N° 88

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2008-2009

Annexe au procès-verbal de la séance du 12 novembre 2008

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires culturelles (1)

- sur la proposition de loi de M. Yves DÉTRAIGNE Mme Nathalie GOULET, MM. Jean-Paul AMOUDRY, Claude BIWER, Marcel DENEUX, Mmes Anne-Marie PAYET, Françoise FÉRAT, M. Denis BADRÉ, Mme Muguette DINI et M. Hervé MAUREY, visant à encadrer la participation des communes au financement des écoles privées sous contrat d' association ;

- et la proposition de loi de MM. Jean-Claude CARLE, Yves DÉTRAIGNE, Jean-Paul ALDUY, Jean-Paul AMOUDRY, Gérard BAILLY, René BEAUMONT, Michel BÉCOT, Jacques BLANC, Mme Brigitte BOUT, MM. Elie BRUN, Auguste CAZALET, Gérard CÉSAR, Alain CHATILLON, Jean-Pierre CHAUVEAU, Christian COINTAT, Gérard CORNU, Marcel DENEUX, Mme Béatrice DESCAMPS, M. Michel DOUBLET, Mme Catherine DUMAS, MM. Ambroise DUPONT, Jean-Claude ETIENNE, Jean FAURE, Mme Françoise FÉRAT, MM. André FERRAND, Bernard FOURNIER, Yann GAILLARD, René GARREC, Mmes Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, Gisèle GAUTIER, MM. Jacques GAUTIER, Patrice GÉLARD, Mmes Colette GIUDICELLI, Nathalie GOULET, MM. Alain GOURNAC, Francis GRIGNON, Charles GUENÉ, Michel GUERRY, Mme Françoise HENNERON, M. Pierre HÉRISSON, Mmes Christiane HUMMEL, Christiane KAMMERMANN, MM. Marc LAMÉNIE, Daniel LAURENT, Jean-René LECERF, Dominique LECLERC, Jacques LEGENDRE, Jean-Pierre LELEUX, Philippe LEROY, Roland du LUART, Mme Lucienne MALOVRY, MM. Pierre MARTIN, Jean-François MAYET, Mme Colette MÉLOT, M. Philippe NACHBAR, Mmes Jacqueline PANIS, Anne-Marie PAYET, MM. Louis PINTON, Hugues PORTELLI, Mme Catherine PROCACCIA, MM. Charles REVET, Philippe RICHERT, Josselin de ROHAN, Mme Esther SITTLER, MM. André TRILLARD, Alain VASSELLE, Dominique de LEGGE, Philippe PAUL, Antoine LEFÈVRE, Hervé MAUREY, Michel HOUEL, Marcel-Pierre CLÉACH, Jean-Marc JUILHARD tendant à garantir la parité de financement entre les écoles primaires publiques et privées sous contrat d' association lorsqu'elle s accueillent des élèves scolarisés hors de leur commune de résidence .

Par M. Jean-Claude CARLE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Legendre , président ; MM. Ambroise Dupont, Michel Thiollière, Serge Lagauche, David Assouline, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Ivan Renar, Mme Colette Mélot, M. Jean-Pierre Plancade , vice-présidents ; M. Pierre Martin, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Christian Demuynck, Yannick Bodin, Mme Béatrice Descamps , secrétaires ; MM. Jean-Paul Amoudry, Jean-Pierre Bel, Claude Bérit-Débat, Mme Maryvonne Blondin, M. Pierre Bordier, Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Bruguière, M. Jean-Claude Carle, Mme Françoise Cartron, MM. Jean-Pierre Chauveau, Gérard Collomb, Yves Dauge, Claude Domeizel, Alain Dufaut, Mme Catherine Dumas, MM. Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Jean-Claude Etienne, Mme Françoise Férat, MM. Jean-Luc Fichet, Bernard Fournier, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Jean-François Humbert, Soibahadine Ibrahim Ramadani, Mlle Sophie Joissains, M. Philippe Labeyrie, Mmes Françoise Laborde, Françoise Laurent-Perrigot, M. Jean-Pierre Leleux, Mme Claudine Lepage, MM. Alain Le Vern, Jean-Jacques Lozach, Mme Lucienne Malovry, MM. Jean Louis Masson, Michel Mercier, Philippe Nachbar, Mme Monique Papon, MM. Daniel Percheron, Jack Ralite, Philippe Richert, René-Pierre Signé, Jean-François Voguet.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

19 et 20 rectifié (2008-2009)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Depuis son adoption, l'application de l'article 89 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales a pris les apparences d'un véritable feuilleton.

En venant remettre en question l'application du principe de parité pour le financement des écoles primaires, il a en effet réveillé l'un des points les plus sensibles de notre culture politique nationale.

C'est en effet autour du principe de parité qu'est venu se construire le consensus national qui a permis aux établissements publics et privés sous contrat de cohabiter sereinement.

A l'issue de nombreuses crises, la notion de parité est ainsi venue consacrer la possibilité pour le service public de l'éducation d'être mis en oeuvre non seulement par des établissements publics, mais également, dans les conditions fixées par la loi et par le contrat qui les unit à l'État, par des établissements privés.

Le fait même de la coexistence de deux écoles, publique et privée, qui contribuent chacune à sa manière à la réalisation des mêmes objectifs, fixés par la nation, est ainsi désormais accepté par l'immense majorité de nos concitoyens.

Rien ne le montre mieux que les motifs qui poussent nombre de familles à choisir l'enseignement sous contrat : si celui-ci demeure très majoritairement lié à une confession particulière, les familles qui y inscrivent leurs enfants le font désormais bien souvent pour d'autres raisons que leurs convictions religieuses ou philosophiques.

Ce fait même témoigne du succès de la loi n° 59-1557 du 31 décembre 1959 sur les relations entre l'État et les établissements, dite loi « Debré ». Son article 1 er , désormais codifié à l'article L. 442-1 du code de l'éducation, dispose en effet que « dans les établissements privés qui ont passé un des contrats prévus aux articles L. 442-5 et L. 442-12, l'enseignement placé sous le régime du contrat est soumis au contrôle de l'État. L'établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience. Tous les enfants sans distinction d'origine, d'opinion ou de croyances, y ont accès ».

La liberté de conscience des élèves a ainsi été pleinement respectée. C'est dans ce fait simple qu'il convient, aux yeux de votre rapporteur, de trouver l'une des sources principales de l'apaisement qu'a permis la loi dite « Debré ».

C'est pourquoi, malgré les débats qui ont entouré son application, votre rapporteur souhaite aborder l'examen de l'article 89 de la loi du 13 août 2004 dans la même atmosphère de sérénité que celle qui prévaut depuis l'adoption du texte fondateur du 31 décembre 1957.

Aborder la question du financement des écoles primaires privées, c'est affirmer la nécessité de respecter deux exigences aussi fondamentales l'une que l'autre :

- la liberté de l'enseignement doit être pleinement garantie , ce qui suppose que les conditions de financement des établissements sous contrat permettent l'exercice effectif de cette liberté ;

- la parité entre public et privé sous contrat doit être respectée , car c'est elle qui a permis aux deux formes d'enseignement de ne plus être rivales, mais complémentaires.

L'interprétation de l'article 89 de la loi du 13 août 2004 précitée retenue par les ministères concernés et appliquée dans l'immense majorité des cas permet de satisfaire à ces deux exigences.

Elle respecte en effet les équilibres fondamentaux qui régissent désormais la coexistence des écoles publiques et privées sous contrat.

Cela explique sans doute que, dans l'attente de voir tranché le contentieux qui les opposait, l'Association des maires de France et le Secrétariat général de l'enseignement catholique aient choisi de retenir cette interprétation.

Pour autant, tant que le moindre doute demeurera sur cette interprétation, celle-ci sera fragilisée, menaçant ainsi de fissurer le précieux consensus que votre rapporteur vient d'évoquer.

L'activité législative récente du Sénat en a témoigné, ces doutes conduisant le 6 février 2008 à l'examen et au rejet en séance publique de la proposition de loi (n° 106, 2007-2008) tendant à abroger l'article 89 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, présentée par M. Jean-Marc Todeschini et plusieurs de ses collègues du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

A cette occasion, votre rapporteur a constaté que les modalités d'application de la loi étaient satisfaisantes et qu'elles auraient tout à gagner à ne pas être troublées. C'est pourquoi avec nombre de ses collègues il a souhaité déposer la présente proposition de loi, qui tend à donner force de loi aux modalités d'application définies par le relevé de conclusions du 16 mai 2006.

Pour cela, il fallait toutefois prendre le temps nécessaire à une concertation approfondie, permettant de recueillir l'avis et, le cas échéant, l'accord de toutes les parties concernées.

Tel semble désormais être le cas. C'est pourquoi votre rapporteur vous propose d'inscrire dans la loi un nouveau régime de financement des classes élémentaires sous contrat par les communes de résidence .

Ce dernier respecte le principe de parité, en prévoyant qu'une commune aura à verser une contribution à une classe élémentaire sous contrat dans tous les cas où elle aurait dû la verser pour une classe publique. Mais il respecte également le libre choix de l'enseignement, en excluant tout accord à la scolarisation d'un élève dans le privé sous contrat.

Aux yeux de votre rapporteur, ces deux principes sont essentiels et ils doivent donc être systématiquement conciliés.

Tel est bien l'esprit de la présente proposition de loi qui, parce qu' elle consacre les équilibres fondamentaux de la loi dite « Debré » pourrait donc mettre fin aux polémiques stériles qui entourent l'application de l'article 89 de la loi du 13 août 2004, le sens exact de ce dernier ayant été bien souvent déformé.

De la clarification pourra ainsi naître à nouveau l'apaisement, qui seul permettra de traiter équitablement tous nos enfants, quelle que soit l'école qu'ils fréquentent.

I. À L'ORIGINE DE L'ARTICLE 89 DE LA LOI N° 2004-809 DU 13 AOÛT 2004 : LE SOUCI DE METTRE FIN À UN DÉSÉQUILIBRE PRÉOCCUPANT ENTRE ÉCOLES PRIMAIRES SOUS CONTRAT D'ASSOCIATION ET ÉCOLES PRIMAIRES PUBLIQUES

A. LES GRANDS ÉQUILIBRES ISSUS DE LA LOI N° 59-1557 DU 31 DÉCEMBRE 1959, DITE LOI DEBRÉ, ONT PERMIS L'APAISEMENT DES TENSIONS SCOLAIRES DANS LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE

1. Au coeur de la « question scolaire », les questions de financement

La naissance d'un véritable service public de l'éducation au XIX e siècle ne s'est pas faite sans heurts. En effet, à mesure que se construisait une école publique, laïque, gratuite et ouverte à tous, se posait la question du devenir des établissements privés qui avaient jusqu'ici accueilli un nombre important d'enfants et continuaient à le faire : avaient-ils vocation à disparaître ou était-il possible d'imaginer une cohabitation harmonieuse de deux systèmes d'enseignement, l'un privé, l'autre public ?

La prégnance de cette interrogation, que les historiens désignent sous le nom de « question scolaire », explique que le financement des établissements privés et publics ait pu longtemps être un sujet particulièrement délicat. Priver les institutions privées de subsides publics risquait de conduire à la disparition de nombre d'entre elles. Mais autoriser leur financement par les pouvoirs publics pouvait amener à une forme de confusion des établissements publics et privés, avec le double risque d'un affaiblissement des écoles publiques et d'une mise sous tutelle des établissements privés.

La complexité de la question, alliée aux vicissitudes politiques de l'époque, explique que deux régimes distincts aient progressivement émergé :

- s'agissant de l'enseignement primaire , l'article 2 de la loi du 30 octobre 1886, dite « loi Goblet », introduisit une distinction radicale entre établissements publics et privés : « les établissements d'enseignement primaire de tout ordre peuvent être publics, c'est-à-dire fondés par l'État, les départements et les communes, ou privés, c'est-à-dire fondés et entretenus par des particuliers ou des associations ». Cette disposition, en précisant que les établissements d'enseignement primaire privés étaient « fondés et entretenus » par des personnes privées ouvrit la voie à une jurisprudence particulièrement restrictive du Conseil d'État, qui en déduisit que les écoles primaires publiques pouvaient seules bénéficier de subsides publics, les écoles primaires privées étant intégralement financées par des fonds privés. 1 ( * ) Se trouva ainsi consacré le principe selon lequel : « à école publique, fonds publics, à école privée, fonds privés ».

- s'agissant de l'enseignement secondaire, les dispositions de l'article 69 de la loi du 15 mars 1850 sur l'enseignement, dite « loi Falloux », autorisaient les collectivités publiques à verser des subventions aux établissements d'enseignement secondaire privés, sous la seule réserve que le montant de cette contribution n'excède pas le dizième des dépenses annuelles de l'établissement. Le principe selon lequel « à école publique, fonds publics, à école privée, fonds privés » n'a donc jamais été applicable qu'aux seuls établissements d'enseignement primaire.

Ce double régime, qui n'a certes pas contribué à clarifier les rapports entre les collectivités publiques et les établissements privés, est demeuré en vigueur jusqu'à l'adoption de la loi n° 59-1557 du 30 décembre 1959 sur les rapports entre l'État et les établissements d'enseignement privé, dite loi Debré.

2. L'exigence d'équilibre, fondement de la loi Debré

L'adoption de la loi du 30 décembre 1959 marque un tournant dans l'histoire de la « question scolaire ». En effet, les tensions qui ont marqué cette dernière trouvaient leur origine dans la distinction de deux ordres d'enseignement, l'un public, l'autre privé, que tout semblait devoir séparer et opposer dans un contexte de définition progressive du principe de laïcité.

C'est à cette opposition, qui semblait jusqu'ici insurmontable, que met fin la loi Debré en substituant à l'opposition sommaire du « public » et du « privé » une nouvelle distinction structurée autour de trois branches :

- les établissements publics, fondés, entretenus et intégralement financés par les pouvoirs publics ;

- les établissements privés liés par contrat à l'État, qui reçoivent, pour l'exercice des missions d'enseignement visées par ce contrat et sous réserve de respecter les obligations que ce dernier prévoit, des financements des pouvoirs publics ;

- les établissements privés hors contrat, fondés, entretenus et financés par des personnes privées.

En introduisant la possibilité d'une contractualisation, la loi Debré permet de résoudre l'essentiel de la « question scolaire ». L'existence d'un tel contrat démontre en effet que les établissements privés peuvent, sous certaines conditions, participer à l'oeuvre publique d'enseignement tout en conservant leur singularité et doivent, à ce titre, bénéficier de financements publics .

L'antinomie apparemment insurmontable entre public et privé est ainsi dépassée, ouvrant la voie à une réorganisation du système de financement, proportionnée aux obligations auxquelles souscrivent les établissements privés liés par contrat à l'État :

- aux termes de l'alinéa 4 de l'article 1 er de la loi Debré, codifié à l'article L. 442-1 du code de l'éducation, tout établissement ayant passé contrat avec l'État doit « tout en conservant son caractère propre... donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience. Tous les enfants sans distinction d'origine, d'opinion ou de croyances, y ont accès ».

- les établissements ayant passé un contrat d'association à l'enseignement public doivent respecter les règles et les programmes en vigueur dans ce dernier. Les professeurs qui y enseignent sont ou bien des maîtres de l'enseignement public, ou bien des maîtres liés à l'État par contrat.

En retour, la rémunération de leurs enseignants est assurée par l'État et leurs dépenses de fonctionnement sont prises en charge par les collectivités territoriales dans les mêmes conditions que pour l'enseignement public.

- les établissements ayant passé un contrat simple, qui sont, pour l'essentiel, des établissements primaires, sont soumis à un contrôle pédagogique et financier de l'État, sans que ce dernier n'emporte l'identité des programmes et des règles appliquées. Les professeurs qui y enseignent sont liés à l'établissement par un contrat de droit privé.

En retour, la rémunération de leurs enseignants est assurée par l'État. Lorsqu'elles le souhaitent, les collectivités peuvent contribuer aux dépenses de l'établissement, dans les conditions prévues par le décret n° 60-390 du 22 avril 1960. 2 ( * )

L'esprit de la loi Debré est donc empreint d'équilibre : les établissements privés sous contrat sont soumis à des obligations qui garantissent qu'ils concourent aux politiques publiques d'éducation dans des conditions proches, voire comparables, aux établissements publics ; ils reçoivent en retour des financements modulés selon le niveau d'obligation auxquelles ils se soumettent et qui peuvent, dans le cas du contrat d'association, équivaloir à ceux que reçoivent les établissements publics. Ce souci d'équilibre atteint en effet son point d'aboutissement avec le contrat d'association, qui allie des obligations pédagogiques semblables à celle du public et des financements largement similaires.

En créant la possibilité pour les établissements privés de passer un contrat avec l'État, la loi Debré a permis d'apaiser les tensions scolaires qui traversaient la société française : école publique et école privée sous contrat ne sont plus radicalement différentes, mais concourent ensemble, chacune à leur manière, à la mise en oeuvre des politiques publiques d'éducation. La coexistence harmonieuse des « deux écoles » est donc désormais possible, autour d'un équilibre défini par le contrat.

* 1 Conseil d'État, 20 février 1891, Ville de Muret, Ville de Vitré et Ville de Nantes.

* 2 L'article 7 de ce dernier limite notamment le montant de ces contributions en prévoyant que les avantages consentis par les collectivités locales aux établissements liés par contrat simple à l'État ne peuvent être supérieurs à ceux que consentent ces mêmes collectivités dans le même domaine aux classes correspondantes des établissements publics du même ressort territorial.

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