3. Une situation de discrimination ?

La Commission européenne ne partage cependant pas le point de vue d'une organisation satisfaisante du secteur énergétique en Europe et entend, avec le troisième « paquet énergie », franchir une nouvelle étape et interdire la possession simultanée d'actifs dans le secteur de la production et du transport. S'appuyant sur les résultats de la dernière étude sur la réalisation du marché intérieur de l'électricité et du gaz 19 ( * ) et sur les conclusions d'une enquête sectorielle en matière de concurrence 20 ( * ) , la Commission européenne considère que les marchés de l'électricité et du gaz restent trop fortement concentrés et insuffisamment concurrentiels.

Dans le cadre de l'enquête sectorielle, la Commission met tout d'abord en avant le fait que les marchés de gros restent trop fortement concentrés, permettant aux opérateurs d'exercer un pouvoir de marché. S'agissant du secteur électrique, le niveau actuel des interconnexions ne serait pas suffisant pour réduire fortement la concentration. La Commission estime que l'une des explications principales de cette situation tient au « verrouillage vertical » exercé par les compagnies intégrées. Selon elle, « le degré actuel de séparation a des répercussions défavorables sur le fonctionnement du marché et sur la propension à investir dans les réseaux ». Cette particularité constituerait un obstacle majeur à l'entrée de nouveaux concurrents et menacerait, en outre, la sécurité d'approvisionnement. Soupçonnant les gestionnaires du réseau de favoriser les entreprises faisant partie de leur groupe, la Commission juge que, du fait de l'intégration verticale, « les décisions opérationnelles et d'investissement ne sont pas prises dans l'intérêt de la gestion du réseau et de l'infrastructure mais sur la base des intérêts de la société intégrée ». Elle considère ainsi que l'insuffisance des interconnexions rend impossible le développement de la concurrence et l'intégration des marchés.

Pour la Commission, l'existence d'opérateurs intégrés met en lumière un problème de conflit d'intérêts structurels. La Commission considère qu'il est essentiel de résoudre le conflit d'intérêts inhérent à l'intégration verticale des activités de fourniture et de réseaux, qui se traduit par un manque d'investissements dans l'infrastructure et par une discrimination à l'égard des nouveaux entrants.

Dans ces conditions, il est crucial de faire en sorte que les GRT ne soient pas dissuadés d'agir par les intérêts des maisons mères et donc de renforcer nettement la séparation, ce qui permettrait de renforcer la coopération entre GRT.

Selon la Commission, « il est démontré économiquement que la séparation constitue le moyen le plus efficace pour garantir le choix aux consommateurs d'énergie et pour encourager l'investissement. Ceci est dû au fait que les entreprises de réseau ne sont pas influencés par des intérêts divergents de la génération 21 ( * ) ou de la fourniture dans leurs décisions d'investissement. Cela permet également d'éviter une réglementation trop détaillée et complexe et d'imposer des charges administratives disproportionnées ». Enfin, elle ajoute que la consultation publique à laquelle elle a procédé n'a pas fait « apparaître d'effets de synergie importants liés à l'intégration verticale » et que « l'expérience montre même que lorsque la séparation de propriété a été mise en oeuvre, à la fois l'activité de réseau et l'activité de production/fourniture continuent à prospérer après la séparation ».

Sur le fondement de ces analyses, la Commission européenne estime, dans le texte de sa communication du 10 janvier 2007, qu'il existe un « danger de discrimination et d'abus quand les compagnies contrôlent à la fois les réseaux d'énergie et la production ou la vente, protégeant les marchés nationaux et empêchant la concurrence ». Elle considère au surplus qu'une telle situation dissuade « les compagnies intégrées verticalement à investir convenablement dans leurs réseaux, car plus elles augmentent la capacité du réseau, plus elles renforcent la concurrence qui existe sur leur «marché domestique», et plus elles font baisser les prix du marché ».

Parallèlement à la présentation du troisième « paquet énergie », la Commission européenne a fait valoir, dans l'étude d'impact 22 ( * ) accompagnant ses propositions de textes, que les expériences de séparation patrimoniale dans plusieurs pays membres de l'Union européenne sont concluantes. Ainsi, ce document démontrerait que, dans ces cas et contrairement à la situation des pays où les entreprises énergétiques demeurent intégrées, les investissements sur le réseau ont crû, l'étude évoquant une croissance constante et un doublement de leur montant trois à quatre années après la séparation, qu'il s'agisse du gaz ou de l'électricité. Tout en indiquant que les données doivent être analysées avec précaution dans la mesure où de nombreux facteurs influencent le niveau des investissements, l'étude cite, à l'appui de cette affirmation, le cas du transporteur espagnol REE, du tchèque CEPS ou du transporteur hollandais Gasunie, entreprises pour lesquelles la hausse des investissements aurait été encore plus prononcée. A l'inverse, le document de la Commission indique que les données disponibles pour la France, l'Allemagne et l'Italie mettent en évidence des croissances moins dynamiques du niveau des investissements. Cette dichotomie s'expliquerait, selon l'étude, par une pression plus forte mise sur les régulateurs, par les transporteurs séparés sur le plan patrimonial, pour obtenir des hausses de tarifs pour financer les investissements et par le fait que les GRT indépendants réinvestissent plus volontiers les revenus qu'ils tirent des congestions aux interconnexions dans le développement des infrastructures.

Après avoir ensuite mis en évidence un impact positif de la séparation patrimoniale dans le gaz sur le nombre de terminaux de gaz naturel liquéfié (GNL) et souligné que la séparation patrimoniale avait eu, dans ces pays, un impact positif sur la valeur des actions du GRT et sur leur notation financière, l'étude d'impact fait valoir, tout en appelant à considérer ces résultats avec prudence, que dans les pays européens ayant choisi la séparation patrimoniale les prix de l'électricité aux consommateurs industriels ont baissé de 3 % entre 1998 et 2006 alors qu'ils ont augmenté de 6 % dans les pays ayant un GRT intégré à une entreprise énergétique.

* 19 Communication de la Commission au conseil et au Parlement européen - Perspectives du marché intérieur du gaz et de l'électricité - COM(2006) 841 final.

* 20 Enquête menée en vertu de l'article 17 du règlement (CE) n° 1/2003 sur les secteurs européens du gaz et de l'électricité - COM(2006) 851 final.

* 21 Traduction impropre d'un terme anglo-saxon : « generation », qui signifie « production ».

* 22 Commission staff working document accompanying the legislative package on the internal market for electricity and gas - Impact Assessment - SEC(2007) 1179.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page