TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITION DU MINISTRE

Réunie le mardi 9 janvier 2007 , sous la présidence de M. Nicolas About, président , la commission a procédé à l'audition de M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes , sur le projet de loi n° 117 ( 2006-2007), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, de modernisation du dialogue social .

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes , a tout d'abord indiqué que le projet de loi de modernisation du dialogue social propose de traduire, dans un nouveau chapitre préliminaire du code du travail, les principes posés par le chef de l'Etat dans son discours prononcé, le 10 octobre dernier, devant le Conseil économique et social. Ce texte marque, malgré sa brièveté, une étape importante de l'histoire des relations sociales.

Ce projet s'inscrit dans la continuité des actions engagées depuis 2002 : la plupart des textes récents ont élargi le champ de la négociation collective, par exemple en matière de durée du travail ou de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Cette politique a favorisé une activité conventionnelle soutenue à tous les niveaux ; en 2005, quarante-quatre accords nationaux interprofessionnels, 1.144 accords de branche et au moins 20.000 accords d'entreprise ont été conclus.

Le projet de loi a donné lieu à une concertation approfondie avec les partenaires sociaux. En décembre 2005, le Premier ministre a demandé à Dominique-Jean Chertier d'élaborer un rapport formulant des propositions de modernisation du dialogue social, qui ont servi de base aux discussions avec les organisations syndicales et professionnelles. Plusieurs séries de rencontres bilatérales ont été organisées, en s'appuyant sur des fiches d'orientation, et des déplacements ont été organisés en Espagne et aux Pays-Bas pour étudier comment ces pays ont su moderniser leurs relations sociales. La concertation s'est achevée le 6 novembre 2006 par la présentation du projet de loi devant la commission nationale de la négociation collective (CNNC).

Ce projet de loi recueille un assez large accord de la part des organisations syndicales et professionnelles, même si certaines d'entre elles auraient souhaité qu'il intègre la réforme de la représentativité syndicale.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes , a ensuite indiqué que le projet s'articule autour de trois grands axes : concertation, consultation et information.

Désormais, lorsque le Gouvernement envisagera une réforme concernant les règles générales du droit du travail, il devra, dans un premier temps, se concerter avec les organisations syndicales et professionnelles représentatives au niveau national et interprofessionnel, qui lui indiqueront si elles souhaitent négocier un accord.

Ensuite, les textes législatifs et réglementaires élaborés au vu des résultats de la concertation et de la négociation seront soumis pour avis aux instances du dialogue social que sont la commission nationale de la négociation collective (CNNC), le comité supérieur de l'emploi (CSE) et le conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV).

Enfin, un rendez-vous annuel est prévu entre le Gouvernement et les partenaires sociaux pour échanger sur leurs calendriers respectifs de concertation et de négociation. L'Assemblée nationale a adopté un amendement garantissant la publicité de ces échanges.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes , a ensuite abordé plusieurs points qui ont pu susciter un débat.

En premier lieu, il a souligné que la procédure de concertation ne concernerait que les organisations représentatives au niveau interprofessionnel, à l'exclusion donc de la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et de l'union nationale des professions libérales (UNAPL). Cependant, le ministre s'est engagé solennellement à ce que les réformes en droit du travail concernant spécifiquement ces secteurs fassent l'objet d'une concertation avec ces organisations représentatives.

Il a fait observer, en second lieu, que le projet de loi n'enferme la négociation dans aucun délai rigide, afin de conserver à la procédure une très grande souplesse. Mais les partenaires sociaux devront faire connaître leur intention d'engager une négociation dans un délai raisonnable, dont la durée satisfasse l'ensemble des parties.

S'agissant des règles d'engagement de la négociation, il est souhaitable que la négociation implique le plus grand nombre possible d'organisations de salariés et d'employeurs et nécessaire, à tout le moins, qu'elle implique un nombre d'organisations suffisant pour pouvoir conclure un accord.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, a ensuite précisé que le projet de loi n'affecte pas les pouvoirs constitutionnels du Gouvernement et du Parlement ; il ne modifie en rien la procédure de dépôt des propositions de loi et ne porte pas atteinte au droit d'amendement. Mais l'esprit de la réforme voudrait que soient modifiées les pratiques et que l'on évite certaines dérives telles que le dépôt d'une proposition de loi ou d'un amendement pour contourner la procédure de concertation.

En ce qui concerne la question posée par la transposition en droit national des directives communautaires, deux cas de figure peuvent être distingués : si la directive laisse aux Etats membres une importante marge de manoeuvre, le texte de transposition sera alors une « réforme » au sens de la loi et sera soumis à la procédure de concertation ; en revanche, si la directive enserre les autorités nationales dans un cadre très strict, la procédure de concertation n'aura plus de justification, le texte de transposition n'étant plus une réforme mais une simple mesure d'adaptation du droit national au droit communautaire.

Puis M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes , a évoqué les interrogations soulevées par l'existence d'une procédure d'exception en cas d'urgence. Si le principe d'une telle exception n'est pas contesté, un risque d'abus a parfois été souligné. C'est pourquoi l'Assemblée nationale a précisé que le Gouvernement devra faire connaître aux partenaires sociaux et motiver sa décision de déclarer l'urgence, avant de prendre toute mesure appropriée.

Le ministre a enfin abordé la question du sort à réserver à l'accord éventuellement conclu par les partenaires sociaux : cet accord constituera la « colonne vertébrale » du projet de loi ou de décret mettant en oeuvre la réforme.

En conclusion, le ministre a souligné que l'adoption du projet de loi conduirait à traiter, dans un avenir proche, la question de la représentativité syndicale. Raphaël Hadas-Lebel a rédigé un rapport à ce sujet sur lequel le Conseil économique et social (CES) a rendu un avis le 29 novembre dernier. Outre la représentativité syndicale, cet avis aborde aussi les questions de la validité des accords collectifs, de la négociation collective dans les petites et moyennes entreprises et du financement des organisations syndicales. Le Gouvernement juge peu opportun d'aborder ce sujet dans le cadre du présent texte car il lui semble logique de soumettre cette réforme à la procédure de concertation qu'il institue. De plus, les orientations proposées par le CES doivent encore être précisées et il paraît indispensable de rapprocher les points de vue des organisations représentatives.

M. Nicolas About, président , a demandé s'il serait envisageable de prévoir que, dans le cas où l'urgence n'est pas invoquée à l'égard des partenaires sociaux, elle puisse être invoquée devant le Parlement.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur , a d'abord souligné que la réforme de la représentativité syndicale devrait constituer l'une des premières applications de la réforme du dialogue social. Elle a ensuite indiqué s'être interrogée sur l'utilité d'enserrer la procédure de concertation dans des délais stricts, mais a estimé, au vu de ses échanges avec des syndicalistes, qu'il serait illusoire de vouloir fixer à l'avance un délai pour la négociation, compte tenu de la diversité des sujets traités.

Après avoir affirmé son attachement au droit d'amendement parlementaire, elle a demandé si le projet de loi remet en cause le droit d'amendement du Gouvernement. Elle a également souhaité savoir si le Gouvernement compte s'abstenir de toute initiative pendant le déroulement de la négociation et si une telle pratique ne risque pas de ralentir le rythme d'avancement des réformes ; en effet, si l'on peut espérer que le projet de loi favorise une évolution des mentalités, gage d'une négociation rapide, la période de transition à venir risque d'être difficile à gérer. Enfin, elle a demandé dans quelles hypothèses le recours à l'urgence pourrait être invoqué.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes , a estimé que le temps consacré à la concertation n'est pas du temps perdu, dans la mesure où il permet de préparer les esprits au changement. Il a cité l'exemple de la négociation sur l'emploi des seniors, qui a duré une année, mais qui trouve aujourd'hui des applications concrètes.

M. Nicolas About, président , a cependant fait observer qu'une pression des parlementaires peut parfois s'avérer nécessaire pour qu'une négociation aboutisse.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes , a ajouté que la négociation ne saurait, en tout état de cause, être interminable et que le Gouvernement aura in fine la maîtrise de sa durée.

Il a indiqué que l'urgence pourrait être invoquée lors d'une crise sanitaire, par exemple une épidémie justifiant une adaptation de la législation sur la durée du travail, ou lors d'une crise sociale grave.

Il a précisé par ailleurs que si le projet de loi ne porte pas atteinte au pouvoir d'amendement du Gouvernement, il lui serait cependant difficile de faire adopter d'importantes réformes par cette voie, en se dispensant de la phase de concertation.

M. Roland Muzeau a d'abord souligné qu'une plus grande concertation aurait sans doute permis d'éviter la crise du contrat première embauche (CPE) et conduit au rejet du contrat nouvelles embauches (CNE), qui est maintenant contesté devant les tribunaux.

Le groupe communiste républicain et citoyen, favorable à la démarche de concertation, n'a aucune raison de s'opposer frontalement à l'adoption de ce texte, mais il souhaite le compléter dans quatre directions :

- sur la question de la représentativité syndicale, il entend présenter l'amendement rédigé par la CGT et la CFDT, en dépit des quelques réserves qu'il peut avoir à son sujet, considérant qu'il convient de respecter le compromis obtenu par ces organisations syndicales ;

- sur la question des règles de validité des accords collectifs, il compte défendre le principe de l'accord majoritaire : un accord ne saurait être valable que s'il est signé par des organisations représentant une majorité des salariés, et non par des organisations majoritaires en nombre, afin de mettre un terme à des situations choquantes, dont le récent accord sur les intermittents du spectacle offre une nouvelle illustration ;

- il souhaite également réaffirmer l'importance de l'ordre public social et de la hiérarchie des normes en droit du travail ;

- enfin, il s'attachera à préserver le temps du Parlement et à préciser les règles de transpositions des directives.

M. Roland Muzeau a ajouté que la question de la représentativité des organisations patronales est également posée, dans la mesure où le Medef tente de s'arroger une représentativité dont il ne dispose pas dans les faits, comme en témoigne son opposition jusqu'ici infructueuse à l'accord signé par l'UPA, le 12 décembre 2001, pour le développement du dialogue social dans l'artisanat.

M. Louis Souvet a demandé au ministre de préciser ce qu'il entend lorsqu'il évoque un délai « raisonnable » pour le déroulement de la concertation, jugeant que cette incertitude risque d'être un facteur de conflits et de recours en justice. Il a souhaité savoir comment la France se positionne en matière de dialogue social par rapport aux pays étrangers comparables. Il a enfin appelé de ses voeux un investissement plus important dans la formation des cadres des organisations syndicales et patronales afin qu'ils se comprennent mieux.

Mme Marie-Thérèse Hermange a fait observer, sur ce dernier point, que les organisations syndicales et patronales allemandes partagent un même immeuble à Berlin et négocient en permanence.

Mme Gisèle Printz a regretté que le texte ne contienne aucune précision sur la manière dont les partenaires sociaux doivent faire connaître leur intention d'engager une négociation et a demandé pourquoi le Gouvernement a choisi de présenter ce texte si près de la fin de la législature.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes , a d'abord répondu à M. Roland Muzeau que la loi du 4 mai 2004 sur la formation professionnelle tout au long de la vie et le dialogue social a déjà amorcé une transition vers l'affirmation du principe de l'accord majoritaire. Un bilan de l'application de cette loi est prévu en 2008 et pourra être suivi de nouvelles évolutions. Le Conseil économique et social propose de retenir, à titre transitoire, le principe d'une majorité relative avant d'appliquer la règle de l'accord majoritaire. Une concertation doit être menée avec les partenaires sociaux sur ce sujet.

En ce qui concerne la représentativité des organisations professionnelles, il a rappelé qu'elle n'obéit pas aux mêmes règles que celles des organisations syndicales : les organisations professionnelles doivent toujours prouver leur représentativité, alors qu'une liste de syndicats présumés représentatifs au niveau national est fixée par un arrêté de 1966.

Répondant ensuite à M. Louis Souvet, il a estimé que la France accuse un certain retard en matière de dialogue social. Il a cité l'exemple des Pays-Bas qui ont réussi à faire évoluer leurs pratiques depuis la conclusion de l'accord de Wassenaar en 1982. Il a indiqué que le projet de loi peut être rapproché de la procédure prévue à l'article 138 du traité instituant la Communauté européenne, qui donne la possibilité aux partenaires sociaux de se saisir des projets de réforme.

Sur la notion de « délai raisonnable », le ministre a souhaité que de nouveaux rapports s'établissent entre le Gouvernement et les partenaires sociaux et indiqué que le Parlement pourrait jouer un rôle d'aiguillon par le dépôt d'une proposition de loi.

Favorable à une meilleure formation des interlocuteurs syndicaux et patronaux, il a souhaité notamment une réforme des conditions de mise à disposition des salariés auprès des organisations syndicales et professionnelles.

En réponse à Mme Gisèle Printz, il a rappelé que le texte a fait l'objet d'une longue préparation et que son adoption est aujourd'hui demandée par les organisations syndicales et professionnelles. Il a souligné qu'il s'inspire de la « Position commune » arrêtée par les partenaires sociaux en 2001.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur , a indiqué que le rapport Chertier recommande une refonte des nombreuses instances consultatives existant dans le domaine social. Tout en admettant que cette question excède le champ du projet de loi, elle a souhaité qu'elle soit prochainement abordée.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes , a précisé que le Gouvernement avait d'abord proposé de fusionner la CNNC, le CSE et le CNFPTLV, mais que les partenaires sociaux n'avaient pas souhaité procéder dès maintenant à une telle réforme. L'idée d'une rationalisation de ces structures n'est cependant pas abandonnée et pourrait être posée en des termes nouveaux une fois que la réforme de la représentativité aura été effectuée.

En réponse à Mme Isabelle Debré , qui demandait dans quel délai cette réforme pourrait intervenir, le ministre a indiqué qu'il compte débuter ses consultations à la fin du mois de janvier puis effectuer un premier point d'étape devant la CNNC le 6 février 2007.

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