C. LA REMISE EN CAUSE DES TARIFS RÉGLEMENTÉS

1. Les motifs de la censure par le Conseil constitutionnel

Sur saisine des groupes socialistes de l'Assemblée nationale et du Sénat, le Conseil constitutionnel a examiné la conformité à la Constitution de plusieurs articles de la loi relative au secteur de l'énergie. Toutefois, alors que le champ de la saisine ne concernait pas les tarifs, le juge constitutionnel a examiné d'office l'article 17 afin de vérifier qu'il n'était manifestement pas incompatible avec les directives européennes.

En effet, s'appuyant sur le fait que le texte qui lui était déféré avait notamment pour objet de transposer les directives relatives à la libéralisation des marchés énergétiques, et en application d'une jurisprudence récente 9 ( * ) , le Conseil constitutionnel a considéré qu'il y avait lieu de vérifier la conformité de ces dispositions tarifaires aux directives. Or, il a estimé qu'en imposant aux opérateurs historiques des obligations tarifaires « générales et étrangères à la poursuite d'objectifs de service public », l'article 17 de la loi concernant les tarifs réglementés avait méconnu « manifestement l'objectif d'ouverture des marchés concurrentiels de l'électricité et du gaz ». De ce fait, il a partiellement censuré cet article, jugeant que ce mécanisme était, d'une part, incompatible avec les objectifs de la directive et que, d'autre part, tout consommateur d'électricité ou de gaz naturel avait vocation, à terme, à s'alimenter exclusivement par le biais du marché libre.

Cette censure entraîne deux conséquences pour les consommateurs.

En premier lieu, elle a pour effet de supprimer la distinction entre consommateurs professionnels et particuliers souhaitée par le Parlement . Dès lors, les ménages se voient appliquer les dispositions prévalant pour les consommateurs professionnels. Dans ces conditions, tout consommateur particulier déménageant dans un logement ancien ne peut bénéficier des tarifs réglementés qu'à la condition que lui-même ou qu'un occupant précédent n'ait jamais exercé son éligibilité dans ce logement (application du raisonnement par site).

En second lieu, le texte promulgué sur les décisions censurées pouvait être interprété comme excluant tout nouveau site de consommation (tout logement ou bâtiment professionnel neuf) du bénéfice des tarifs réglementés .

2. Les contentieux communautaires en cours

Parallèlement à cette fragilisation des fondements juridiques nationaux des tarifs réglementés, votre rapporteur souhaite rappeler que le maintien du système tarifaire est contesté par la Commission européenne au nom de sa compatibilité avec le droit communautaire. En effet, la Commission juge que l'existence des tarifs réglementés conduit à la fixation de niveaux de prix de vente de l'électricité et de gaz artificiellement bas , empêchant le développement de la concurrence et la réalisation des investissements nécessaires 10 ( * ) . Elle a, pour ces motifs, lancé deux procédures contentieuses à l'encontre de la France portant notamment sur le système tarifaire : l'une pour transposition incorrecte des directives, l'autre sur le fondement du contrôle communautaire des aides d'État.

Le premier contentieux (procédure en manquement) a été initié en avril 2006. Dans sa lettre de mise en demeure adressée aux autorités françaises, la Commission européenne estime qu'un « mode de fixation étatique des prix ayant un tel caractère de généralité, de permanence et de rigidité, dénué de transparence dans son mode d'attribution (...) ne peut être présumé indispensable dans un système où le libre jeu de la concurrence entraîne en principe la fixation de prix compétitifs ». Le Gouvernement français a fait valoir en réponse que les dispositions tarifaires nationales étaient compatibles avec les directives puisque le niveau des tarifs couvre les coûts exposés par les opérateurs qui vendent de l'énergie sous ce régime.

Certes, cette procédure vise uniquement les tarifs dont bénéficient les consommateurs professionnels car le marché des particuliers n'était pas ouvert à la concurrence au moment où les autorités communautaires l'ont initiée. Mais on peut craindre, comme l'a souligné votre rapporteur dans l'exposé des motifs de la proposition de loi n° 369, que cette contestation ne soit élargie aux tarifs des particuliers avec l'ouverture totale à la concurrence des marchés.

La seconde procédure au titre du contrôle des aides d'État, lancée en juin 2007, vise les tarifs réglementés d'électricité dont bénéficient les entreprises (tarifs « jaune » et « vert ») ainsi que le tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché (TaRTAM), créé par la loi du 7 décembre 2006.

Comme votre rapporteur l'avait exposé dans son rapport sur le projet de loi relatif au secteur de l'énergie 11 ( * ) , afin de répondre aux préoccupations des entreprises ayant fait le choix de la concurrence pour leur approvisionnement électrique et confrontées à une explosion des prix de marché de cette énergie, le législateur a, dans le cadre de ce texte, offert à ces consommateurs une possibilité de retour provisoire aux tarifs avec le dispositif du tarif transitoire d'ajustement du marché (TaRTAM) 12 ( * ) .

Le bénéfice du TaRTAM est ouvert à tout consommateur final d'électricité ayant exercé son éligibilité qui en a fait la demande à son fournisseur avant le 1 er juillet 2007. Ce tarif s'applique de plein droit aux contrats en cours à compter de la date à laquelle la demande est formulée. Il s'applique également aux contrats conclus postérieurement à cette demande écrite, y compris avec un autre fournisseur. Dans tous les cas, la durée de fourniture au niveau du TaRTAM est limitée à deux ans à compter de la date de la première demande d'accès à ce tarif.

La loi ayant précisé que le niveau du TaRTAM ne pouvait excéder de 25 % le niveau du tarif réglementé de vente hors taxes applicable à un site de consommation présentant les mêmes caractéristiques, l'arrêté du 3 janvier 2007 a fixé les taux de majoration dans une fourchette allant de 10 à 23 % par rapport aux « tarifs classiques ». Il en résulte un prix de vente de l'électricité se situant à mi-chemin entre les tarifs réglementés et les prix de marché.

Pour l'application de ce mécanisme, les fournisseurs qui alimentent leurs clients au niveau du TaRTAM et qui établissent qu'ils ne peuvent produire ou acquérir les quantités d'électricité correspondantes à un prix inférieur à la part correspondant à la fourniture de ces tarifs bénéficient d'une compensation couvrant la différence entre le coût de revient de leur production ou le prix auquel ils se fournissent et les recettes correspondant à la fourniture de ces tarifs. Cette compensation est financée par :

- une contribution (qui ne peut excéder 1,3 euros par MWh) prélevée sur les producteurs d'électricité exploitant des installations d'une puissance installée totale de plus de 2 000 MW et assise sur le volume de leur production d'électricité d'origine nucléaire et hydraulique (en pratique EDF et Suez) au cours de l'année précédente ;

- le mécanisme des charges du service public de l'électricité (CSPE).

A l'initiative du Sénat, la loi a prévu que le Gouvernement présente au Parlement, avant le 31 décembre 2008, un rapport sur la formation des prix sur le marché de l'électricité et dressant le bilan d'application du TaRTAM. Ce rapport doit analyser les effets de ce dispositif et envisager, s'il y a lieu, sa prolongation.

Dans le communiqué de presse qu'elle a publié le 13 juin 2007, la Commission européenne se déclare à cet égard « préoccupée par la distorsion de concurrence que pourraient engendrer (...) les tarifs les plus bas appliqués aux grandes et moyennes entreprises, et qui concernerait essentiellement les marchés de produits des entreprises grosses consommatrices d'énergie ». Elle considère que ces « tarifs industriels d'électricité réglementés à un niveau artificiellement bas, financés directement ou indirectement par l'Etat », pourraient être constitutifs d'une aide d'Etat. Dans l'hypothèse où la Commission arriverait à cette conclusion, les entreprises en ayant bénéficié pourraient donc être amenées à rembourser une somme correspondant à la différence entre le niveau des tarifs et celui des prix sur les marchés de l'électricité.

* 9 Décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004 - Loi pour la confiance dans l'économie numérique.

* 10 Votre rapporteur renvoie notamment à la lecture des développements consacrés à ce sujet dans le rapport de la mission commune d'information du Sénat sur la sécurité d'approvisionnement en électricité (rapport d'information n° 357 (2006-2007) de MM. Michel Billout, Marcel Deneux et Jean-Marc Pastor, fait au nom de la mission commune d'information sur la sécurité d'approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver - Approvisionnement électrique : l'Europe sous tension ).

* 11 Rapport n° 6 (2006-2007) de M. Ladislas Poniatowski, fait au nom de la commission des affaires économiques, sur le projet de loi relatif au secteur de l'énergie.

* 12 Articles 30-1 et 30-2 de la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières.

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