2. L'évolution du rôle du Président de la République et la nécessaire définition d'un mécanisme de responsabilité politique

Le rapport de la Commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République relève que celui-ci se distingue, sous la Vème République, par son rôle éminent « en particulier en matière de politique étrangère et de défense ». Elle juge à cet égard significatif « qu'il soit le seul chef d'Etat à participer régulièrement aux sommets européens » précisant qu' « au demeurant, les chefs de gouvernement participant à ceux-ci sont généralement protégés par les immunités attachées au mandat parlementaire, qu'ils conservent le plus souvent ».

Ainsi, l'étendue des pouvoirs exercés par le Président sous la Vème République a rendu obsolète un statut pénal remontant pour l'essentiel au XIXème siècle. Le professeur Avril souligne d'ailleurs que ce statut « avait été conçu pour un Président de la République exerçant une magistrature protocolaire, une sorte de « grand notaire » de la vie publique, bref, un président qui « inaugure les chrysanthèmes »... Ce qui n'est pas précisément la mission du Président de la Vème République ! » 10 ( * ) .

L'effacement de la fonction présidentielle après la crise du 16 mai 1877 conduisait à négliger la question du statut pénal du Président de la République 11 ( * ) , qualifié de « manchot constitutionnel » par Raymond Poincaré 12 ( * ) .

Héritée de la monarchie, l'irresponsabilité paraît accompagner, sous la IIIème République, l'affaiblissement du rôle institutionnel du chef de l'Etat. Georges Vedel résumait ainsi cette dialectique : « irresponsabilité et effacement se prêtent un appui mutuel : on n'a d'autorité que dans la mesure où on en assume la responsabilité, on n'est responsable que dans la mesure où on détient une autorité » 13 ( * ) .

Or, la Constitution du 4 octobre 1958 donne une place éminente au Président de la République, qui est le premier cité dans l'énumération de nos institutions politiques (titre II, articles 5 à 19). Qui plus est, son autorité politique a été renforcée par son élection au suffrage universel direct, instaurée par la loi constitutionnelle n° 62-1292 du 6 novembre 1962 14 ( * ) (art. 6 et 7 de la Constitution).

L'évolution du rôle présidentiel a ensuite été confirmée par la réduction de la durée du mandat du Président de la République de 7 à 5 ans, adoptée par référendum le 24 septembre 2000 15 ( * ) . L'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle relatif au quinquennat indiquait d'ailleurs que le septennat n'apparaissait « plus correspondre aujourd'hui à l'importance prise par la fonction » 16 ( * ) .

Pourtant, l'affirmation du rôle et du poids politique du chef de l'Etat n'a pas entraîné de modification de son régime de responsabilité . En effet, la Constitution ne définit aujourd'hui aucune procédure permettant de contraindre le Président de la République à démissionner pour des motifs politiques.

Certes, on peut relever, comme le souligne M. Thierry Ablard, « l'existence de certains mécanismes -aléatoires et sans fondements juridiques au demeurant- de mise en oeuvre de la responsabilité politique du Président de la République » 17 ( * ) .

Le premier de ces mécanismes, utilisé par le général de Gaulle et abandonné par ses successeurs, consiste à utiliser le référendum en liant la poursuite de son mandat à l'issue de la consultation 18 ( * ) . Le second mode de mise en jeu « empirique » de la responsabilité politique du Président réside dans les élections nationales. La pratique de la cohabitation en 1986-1988, 1993-1995 et 1997-2002 a cependant maintenu ce mécanisme à l'état d'hypothèse.

Dès lors, le dispositif défini au titre IX de la Constitution apparaît désuet et inadapté au rôle institutionnel du Président de la République . Au-delà des incertitudes marquées par la jurisprudence, quant à la responsabilité pénale du chef de l'Etat, une modernisation s'impose afin d'organiser un recours dans l'éventualité où le comportement du Président paraîtrait indigne de sa fonction.

* 10 Pierre Avril, A propos du statut pénal du chef de l'Etat, Présentation du rapport de la Commission chargée de mener une réflexion sur le statut pénal du Président de la République instituée par le décret du 4 juillet 2002, Revue du droit public, n° 6, 2002, p. 1874.

* 11 Le 16 mai 1877, le maréchal de Mac-Mahon, Président de la République élu par une assemblée monarchiste, décide de se séparer du président du Conseil, le républicain Jules Simon, qui dispose pourtant de la majorité dans les deux chambres. Le duc de Broglie, choisi par Mac-Mahon pour former un nouveau ministère, fait l'objet d'un vote de défiance de la part des députés. Le Président de la République use alors de son droit de dissolution. Au cours de la crise ainsi engagée, Gambetta déclare, à l'adresse de Mac-Mahon, le 15 août 1877, que « quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, il faudra se soumettre ou se démettre ». Lors des élections d'octobre, la gauche républicaine revient en force à la chambre et Mac-Mahon finit par « se soumettre », adressant aux assemblées un message où il reconnaît que « l'exercice du droit de dissolution n'est [...] qu'un mode de consultation suprême auprès d'un juge sans appel, et ne saurait être érigé en système de gouvernement » et que « la Constitution de 1875 a fondé une République parlementaire en établissant mon irresponsabilité tandis qu'elle a institué la responsabilité solidaire et individuelle des ministres ».

* 12 Cf. Jean Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Montchrestien, 1995, p. 581.

* 13 Georges Vedel, Manuel élémentaire de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1949, p. 429.

* 14 La loi relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel a été adoptée par referendum le 28 octobre 1962, par 13.150.516 « oui » contre 7.974.538 « non », pour 28.185.478 électeurs inscrits et 21.694.563 votants.

* 15 La loi constitutionnelle n° 2000-964 du 2 octobre 2000 relative à la durée du mandat du Président de la République a été adoptée par 7.407.697 « oui » contre 2.710.651 « non », pour 39.941.192 électeurs inscrits et 12.058.688 votants.

* 16 Projet de loi constitutionnelle déposé à l'Assemblée nationale, n° 2462, XIème législature.

* 17 Thierry Ablard, Le statut pénal du chef de l'Etat, Revue française de droit constitutionnel, n° 52, 2002, p. 643.

* 18 Ce que fit le général de Gaulle lors des referendums sur l'autodétermination de l'Algérie (8 janvier 1961), sur la ratification des accords d'Evian relatifs à l'indépendance de l'Algérie (8 avril 1962) sur l'élection du président de la République au suffrage universel (28 octobre 1962) et sur la réforme du Sénat et des régions (27 avril 1969).

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