5. L'émergence d'une troisième voie

Avant même la présentation officielle par la Commission européenne de ses propositions en matière de séparation patrimoniale, plusieurs Etats membres, au nombre desquels la France et l'Allemagne, avaient fait part de leur opposition à cette évolution imposée de la structure des entreprises énergétiques intégrées. Ainsi, le 27 juillet 2007, neuf ministres chargés de l'énergie 24 ( * ) faisaient part de leur opposition à ces propositions, dans une lettre adressée aux commissaires chargés de l'énergie et de la concurrence dans laquelle ils estimaient que la séparation patrimoniale ne constituait pas une solution adaptée pour résoudre les difficultés rencontrées pour la création d'un marché unifié de l'énergie en Europe. Dans cette lettre, les ministres réfutaient l'impact supposé positif sur le niveau des investissements et des prix de la séparation patrimoniale et mettaient en avant le fait que de telles dispositions affaibliraient la sécurité d'approvisionnement de l'Union et les capacités d'investissement des entreprises, en désavantageant ces dernières par rapport aux entreprises productrices de pays tiers, notamment dans le secteur du gaz. Relevant la nécessité de ne pas se focaliser sur une option unique, les neufs Etats membres appelaient à la recherche d'autres solutions permettant une séparation effective , conformément aux conclusions du Conseil européen du printemps 2007, s'appuyant par exemple sur une régulation appropriée .

Dans le droit fil de ces réflexions, les Etats membres se sont attachés à définir entre eux, dès le mois de novembre 2007, les modalités d'une troisième voie, ne relevant ni de la séparation patrimoniale, ni de l'ISO. Celles-ci ont été présentées à la Commission européenne le 29 janvier dernier par huit ministres chargés de l'énergie 25 ( * ) . Dans cette seconde lettre, les ministres détaillent les modalités de cette troisième voie dénommée « Effective and efficient unbundling - EEU ». Après avoir rappelé les motifs pour lesquels les huit Etats s'opposent à la séparation patrimoniale et considèrent que l'ISO ne constitue pas une alternative crédible, les ministres précisent que l'EEU s'appuierait sur deux piliers ayant respectivement trait à l'organisation et à la gouvernance des GRT ainsi qu'aux conditions de réalisation des investissements et de raccordement au réseau.

En ce qui concerne le premier pilier, cette proposition s'appuie tout d'abord sur la nécessité de constituer un GRT doté de l'intégralité des actifs de transport, des moyens humains appropriés et des ressources financières nécessaires pour effectuer les investissements, d'une marque et d'un nom différent de ceux de la maison mère. Pour garantir l'indépendance des dirigeants, les décisions concernant la nomination et toute cessation prématurée des fonctions du directeur général et des membres du directoire devraient être notifiées préalablement à l'autorité de régulation ou à une autorité publique, qui aurait un droit de veto. Les dirigeants ne pourraient détenir aucun intérêt, ni recevoir une quelconque indemnisation d'aucune branche de l'entreprise intégrée et leur rémunération ne pourrait dépendre des activités de cette entreprise. A l'issue de leur exercice de responsabilités au sein du GRT, les dirigeants ne pourraient participer à aucune structure de l'entreprise intégrée pour une période d'au moins trois ans. La proposition édicte également des règles relatives à la composition des conseils de surveillance ou d'administration du GRT et au contrôle exercé par cet organe sur le GRT. Le président du conseil ne pourrait tout d'abord, contrairement à la situation actuelle, participer aux activités de l'entreprise intégrée. Le conseil devrait quant à lui comporter des membres indépendants et leur nomination devrait être notifiée préalablement à l'autorité de régulation ou à l'autorité publique de contrôle. Enfin, les GRT auraient pour tâche d'élaborer des règles de déontologie, sous le contrôle des Etats membres, afin de garantir que toute pratique discriminatoire sera exclue. Le directeur général ou le directoire devra, à cet effet, nommer un agent chargé de suivre l'application de ces règles, d'élaborer un rapport annuel sur leur application et d'émettre des recommandations. Cet agent indépendant devra avoir accès à toutes les informations nécessaires à l'exercice de ses fonctions et assistera aux séances des conseils d'administration ou de surveillance portant sur l'accès au réseau, les projets d'investissements, les règles d'équilibrage et les achats d'énergie. Sa nomination ou sa révocation sera soumise à l'accord préalable du régulateur.

S'agissant du second pilier, les huit ministres de l'énergie proposent que les GRT élaborent, au moins tous les deux ans , un plan décennal de développement du réseau de transport . Ce plan devra indiquer les principales infrastructures devant être construites au cours des dix prochaines années, rappeler les investissements décidés et identifier de nouveaux investissements pour lesquels une décision de mise en oeuvre doit être prise dans les trois années suivantes. Le GRT devrait soumettre son projet de plan à un organisme national compétent -autorité de régulation, autorité publique ou trustee 26 ( * ) - lequel aurait pour mission de consulter de manière transparente les utilisateurs du réseau sur le projet. L'organisme aurait ensuite pour tâche de s'assurer que le plan couvre tous les besoins d'investissements identifiés dans la consultation et pourrait obliger le GRT à le modifier en conséquence. Dans le cas où un transporteur refuserait de procéder à un investissement spécifique identifié dans le plan comme devant être exécuté dans les trois années suivantes, l'organisme national compétent se verrait confier la possibilité de l'obliger à le réaliser en utilisant ses capacités financières ou de faire appel à un investisseur tiers à l'issue d'une procédure d'appel d'offre.

* 24 Autriche, Bulgarie, Chypre, France, Allemagne, Grèce, Lettonie, Luxembourg et Slovaquie.

* 25 Il s'agit des mêmes Etats qu'en juillet 2007, à l'exception de Chypre.

* 26 Concept juridico-économique anglo-saxon introduit dans le droit français par la loi n° 2007-211 du 19 février 2007 instituant la fiducie. L'équivalent du trustee serait alors le fiduciaire.

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