III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : UN DROIT D'ACCUEIL INCONTESTABLE DANS SON PRINCIPE, MAIS DONT LA MISE EN oeUVRE EFFECTIVE PEUT ENCORE ÊTRE AMÉLIORÉE

A. UN DROIT DONT LA CONSÉCRATION BIENVENUE NE MET PAS EN CAUSE LE DROIT DE GRÈVE DES ENSEIGNANTS

1. La consécration opportune d'un nouveau droit

a) La généralisation nécessaire du service d'accueil

Nul n'ignore les difficultés auxquelles sont confrontées les familles lorsqu'elles doivent trouver une solution de garde exceptionnelle pour leurs enfants. En cas d'absence non remplacée d'un enseignant ou de grève des professeurs, il leur en est en effet nécessaire de trouver, dans des délais souvent très courts, une personne ou une structure qui puisse les accueillir pendant la journée. Toutes les familles n'y parviennent pas de la même manière, ce qui crée des inégalités indiscutables.

Toutes n'ont en effet pas la chance de pouvoir s'appuyer sur les solidarités informelles qui, par l'effet des liens familiaux ou de voisinage, offrent les solutions de garde les plus pratiques et les plus simples.

De même, toutes n'ont pas les moyens nécessaires pour recourir à un service de garde payant offert par un particulier ou par une structure privée, lorsque leur commune n'offre pas de service gratuit ou à faible coût.

Enfin, toutes ne peuvent se permettre de prendre leur journée pour garder leurs enfants. Car, même lorsque l'employeur est prêt à l'accepter, de telles absences imprévues nourrissent l'impression que le parent en question n'est pas pleinement investi dans son travail.

A cet égard, votre rapporteur tient à rappeler combien les femmes sont encore souvent victimes des préjugés tenaces qui voient en elles des salariées potentiellement absentes pour des raisons familiales.

L'absence de service d'accueil contribue donc à entretenir les inégalités sociales, territoriales et sexuelles. C'est pourquoi la création d'un tel service offert gratuitement à toutes les familles dont les enfants sont scolarisés dans une école maternelle ou élémentaire publique apparaît comme un indiscutable progrès, que les récentes évolutions sociales rendent de plus en plus nécessaire, y compris en milieu rural.

Par ailleurs, il est légitime que ce service ne concerne que les élèves des écoles maternelles et élémentaires. En effet, les établissements du secondaire permettent plus facilement d'accueillir les élèves en cas d'absence d'un ou plusieurs professeurs. Au surplus, l'âge des enfants considéré leur permet le plus souvent de rester seuls si nécessaire une large partie de la journée.

b) Le remplacement doit rester la règle lorsqu'il est possible

Votre commission regrette toutefois que la formulation de l'article 2 du projet de loi puisse entretenir une certaine incertitude quant à la fonction exacte du service d'accueil. Celui-ci n'a en effet pas vocation à être proposé dès qu'un professeur est absent, mais seulement lorsque celui-ci ne peut être remplacé.

Le service d'accueil est en effet proposé à titre subsidiaire , il n'a pas vocation à se substituer au service d'enseignement à la moindre de ses défaillances ponctuelles.

Votre commission vous proposera donc un amendement rappelant que le service d'accueil n'a pas vocation à se substituer aux dispositifs de remplacement.

2. Un service d'accueil dont les modalités d'organisation ne restreignent pas le droit de grève des enseignants

a) Un dialogue social renforcé

L'existence du service d'accueil ne saurait dissimuler le fait qu'en cas d'absence non remplacée ou de grève des enseignants, le service d'enseignement n'est plus assuré. Les élèves pâtissent à l'évidence de ces interruptions, qui viennent non seulement les priver des apprentissages qui leur sont normalement offerts, mais qui perturbent également leurs habitudes et leur rythme, particulièrement fragile à cet âge.

C'est pourquoi votre commission se réjouit de voir l'institution du droit d'accueil s'accompagner d'un dispositif de prévention des conflits qui institue une négociation obligatoire avant tout dépôt de préavis de grève concernant les enseignants du premier degré.

Aux yeux de votre rapporteur, il s'agit d'un progrès significatif. Trop souvent, la grève est en effet dans notre pays le préalable qui permet aux organisations syndicales de négocier dans une position plus favorable. Il n'en va pas toujours ainsi à l'étranger, où la négociation se déroule en amont de la grève et permet le plus souvent de trouver un terrain d'entente sans avoir à cesser le travail. Les grèves sont donc plus rares, mais aussi plus efficaces, car chacun sait que lorsqu'un mouvement social se déclenche, c'est qu'un point essentiel est en jeu.

Instituer un dispositif de négociation préalable, c'est donc rendre tout son sens à la grève : celui du dernier recours légitime dont dispose tout salarié ou fonctionnaire pour faire valoir ses revendications.

Par ses effets, la cessation du travail est en effet un instrument d'une très grande force, si tant est que celle-ci ne s'émousse pas à force de répétition.

Si votre commission ne saurait en aucun cas porter une appréciation sur la légitimité des revendications des personnels enseignants, elle ne peut que constater le recours particulièrement fréquent à la grève dans l'éducation nationale.

NOMBRE DE JOURS DE GRÈVES AYANT DONNÉ LIEU À RETENUES SUR TRAITEMENT DANS L'ÉDUCATION NATIONALE (1998-2007)

Année

Nombre de jours de grèves
ayant donné lieu à retenues sur traitement

Dont dans le premier degré

1998

146 000

60 000

1999

189 000

94 000

2000

207 000

88 000

2001

262 000

107 000

2002

232 000

105 000

2003

2 882 000

1 291 000

2004

509 000

235 000

2005

680 000

265 000

2006

728 000

296 000

2007

296 000

88 500

Source : Ministère de l'éducation nationale

Cette fréquence est à tout le moins le signe d'une culture du dialogue social trop peu développée dans cette administration. En permettant aux organisations syndicales de négocier avec le ministre avant le dépôt de tout préavis, le projet de loi qui vous est soumis est indiscutablement favorable à l'épanouissement d'une telle culture.

b) Un dispositif conforme à la Constitution

Le dispositif prévu par le projet de loi est fortement inspiré de celui créé par les articles 2 et 5 de la loi n° 2007-1224 du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs.

Saisi à cette occasion, le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de déclarer conformes à la Constitution :

- l'organisation d'une procédure de négociation préalable valable pour une catégorie de salariés et de fonctionnaires, y compris en cas de mouvement social dépassant le seul cadre des agents concernés par cette procédure ;

- le principe d'une déclaration d'intention individuelle pour les salariés ou les fonctionnaires qui envisagent de faire grève, dès lors que cette déclaration ne concerne que ceux dont la présence conditionne directement l'offre de service, ce qui, à l'évidence, est bien le cas des professeurs dans l'enseignement primaire ;

- le renvoi à la négociation collective ou au décret de l'organisation pratique de la procédure de concertation obligatoire, dès lors que la loi l'encadre suffisamment.

Votre commission estime en conséquence que le dispositif proposé par le projet de loi ne saurait être regardé comme contraire à la Constitution. Il recherche au contraire un juste équilibre entre ces deux principes de valeur constitutionnelle que sont le droit de grève, d'une part, et la continuité du service public, d'autre part.

c) Une déclaration d'intention préalable qui ne doit pas prendre une forme stigmatisante

Votre commission comprend toutefois les réticences qu'éprouvent certains personnels enseignants à l'idée de devoir se déclarer directement auprès de leur supérieur hiérarchique. Même si l'article 6 du projet de loi apporte toutes les garanties objectives nécessaires sur l'utilisation qui sera faite des informations ainsi recueillies, il n'en demeure pas moins que la procédure est de nature à faire naître chez certains des craintes subjectives de « fichage » des grévistes.

Votre commission vous proposera donc un amendement issu d'un dialogue entre son rapporteur, le ministre de l'éducation nationale et la Confédération française du travail, qui permettra à ces modalités de déclaration d'évoluer grâce au dialogue social, sans remettre pour autant en cause le principe d'une information 48 heures à l'avance de l'autorité administrative.

Sans cette information, il serait en effet extrêmement difficile de mettre en place le service d'accueil. La retirer du projet de loi reviendrait donc à le vider de son sens.

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