C. LIER LE DOSSIER DES ADOSSEMENTS À LA RÉFORME DES RÉGIMES SPÉCIAUX

1. L'enjeu du dossier des régimes spéciaux pour les finances publiques et les finances sociales

La part des régimes spéciaux dans la branche vieillesse est considérable : elle correspond à 5,6 % de l'ensemble des retraites (13,1 milliards d'euros sur un total de 236 milliards d'euros) et à 7,9 % des seuls organismes de base (166 milliards d'euros). Les sept grands régimes spéciaux rassemblent 1,1 million de retraités pour seulement 471 000 actifs.

Ils sont caractérisés par leur insuffisance structurelle de financement et présentent tous des ratios démographiques défavorables : leur survie n'est donc possible que grâce à la solidarité nationale. En moyenne, les ressources provenant de l'extérieur assuraient, en 2005, 59 % des prestations vieillesse. Cette proportion devrait encore s'accroître pour atteindre 70 % en 2040-2050.

Il n'existe malheureusement aucune étude permettant d'évaluer avec précision l'importance relative des facteurs démographiques et des avantages spécifiques liés à des règles plus favorables. Tout juste peut-on indiquer que le surcoût du « chapeau » du régime de la RATP s'expliquait grosso modo pour 85 % par la précocité des départs en retraite, et pour le reste par le mode de calcul plus favorable des pensions.

Il est donc quasiment impossible de savoir combien coûte à la solidarité nationale le maintien de ces régimes. Sur la base d'informations éparses, votre rapporteur estime intuitivement à au moins 6 milliards d'euros par an, le surplus de prestations versées, par rapport à la situation théorique qui verrait ces assurés sociaux affiliés au régime général et à l'Agirc-Arrco. A titre de comparaison, ce montant correspond à près de la moitié du budget de l'enseignement supérieur (11,8 milliards d'euros en 2006).

Un chiffrage plus précis nécessiterait des investigations complémentaires de la part des services de l'Etat qui font aujourd'hui défaut. Nous disposons toutefois de quelques éléments incontestables :

- les engagements de retraite des sept principaux régimes spéciaux s'élèvent à environ 280 milliards d'euros (dont 105 pour la SNCF, 90 pour les IEG, 27 pour les marins, 25 pour les mines, 23 pour la RATP et 12 pour la Banque de France), ce qui est considérable ;

- le montant des retraites versées par ces sept régimes devrait s'accroître. De 11,8 milliards d'euros en 2003, il passerait, selon le Cor, à 13,7 milliards en 2020, 15,4 milliards en 2040, puis 18,1 milliards en 2050 ;

- le besoin de financement couvert par des subventions d'équilibre et des contributions spécifiques passerait de 7 milliards d'euros en 2003 à 10,3 milliards en 2020, puis 10,8 milliards en 2040 et 12,8 milliards en 2050. A législation inchangée, le recours croissant à la solidarité nationale est donc massif et inévitable ;

- il existe une forte disproportion entre le faible nombre des cotisants (471 000 pour 24,4 millions d'actifs, soit 1,9 %) et la part relative des retraités des régimes spéciaux (1,1 million sur un total de 13,5, soit 8,1 %) dans la population française.

2. Le précédent de la Banque de France, un exemple à suivre ?

La Banque de France s'est engagée en 2007 dans un processus de convergence progressive avec les règles applicables aux pensions des trois fonctions publiques 45 ( * ) . Outre le rapprochement des paramètres techniques des régimes, la réforme prévoit que toute évolution ultérieure du code des pensions sera appliquée aux assurés sociaux de la Banque. Pendant la phase de convergence, ses agents vont continuer à bénéficier d'un régime dont les avantages se réduiront progressivement.


• Les grandes lignes de la réforme

Dans le cadre du nouveau régime de retraite de la Banque de France, les agents pourront demander la liquidation de leur retraite entre soixante et soixante-cinq ans. Obtenir une retraite à taux plein supposera à l'avenir d'avoir cotisé pendant 160 trimestres, ce nombre pouvant être porté à 164 à l'horizon 2013. L'augmentation jusqu'à soixante-cinq ans de la limite d'âge et celle du nombre de trimestres nécessaires pour obtenir une retraite à taux plein s'effectueront progressivement. La montée en charge du dispositif de décote s'effectuera à partir du 1 er janvier 2009 et se poursuivra jusqu'en 2022.

La mise en oeuvre du nouveau régime s'accompagne de l'élargissement de l'assiette de cotisation retraite à l'ensemble des éléments fixes de rémunération. Par ailleurs, la revalorisation des pensions s'effectuera désormais sur la base de l'évolution prévisionnelle de l'indice des prix à la consommation des ménages hors tabac.


• Le montant des économies attendues

A long terme, la Banque de France évalue à 600 millions d'euros, sur un total de 4,7 milliards d'euros d'engagements de retraite, le montant des économies que cette réforme permettrait de réaliser. Une économie supplémentaire de 100 à 200 millions d'euros pourrait être dégagée si plus de la moitié des agents choisissaient de prolonger leur carrière professionnelle au-delà de soixante ans, afin de bénéficier d'une pension à taux plein ou d'atteindre l'âge d'annulation de la décote.


• Les limites de la réforme

Les retraites des employés de la Banque de France seront donc alignées sur celles des fonctionnaires. Mais cette harmonisation n'est que partielle et s'accompagne de contreparties non négligeables.

Ainsi, les avantages familiaux, réservés jusqu'ici aux femmes, ont été étendus aux hommes sans avoir été modifiés. Par ailleurs, les différences de traitement entre les sexes ont été supprimées dans les trois domaines où elles existaient : les départs anticipés à la retraite des parents de trois enfants, les bonifications d'annuités pour les agents ayant élevé des enfants et les conditions de versement des pensions de réversion. Cet alignement « par le haut » aura un coût non négligeable.

Par ailleurs, la perte de pouvoir d'achat des agents titulaires résultant de l'extension des sommes soumises à cotisation sera intégralement compensée. Interrogée par votre rapporteur, la Banque de France a précisé que cette compensation est assurée, pour les agents titulaires « par le versement mensuel, jusqu'à la fin de l'activité, d'une prime dont le montant est égal à la différence entre la cotisation retraite de l'employé observée en avril 2007 et celle qui aurait été prélevée en l'absence de réforme du régime. En année pleine, le coût de cette prime de compensation est évalué à 14 millions d'euros ; ce coût ira en diminuant au fur et à mesure des départs en retraite des agents en activité avant l'entrée en vigueur de la réforme et se réduira en valeur réelle progressivement du fait de la non-indexation de la prime accordée 46 ( * ) ».

3. L'adossement, un autre aspect de la réforme des régimes spéciaux

La perspective de nouveaux adossements au régime général ne peut être envisagée indépendamment de la réforme en cours des régimes spéciaux.

Dans le cas des IEG, le régime général a en effet rendu un immense service à l'Etat et surtout aux entreprises EDF et GDF qui ont pu sortir de leurs comptes près de 90 milliards d'euros d'engagements de retraite. Mais ces adossements constituent aussi des opérations complexes susceptibles d'affecter profondément l'équilibre des comptes sociaux. Par ailleurs et malgré toutes les précautions prises, le respect du principe de stricte neutralité financière posé par le législateur ne pourra être constaté qu' a posteriori .

La technique de l'adossement pourrait être réutilisée pour d'autres entreprises publiques. Dans cette hypothèse, il s'agirait à l'évidence d'une contrepartie importante de l'Etat dans les négociations en cours avec les partenaires sociaux sur l'avenir des régimes spéciaux, car l'adossement permet de sécuriser le paiement des retraites des assurés sociaux des caisses adossées. Les pouvoirs publics ont jusqu'ici privilégié une approche au cas par cas de ces dossiers dont le traitement ne semble pas avoir beaucoup avancé au cours des dix-huit derniers mois.


• La RATP

Les décrets n os 2005-1635 et 2005-1636 du 26 décembre 2005 ont prévu un adossement du régime spécial de la RATP au régime général d'une part, et aux régimes complémentaires Arrco et Agirc, d'autre part. Mais les négociations engagées à ce sujet entre la Cnav et l'Etat sont manifestement dans l'impasse depuis deux ans.

Par ailleurs, le décret n° 2005-1637 relatif aux ressources de la caisse de retraite du personnel permanent de la RATP prévoit explicitement que les cotisations retraite de l'entreprise sont désormais libératoires : l'engagement de la RATP est donc limité au versement de ces cotisations. Et il n'y a plus lieu de procéder à un provisionnement. Enfin, l'Etat prend à sa charge à la fois le financement des droits passés mais également celui des droits futurs des agents de la régie, dans la limite de 45 000 affiliés actifs.


• La Poste

Les agents publics de La Poste n'appartiennent pas à un régime spécial, mais relèvent du code des pensions. En dépit de cela, comme pour la RATP, l'article 150 de la loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 de finances rectificative pour 2006 a prévu l'engagement de négociations en vue d'un adossement éventuel des fonctionnaires de La Poste. Des contacts ont eu lieu entre les différentes parties intéressées : la Cnav, La Poste, le nouvel établissement public national de financement des retraites de La Poste (EPNFRLP) créé à cet effet ainsi que les ministères de tutelle. Des travaux techniques sont actuellement en cours entre les services d'actuariat de la Cnav et ceux de La Poste.


• La SNCF

Une caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF (CPRP-SNCF) a été créée en mai 2007 47 ( * ) afin de remplacer le service interne de l'entreprise qui avait jusqu'ici la charge de ces questions. Cette caisse a repris les engagements de retraite des agents. L'entreprise publique s'acquitte désormais de cotisations libératoires dont une partie correspond aux avantages spécifiques du régime.

La SNCF estime que « cette évolution a permis de mettre en conformité les comptes de l'entreprise avec les normes comptables internationales. Aucune perspective d'adossement n'est inscrite dans les textes publiés et, de ce fait, aucune négociation portant sur l'adossement du régime spécial de retraite de la SNCF n'est actuellement en cours. » 48 ( * )

4. Renforcer les garanties de neutralité pour le régime général

Au regard des difficiles négociations engagées depuis deux ans entre la RATP et la Cnav, il semble nécessaire de sécuriser davantage les adossements de régimes spéciaux au régime général. La Cour des comptes s'était d'ailleurs inquiétée, dans son rapport de septembre 2006, des « risques pour l'avenir » qu'entraînent ces montages.

Dans le dossier des IEG, les régimes complémentaires Agirc et Arrco avaient obtenu qu'une clause de révision partielle (dite « clause de rendez-vous ») du montant des droits d'entrée intervienne à l'issue d'un délai de cinq ans. Cela n'a pas été le cas pour la Cnav. Il semble pourtant indispensable de donner au régime général des garanties similaires à celles obtenues par les régimes complémentaires. Cette clause de révision devrait figurer dans la convention d'adossement, tout en prévoyant néanmoins un montant maximum plafonné, sans lequel les entreprises publiques concernées ne pourraient pas sortir ces engagements de retraite de leurs comptes.

A cela s'ajoute la nécessité d'introduire l'obligation de consulter la Cnav sur ces opérations d'adossement. Sans pour autant se voir accorder un droit de veto, les instances dirigeantes du régime général devraient avoir ainsi la garantie d'être consultées sur des dossiers engageant les équilibres financiers futurs de la caisse, pour des montants de plusieurs dizaines de milliards d'euros.

* 45 Décret n° 2007-262 du 27 février 2007 relatif aux agents titulaires de la Banque de France.

* 46 Réponse de la Banque de France au questionnaire budgétaire adressé en juillet 2007 par la commission des affaires sociales du Sénat.

* 47 Décret n° 2007-730 du 7 mai 2007 relatif à la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF.

* 48 Réponse de la SNCF au questionnaire budgétaire adressé par la commission des affaires sociales en juillet 2007.

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