B. METTRE FIN À TOUTES LES FORMES DE CESSATION PRÉCOCE D'ACTIVITÉ

1. Créer les outils statistiques de suivi de l'emploi des seniors

Singulièrement, le suivi statistique des départs en préretraite et des cessations précoces d'activité demeure lacunaire :

« Les données statistiques sont actuellement très insuffisantes même si des approximations peuvent être avancées. De fait, aucun dispositif de suivi des différents modes de départs à la retraite n'a été jusqu'à présent mis en place. Il en résulte que, s'agissant notamment des mises à la retraite d'office et des départs volontaires, il n'existe pas de données précises et fiables concernant leur nombre respectif et les masses financières correspondantes 38 ( * ) . »

C'est le cas surtout des préretraites d'entreprises, qui ne bénéficient d'aucune participation financière publique et restent largement inconnues des statistiques, d'autant que certains mécanismes de licenciements, avec majoration des indemnités légales ou conventionnelles, de salariés proches de l'âge de la retraite, pourraient être assimilés, dans certains cas, à des préretraites privées.

La mission Igf-Igas de novembre 2006 a évalué entre 86 000 à 107 500 personnes le nombre annuel des mises à la retraite d'office avec une indemnité de mise à la retraite. Parallèlement, elle estimait les départs volontaires intervenant sur la base d'une indemnité de départ à la retraite à entre 114 000 à 142 500 personnes.

2. Pénaliser financièrement le recours à toutes les formes de cessation précoce d'activité

Il est désormais admis que la politique de l'emploi fondée sur l'exclusion du marché du travail des personnes de plus de cinquante-cinq ans a échoué. Pourtant rares sont les estimations et les études sur le coût de cette politique. Certains universitaires se sont néanmoins risqués à tenter d'en apprécier l'impact.

« Les politiques de cessation d'activité ont été massives, ont suscité des espoirs énormes et expliquent plus d'un tiers des hausses de cotisation depuis 1973 . (...) « L'estimation de leur efficacité est une question particulièrement difficile, dépendant à la fois de paramètres microéconomiques cruciaux et du bouclage macroéconomique de ces politiques. (...) Pour que ces politiques soient efficaces, il faut conjointement une forte substitution entre jeunes et seniors et une faible sensibilité de l'emploi non qualifié à son coût. Si ces conditions ne sont pas remplies, il n'est pas à exclure que ces politiques aient plus contribué à augmenter le chômage des jeunes qu'à le réduire. 39 ( * ) »

Le plan national d'action concerté pour l'emploi des seniors lancé en juin 2006 visait à enrayer la tendance à la diminution du taux d'emploi des seniors. Mais son absence de résultat atteste des limites des mesures purement incitatives. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 fait le choix d'une politique plus directive. Ce fut également l'orientation choisie en Finlande où l'âge minimum permettant le maintien des indemnités chômage jusqu'au départ à la retraite a été relevé en 2005 à cinquante-neuf ans. En outre, dans ce pays, une partie des dépenses liées aux pensions d'invalidité est à la charge des grandes entreprises, ce qui les incite à réaliser des efforts dans ce domaine. Des compagnies d'assurance spécialisées dans la retraite proposent même aux employeurs des programmes d'accompagnement pour y parvenir.

3. Placer en extinction les dispenses de recherche d'emploi des chômeurs âgés

La dispense de recherche d'emploi (DRE) représente un autre mode très utilisé de cessation précoce d'activité des salariés 40 ( * ) . Il s'agit d'un dispositif créé en mars 1984 qui permet à un demandeur d'emploi âgé de cinquante-cinq ans ou plus d'être dispensé de rechercher un emploi, sous certaines conditions et après en avoir fait volontairement la demande auprès de son agence locale pour l'emploi.

Elle est accessible à partir de cinquante-sept ans et demi aux bénéficiaires de l'allocation d'aide au retour à l'emploi, mais dès cinquante-cinq ans aux bénéficiaires de l'allocation de solidarité spécifique et aux demandeurs d'emploi non indemnisés et quel que soit leur âge aux bénéficiaires de l'allocation équivalent retraite.

La réforme des retraites n'a pas modifié l'évolution du nombre des personnes dispensées de recherche d'emploi.

Nombre de bénéficiaires d'une dispense de recherche d'emploi au 31 décembre de chaque année

1995

276 211

1996

270 244

1997

274 977

1998

283 547

1999

325 164

2000

348 824

2001

364 647

2002

377 897

2003

400 266

2004

408 783

2005

408 703

2006

416 910

Source : Données Unedic

Au total, le montant de la prise en charge des dispensés de recherche d'emploi est évalué par le ministère des finances à près de 5,2 milliards d'euros par an .

4. Faire face aux risques potentiels des négociations en cours sur la pénibilité

L'article 12 de la loi du 21 août 2003 a invité les partenaires sociaux à engager, dans un délai de trois ans, « une négociation interprofessionnelle sur la définition et la prise en compte de la pénibilité ». Ce sujet revêt un fort potentiel d'ambiguïté qui appelle une clarification car il est devenu un argument systématiquement évoqué dans le débat public sur les retraites.

• Qu'en est-il de la santé des seniors au travail ?

L'enquête européenne Share évalue et compare la santé des salariés âgés dans onze pays européens 41 ( * ) . Il en ressort qu'une personne sur cinq considère, en France, que ses problèmes de santé l'empêchent d'avoir des activités normales. Cette proportion est inférieure à celle des autres pays. Une personne sur quatre estime par ailleurs que son état de santé limite ses capacités dans son emploi actuel, ce qui se situe dans la moyenne de l'étude : « Ainsi, la situation des personnes en emploi de cinquante ans et plus ne semble pas particulièrement défavorable en France, même s'il convient de relativiser ce constat : le faible taux d'emploi peut s'accompagner d'un « tri », les personnes ayant le moins bon état de santé étant moins présentes sur le marché du travail. 42 ( * ) »

Compte tenu de la subjectivité de ces informations, il est préférable de se reporter aux statistiques publiées par l'Insee sur la mortalité comparée des catégories socioprofessionnelles.

Mortalité des hommes et des femmes selon la catégorie socioprofessionnelle

Période 1982-2001

Distribution
en (%)

Indice standardisé de mortalité (ISM)

Catégorie socioprofessionnelle

Femmes

Hommes

Femmes

Hommes

N'a jamais travaillé

16,3

5,6

1,2

1,9

Travaille ou a déjà travaillé dont :

83,7

94,4

1,0

1,0

- cadres ou professions intellectuelles supérieures

2,8

10,6

0,8

0,6

- professions intermédiaires

9,4

16,0

0,8

0,9

- artisans, commerçants ou chefs d'entreprise

6,8

10,4

0,9

0,9

- employés

35,3

11,3

1,0

1,0

- agriculteurs exploitants

10,2

11,7

0,9

0,8

- ouvriers

19,2

34,4

1,1

1,2

Ensemble

100,0

100,0

1,0

1,0

Champ : hommes et femmes de 45 à 64 ans en 1982, nés en France métropolitaine et vivant en ménages ordinaires.

Source : Insee


• Des difficultés pratiques insolubles

Le champ de la notion de pénibilité est incertain, voire sans limite. Il correspond à l'évidence à une détérioration de l'état de santé des individus. Mais, au-delà de ce constat, isoler des critères opérationnels permettant de définir la pénibilité constitue un exercice délicat. Faut-il l'apprécier au regard de l'environnement et de l'intensité du travail ou des efforts physiques ? Faut-il prendre en compte toutes les contraintes susceptibles de nuire à la santé d'une personne au travail, c'est-à-dire les tâches répétitives, la pressions liées aux résultats, les charges lourdes, la station debout prolongée, le travail de nuit, le port d'équipements de protection, le travail à la chaîne, la variation des horaires 43 ( * ) ? Comment le médecin du travail pourra-t-il assurer un suivi individuel et mettre en place « une traçabilité » de la pénibilité au fil de la carrière des assurés sociaux ?


• Des négociations à rebondissement conduisant à la création d'une nouvelle forme déguisée de préretraite ?

Les négociations entre les partenaires sociaux ont commencé le 23 février 2005 avant de s'enliser et d'accumuler deux ans de retard. Elles semblaient d'ailleurs définitivement dans l'impasse avant de connaître un rebond inattendu au printemps 2007.

« La pénibilité est un vrai problème, il y a des travaux plus pénibles que d'autres, il faut donc les prendre en compte comme cela a été fait en 2003 pour ce que l'on appelle les « carrières longues », qui ont eu la possibilité de partir en retraite plus tôt. Il reste un certain nombre de cas à régler, dont ceux des salariés qui ont travaillé dans des conditions plus pénibles que d'autres, c'est tout l'objet de cette négociation. Elle pose des questions difficiles en termes de champ d'application : qui est concerné ? Le dispositif mis en place sera-t-il automatique ou bien ponctuel en fonction de situation du salarié en fin de carrière, selon quel état physique ? Enfin, qui assure le financement ?(...) Nous avons décidé de creuser cette possibilité : reste à savoir quels sont les salariés qui pourront en bénéficier, sur la base de quels critères, définis comment, notamment au sein des branches. (...) J'ai l'impression que les lignes bougent ; nous devrions pouvoir trouver un accord avant 2008. 44 ( * ) »

Il semble que les partenaires sociaux se soient finalement accordés sur l'idée qui consisterait à envisager une procédure spécifique de retraite anticipée, le cas échéant financée partiellement par les employeurs, au bénéfice des assurés sociaux ayant exercé des activités pénibles pendant leur vie professionnelle. Au total, trois pistes de réflexion seraient actuellement envisagées :

- le recours à la pension d'invalidité ;

- la réouverture du dispositif de préretraite progressive, qui avait été supprimé par la réforme des retraites de 2003 ;

- l'accroissement du champ d'application des préretraites Cats.

Les négociations progressent désormais sur la voie d'un dispositif combinant un cadre collectif et une dimension individuelle.

Or la question de la pénibilité est intimement liée à celle du passage de l'emploi à la retraite qui se fait selon des trajectoires très variées. Jusqu'ici, existent en France trois principaux modes de sortie anticipée du marché du travail : le chômage, l'invalidité et les préretraites. La pénibilité risque désormais de s'y ajouter.

* 38 Note de la mission conjointe sur l'évolution de la législation relative aux mises à la retraite d'office - IGF et Igas - novembre 2006.

* 39 Les retraites contre le chômage ? Un regard historique - Antoine Bozio - Ecole des hautes études en sciences sociales. Voir aussi du même auteur « Les réformes des retraites de 1993 et 2003 vont-elles conduire à un allongement des carrières professionnelles ? » - avril 2006 - docweb n° 0605.

* 40 Darès - Premières synthèses - juin 2006 - n° 24-1 - « Fin 2004, la dispense de recherche d'emploi concerne près de 6 % des 55-64 ans. »

* 41 Enquête financée par la commission européenne - Les résultats sont consultables sur le site www.irdes.fr.

* 42 Les retraites - Libres opinions d'experts européens - ouvrage collectif sous la direction de Florence Legros - Article de Samia Benallah et Pierre Ralle - L'emploi des seniors : à quel prix ? - p. 186.

* 43 Sur ce sujet, voir l'article de la revue Droit social n° 9110 - septembre-octobre 2006 - Les négociations interprofessionnelles sur la pénibilité au travail - Franck Héas - p. 885.

* 44 Déclaration du chef de file de la négociation pour le Medef - 5 juin 2007. Voir aussi la déclaration du Medef du 27 septembre 2007.

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