3. Des améliorations nécessaires

Votre rapporteur a pu le mesurer au cours des nombreuses auditions auxquelles il a procédé ainsi qu'à l'occasion des visites dans les établissements pénitentiaires qu'il effectue régulièrement, la rétention de sûreté nourrit de vives inquiétudes et suscite des critiques dont certaines lui paraissent sans fondement et d'autres, en revanche, justifiées.

Outre les questions de constitutionnalité ou de conventionnalité traitées plus haut, ces réserves portent principalement sur cinq points : le champ d'application de la rétention, l'évaluation de la dangerosité, le moment où cette évaluation intervient, la nature juridique de la commission chargée de prononcer la mesure et, enfin, le contenu concret de la prise en charge dans le cadre des centres médico-socio-judiciaires de sûreté.

* Le champ d'application de la rétention de sûreté

Le texte initial du projet de loi réservait l'application de la rétention de sûreté aux auteurs des crimes les plus graves sur mineurs de 15 ans . Ce critère est apparu très restrictif : l'auteur d'un viol sur un mineur de 16 ans présente une dangerosité équivalente, de même d'ailleurs que le tueur en série.

Votre commission estime donc justifié que l'Assemblée nationale ait élargi le champ d'application du dispositif en tenant compte davantage de la nature de l'infraction commise et de sa gravité que de l'âge de la victime.

Cependant, le code pénal retient précisément comme circonstance aggravante le fait que le crime soit commis sur un mineur de 15 ans. Il semble donc pour une part redondant que le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale mentionne successivement comme critère d'application de la rétention de sûreté le crime sur mineur puis le crime commis avec circonstance aggravante. Votre commission vous soumet en conséquence un amendement qui simplifie ces dispositions tout en mettant en avant le critère tenant à la nature de l'infraction, conformément à la logique des amendements adoptés par les députés.

* L'évaluation de la dangerosité

La rétention de sûreté ne pourrait s'appliquer que si la personne présente « la probabilité très élevée de commettre une nouvelle infraction ». L'évaluation de la dangerosité est donc cruciale puisqu'elle peut décider d'une privation de liberté renouvelable sans limite. Lors de son audition, M. Jean-Yves Montfort, président du tribunal de grande instance de Versailles et membre de la CNCDH a relevé le caractère « flou » de la dangerosité. Les observations formulées par la CNCDH sur le projet de loi citant une recommandation du Conseil de l'Europe rappellent le « caractère extrêmement aléatoire de la prédiction du comportement futur ». Selon M. Pierre-Victor Tournier, professeur à l'université de Paris I, la référence à une « probabilité très élevée » dans une loi pénale n'avait peut-être pas de précédent.

Seul un dispositif d'évaluation présentant les plus grandes garanties de rigueur et de fiabilité serait en mesure de répondre à ces inquiétudes. Or, de ce point de vue, le projet de loi ne donne pas entièrement satisfaction. Il confie en effet l'évaluation de la personne à la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté instituée par la loi du 12 décembre 2006 relative au traitement de la récidive des infractions pénales que sa composition assimile plutôt à une commission administrative qu'à un organe d'expertise. Sans doute, cette commission pourrait-elle rassembler tous les éléments d'information nécessaires et procéder à une expertise médicale confiée à deux médecins (et non à un seul comme le prévoyait le projet de loi initial). Néanmoins, cette évaluation ne répond pas à l'exigence d'une approche pluridisciplinaire et d'une observation prolongée dans le temps. Aussi, votre commission vous propose-t-elle un amendement afin de prévoir, avant que la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté ne rende son avis, un examen systématique de la personne pour une période de six semaines par le centre national d'observation (CNO) dont les méthodes et les moyens d'action seraient par ailleurs être modernisés. Lors de son audition par votre rapporteur, M. Claude d'Harcourt , directeur de l'administration pénitentiaire, a d'ailleurs indiqué que le CNO serait installé dans un nouvel établissement de la région parisienne qui devrait ouvrir ses portes à partir de 2011.

* Le moment de l'évaluation et de la prise en charge

Si la personne présente une particulière dangerosité, n'est-il pas paradoxal -tout en demandant à ce que cela soit prévu dans le jugement initial- de s'en inquiéter un an seulement avant la date prévue pour sa libération et de n'avoir pas entrepris plus tôt une prise en charge effective qui permettrait peut-être d'éviter le recours à la rétention de sûreté ?

Après s'être longuement entretenu avec les représentants des associations de victimes, votre rapporteur a d'ailleurs relevé que l'une de leur principale préoccupation portait précisément sur une meilleure utilisation du temps de peine afin d'éviter la récidive. Comme le relevait M. Alain Boulay, président de l'association d'aide aux parents victimes, lors de son audition, la dangerosité doit être décelée le plus tôt possible afin de donner toutes les chances à un traitement mis en oeuvre le plus en amont possible. Au Canada, la condamnation à l'issue de la condamnation et de la définition de programme individualisé satisfait à ces préoccupations.

Aussi votre commission vous propose-t-elle par un amendement de prévoir que toutes les personnes susceptibles d'entrer dans le champ d'application de la rétention de sûreté font l'objet, dans l' année qui suit leur condamnation définitive , d'un examen systématique au centre national d'observation au terme duquel un programme individualisé de prise en charge est défini qui doit constituer une véritable stratégie individuelle de prévention de la récidive. Par ailleurs au vu du bilan établi au CNO, la personne pourrait, si son état mental le justifie, être transférée dans une unité hospitalière spécialement aménagée , le cas échéant pour un établissement de long séjour, comme l'avait proposé votre commission à la suite de la mission d'information sur les personnes dangereuses.

* La nature de la commission chargée de prononcer la rétention de sûreté

Le choix de confier à une nouvelle commission composée de trois magistrats la responsabilité de décider de la rétention de sûreté a suscité de vives critiques de la part de plusieurs interlocuteurs de votre commission pour des raisons d'ailleurs différentes et même contradictoires.

M. Jean-Olivier Viout, procureur général près la cour d'appel de Lyon, a estimé que le choix de placer une personne sous rétention de sûreté ne devait pas relever du juge judiciaire dans la mesure où la personne avait purgé sa peine et n'était plus placée sous main de justice, cette compétence incombant dès lors à l'autorité administrative. Mme Martine-Michelle Lebrun, présidente de l'association nationale des juges de l'application des peines, a fait valoir la même position.

MM. Louis di Guardia, premier avocat à la Cour de cassation et Henri-Claude Le Gall, président de la cour de justice de la République et conseiller à la chambre criminelle de la cour de cassation ont contesté non pas le principe de la compétence judiciaire mais le choix d'instituer une nouvelle commission ad hoc alors que cette compétence aurait pu être attribuée à la juridiction de l'application des peines.

Votre commission estime pour sa part que la rétention de sûreté relève nécessairement de la compétence de l'autorité judiciaire « gardienne de la liberté individuelle » en vertu de l'article 66 de la Constitution. Elle s'est interrogée cependant sur l'intérêt de créer de nouveaux organes dans une architecture judiciaire déjà complexe. Il lui a semblé cependant que ces compétences ne pouvaient être dévolues à la juridiction de l'application des peines, d'abord, précisément parce que la rétention de sûreté ne doit pas être considérée comme une peine et, ensuite, parce que le meilleur moyen de conserver à cette mesure son caractère exceptionnel est d'en réserver la responsabilité à un organe ad hoc .

En revanche, il faut lever toute ambiguïté sur la nature de cette nouvelle instance comme le souhaitaient d'ailleurs les représentants de la profession d'avocat entendus par votre rapporteur, en rappelant qu'elle est une juridiction comme l'attestent sa composition et l'ensemble des garanties procédurales prévues par le texte. Votre commission vous soumet un amendement en ce sens.

* L'application de la rétention de sûreté

Votre commission a exprimé les réserves que lui inspirait l'application rétroactive de la rétention de sûreté. Il faut le souligner, l'impossibilité d'appliquer la rétention de sûreté dans le prolongement immédiat de la peine pour les personnes condamnées à une peine d'au moins quinze ans de réclusion criminelle ne conduit pas pour autant à différer la mise en oeuvre de la rétention de sûreté de plus de douze ou treize ans (c'est-à-dire au moment où les personnes condamnées après l'entrée en vigueur de la loi et pour lesquelles la cour d'assises aura prévu le réexamen de la situation en vue d'une rétention de sûreté, arriveront au terme de l'exécution de leur peine d'emprisonnement).

En effet, les personnes qui sont actuellement placées sous surveillance judiciaire ou le seront après l'entrée en vigueur de la loi, de même que celles qui sont condamnées à un suivi socio-judiciaire pourront voir leurs obligations prolongées au delà de la durée initiale de ces dispositifs. En cas de manquement à l'une de ces obligations, traduisant une particulière dangerosité, elles seraient susceptibles d'être placées en rétention. Celle-ci pourrait donc trouver à s'appliquer rapidement après l'entrée en vigueur de la loi.

L'extension de la surveillance judiciaire ou du suivi socio-judiciaire au delà, dans le premier cas, de la durée des réductions de peines et, dans le second, de la durée fixée par la juridiction de jugement est source de confusion sur la nature juridique de ces obligations ainsi « prolongées ». Selon votre commission, ces mesures, si elles sont identiques dans leur contenu à celles qui avaient été fixées soit par le juge de l'application des peines, soit par la juridiction de jugement, relèvent néanmoins d'un régime juridique distinct :

- la décision de prolongation appartient à la commission régionale de la rétention de sûreté ;

- la mesure peut être renouvelée d'année en année sans limitation dans le temps ;

- en cas de manquement grave à une obligation, la personne peut être placée en rétention.

Aussi, votre commission vous propose de définir un dispositif spécifique, la surveillance de sûreté , qui désignerait les obligations susceptibles de prolonger une surveillance, un suivi socio-judiciaire ou celles qui pourraient être mises en oeuvre à l'issue d'une rétention de sûreté. Cette surveillance de sûreté constituerait un régime intermédiaire entre la liberté et la rétention de sûreté.

Un dispositif de contrôle en milieu ouvert pourrait néanmoins se révéler insuffisant pour des personnes extrêmement dangereuses.

Votre commission ne pense pas cependant que cette considération autorise l'application rétroactive aux personnes condamnées avant l'entrée en vigueur de la loi, d'une prolongation de leur détention. Elle estime en revanche que la sécurité de la société justifie d'édicter des obligations spécifiques , applicables aux individus les plus dangereux à l'issue de l'exécution de leur peine consistant en une assignation à domicile sous le régime de la surveillance électronique et une mesure de déplacement surveillé sous le contrôle des agents de l'administration pénitentiaire. S'ils ne respectent pas ces obligations, la rétention de sûreté, au vu de ces nouveaux éléments de dangerosité, serait susceptible de leur être appliquée.

* La prise en charge dans le cadre du centre médico-socio-judiciaire de sûreté

Plusieurs précisions ont été apportées au cours des débats à l'Assemblée nationale sur le centre socio-médico-judiciaire. Ainsi Mme Rachida Dati a indiqué que le premier centre serait créé au sein de l'établissement public de santé national (EPSN) de Fresnes 56 ( * ) dès septembre 2008 avec une capacité d'accueil d'une trentaine de personnes. On peut cependant regretter que cette nouvelle structure n'ait pas fait l'objet à ce jour d'une préfiguration plus précise et qu'il reste de nombreuses incertitudes sur le contenu de la prise en charge qui sera proposée. Lors de son audition par votre rapporteur, le Dr Christiane de Beaurepaire, responsable du SMPR de la maison d'arrêt de Fresnes, s'inquiétait du « silence » de l'autorité sanitaire sur la mise en place du projet dont elle assurera pourtant la co-tutelle.

Le professeur Jean-Louis Senon, dans la note qu'il a remise à votre rapporteur à l'issue de son audition, propose plusieurs orientations pour définir le contenu de la prise en charge dans les centres de sûreté principalement destinés à accueillir des psychopathes. Il rappelle d'abord que « la prise en charge de la psychopathie est par essence multidisciplinaire (...). L'hôpital psychiatrique n'est pas le lieu de la prise en charge des psychopathes qui n'y ont leur place que pour des décompensations transitoires (...). Un établissement de santé pourrait par contre avoir une convention avec la santé leur permettant de compléter un travail socio-éducatif par des prises en charge psychiatriques complémentaires réalisées par des équipes sur-spécialisées et formées en ce sens ».

En outre, compte tenu du caractère très novateur du dispositif proposé, votre commission propose comme le prévoient déjà plusieurs textes tels les lois relatives à la bioéthique, une clause de révision de la loi dans un délai de 5 ans à l'occasion d'une évaluation complète du dispositif.

*

* *

Le projet de loi a le mérite de traiter de la situation des personnes atteintes des troubles de la personnalité graves présentant une forte dangerosité et comble ainsi une lacune incontestable de notre droit. Il laisse néanmoins entière la question des personnes détenues atteintes de troubles mentaux dont la prise en charge est loin d'être satisfaisante . Votre rapporteur estime indispensable, en premier lieu, de renforcer les capacités du secteur psychiatrique à prendre en charge dans des conditions sécurisées les malades mentaux susceptibles de présenter une dangerosité psychiatrique.

Il juge aussi nécessaire une amélioration du dispositif de soins dispensés dans les établissements pénitentiaires.

Enfin, votre rapporteur souhaite qu'une concertation puisse être engagée sur l'application actuelle de l'article 122-1 du code pénal, sur la pertinence de la distinction entre abolition et altération du discernement et, enfin, sur une éventuelle réforme de ce dispositif.

* 56 Voir le compte rendu d'une visite dans cet établissement dans l'avis sur le projet de loi de finances pour 2008 portant sur le programme « administration pénitentiaire », Jean-René Lecerf, Sénat, n° 96 (p. 34 et 35).

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