B. UN CHAMP D'ACTION ENCORE LIMITÉ

1. Une institution dotée des moyens de fonctionner

Comme l'a observé M.Bruno Cathala, lors de son audition par votre rapporteur, la CPI comptait à sa naissance un effectif de cinq personnes... Elle dispose aujourd'hui de 800 employés parmi lesquels 80 nationalités et d'un budget de 88,87 millions d'euros rassemblant les contributions des Etats parties par quote part, celles de l'ONU ainsi que les contributions volontaires versées par les gouvernements, les organisations internationales ou encore des personnes privées.

Les Etats parties sont regroupés au sein d'une assemblée dotée depuis 2003 d'un secrétariat permanent. Elle constitue l'organe législatif de la Cour, élit les juges et le procureur et se prononce sur le fonctionnement et l'administration de la Cour.

La défense a cherché à s'organiser avec la création d'un barreau pénal international en 2002 qui, du fait des divisions internes et des hésitations des Etats parties, n'a cependant pas encore obtenu de reconnaissance officielle. Le greffier tient néanmoins une liste de Conseils de la défense habilités à exercer devant la Cour.

Par ailleurs, la Cour pénale internationale est la première juridiction pénale internationale à reconnaître aux victimes le droit de participer à la procédure et de demander une réparation dont le financement est assuré par un fonds spécial pour les victimes .

Enfin, les ONG -près de 2.000 d'entre elles se sont réunies au sein d'une coalition pour la Cour pénale internationale- constituent un partenaire essentiel de la nouvelle juridiction. Elles s'efforcent de jouer un rôle de contrepoids à l'influence des Etats excessivement jaloux, selon elles, des prérogatives attachées à leur souveraineté.

2. Une politique pénale pragmatique

A ce jour, l'activité de la Cour est demeurée modeste, voire décevante sur le plan quantitatif comme l'a estimé M. Claude Jorda, ancien juge français à la Cour pénale internationale, lors de son audition par votre rapporteur.

Elle a été saisie par trois Etats parties : l'Ouganda (décembre 2003) la République démocratique du Congo (mars 2004) et la République centrafricaine (janvier 2005). Seule l'enquête ouverte en juin 2004 en République du Congo a débouché sur une confirmation des charges par la chambre préliminaire en septembre 2006 6 ( * ) .

En outre, la Cour pénale internationale a été saisie par le Conseil de sécurité en mars 2005 pour enquêter sur les crimes commis au Soudan. Au terme de deux années d'enquête, le procureur a mis en accusation l'ancien ministre délégué chargé du « Bureau de sécurité au Darfour » ainsi qu'un chef de milice.

L'essentiel des dossiers est ainsi, actuellement, concentré en Afrique principalement dans la région des grands lacs. Cette limitation géographique, parfois critiquée par les ONG et source de scepticisme quant au rôle de la Cour pénale internationale procède aussi d'une politique de poursuites que d'aucuns jugent timorée. Trois traits la caractérisent :

- favoriser les renvois volontaires à l'initiative des Etats parties afin d'encourager leur collaboration à l'exercice de la justice pénale internationale ;

- sélectionner à la fois les inculpés -en choisissant « les personnes portant la plus grande responsabilité »- et les charges les plus « emblématiques » ;

- cibler les enquêtes dans un souci de rapidité et les actes d'accusation afin de ne pas multiplier le recours aux témoignages -la protection des témoins étant l'une des préoccupations majeures de la Cour.

Les inculpations ne sont lancées qu'une fois le dossier à charge suffisamment étayé pour conduire à terme le procès. Il s'agit, selon les termes mêmes des rapports du procureur de la Cour pénale internationale, de « faire beaucoup avec peu » en maximisant l'impact de la Cour.

Cette politique pénale s'explique pour partie par le contexte international dans lequel oeuvre la CPI.

Sur 192 Etats membres de l'ONU, 139 ont signé le traité de Rome et 106 l'ont ratifié 7 ( * ) . La Cour pénale internationale pourrait se prévaloir d'une véritable universalité si ne manquaient les Etats-Unis, la Russie, la Chine, l'Inde et la plupart des pays arabes. Les Etats-Unis dont le rôle a pourtant été décisif non seulement dans les procès de Nuremberg mais aussi pour la mise en place des tribunaux pénaux internationaux ad hoc pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, ne se sont pas contentés de s'abstenir de signer le traité. Ils ont mené à partir de 2002 une campagne mondiale d' accords bilatéraux afin d'obtenir d'une centaine de pays la garantie qu'aucun citoyen américain ne pourrait être extradé vers la nouvelle Cour.

Cette hostilité n'est peut-être pas inéluctable et pourrait céder devant la politique mesurée de poursuites mise en oeuvre jusqu'à présent par la Cour.

Par ailleurs, des évolutions encourageantes peuvent être observées : ainsi le Japon a récemment ratifié le traité de Rome. En outre, comme en témoigne la saisine de la Cour par le Conseil de sécurité pour la situation au Darfour, les grandes puissances l'ont intégré dans la gestion des crises. Enfin, comme la précisé Mme Edwige Belliard, directrice des affaires juridiques du ministère des affaires étrangères, la Chine et la Russie participent à certaines discussions au sein du groupe des Etats parties à la Convention.

En tout état de cause, comme le note M. Joël Hubrecht 8 ( * ) « bien que la Cour pénale internationale apparaisse en mesure de fonctionner sans la participation active des principales grandes puissances, voire en dépit de leur hostilité, elle s'adresse néanmoins à elles et les prend déjà en compte dans son fonctionnement » : en effet, le statut de la Cour admet pour langue officielle le français, l'anglais, l'espagnol mais aussi le russe, le chinois et l'arabe -langues dans lesquelles sont d'ores et déjà traduites les décisions de la Cour.

* 6 L'enquête a débouché sur l'inculpation de Thomas Lubanga, chef de l'Union des Patriotes congolais, poursuivi pour l'enrôlement d'enfants soldats. Déjà placé en détention dans son pays, celui-ci a été extradé vers La Haye en mars 2006. En Ouganda, des mandats d'arrêt ont été lancés en octobre 2005 contre cinq chefs de l'armée de libération du Seigneur qui ont pris la fuite. Dans le même temps, le président ougandais semble avoir infléchi ses positions en proposant d'accorder une amnistie aux chefs de guérilla qui désarmeraient. La situation en République centrafricaine est encore en cours d'analyse par le bureau du procureur.

* 7 Voir tableau en annexe 2. Au 1 er mai 2008, 106 pays sont États Parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Parmi eux, 30 sont membres du groupe des États d'Afrique, 13 sont des États d'Asie, 16 sont des États d'Europe orientale, 22 sont des États d'Amérique latine et des Caraïbes, et 25 sont membres du Groupe des États d'Europe occidentale et autres États.

* 8 AJ pénal 2007, p. 253.

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