C. LES INCERTITUDES ISSUES DE LA JURISPRUDENCE

1. L'affirmation d'un privilège de juridiction par le Conseil constitutionnel

Saisi en décembre 1998 par le Président de la République et par le Premier ministre, en application de l'article 54 de la Constitution, du traité portant statut de la Cour pénale internationale 34 ( * ) , le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur le régime de responsabilité pénale du chef de l'Etat, dans sa décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999.

En effet, aux termes de son article 27 le statut de la Cour pénale, « s'applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d'Etat ou de Gouvernement, de membre d'un gouvernement ou d'un parlement [...] n'exonère en aucun cas la responsabilité pénale au regard du présent statut, pas plus qu'elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine ». Les immunités attachées aux qualités de chef d'Etat ou de Gouvernement et de parlementaire selon le droit interne n'empêchent donc pas la Cour d'exercer ses compétences.

Aussi, le Conseil constitutionnel a-t-il jugé que l'article 27 du statut était contraire aux régimes particuliers de responsabilité institués par les articles 26, 68 et 68-1 de la Constitution, respectivement relatifs aux membres du Parlement, au Président de la République et aux membres du Gouvernement.

S'agissant du régime particulier de responsabilité du Président de la République, le juge constitutionnel a estimé que l'article 68 de la Constitution lui donnait, « pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions et hors le cas de haute trahison, une immunité ». Il a par ailleurs précisé que pendant la durée de ses fonctions, la responsabilité pénale du chef de l'Etat ne pouvait être « mise en cause que devant la Haute Cour de justice, selon les modalités fixées par le même article » .

Le Conseil constitutionnel retient par conséquent une interprétation de l'article 68 établissant un privilège de juridiction et de procédure au bénéfice du chef de l'Etat. Cette interprétation procède d'une lecture « séparée » des deux phrases de cet article, distinguant la règle de fond (responsabilité en cas de haute trahison) et la règle de procédure (compétence de la Haute Cour de justice).

Le juge constitutionnel a souhaité affirmer la protection du Président de la République pendant son mandat, contre toute poursuite devant les juridictions pénales ordinaires, en combinant plusieurs principes d'égale valeur constitutionnelle : l'égalité devant la justice, le principe de séparation des pouvoirs, la continuité de l'Etat.

La décision du Conseil constitutionnel diffère de la conception classique du privilège de juridiction du Président de la République, qu'une grande partie de la doctrine concevait, au moins jusqu'en 1999, comme une compétence particulière pour le crime particulier de haute trahison. Ainsi, Jean Foyer, qui fut le garde des sceaux du général de Gaulle et qui prit part à la rédaction de l'article 68, estimait qu'« il est admis unanimement de nos jours que le Président de la République répond pénalement des infractions détachables de sa fonction. Pour le jugement de telles infractions, il ne bénéficie d'aucun privilège de juridiction » 35 ( * ) .

Déjà sous la IIIème République, certains auteurs s'interrogeaient sur les conséquences d'un privilège de juridiction absolu au profit du chef de l'Etat. Barthélémy et Duez évoquaient à cet égard l'hypothèse d'un Président de la République qui tuerait un perdreau « quand seule la chasse à la bécasse est ouverte » : « que 616 députés et 314 sénateurs assemblent leurs efforts pour prononcer une amende de 16 francs avec sursis, c'est évidemment un curieux spectacle juridique. Que la Constitution l'ait voulu, nous avons quelque peine à nous résigner à le croire » 36 ( * ) .

Les décisions du Conseil constitutionnel s'imposant aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles 37 ( * ) , les juges judiciaires se sont estimés incompétents, après la décision du 22 janvier 1999, pour connaître de faits reprochés au Président de la République et même, en raison des sanctions attachées au refus de témoigner, pour le convoquer en qualité de témoin.

La cour d'appel de Paris a ainsi confirmé 38 ( * ) une ordonnance des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Paris par laquelle ces derniers s'étaient déclarés incompétents pour entendre, en qualité de témoin, le Président de la République, au motif que la responsabilité pénale de ce dernier, selon la décision du Conseil constitutionnel, ne peut être mise en cause, pendant la durée de ses fonctions, que devant la Haute Cour de justice.

Cependant, se prononçant d'abord sur l'étendue de l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel, la Cour de cassation fait en 2001 une interprétation divergente des dispositions de l'article 68.

* 34 Traité signé à Rome le 18 juillet 1998.

* 35 Jean Foyer, article « Haute Cour de justice », Répertoire Dalloz de droit pénal, 1968, n° 34.

* 36 J. Barthélémy et P. Duez, Traité de droit constitutionnel, Paris, Dalloz, p. 620.

* 37 Article 62, second alinéa, de la Constitution.

* 38 Décision du 29 juin 2001.

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