne saurait suffire seul à réguler le champ social et la loi conserve son utilité ; le rapport de force entre partenaires sociaux est parfois trop inégal pour aboutir à un accord satisfaisant et l'intervention du législateur peut permettre de débloquer une négociation. Ainsi en 1958, l'incapacité des partenaires sociaux à faire aboutir leur négociation sur la création du régime d'assurance chômage a amené le général de Gaulle à menacer d'intervenir, par la voie législative, si un accord n'était pas conclu avant le 31 décembre ; cette pression politique a permis la conclusion d'un accord obtenu à l'extrême limite du délai fixé.

Sur la question de la validité des accords, il a indiqué que la plupart des organisations représentatives souhaitent avant tout que la loi du 4 mai 2004 soit bien appliquée avant d'envisager d'aller plus loin.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur , a demandé si toutes les modifications du code du travail, même les plus techniques, doivent faire l'objet de la procédure de concertation et si elle doit s'appliquer aussi aux amendements.

M. Nicolas About, président , a estimé qu'il convient de distinguer les amendements parlementaires de ceux déposés par le Gouvernement.

M. Pierre-Jean Rozet a répondu qu'il serait souhaitable que les parlementaires connaissent au moins le positionnement des organisations syndicales sur les amendements déposés.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur , a fait observer qu'il est difficilement envisageable, pour des raisons pratiques, de procéder à une consultation sur tous les amendements.

M. Bernard Valette a indiqué que même les sujets les plus techniques en apparence, comme la recodification du code du travail, peuvent avoir des implications importantes et qu'il convient donc de les soumettre tous à concertation. En ce qui concerne le droit d'amendement, l'essentiel est de s'assurer que l'équilibre de l'accord négocié par les partenaires sociaux est préservé.

Mme Michèle Biaggi a estimé que beaucoup d'amendements ont une véritable portée politique et jugé utile de consulter les organisations syndicales avant le débat en séance publique, ce qui implique que les commissions des affaires sociales des deux assemblées aient les moyens d'effectuer un travail plus approfondi.

M. Nicolas About, président , a rappelé que la navette parlementaire permet de réexaminer les dispositions votées par une assemblée et, éventuellement, de les modifier ou de les supprimer.

M. Bernard Valette a considéré que les partenaires sociaux ont pris une mauvaise habitude consistant à négocier un accord, puis à procéder ensuite à un véritable lobbying auprès des parlementaires pour obtenir par la loi ce qu'ils n'ont pas obtenu par la négociation.

M. Dominique Olivier a affirmé que le projet de loi marque une avancée historique qui nous rapproche des meilleurs modèles européens. Il a demandé que la concertation soit systématique car des mesures apparemment techniques peuvent être lourdes de conséquence. Il a cité le cas des procédures de normalisation technique, auxquelles les syndicats sont très peu associés, alors qu'elles peuvent concerner la responsabilité sociale et sociétale des entreprises. Il a également demandé que la réforme du dialogue social soit complétée par une révision des règles de validité des accords collectifs.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur , a souhaité qu'une réflexion soit menée sur le déroulement du travail parlementaire et que de nouvelles méthodes s'imposent ; on pourrait envisager de modifier le Règlement des assemblées pour garantir aux commissions des affaires sociales un temps d'examen des textes suffisant pour procéder à des consultations, y compris sur les amendements extérieurs.

Elle a ensuite fait observer que le projet de loi n'enferme la procédure de concertation et la négociation dans aucun délai et a demandé aux représentants des organisations syndicales s'ils sont satisfaits de ce choix.

M. Pierre-Jean Rozet a jugé difficile de fixer un délai unique applicable à toutes les négociations mais a admis qu'une telle limitation pourrait peut-être permettre, dans certains cas, de débloquer des discussions enlisées, par exemple la négociation en cours sur la pénibilité au travail.

Mme Michèle Biaggi a estimé le texte satisfaisant en l'état. Tous les représentants syndicaux ont cependant fait l'expérience de négociations particulièrement longues, qui plaident pour la fixation de dates butoirs sur certains sujets.

M. Bernard Vivier a également jugé le texte satisfaisant et souhaité que la loi laisse une grande liberté aux organisations représentatives. Il a indiqué qu'une négociation peut parfois échouer puis reprendre quelques années plus tard pour finalement aboutir, comme ce fut le cas pour la réforme de la formation professionnelle.

M. Bernard Valette a également plaidé pour un grand pragmatisme et souhaité que la pratique modèle les contours de la future procédure.

M. Dominique Olivier a demandé que la procédure conserve beaucoup de souplesse et précisé que les partenaires sociaux fixeraient eux-mêmes une date butoir pour l'achèvement de leur négociation. Fixer un délai trop long - trois ans par exemple pour la négociation sur la pénibilité - n'incite pas réellement à négocier. A son sens, le patronat avait décidé d'emblée que cette négociation n'aboutirait pas et ce type de comportement devrait être sanctionné, dans la mesure où il fait perdre beaucoup de temps aux partenaires sociaux.

A Mme Catherine Procaccia, rapporteur, qui demandait si l'adoption du projet de loi de modernisation du dialogue social évitera à l'avenir de tels comportements, il a précisé que la nouvelle procédure permettrait au pouvoir politique de menacer de reprendre le dossier en main dans le cas où la négociation s'éternise.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur , a ensuite souhaité obtenir des précisions sur les conditions d'ouverture des négociations, dans la mesure où le texte n'indique pas si cette ouverture suppose une participation de toutes les organisations représentatives ou d'une partie seulement d'entre elles.

M. Bernard Vivier a déclaré que, en pratique, la négociation s'ouvre s'il y a un accord général : les syndicats ne manquent pas les grands rendez-vous proposés par le patronat.

M. Pierre-Jean Rozet a expliqué, cependant, que les partenaires sociaux ne constituent pas une entité homogène et qu'il faut donc s'interroger sur la conduite à tenir si une organisation syndicale ou patronale refuse de participer à la négociation. Il a cité l'exemple de l'accord signé par l'UPA, le 12 décembre 2001, pour le développement du dialogue social dans l'artisanat, qui a été conclu sans la participation du Medef.

M. Dominique Olivier a considéré pour sa part qu'il serait nécessaire qu'une majorité des organisations syndicales et professionnelles accepte de participer à la négociation pour que celle-ci ait un intérêt. Exiger la participation de la totalité des organisations serait en revanche excessivement contraignant. Ce principe étant posé, on peut cependant se demander s'il faut rechercher la participation d'une majorité des organisations en nombre ou la participation d'organisations représentant la majorité des salariés.

Mme Michèle Biaggi a estimé qu'il convient de distinguer deux questions : celle des relations entre le Gouvernement et les partenaires sociaux d'une part, celle des conditions de validité des accords conclus, d'autre part. Elle a rappelé que la loi du 4 mai 2004, qui a posé les règles actuelles de validité des accords, prévoit qu'un bilan sera effectué à la fin de l'année 2007 et a proposé d'attendre ce bilan avant d'aller plus loin. Puis elle a regretté que les organisations syndicales soient dépendantes de la volonté des organisations patronales pour la convocation ou non d'une négociation. La « position commune » de 2001 prévoyait un « droit de saisine » des organisations syndicales mais ce principe est resté lettre morte.

M. Bernard Valette a considéré que si certaines organisations syndicales ne sont pas satisfaites des conditions actuelles de validité des accords, le projet de loi de modernisation du dialogue social ne constitue pas le véhicule adapté pour les réformer. Il a rappelé qu'il suffit d'une organisation syndicale et d'une organisation patronale pour signer un accord national interprofessionnel, mais que la validité de l'accord peut ensuite être remise en cause si les autres organisations exercent leur droit d'opposition. Chaque organisation doit donc prendre ses responsabilités vis-à-vis des salariés.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur , s'est interrogée sur les hypothèses dans lesquelles le Gouvernement pourrait avoir recours à la procédure d'urgence, envisagée à l'article premier, et a demandé si l'exigence de motivation posée par l'Assemblée nationale satisfait les organisations syndicales.

M. Dominique Olivier a approuvé cette exigence de motivation et a considéré que l'urgence doit constituer l'exception, par exemple le cas souvent évoqué d'une pandémie de grippe aviaire qui aurait effectivement de lourdes conséquences sur les relations sociales.

M. Pierre-Jean Rozet , rappelant que presque tous les textes sociaux ont été examinés par le Parlement en urgence depuis 2002, a souhaité que la notion d'urgence figurant dans le texte ne soit pas interprétée de la même manière que l'urgence prévue dans la procédure parlementaire.

M. Bernard Valette s'est déclaré satisfait du texte adopté par l'Assemblée nationale et a estimé qu'il n'appartient pas aux partenaires sociaux de définir les cas dans lesquels le Gouvernement pourrait avoir recours à l'urgence.

M. Nicolas About, président , a souligné que les organisations représentatives pourraient contester en justice la motivation avancée pour justifier l'urgence.

Mme Michèle Biaggi a confirmé que la déclaration d'urgence devra conserver un caractère exceptionnel.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur , a indiqué que des hypothèses telles qu'un grave phénomène climatique ou un effondrement du système informatique pourraient justifier le recours à l'urgence, mais qu'elles sont, en tout état de cause, en nombre limité. Elle a ensuite demandé si les changements introduits par le projet de loi devraient, à l'avenir, être complétés par d'autres réformes, notamment sur la question de la représentativité syndicale.

M. Bernard Vivier a insisté sur la notion de pacte social : les équilibres sociaux doivent résulter d'une concertation entre l'Etat et les organisations représentatives, qui ont des approches complémentaires.

Mme Michèle Biaggi a considéré que le débat sur la représentativité est désormais ouvert et qu'il convient de laisser vivre la négociation avant de trancher.

M. Bernard Valette a rappelé que la procédure de concertation instaurée par le projet de loi ne concerne que les modifications du code du travail et a demandé que les organisations syndicales soient informées plus largement des projets de réformes du Gouvernement, notamment lorsqu'ils portent sur la protection sociale.

M. Dominique Olivier a indiqué que la CGT et la CFDT souhaitent l'adoption d'un amendement réformant les règles de la représentativité syndicale, afin d'améliorer le fonctionnement de la démocratie sociale. Aujourd'hui, un accord peut être valablement signé par une seule organisation syndicale, si les autres s'abstiennent d'exercer leur droit d'opposition, et chaque organisation se voit reconnaître le même poids. L'amendement proposé pose un principe : la représentativité syndicale doit être mesurée à partir du résultat des élections professionnelles organisées sur le lieu de travail.

Dans la mesure où les positions des partenaires sociaux sur la réforme de la représentativité sont divergentes, il appartient au pouvoir politique de trancher et de poser le principe de la réforme. Elle implique l'abandon de la présomption irréfragable de représentativité accordée à cinq syndicats, dont la CGT et la CFDT, et n'est donc pas sans risque pour ces deux organisations.

Il a jugé opportun de poser ce principe dès à présent, dans la mesure où la réforme aura ensuite des prolongements longs à mettre en oeuvre. La moitié des salariés français travaillent dans des entreprises qui ne disposent d'aucune représentation du personnel et qui n'organisent donc pas d'élections. Par conséquent, il faudrait envisager de regrouper ces entreprises, sur une base territoriale et sectorielle, pour garantir le dialogue social dans ces entreprises, en s'inspirant par exemple des pratiques déjà en vigueur dans le monde agricole.

Après avoir affirmé son attachement au développement du dialogue social, Mme Marie-Thérèse Hermange a demandé quelle serait l'attitude des organisations syndicales si une loi est proposée pour transposer un accord négocié par les partenaires sociaux au niveau européen.

M. Pierre-Jean Rozet a indiqué que la procédure de dialogue social prévue au niveau communautaire est en pratique rarement utilisée. La plupart des textes sont donc élaborés par la Commission européenne. Les directives laissent une marge d'appréciation aux Etats membres pour en assurer la transposition et il conviendra donc de veiller à ce que cette transposition soit la plus favorable possible aux salariés.

Mme Michèle Biaggi a fait observer que la transposition de l'accord négocié au niveau européen sur le stress est toujours en attente, puisqu'elle est abordée dans le cadre de la négociation sur la pénibilité au travail.

M. Dominique Olivier a lui aussi estimé que la transposition des directives ouvre un espace au dialogue social ; il a cité l'exemple de la directive réformant la médecine du travail, dont la transposition a donné lieu à une négociation, ayant abouti à un accord en septembre 2002, mis en oeuvre ensuite par décret.

Sur la question de la validité des accords, il a souligné que certaines organisations syndicales proposent d'abandonner la règle de la majorité d'opposition pour opter pour la règle de la majorité d'engagement.

M. Bernard Valette a estimé que ce dernier point est hors sujet et que le récent avis du Conseil économique et social a fait apparaître des divisions de fond sur cette question.

M. Louis Souvet a demandé si le syndicalisme français, dont les règles de représentativité n'ont pas évolué depuis des décennies, n'est pas menacé de sclérose.

M. Roland Muzeau a lui aussi considéré que ces règles sont aujourd'hui dépassées et a fait part de son intention de défendre en séance l'amendement soutenu par la CGT et la CFDT, dont les modalités d'application devront ensuite être précisées de manière négociée.

M. Alain Gournac, président , a, en revanche, plaidé pour une certaine prudence, considérant que les évolutions sur ce sujet sensible doivent être maîtrisées.

Mme Michèle Biaggi s'est déclarée prête à engager le débat sur la représentativité syndicale et a souhaité que le respect des valeurs républicaines figure parmi les critères retenus.

M. Pierre-Jean Rozet a jugé que le vote du projet de loi sans l'adoption de l'amendement sur la représentativité laisserait le sentiment d'une occasion manquée ; la représentativité ne doit plus être octroyée mais fondée sur le vote des salariés.

M. Bernard Valette a pour sa part estimé que la principale difficulté réside dans la faiblesse du taux de syndicalisation : la question de la représentativité se poserait différemment si 20 % ou 30 % des salariés étaient syndiqués.

M. Bernard Vivier a indiqué que le dialogue social est une réalité dans notre pays, rappelant que 97 % des salariés sont couverts par un accord collectif. Il a souhaité que la réflexion sur la représentativité syndicale mûrisse afin de dépasser le stade des slogans.

Pour conclure, M. Alain Gournac, président , a souhaité que les occasions de dialogue entre la commission et les partenaires sociaux se multiplient et s'est déclaré très satisfait que le problème de l'adhésion aux syndicats ait été posé.

La commission a ensuite organisé une seconde table ronde réunissant MM. Jacques Creyssel , directeur général, Guillaume Ressot , directeur adjoint chargé des affaires publiques du mouvement des entreprises de France (Medef), MM. Jean-François Veysset , vice président chargé des affaires sociales, Georges Tissié , directeur des affaires sociales de la confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), et MM. Pierre Burban , secrétaire général, et Guillaume Tabourdeau , chargé des relations avec le Parlement, de l'union professionnelle artisanale (UPA).

Mme Catherine Procaccia, rapporteur , a d'abord demandé de quelle manière les organisations patronales étaient associées, jusqu'à présent, à l'élaboration des réformes touchant au droit du travail et a souhaité connaître l'apport du projet de loi par rapport aux pratiques en vigueur.

M. Pierre Burban, secrétaire général de l'UPA , a estimé que le projet de loi marque une avancée significative. Les organisations patronales et syndicales sont certes associées, depuis 1945, à l'élaboration des normes sociales et assurent la gestion de certains régimes, l'assurance chômage et les régimes de retraites complémentaires notamment, mais les interventions politiques dans le champ du paritarisme sont de plus en plus fréquentes. Le texte s'inscrit dans le prolongement de la loi du 4 mai 2004, sur la formation professionnelle tout au long de la vie et le dialogue social, qui pose déjà, dans son préambule, le principe d'une concertation préalable à toute réforme, sans que ce principe soit toutefois toujours respecté. Une réforme constitutionnelle aurait cependant été sans doute préférable à l'adoption d'une loi ordinaire. Pour autant, les partenaires sociaux ne demandent pas à devenir des législateurs mais simplement à être associés aux réformes.

M. Jacques Creyssel, directeur général du Medef , a déclaré partager ce point de vue : le projet de loi constitue une première étape utile, mais qui devrait être complétée par une révision constitutionnelle.

La concertation entre le Gouvernement et les partenaires sociaux revêt aujourd'hui des formes variées. Certains textes gouvernementaux sont adoptés après une consultation très formelle des partenaires sociaux, dans le cadre par exemple des réunions de la commission nationale de la négociation collective (CNNC). D'autres textes sont au contraire directement issus d'un accord des partenaires sociaux, comme ce fut le cas pour la réforme de la formation professionnelle, reprise dans la loi du 4 mai 2004. Cependant, lorsque l'intervention du législateur est nécessaire pour transcrire l'accord dans la loi, il arrive que les partenaires sociaux interviennent auprès des parlementaires pour tenter de remettre en cause l'équilibre issu de la négociation. Cette possibilité « d'appel » pervertit le déroulement de la négociation et déresponsabilise ses acteurs. Des initiatives gouvernementales peuvent également remettre en cause a posteriori l'équilibre de l'accord ; des propositions sont par exemple régulièrement formulées pour faire évoluer le régime du droit individuel à la formation (Dif) défini par les partenaires sociaux dans leur accord sur la formation professionnelle.

M. Nicolas About, président , a fait observer que le Medef suggère parfois lui aussi des amendements remettant en cause l'équilibre d'un accord négocié.

M. Jacques Creyssel a reconnu que la déresponsabilisation qu'il dénonçait concerne également le Medef et qu'il convient donc de clarifier les règles.

A cet égard, le droit communautaire offre des garanties aux négociateurs dont il serait bon de s'inspirer : les institutions européennes ne peuvent intervenir pendant le temps de la négociation et le Conseil est ensuite tenu de reprendre l'accord dans son intégralité ou de l'écarter. Le projet de loi de modernisation du dialogue social prévoit une concertation sur tous les textes, avec un éventuel renvoi à la négociation, mais ne garantit pas que le contenu de l'accord conclu sera obligatoirement respecté. C'est pourquoi une révision constitutionnelle serait utile afin d'apporter aux organisations représentatives cette garantie supplémentaire.

M. Jean-François Veysset, vice président chargé des affaires sociales de la CGPME , s'est pour sa part félicité de la présentation de ce projet de loi, même s'il est vrai que l'information et la consultation des partenaires sociaux sont déjà fréquentes. La CGPME souhaite toutefois que le rôle du législateur soit maintenu, conformément à son souci de promouvoir un libéralisme tempéré. Soulignant que les partenaires sociaux ne pourraient se saisir de tous les dossiers à la fois, il a plaidé pour que la procédure de concertation ne soit pas enfermée dans des délais impératifs.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur , a demandé dans quelles hypothèses le Gouvernement pourrait avoir recours à la procédure d'urgence, envisagée à l'article premier, et si l'exigence de motivation posée par l'Assemblée nationale en cas de déclaration d'urgence constitue une avancée.

M. Pierre Burban a souligné que la déclaration d'urgence doit demeurer l'exception et être réservée à des événements graves. L'exigence de motivation constitue à ce titre un progrès.

M. Jacques Creyssel a indiqué partager cet avis et estimé que le recours à l'urgence relève du domaine de la responsabilité politique.

M. Jean-François Veysset a fait part de sa préoccupation sur un point : dans la mesure où un nombre important de directives communautaires sont en retard de transposition, il ne faudrait pas que l'urgence soit invoquée pour procéder à leur transposition en se dispensant de la phase de concertation.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur , a douté que l'urgence puisse être déclarée pour ce motif. Elle a ensuite demandé comment la concertation pourrait être améliorée entre le Gouvernement et les partenaires sociaux et comment le droit d'amendement s'exercera après la conclusion d'un accord.

M. Jacques Creyssel a répondu que l'essentiel est de préserver l'équilibre obtenu par la négociation. Le Président de la République, dans son discours prononcé devant le Conseil économique et social le 10 octobre 2006, a évoqué la possibilité de transcrire les accords par voie d'ordonnances. Il s'agit là d'une piste qui devrait être creusée. Le dépôt d'une proposition de loi pourrait être le moyen de contourner la procédure de concertation, mais on ne peut résoudre ce problème sans passer par une révision constitutionnelle.

M. Pierre Burban a souligné que le temps consacré à la concertation en amont de la décision politique est gagné en aval et a déclaré avoir confiance dans l'esprit de responsabilité de tous les acteurs. Dans plusieurs pays étrangers, certaines matières sont régies uniquement par la négociation entre partenaires sociaux.

M. Nicolas About, président , a toutefois fait observer que la légitimité des accords dépend de la représentativité des organisations signataires. Le politique peut ne se sentir tenu de respecter un accord que si celui-ci jouit d'une profonde légitimité.

M. Jacques Creyssel a répondu que le Medef est favorable à ce que l'on distingue un champ d'intervention du législateur et un champ d'action autonome des partenaires sociaux, avec éventuellement un champ intermédiaire de compétences partagées. Ce type de partage des compétences prévaut dans la plupart des pays voisins.

Sur la question de la représentativité syndicale, des clivages sont apparus au Conseil économique et social. S'il est vrai que les règles doivent évoluer - la jurisprudence retient d'ailleurs des critères de représentativité plus modernes que ceux fixés par décret - il n'est pas souhaitable de passer d'un syndicalisme d'adhésion à un syndicalisme d'élection comme le préconisent certaines organisations. Un tel changement risquerait de conduire à une augmentation du nombre d'organisations et à une diminution de leurs effectifs. Il conduirait, de plus, à une confusion entre démocratie sociale et démocratie politique dont on mesure mal la portée.

La question de la représentativité patronale ne se pose pas dans les mêmes termes que celle de la représentativité syndicale. Les règles en vigueur ont permis de faire évoluer le paysage patronal, comme l'atteste la reconnaissance de la représentativité de l'UPA. En tout état de cause, la représentativité du Medef est incontestée et il n'y aurait aucun bénéfice à augmenter encore le nombre d'organisations prenant part au dialogue social.

M. Jean-François Veysset a souligné qu'il convient de prendre en compte les organisations qui représentent véritablement les entreprises. Localement, les organisations qui participent aux négociations doivent également être rattachées aux organisations reconnues représentatives au niveau national.

M. Pierre Burban a confirmé que l'approfondissement du dialogue social dépend de la légitimité de ses acteurs. Le système peut évoluer comme le montre la reconnaissance de la représentativité de l'UPA en 1983. La réflexion sur la représentativité syndicale doit cependant encore être poursuivie et se pose différemment suivant les branches professionnelles. Les critères de représentativité doivent être réformés en conservant toutefois une place importante au critère du nombre d'adhérents.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur , s'est interrogée sur les conditions de représentation des professions libérales et des entreprises agricoles, qui disposent de leurs propres organisations professionnelles, l'UNAPL et la FNSEA.

Après avoir rappelé que ces organisations ont un caractère sectoriel et non interprofessionnel, M. Jacques Creyssel a indiqué que le Medef associe toujours un représentant des professions libérales à ses délégations et qu'il nomme au conseil d'administration de l'Unedic des personnalités présentées par ces deux organisations. S'il est toujours possible de placer les professions libérales et les entreprises agricoles en dehors du champ d'application d'un accord interprofessionnel, il serait malvenu de reconnaître à l'UNAPL et à la FNSEA la qualité d'organisations signataires.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur , a souligné que le projet de loi n'enferme la procédure de concertation et de négociation dans aucun délai et a demandé si ce choix ne risque pas de ralentir la mise en oeuvre des réformes, certaines négociations - celle en cours sur la pénibilité au travail par exemple - pouvant se révéler fort longues.

M. Jacques Creyssel a estimé que la négociation sur la pénibilité constitue un cas particulier : elle vise à avancer l'âge de départ en retraite et entre en complète contradiction avec l'objectif poursuivi, par ailleurs, d'augmentation du taux d'emploi des seniors.

Se félicitant de la brièveté du texte, il a jugé difficile de fixer a priori la durée de la négociation et a marqué sa préférence pour une autorégulation par les partenaires sociaux.

M. Jean-François Veysset a également jugé préférable de ne pas s'enfermer dans des délais qui ne pourront peut-être pas être respectés, compte tenu de l'agenda des réformes. Il convient, en revanche, d'examiner régulièrement l'état d'avancement des négociations.

M. Pierre Burban a précisé que le délai de la négociation serait fixé par les partenaires sociaux eux-mêmes, en tenant compte du calendrier de réformes indiqué par le Gouvernement.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur , a souhaité connaître l'avis des représentants des organisations patronales sur une proposition contenue dans le rapport Chertier, consistant à regrouper les nombreuses instances de consultation existant en matière sociale.

M. Jacques Creyssel a indiqué que le Medef partage le diagnostic établi par ce rapport et son objectif de simplification. Cependant, les propositions qui ont été faites, à ce sujet, par le Gouvernement ne sont pas apparues satisfaisantes et cette idée a finalement été abandonnée.

M. Pierre Burban a souhaité que le prochain Gouvernement reprenne ce dossier et a jugé utile de soumettre à un examen critique la totalité de ces instances, et non pas seulement celles dépendant du ministère du travail.

M. Jean-François Veysset a demandé que l'on évite de multiplier les instances consultatives, qui traitent parfois des mêmes sujets, et que leur rôle soit mieux défini.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur , a demandé si les organisations patronales souhaitent que le projet de loi soit modifié, et si oui dans quel sens.

M. Pierre Burban a estimé que le projet de loi est satisfaisant en l'état et indiqué que l'UPA ne demande aucun amendement au texte.

Toutefois, demeure posée la question du développement du dialogue social dans les PME ; 37 % des salariés du secteur privé travaillent dans des entreprises de moins de vingt salariés. L'UPA a signé à cette fin un accord, le 12 décembre 2001, sur le développement du dialogue social dans l'artisanat, qui a été contesté en justice par les autres organisations patronales.

M. Jean-François Veysset a indiqué que le Medef et la CGPME n'avaient pas été invités à participer à la négociation ayant abouti à cet accord, alors qu'ils comptent des artisans parmi leurs adhérents. Il a déploré que cet accord impose un effort financier aux entreprises et fait observer que d'autres branches professionnelles se sont organisées différemment.

M. Jacques Creyssel a déclaré que le Medef est satisfait de l'équilibre atteint par le projet de loi et ne demande aucune modification.

En ce qui concerne l'accord signé par l'UPA, il l'a jugé contraire au principe fermement défendu par le Medef de liberté d'association, dans la mesure où il impose le versement d'une contribution à des entreprises qui ne sont pas adhérentes à l'organisation signataire de l'accord.

Mme Isabelle Debré a estimé très positif le consensus suscité par le projet de loi et a fait valoir que la crédibilité et la légitimité des organisations syndicales dépendent surtout de leur nombre d'adhérents.

M. Jean-François Veysset a rappelé que telle n'est pourtant pas l'orientation retenue dans l'avis du Conseil économique et social et a considéré que l'on ne peut déduire la représentativité d'un syndicat de son résultat aux élections prud'homales. Les partenaires sociaux doivent être en mesure de prendre des décisions qui ne soient pas remises en cause par la rue.

M. Jacques Creyssel a approuvé la prise de position de Mme Isabelle Debré et rappelé que seulement 4 % des salariés du secteur privé sont syndiqués. Pour augmenter le nombre de syndiqués, on pourrait envisager de réserver le bénéfice des accords collectifs aux seuls salariés membres des organisations signataires, comme c'est le cas en Belgique et dans les pays du nord de l'Europe. Une telle mesure est cependant peu conforme à la tradition française. C'est pourquoi il est important d'accroître les responsabilités confiées aux syndicats, afin que les salariés aient le sentiment qu'il est utile d'adhérer à ces organisations.

M. Pierre Burban a précisé que l'accord du 12 décembre a vu sa validité confirmée par le Conseil d'Etat, ainsi que par le tribunal de grande instance et la cour d'appel de Paris, et estimé que les défaillances du dialogue social dans les très petites entreprises imposent de rechercher de nouvelles modalités de mutualisation.

III. EXAMEN DU RAPPORT

Réunie le jeudi 11 janvier 2007 , sous la présidence de M. Nicolas About, président , la commission a tout d'abord procédé à l'examen du rapport de Mme Catherine Procaccia sur le projet de loi n° 117 (2006-2007), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, de modernisation du dialogue social .

Mme Catherine Procaccia, rapporteur , a souligné que le projet de loi de modernisation du dialogue social marque, en dépit de sa brièveté, une étape importante de l'histoire des relations sociales dans notre pays.

Pour autant, ce texte ne peut être considéré comme une réponse à la crise du contrat première embauche (CPE), puisque le Premier ministre a lancé dès décembre 2005 le processus qui a abouti à son élaboration : il a d'abord demandé à Dominique-Jean Chertier, ancien conseiller social de Jean-Pierre Raffarin, de faire des propositions sur les moyens d'améliorer le dialogue entre le Gouvernement et les partenaires sociaux, puis a procédé à plusieurs séries d'entretiens bilatéraux avec les organisations syndicales et professionnelles, avant de consulter la commission nationale de la négociation collective en novembre 2006.

La réforme vise à améliorer le dialogue entre le Gouvernement et les partenaires sociaux sur l'élaboration des réformes touchant au droit du travail, pour sortir de la logique du conflit qui a trop longtemps prévalu en France.

Aujourd'hui peu organisée, la concertation préalable à l'adoption de ces réformes est de qualité et de portée très variables selon les dossiers. Il arrive que les partenaires sociaux soient étroitement associés à leur conception ; le législateur renvoie même parfois à la négociation collective le soin de définir les contours de la réforme, avant de reprendre les termes de l'accord ainsi conclu. Ce fut le cas pour élaborer la convention de reclassement personnalisé en 2005 ou le plan pour l'emploi des seniors en 2006. Mais il arrive aussi, comme la crise du CPE l'a montré, que les pouvoirs publics, dans un souci de rapidité, choisissent d'agir seuls et négligent complètement la phase de concertation.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur , a indiqué que le projet de loi tend donc à généraliser les meilleures pratiques, en formalisant et en systématisant la concertation avec les partenaires sociaux. Il repose sur le triptyque suivant : concertation, consultation et information.

Concertation tout d'abord. Le texte prévoit que toute réforme touchant aux relations du travail, à l'emploi ou à la formation professionnelle, fera obligatoirement l'objet d'une concertation avec les organisations patronales et syndicales, en vue de l'ouverture d'une négociation nationale interprofessionnelle. Cette phase de concertation s'appuiera sur un document d'orientation remis par le Gouvernement aux partenaires sociaux et présentant des éléments de diagnostic, les orientations poursuivies et les principales options. Les partenaires sociaux, s'ils le souhaitent, pourront informer le Gouvernement de leur intention d'engager une négociation, en indiquant le délai qu'ils jugent nécessaire pour la mener à bien.

Le Gouvernement pourra cependant se dispenser d'appliquer cette procédure en cas d'urgence. Pour mieux encadrer cette dérogation, l'Assemblée nationale a adopté un amendement qui impose au Gouvernement de motiver sa décision de déclarer l'urgence et d'en informer les partenaires sociaux. L'urgence ne devrait être utilisée que dans des cas exceptionnels comme une crise sanitaire, par exemple.

Consultation ensuite. Le projet de loi prévoit que le Gouvernement devra soumettre aux différentes instances du dialogue social - commission nationale de la négociation collective, comité supérieur de l'emploi et conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie - les projets de loi et de décret élaborés au vu des résultats de la concertation et de la négociation. Les partenaires sociaux, qui siègent dans ces structures, auront ainsi l'occasion d'exprimer leur point de vue et pourront notamment faire part de leur désapprobation si le texte présenté par le Gouvernement s'éloigne sensiblement de l'accord qu'ils auront préalablement conclu.

Information enfin. Le projet de loi institue un rendez-vous annuel d'échanges entre le Gouvernement et les partenaires sociaux, dans le cadre de la commission nationale de la négociation collective. Le Gouvernement devra présenter les orientations de sa politique en matière de travail, d'emploi et de formation professionnelle, ainsi que le calendrier des réformes envisagées. Les partenaires sociaux présenteront, quant à eux, l'état d'avancement des négociations interprofessionnelles en cours et le calendrier de celles qu'ils entendent engager.

Cette réunion annuelle s'inspire de l'idée « d'agenda partagé » contenue dans le rapport Chertier. Un rapport sera remis chaque année au Parlement pour l'informer des procédures de concertation et de consultation effectuées dans l'année écoulée.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur , a estimé que le succès de la réforme du dialogue social suppose un changement des pratiques.

Le projet de loi ne modifie bien sûr en rien les prérogatives constitutionnelles du Gouvernement et du Parlement : le Gouvernement n'est pas tenu de reprendre intégralement le contenu de l'accord des partenaires sociaux et les parlementaires conservent la plénitude de leur pouvoir d'amendement. Dans ces conditions, un équilibre devra être trouvé entre le nécessaire respect du compromis négocié par les partenaires sociaux, sans quoi le renvoi à la négociation aurait peu d'utilité, et le respect de la volonté du Gouvernement et du Parlement, dont l'approche est complémentaire de celle des organisations représentatives.

Elle a ensuite reconnu qu'il sera juridiquement assez simple de contourner la nouvelle procédure de concertation : dans la mesure où elle ne s'applique pas aux propositions d'origine parlementaire, le Gouvernement pourrait être tenté de gagner du temps en chargeant un parlementaire de déposer une proposition de loi qui serait en réalité d'origine gouvernementale. Le ministre délégué au travail, à l'emploi et à l'insertion professionnelle des jeunes, Gérard Larcher, a cependant indiqué ne pas craindre de telles dérives, qui seraient contraires à l'esprit de la réforme.

Concernant les lois de transposition des directives communautaires, deux situations sont envisageables : si la directive laisse une marge d'appréciation aux Etats membres, la loi de transposition sera bien constitutive d'une réforme au sens de la loi et sera soumise à concertation ; si elle est au contraire très précise, la loi de transposition sera une simple mesure d'adaptation du droit national au droit communautaire et la concertation ne s'imposera pas.

Enfin, Mme Catherine Procaccia, rapporteur , a fait observer que le projet de loi n'encadre la négociation des partenaires sociaux d'aucun délai et que l'on ne peut donc totalement écarter le risque de manoeuvres dilatoires de la part de certaines organisations qui pourraient être tentées de ralentir les discussions dans l'espoir « d'enterrer » une réforme.

Elle a déclaré s'être interrogée sur l'opportunité d'enserrer la procédure dans des délais plus stricts, mais y avoir finalement renoncé, dans la mesure où il paraît impossible de déterminer a priori ce que doit être la durée maximale d'une négociation. Elle a préféré s'en remettre, sur ce point, à l'esprit de responsabilité de l'ensemble des acteurs, qui auront certainement à coeur de négocier de bonne foi, ne serait-ce que pour éviter que le rôle nouveau qui leur est reconnu dans l'élaboration des normes ne leur soit retiré.

Elle a ajouté que le Gouvernement conservera in fine la maîtrise du calendrier puisqu'il pourra toujours couper court à une négociation qui s'éterniserait en présentant un projet de loi devant le Parlement.

En conclusion, Mme Catherine Procaccia, rapporteur , a souligné que l'adoption de la réforme du dialogue social suscite la réflexion sur plusieurs sujets qui lui sont intimement liés :

- en premier lieu, le renforcement du dialogue social pose la question de la légitimité et de la représentativité de ses acteurs ; s'il est prématuré de trancher dès aujourd'hui le débat sur la représentativité syndicale, cette question devrait constituer l'une des premières applications de la loi de modernisation du dialogue social ;

- le rapport Chertier préconise ensuite, à juste titre, de rationaliser les nombreuses instances de consultation ou d'expertise qui se sont multipliées dans le domaine social ; un examen approfondi des activités et du rôle de chacune de ces structures s'impose au préalable ;

- enfin, la réforme du dialogue social invite à réfléchir sur le mode de fonctionnement du Parlement pour l'examen des réformes touchant au code du travail ; si les parlementaires veulent être en mesure de consulter eux aussi les partenaires sociaux, il est indispensable que les commissions des affaires sociales disposent d'un délai suffisant avant le passage des textes en séance publique ; on pourrait également imaginer qu'un délai minimum soit prévu entre le dépôt des amendements extérieurs et leur examen par la commission, afin que les organisations représentatives puissent faire connaître leur point de vue. Apporter de telles garanties implique toutefois une réforme de la Constitution et du Règlement des assemblées qui ne peut être mise en oeuvre à court terme.

La réforme du dialogue social ici proposée ne constitue donc, vraisemblablement, que la première étape d'une transformation plus vaste du système de relations sociales. Le projet de loi présentant, en l'état, un équilibre satisfaisant, Mme Catherine Procaccia, rapporteur , a invité la commission à l'adopter dans la rédaction transmise par l'Assemblée nationale.

M. Alain Gournac a indiqué qu'il considère lui aussi le projet de loi comme une avancée très positive et a souhaité que les règles de dépôt des amendements soient revues pour permettre, à l'avenir, de connaître la position des organisations représentatives. Il a ensuite appelé de ses voeux un changement d'état d'esprit : dans les pays voisins, le recours à la grève est loin d'être aussi fréquent qu'il peut l'être en France et il convient donc de développer l'information, la consultation et la concertation afin d'éviter les malentendus et de trouver des compromis. Bien que les règles actuelles de la représentativité syndicale ne soient à l'évidence plus adaptées, il a jugé prématuré de les modifier dès aujourd'hui et a proposé d'appliquer le projet de loi de modernisation du dialogue social avant d'aller plus loin. Il a enfin regretté que l'examen de ce projet intervienne si tardivement dans la législature, alors que le Parlement doit déjà examiner de nombreuses autres réformes.

M. Jean-Pierre Godefroy a jugé excellente la présentation du rapporteur, dans la mesure où elle pose clairement l'ensemble des problèmes soulevés par le texte. Il a assimilé le projet de loi à une simple pétition de principes, peu conforme au demeurant à la pratique suivie par le Gouvernement ces derniers mois. Il s'est toutefois déclaré favorable au développement du dialogue social et a assuré que les syndicats sont prêts à passer des compromis. Tout en admettant qu'il s'agit d'une question délicate, il a regretté que la question de la représentativité syndicale ne soit pas réglée par le projet de loi, dans la mesure où elle conditionne l'efficacité de la réforme. En ce qui concerne l'évolution du travail parlementaire, il a proposé que chacun se livre à une autocritique, soulignant que de nombreux amendements, inspirés par les organisations insatisfaites du résultat d'une négociation, sont déposés tardivement, sans qu'il soit possible de les examiner sérieusement. Il a demandé que le bicamérisme soit respecté et que le Sénat ait la possibilité de défendre jusqu'au bout les positions qui sont les siennes. Il a enfin indiqué que le groupe socialiste s'abstiendra sur le texte et présentera des amendements.

Mme Isabelle Debré a estimé que les syndicats doivent absolument augmenter leur nombre d'adhérents s'ils veulent accroître leur légitimité.

M. André Lardeux a souligné que le projet de loi ne traite pas de tous les aspects du dialogue social, mais seulement des relations entre le Gouvernement et les partenaires sociaux, et a estimé que l'on ne pourrait éviter que l'opinion publique le perçoive comme un texte de circonstance. Il a indiqué que le dialogue social relève plus d'un problème culturel que juridique et s'est inquiété de l'usage qui pourrait être fait de l'exception prévue en cas d'urgence. Il a souhaité que la place du contrat soit renforcée dans notre pays afin de résoudre plus facilement les problèmes urgents qui se posent. Il s'est déclaré opposé à une limitation du droit d'amendement et regretté que certaines organisations rêvent d'imposer aux parlementaires une forme de mandat impératif, totalement contraire aux principes républicains. Il a indiqué qu'il voterait le rapport puis le projet de loi, sans en attendre toutefois des résultats miraculeux.

M. Guy Fischer a indiqué que le groupe communiste républicain et citoyen (CRC) n'entend pas s'opposer frontalement à ce projet de loi, qui peut, en dépit de ses faiblesses, être facteur de progrès. Il a estimé que cette réforme comporte une dimension d'affichage, justifiée par l'approche de la fin de la législature, et indiqué que son groupe défendrait l'amendement soutenu par la CGT et la CFDT en vue de réformer les règles de la représentativité syndicale. Il a également souhaité qu'une réflexion soit menée sur les raisons du faible engagement des jeunes dans l'action syndicale et s'est prononcé en faveur du principe de l'accord majoritaire. Abordant la question du travail parlementaire, il a dénoncé le dépôt de nombreux amendements téléguidés par le Gouvernement, et liés à l'actualité de la fin de la législature, et s'est dit préoccupé par certaines propositions tendant à restreindre le droit d'amendement. Le président de la commission des finances suggère par exemple que les amendements contraires à l'article 40 ne puissent plus désormais être présentés en séance, ce qui porte gravement atteinte, à son sens, aux prérogatives des parlementaires.

M. Nicolas About, président , a confirmé qu'il est effectivement envisagé que ces amendements soient déclarés irrecevables dès le stade de leur dépôt.

M. Guy Fischer a ajouté que le pays a souffert, depuis cinq ans, de la politique du Gouvernement, qui n'a pas tenu compte de l'avis majoritaire des syndicats et des salariés, comme le montrent les réformes votées sur les retraites, le temps de travail ou encore la création du contrat « nouvelles embauches » (CNE). Il a estimé que, en l'absence d'une volonté franche de répartir différemment les richesses, l'effort principal portera toujours sur les salariés.

M. Nicolas About, président , a souligné que les syndicats ont tous demandé que le Parlement ne remette pas en cause l'équilibre des accords négociés, tout en reconnaissant qu'ils ont souvent incité les parlementaires à adopter des amendements modifiant lesdits accords.

Mme Marie-Thérèse Hermange a elle aussi estimé que le développement du dialogue social appelle avant tout un changement d'état d'esprit. Elle a déclaré avoir été impressionnée, lors d'un récent voyage d'étude en Allemagne, par la proximité et la qualité du dialogue dans ce pays entre les organisations patronales et syndicales. Elle a souhaité que le travail parlementaire soit revalorisé en amont de la séance publique et en aval, par un contrôle plus effectif.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur , s'est déclarée persuadée que le Gouvernement ne pourra plus, à l'avenir, déposer d'amendement remettant en cause l'équilibre d'un accord négocié, dans la mesure où l'adoption de la réforme va provoquer un changement d'état d'esprit et une évolution des pratiques. Elle a souhaité que, dans ce même souci, les amendements au présent projet de loi ne soient pas déposés trop tardivement, afin d'avoir le temps de les étudier et de consulter, le cas échéant, les organisations représentatives. Elle a contesté l'idée selon laquelle ce projet serait un texte de circonstance, rappelant que la réflexion a été engagée il y a plus d'un an.

Elle a estimé légitime que les règles de représentativité syndicale fassent l'objet d'une réforme, mais a jugé peu raisonnable d'y procéder dans ce texte. Une concertation approfondie est en effet nécessaire pour aplanir les différences existant entre organisations.

Elle a indiqué avoir longuement réfléchi à la demande présentée par les organisations du monde agricole, qui souhaitent que le projet de loi soit modifié pour garantir leur participation à la procédure de concertation, mais sans finalement retenir cette proposition. Elle a également écarté l'idée d'enserrer la procédure dans des délais après avoir eu des échanges sur ce sujet avec plusieurs syndicalistes.

M. Nicolas About, président, a indiqué, en conclusion, que les amendements qui seraient déposés tendant à réformer les règles de représentativité syndicale seraient contraires à l'esprit du texte, puisqu'ils empêcheraient de soumettre cette question à concertation.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission a adopté le projet de loi de modernisation du dialogue social.

* 1 CPE : Contrat « Première Embauche ».

* 2 Rapport au Premier ministre « Pour une modernisation du dialogue social », remis le 31 mars 2006.

* 3 Le compte-rendu des deux tables rondes organisées avec les organisations syndicales et professionnelles est publié en annexe, p. 39.

* 4 Discours prononcé devant le Conseil économique et social le 10 octobre 2006.

* 5 Cf. la déclaration de Dominique Olivier, secrétaire confédéral de la CFDT lors de la table ronde réunissant les organisations syndicales, p 39.

* 6 Ces développements s'appuient sur les analyses présentées par Bernard Teyssié dans son ouvrage Droit européen du travail, Litec, 2006.

* 7 Ce délai ne saurait être trop long pour ne pas ralentir excessivement le programme de réforme gouvernemental ; à cet égard, un délai de trois ou quatre mois, qui pourrait être prolongé si un accord semble en passe d'être conclu, apparaît raisonnable. Alternativement, on peut imaginer qu'un délai soit fixé au cas par cas, en fonction du dossier à traiter.

* 8 « Pour un dialogue social efficace et légitime : représentativité et financement des organisations professionnelles et syndicales », rapport au Premier ministre présenté par Raphaël Hadas-Lebel, mai 2006.

* 9 FNSEA : fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles ; UNAPL : union nationale des professions libérales.

* 10 Cf. le compte-rendu de l'audition du ministre le 9 janvier 2007, p. 34.

* 11 Cf. le compte-rendu de l'audition du ministre, p. 35.

* 12 « Consolider le dialogue social », avis du Conseil économique et social présenté par Paul Aurelli et Jean Gautier, novembre 2006.

* 13 Déclaration du 10 octobre 2006 devant le Conseil économique et social.

* 14 Rapport n° 3465 de Bernard Perrut, député, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, décembre 2006.

* 15 En l'état actuel du droit, un accord national interprofessionnel est valable s'il n'a pas fait l'objet d'une opposition de la majorité, en nombre, des organisations syndicales.

* 16 Imposer au Gouvernement de reprendre obligatoirement l'intégralité de l'accord des partenaires sociaux aurait, en tout état de cause, nécessité une révision constitutionnelle.

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