C. EN FRANCE, LE REJET D'UN CONTRÔLE PARLEMENTAIRE DES SERVICES DE RENSEIGNEMENT FRANÇAIS AU PROFIT D'AUTRES MODES DE CONTRÔLE

Si la protection du secret de défense nationale a justifié en France le refus de créer un organe parlementaire de contrôle, elle n'a pas rendu impossible la mise en place d'autres formes originales de contrôle. Toutefois, aucune n'embrasse les services de renseignement dans leur ensemble, chacune ne connaissant que d'un aspect de leur activité.

1. Des contrôles administratifs

Tout d'abord, les services de renseignement des ministères de la défense et de l'intérieur sont soumis au contrôle interne de ces ministères.

Au ministère de la défense, les services de renseignement à proprement parler militaires (Direction du renseignement militaire -DRM- et Direction de la protection et de la sécurité de la défense -DPSD-) sont soumis au Contrôle général des armées. Ce contrôle est naturel s'agissant d'entités majoritairement composés de militaires. En revanche, il est plus faible s'agissant de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) qui, si elle est administrativement rattachée au ministère de la défense depuis 1966, est en fait sous l'autorité du Président de la République et du Premier ministre.

Au ministère de l'intérieur, la Direction de la surveillance du territoire (DST) et les Renseignements généraux (RG) peuvent également être contrôlés par l'Inspection générale de la police nationale (IGPN).

S'ajoute à ces contrôles celui de la Cour des comptes qui, en théorie, peut descendre très loin dans le détail.

Un contrôle juridictionnel existe également, qu'il s'agisse du juge administratif ou du juge judiciaire. Le contentieux reste relativement faible, même s'il tend à se développer. La DST est dans une situation particulière du fait de ses missions de police judiciaire. Elle travaille au quotidien sous le contrôle du juge pénal.

2. Le développement d'un contrôle extérieur

Le développement des autorités administratives indépendantes à partir de la fin des années 70 a notamment été une réponse aux difficultés pour l'Etat d'assurer avec des garanties d'indépendance, dans un cadre administratif traditionnel, des fonctions de médiation ou de protection des droits fondamentaux 9 ( * ) .

De fait, plusieurs autorités administratives indépendantes connaissent incidemment ou à titre principal de certains aspects de l'activité des services de renseignement. Elles ont accès à des documents ou informations classifiés. Toutes comptent parmi leurs membres plusieurs parlementaires. Toutefois, leurs contrôles restent très parcellaires. Il n'existe pas d'autorité indépendante de contrôle ou de surveillance des services de renseignement.

La Commission d'accès aux documents administratifs , créée par la loi du 17 juillet 1978, peut être confrontée à des demandes de documents administratifs touchant à des domaines sensibles. Il lui appartient de dire si tel ou tel document dont la communication est refusée au motif qu'elle porterait atteinte au secret de la défense nationale ou à la sûreté de l'Etat relève bien cette catégorie.

La Commission nationale de l'informatique et des libertés , instituée par la loi du 6 janvier 1978, est également amenée à opérer un contrôle sur les activités de renseignement :

- soit à l'occasion de la création d'un fichier 10 ( * ) ;

- soit à l'occasion d'une demande d'une personne d'entreprendre des vérifications sur les informations la concernant dans des fichiers intéressant la sûreté de l'Etat, la défense et la sécurité publique.

Ces deux autorités administratives indépendantes ont des missions plus vastes que le seul contrôle des services de renseignement. En revanche, deux autres créées récemment ont une activité directement liée à celle de ces services.

La Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) a été créée par la loi n° 91-646 du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques. Les interceptions de sécurité, également appelées « écoutes administratives » sont distinctes des interceptions ordonnées par l'autorité judiciaire 11 ( * ) .

Ces interceptions peuvent être autorisées aux fins de rechercher des renseignements intéressant la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisées et la reconstitution ou le maintien de groupements dissous en application de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées.

La CNCIS est chargée de veiller au respect de l'ensemble de la réglementation applicable. Elle est présidée par une personnalité désignée, pour une durée de six ans, par le Président de la République, sur une liste de quatre noms établie conjointement par le vice-président du Conseil d'Etat et le premier président de la Cour de cassation.

Lorsque le Premier ministre autorise une interception, le président de la CNCIS en est informé dans un délai de quarante-huit heures au plus tard. Si celui-ci estime que la légalité de cette décision n'est pas certaine, il réunit la commission, qui statue dans les sept jours suivant la réception par son président de la notification.

Au cas où la commission estime qu'une interception de sécurité a été autorisée en méconnaissance de la loi, elle adresse au Premier ministre une recommandation tendant à ce que cette interception soit interrompue. Elle porte également cette recommandation à la connaissance du ministre ayant proposé l'interception et du ministre chargé des communications électroniques. De sa propre initiative ou sur réclamation de toute personne y ayant un intérêt direct et personnel, la commission peut procéder au contrôle de toute interception de sécurité. Le Premier ministre informe sans délai la commission des suites données à ses recommandations. Dans l'immense majorité des cas, l'avis de la commission est suivi.

La commission remet également chaque année au Premier ministre un rapport sur les conditions d'exercice et les résultats de son activité. Ce rapport est rendu public.

Enfin, la commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN) , créée par la loi n° 98-567 du 8 juillet 1998, est chargée de donner un avis sur la déclassification d'informations ayant fait l'objet d'une classification secret défense en application des dispositions de l'article 413-9 du code pénal, à l'exclusion des informations dont les règles de classification ne relèvent pas des seules autorités françaises. L'avis de la CCSDN est rendu à la suite de la demande d'une juridiction française.

Cette commission fut instituée afin de créer un sas entre les demandes de levée du secret défense émanant du pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif.

Si l'avis de la commission est généralement suivi, sa compétence reste purement consultative. Elle ne dispose d'aucun pouvoir de contrôle a priori de la légalité de la classification. Elle est un simple organe de médiation sur saisine au cours d'une procédure juridictionnelle.

A cet égard, M. Jacques Belle, président de la CCSDN, a regretté lors de son audition par votre rapporteur qu'il n'existe aucune sorte de contrôle de la classification, de telle sorte que sont aujourd'hui classifiées de nombreuses informations qui n'ont pas vocation à l'être. Pour donner un ordre de grandeur de l'ampleur de cette dérive, il a indiqué que la CCSDN proposait la déclassification d'environ 80 % des documents demandés.

3. La commission de vérification des fonds spéciaux

Avant 2002, près d'un tiers de la dotation globale des fonds spéciaux inscrite sur le chapitre budgétaire 37-91 du budget des services généraux du Premier ministre était affecté à des dépenses de rémunération et de fonctionnement (pour la plus grande part la rémunération des cabinets ministériels) ne se rattachant pas à des impératifs de sécurité extérieure ou intérieure de l'Etat, ni même à des interventions particulières assimilables à des actes de gouvernement et pouvant de ce fait relever de procédures particulières et échappant à tout contrôle.

La réforme des fonds spéciaux opérée en deux temps en 2002 a conduit à en réduire le périmètre au seul financement d'actions de sécurité extérieure. La DGSE en est le principal bénéficiaire à hauteur de 90 % environ. En 2005, le montant des crédits ouverts au 1 er septembre s'élevait à 47,8 millions d'euros. En loi de finances initiale pour 2006, les crédits inscrits au titre des fonds spéciaux s'élevaient à 42,42 millions d'euros.

Outre une redéfinition du périmètre des fonds spéciaux, la réforme de 2002 a porté sur le contrôle de l'utilisation de ces fonds qui échappent au regard du Parlement et de la Cour des comptes.

Traditionnellement, ce contrôle était effectué depuis un décret du 19 novembre 1947 par une commission spéciale de vérification nommée par le Premier ministre. Présidée par un président de chambre à la Cour des comptes, elle comprenait en outre deux commissaires choisis parmi les membres du Conseil d'Etat, de la Cour des comptes ou de l'Inspection générale des finances.

L'article 154 de la loi de finances pour 2002 a abrogé le décret de 1947 afin d'y substituer une nouvelle commission de vérification des fonds spéciaux.

Elle se compose de deux députés désignés par le président de l'Assemblée nationale, de deux sénateurs désignés par le président du Sénat et de deux membres de la Cour des comptes nommés par décret. Présidée par l'un des deux députés, ses travaux sont secrets et les commissaires sont astreints au secret défense.

Au cours des débats au Sénat 12 ( * ) , Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget, déclarait que le choix du Gouvernement était celui d'un « contrôle de nature très clairement parlementaire ». Elle justifiait également que ne soit pas prévue la faculté pour cette commission de disposer d'un secrétariat propre par le fait que les deux membres de la Cour des comptes joueraient en réalité ce rôle.

Chargée de vérifier que les services attributaires utilisent les fonds spéciaux conformément à leur destination, la commission a accès au compte d'emploi des fonds ainsi qu'à tous documents et pièces justificatifs nécessaires. Elle ne peut toutefois connaître des dépenses se rattachant à des opérations en cours.

Pour chaque exercice budgétaire, la commission établit deux documents :

- un rapport sur l'emploi des crédits. Classifié « confidentiel défense », il est remis au Président de la République, au Premier ministre et aux présidents et rapporteurs généraux des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat ;

- un procès verbal constatant que le montant des dépenses réalisés et celui des pièces justificatives sont égaux.

Au cours de son audition par votre rapporteur, M. Paul Quilès, ancien ministre de la défense et ancien président de la commission de la défense de l'Assemblée nationale, a déclaré que son expérience de membre de la commission de vérification des fonds spéciaux depuis 2006 lui avait permis d'appréhender réellement le fonctionnement quotidien d'un service de renseignement.

* 9 Voir le rapport de l'office parlementaire d'évaluation de la législation n° 404 (2005-2006) de notre collègue Patrice Gélard.

* 10 L'article 26 de la loi du 6 janvier 1978 prévoit que sont autorisés par arrêté du ou des ministres compétents, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, les traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre pour le compte de l'Etat et qui intéressent la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique.

L'article 13 de la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme qui a modifié l'article 30 de la loi du 6 janvier 1978 précité prévoit toutefois que les demandes d'avis portant sur les traitements intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique peuvent ne pas comporter tous les éléments d'information normalement requis pour permettre à la CNIL de fonder son avis.

* 11 Régies par les articles 100 et suivants du code de procédure pénale.

* 12 Séance du 30 novembre 2001.

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