IV. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : UN ÉQUILIBRE À RECHERCHER

1. La nécessité d'une connaissance améliorée et d'un diagnostic partagé sur la migration

La contractualisation de la question des migrations permet d'engager un dialogue nécessaire sur cette question.

Ce dialogue est encore très empreint d'approximations et de préjugés que la mise en oeuvre des Accords devrait permettre d'affronter sereinement.

2. Du « sur-mesure » qui ajoute à la complexité des dispositifs et dont l'impact reste « groupusculaire »

La forme, très solennelle, « la France s'engage », de l'accord avec le Sénégal contraste avec le fond qui reprend, pour l'essentiel, tout en les aménageant, des dispositifs existants.

Sur certains points, comme l'admission au séjour pour une première expérience professionnelle, le régime accordé au Sénégal apparaît moins favorable que le droit commun, tel qu'il résulte de la loi du 24 juillet 2006.

La multiplication des régimes spécifiques offre la perspective d'une gestion singulièrement complexe par les préfectures et les consulats, déjà confrontés à des dispositifs multiples, dont le passage « en régime de croisière », à l'exemple de la carte « compétences et talents », n'est toujours pas assuré.

Compte tenu de l'ampleur de la pression migratoire, la mise en oeuvre des différents dispositifs de dynamisation de la migration professionnelle ne correspond pas à l'ampleur des flux. Cette disproportion ne marque pas encore un changement réel d'orientation de la politique migratoire.

3. Une incertitude sur les conditions d'accueil et d'emploi en France

Le contexte de récession et de crise économique qui s'annonce pour notre pays, tout comme pour la majeure partie des Etats européens, fait peser une lourde hypothèque sur notre capacité à accueillir les migrants issus d'une relance de la migration de travail dans de bonnes conditions. Les capacités d'emploi et de logement que peut offrir notre pays se trouveront nécessairement affectées.

Pour les étudiants, le risque est comparable. L'Accord Sénégal prévoit que les étudiants, dont le dossier aura été instruit et validé par le centre pour les études en France, bénéficieront d'une recommandation pour l'attribution d'un logement en résidence universitaire en France.

Or on observe actuellement deux phénomènes s'agissant de l'accueil des étudiants africains en France : d'une part, les familles n'ont souvent plus les moyens financiers d'envoyer leurs enfants en France et privilégient des universités francophones du continent africain, comme les universités marocaines ; d'autre part, pour les familles dont les revenus sont plus élevés, les premiers cycles de l'université française sont peu attractifs et subissent pleinement la concurrence universitaire internationale, les étudiants se tournant vers les structures de pays qui ne sont pas forcément francophones. Dans les deux cas, c'est la qualité d'accueil de ces publics dans les universités françaises qui est en question.

4. Une insuffisante cohérence avec l'effort bilatéral d'aide publique au développement

La mise en oeuvre équilibrée des accords suppose de veiller à leur bonne cohérence avec l'effort bilatéral d'aide au développement que la France déploie en direction de chacun de ces pays.

Cette cohérence suppose une meilleure articulation avec les documents-cadres de partenariat qui définissent les secteurs de concentration de l'aide française.

A titre d'exemple, les trois secteurs de concentration de l'APD française au Bénin sont l'éducation, le développement rural et les infrastructures, alors que l'accord de gestion concertée des flux migratoires fait porter l'effort sur le secteur de la santé. La révision à mi-parcours des DCP devrait fournir l'occasion de cette mise en cohérence.

La cohérence est aussi liée à la crédibilité des soutiens financiers apportés.

L'article 7 de l'Accord Sénégal prévoit dans ces termes la mobilisation de ressources accrues : « Prenant en considération la priorité que le Sénégal assigne à la lutte contre la pauvreté et le chômage, la France et le Sénégal conviennent de renforcer leur partenariat dans ces domaines, notamment pour ouvrir aux jeunes Sénégalais de nouvelles perspectives d'emploi et les fixer au Sénégal par la mise en oeuvre de projets crédibles. Au titre de sa coopération avec le Sénégal, la France s'engage à allouer à ces objectifs des ressources accrues, dans des conditions qui seront définies d'un commun accord entre les deux parties ».

Les engagements prévus par différents accords de faciliter l'accès à des ressources multilatérales n'ont qu'une portée limitée.

La France n'est que le sixième bailleur bilatéral d'un pays comme le Bénin, pays francophone d'Afrique de l'Ouest aux bonnes performances démocratiques.

Or l'aide bilatérale française se contracte fortement en 2009, pour les Etats concernés par l'Accord, la programmation, prévisionnelle, du ministère des Affaires étrangères serait la suivante :

Pays

Enveloppe 2008 hors FSP

Enveloppe 2009 hors FSP

Evolution hors FSP 2008 / 2009

AE FSP 2009

CP FSP 2009

Total crédits CP 2009

Total crédits AE 2009

évolution FSP

2008/2009

TUNISIE

7 945 000

6 394 000

-19,5 %

194 700

6 588 700

6 394 000

-26,75 %

SENEGAL

3 100 000

2 778 000

-10,4 %

1 000 000

2 695 000

5 473 000

3 778 000

-31,59 %

CONGO

1 500 000

1 155 000

-23,0 %

600 000

1 755 000

1 155 000

-26,88 %

BENIN

1 200 000

1 075 000

-10,4 %

1 390 000

2 465 000

1 075 000

-17,83 %

Cette évolution à la baisse n'est pas compensée par une évolution des concours de l'Agence française de développement, à qui ont été transférés les secteurs sociaux. Votre rapporteur ne dispose pas de la programmation 2009 de l'AFD mais, sur les quatre dernières années, les versements manifestent la même tendance à la contraction.

Pays- année

ENGAGEMENTS (en M€)

VERSEMENTS (en M€)

pour compte propre

pour compte de tiers

total

pour compte propre

pour compte de tiers

total

SENEGAL

2005

19,6

19,6

17,2

2,2

19,4

2006

57,1

57,1

15,1

0,2

15,3

2007

80,3

80,3

24,1

0,1

24,2

2008

63,8

63,8

16,5

0,1

16,6

220,8

0,0

220,8

72,9

2,6

75,5

CONGO

2005

24,1

24,1

0,3

24,1

24,4

2006

2,2

2,2

0,4

0,4

2007

12,2

12,2

0,3

0,2

0,5

2008

1,5

1,5

1,1

0,2

1,3

15,9

24,1

40,0

1,7

24,9

26,6

BENIN

2005

27,0

1,7

28,7

3,6

1,6

5,2

2006

10,0

5,7

15,7

7,2

4,5

11,7

2007

8,9

4,5

13,4

6,6

0,3

6,9

2008

1,6

1,0

2,6

5,9

4,6

10,5

47,5

12,9

60,4

23,3

11,0

34,3

La capacité même du ministère de l'immigration à prendre de nouveaux engagements est fortement amoindrie par le projet de loi de finances pour 2009. Les autorisations d'engagement pour les actions bilatérales de développement solidaire sont ainsi réduites de près de 50 % entre 2008 et 2009, passant de 45 à 23 millions d'euros, la programmation 2009-2001 ne laissant pas préjuger d'une évolution favorable .

Enfin, dans un contexte de crise économique, la question sera certainement posée du mode de soutien aux migrants de retour ayant bénéficié d'une aide à la réinstallation et confrontés à des difficultés financières ou de croissance. Leur projet, qui relève souvent davantage de la réinsertion sociale que d'un calcul économique, risque d'être particulièrement exposé à une crise de croissance. C'est la crédibilité du dispositif qui risque d'être interrogée à cette occasion et il faudra certainement imaginer les modalités d'une prolongation ou d'un changement de cap du soutien qui leur est apporté.

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