III. LA PRÉSENTE PROPOSITION DE RÉSOLUTION CONSTITUE UNE INITIATIVE OPPORTUNE DANS LE CONTEXTE DE LA CRISE FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE

Quelques semaines avant les élections européennes du 7 juin 2009 et dans le contexte de la crise économique et financière, votre rapporteur considère que l'examen de cette proposition de résolution est opportun, afin de lancer au niveau national une réflexion sur la prise en compte sociale de la crise économique.

Les auteurs de la proposition de résolution, rappelant les demandes qui ont été précédemment adressées à la Commission, demandent que celle-ci prenne des initiatives en vue de conforter le statut des SIG, notamment par l'examen d'une directive-cadre et par la création d'un poste de commissaire européen chargé des services publics.

Votre commission adhère à l'objectif de renforcement des services d'intérêt général , mais estime que la directive-cadre n'est pas le seul outil envisageable et que la compétence « services publics » pourrait être attribuée à l'un des postes de commissaires existants.

A. LE RENFORCEMENT DES SERVICES D'INTÉRÊT GÉNÉRAL FAIT L'OBJET D'UNE DEMANDE CONSTANTE

• La proposition de résolution qui vous est soumise rappelle les fondements juridiques d'une législation sur les services d'intérêt général , déjà décrits précédemment :

- dans le droit en vigueur actuellement, l'article 16 du traité instituant la Communauté européenne 26 ( * ) ;

- parmi les traités dont la valeur juridique dépend de l'achèvement du processus de ratification du traité de Lisbonne : l'article 36 de la Charte des droits fondamentaux et l'article 14 du traité sur le fonctionnement de l'Union.

• La proposition de résolution signale également que le renforcement du statut des SIG, notamment par la voie législative, est une demande ancienne et répétée de la part d'institutions européennes comme françaises . Pour mémoire :

- la déclaration sur les SIEG du Conseil « Marché intérieur » du 28 septembre 2000 27 ( * ) a estimé que « dans nos économies ouvertes à la concurrence, les services d'intérêt économique général jouent un rôle irremplaçable pour assurer la compétitivité globale de l'économie européenne, rendue attractive par la qualité de ses infrastructures, le haut degré de formation des travailleurs, le renforcement et le développement des réseaux sur l'ensemble du territoire et pour accompagner les mutations en cours par le maintien de la cohésion sociale et territoriale ». Le Conseil a également estimé que « l'application des règles du marché intérieur et de la concurrence doit permettre aux services d'intérêt économique général d'exercer leurs missions dans des conditions de sécurité juridique et de viabilité économique qui assurent entre autres les principes d'égalité de traitement, de qualité et de continuité de ces services » ;

- le Conseil européen de Laeken des 14 et 15 décembre 2001 a encouragé la Commission « à établir un cadre d'orientation pour les aides d'État aux entreprises chargées de missions de services d'intérêt général » 28 ( * ) ;

- le Conseil européen de Barcelone des 15 et 16 mars 2002, dans une section intitulée « Des services publics de qualité », a souligné qu'« il importe, tant pour les citoyens qu'aux fins de la cohésion territoriale et sociale, de garantir l'accès aux services d'intérêt économique général » et a demandé à la Commission de « poursuivre son examen en vue de consolider et de préciser, dans une proposition de directive-cadre, les principes relatifs aux services d'intérêt économique général, qui sous-tendent l'article 16 du traité, dans le respect des spécificités des différents secteurs concernés et compte tenu des dispositions de l'article 86 du traité » 29 ( * ) ;

- le Sénat, par sa résolution n° 89 (2004-2005), adoptée le 23 mars 2005 sur un rapport de notre collègue Jean Bizet, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur, a appelé la Commission européenne « à formuler une proposition d'instrument juridique communautaire relatif aux services d'intérêt économique général » ;

- le Conseil économique et social, dans un rapport du 17 avril 2008 rédigé par M. Frédéric Pascal 30 ( * ) , a appelé à « réaffirmer solennellement l'importance des SSIG au sein de l'Union pour aboutir à l'élaboration d'un cadre juridique européen qui leur soit spécifique » et à « en fixer les étapes en adoptant un agenda européen précis pendant la présidence française de l'Union ».

B. CERTAINS « CONSIDÉRANTS » NE SEMBLENT AVOIR QU'UN FAIBLE LIEN AVEC L'OBJET DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

• Concernant la Présidence française de l'Union européenne, la présente proposition de résolution estime qu'elle « n'a pas retenu cette initiative comme un élément essentiel pour la défense d'une Europe sociale dont elle avait pourtant affirmé qu'elle devait être la priorité de l'année 2008 » et « regrette l'absence de proposition de directive-cadre sur les services d'intérêt général ».

Ces considérations laissent votre rapporteur perplexe :

- premièrement parce qu'il appartient à la Commission et non à la présidence de formuler des « propositions de directives », conformément à la procédure prévue par les traités 31 ( * ) , et qu'il est donc étrange de mettre la présidence du Conseil de l'Union européenne sur le même plan que la Commission ;

- deuxièmement parce qu'une résolution européenne du Sénat porte sur des documents émanant d'institutions européennes ; le Parlement dispose d'autres voies, d'ailleurs renforcées par la dernière réforme constitutionnelle, pour exprimer sa position relative à l'action du gouvernement, d'autant plus qu'il ne s'agit pas ici d'un document précis mais d'un « bilan ».

Sur le fond, votre rapporteur trouve injuste cette mise en cause de la présidence française , dont on a rappelé plus haut les actions en faveur des services d'intérêt général et notamment des services sociaux :

- l'organisation du deuxième forum sur les SSIG en Europe ;

- la constitution du groupe de travail dirigé par M. Michel Thierry sur la sécurisation juridique des SIEG et plus particulièrement des SSIG ;

- la tenue du conseil EPSCO de décembre 2008, qui a posé des jalons concrets pour la poursuite du développement des SSIG.

• La proposition de résolution fait valoir par ailleurs « l'insuffisance des mesures proposées par les États membres au nom de l'Union européenne pour répondre aux conséquences des crises économique et sociale qui frappent aujourd'hui de plein fouet les citoyens européens ».

Il apparaît ici encore à votre rapporteur que cette considération d'ordre général sur la politique menée par les États membres n'a guère sa place dans le cadre d'un texte dont l'objet est la stratégie politique de la Commission.

Votre rapporteur est toutefois sensible à l'objectif de prise en compte des conséquences de la crise.

Votre rapporteur vous proposera en conséquence deux amendements tendant à :

- supprimer ces deux alinéas relatifs à présidence française ;

- supprimer la mention relative aux mesures proposées par les États membres, tout en reprenant à l'alinéa suivant la considération relative à la nécessité de répondre aux conséquences de la crise.

C. LE STATUT DES SIG DEVRAIT ÊTRE RENFORCÉ PAR UN OUTIL JURIDIQUE ADAPTÉ ...

Votre rapporteur partage le souhait que la Commission européenne prenne des initiatives en vue de conforter le statut des services d'intérêt général.

Il considère toutefois excessivement réducteur de ne proposer que l'outil de la directive-cadre. Tout en étant sensible à l'argumentation développée par les auteurs, il estime qu'une autre solution permettrait d'aboutir aux mêmes objectifs avec plus d'efficacité.

1. Le recours à la directive-cadre pourrait-il donner une dimension politique à l'enjeu que constituent les services publics ?

La perspective de l'adoption d'une directive-cadre conduirait les pays européens à s'entendre sur une vision commune des services d'intérêt général, sans s'en remettre aux interprétations de la Commission européenne et à la jurisprudence de la Cour de justice européenne.

La France, par son expérience en la matière, peut être une force de proposition.

2. La directive-cadre sur l'ensemble des services d'intérêt général n'est sans doute pas le seul instrument juridique envisageable

Du point de vue des autorités publiques nationales et locales, comme de celui des opérateurs qui interviennent dans le champ des services sociaux, une législation européenne renforcerait la sécurité juridique de leur action, sans qu'il s'agisse nécessairement d'une directive-cadre.

On peut rappeler que, après l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le Parlement européen et le Conseil pourraient aménager l'encadrement des SIEG par le moyen du règlement selon la procédure législative ordinaire , conformément à l'article 14 du traité sur le fonctionnement de l'Union. Cette procédure présente certes quelques limitations, en raison du principe de subsidiarité qui fonde la définition de ces services.

Votre rapporteur considère par ailleurs que, à défaut d'une directive sur l'ensemble des services d'intérêt général, une directive consacrée aux services sociaux d'intérêt général serait un premier progrès . En effet, les SSIG :

- d'une part, ne sont pas couverts par des directives sectorielles et sont donc, plus que d'autres, soumis à l'évaluation par la Commission européenne et à la jurisprudence de la Cour de justice européenne, alors même que les acteurs concernés sont souvent moins bien armés sur le plan juridique ;

- d'autre part, ces services sont considérés comme économiques, et non économiques pour d'autres. Si les autorités publiques nationales peuvent en principe décider elles-mêmes de la nature économique ou non d'un service, ce choix se fait dans les limites d'une « erreur manifeste », dont l'évaluation par la Commission européenne a fait l'objet de divergences.

Il apparaît de plus que l'adoption par nos partenaires européens d'un texte sur les services sociaux ou sur certains d'entre eux serait plus facile et plus rapide à obtenir que celle d'une directive-cadre sur l'ensemble des services d'intérêt généraux.

Votre rapporteur souligne que la rédaction qu'il propose , favorable à un instrument juridique communautaire relatif aux services d'intérêt général, est proche de celle demandée par le Sénat le 23 mars 2005 32 ( * ) , tout en allant plus loin que celle-ci. Elle s'applique en effet à l'ensemble des services d'intérêt général et pas seulement aux services économiques.

Il vous propose deux amendements prenant en compte ces considérations dans les deux alinéas de la proposition de résolution qui :

- pour l'un, « regrette l'absence de proposition de directive-cadre sur les services d'intérêt général » ;

- pour l'autre, « demande l'inscription dans la stratégie politique la Commission européenne pour l'année 2009 de l'examen d'une directive-cadre sur les services d'intérêt général ».

3. Le recours à un instrument juridique suppose de préciser son contenu

Le recours à une directive-cadre ou à tout autre instrument juridique pourrait être contre-productif si la proposition faite par la Commission européenne allait dans un sens inacceptable pour la conception française du service public. Votre rapporteur partage l'interrogation de la mission Thierry : « le développement d'une politique des SIG au Conseil et au Parlement serait-il plus proche des conceptions françaises ? »

S'il est utile de prévoir un texte européen , en tout état de cause il faudra préciser également les principaux éléments de son contenu . Pour cette raison, un large débat devra s'ouvrir au niveau national et européen.

D. ... AINSI QUE PAR L'ATTRIBUTION D'UNE COMPÉTENCE « SERVICES PUBLICS » À UN COMMISSAIRE EUROPÉEN

La présente proposition de résolution demande en outre la création d'un poste de commissaire européen chargé des services publics .

Pour mémoire, les 27 postes de commissaires dans la Commission actuellement en place sont les suivants :

Président

Relations institutionnelles et stratégie de communication

Entreprise et industrie

Justice, liberté et sécurité

Administration, audit et lutte antifraude

Transport

Société de l'information et médias

Environnement

Affaires économiques et monétaires

Politique régionale

Affaires maritimes et pêche

Programmation financière et budget

Science et recherche

Éducation, formation, culture et jeunesse

Élargissement

Développement et aide humanitaire

Fiscalité et union douanière

Concurrence

Agriculture et développement rural

Relations extérieures et politique européenne de voisinage

Marché intérieur et services

Emploi, affaires sociales et égalité des chances

Énergie

Protection des consommateurs

Multilinguisme

Santé

Commerce

Votre rapporteur s'interroge sur cette proposition , qui n'a pas eu ces dernières années sur la scène européenne le même écho que la demande d'un meilleur encadrement juridique des services d'intérêt général.

La désignation d'un commissaire en charge des services d'intérêt général serait certes un signal fort du soutien accordé à ces services . La mention des SIEG dans les traités existants et des SIG dans le traité de Lisbonne justifie que la charge de garantir leur fonctionnement soit donnée explicitement à un membre de la Commission.

Cependant, comme l'a indiqué à votre rapporteur le Secrétariat général des affaires européennes, les règles relatives aux services d'intérêt général relèvent actuellement du secrétariat général de la Commission, ce qui a l'avantage de leur donner une portée transversale, au prix d'un manque de visibilité. Si la charge de garantir le fonctionnement des services d'intérêt général était confiée à un commissaire, il conviendrait donc de s'assurer qu'il la mettrait effectivement en oeuvre d'une manière efficace.

Par ailleurs, les règles du traité de Nice impliquent une diminution du nombre des commissaires européens , qui pourrait rendre plus difficile l'attribution de cette compétence à un seul commissaire.

L'évolution du nombre des commissaires européens

Comme le note M. Hubert Haenel dans son rapport sur les conséquences de la non-entrée en vigueur du traité de Lisbonne 33 ( * ) , les règles de désignation de la nouvelle Commission dépendent de l'achèvement ou non du processus de ratification du traité de Lisbonne par les États membres, ce qui rend la situation particulièrement incertaine.

Le traité de Lisbonne prévoit dans son article 17 que « la Commission nommée entre la date d'entrée en vigueur du traité de Lisbonne et le 31 octobre 2014 est composée d'un ressortissant de chaque État membre ». À partir du 1 er novembre 2014, le nombre des membres ne correspondra plus qu'aux deux tiers du nombre d'États membres, à moins que le Conseil européen, statuant à l'unanimité, ne décide de modifier ce nombre.

Or, en l'attente de son entrée en vigueur, le protocole sur l'élargissement de l'Union européenne, annexé au traité de Nice signé le 26 février 2001 et entré en vigueur le 1 er février 2003, prévoit dans son article 4 que, lorsque l'Union compte 27 Etats membres, « le nombre des membres de la Commission est inférieur au nombre d'États membres. Les membres de la Commission sont choisis sur la base d'une rotation égalitaire dont les modalités sont arrêtées par le Conseil, statuant à l'unanimité. Le nombre des membres de la Commission est fixé par le Conseil, statuant à l'unanimité. »

L'Union compte 27 membres depuis le 1 er janvier 2007, suite à l'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie. Cette règle devrait donc s'appliquer à la Commission européenne désignée cette année, une décision du Conseil devant décider le nombre exact des commissaires.

Compte tenu de ces considérations, il semble à votre rapporteur que la compétence « services publics » pourrait être utilement confiée à un commissaire déjà pourvu d'attributions particulières ; ce commissaire pourrait être celui chargé du marché intérieur et des services.

La mention explicite des SIG dans les attributions des commissaires aurait alors une portée symbolique mais aussi pratique , en donnant à ce commissaire la charge de vérifier concrètement, lors de la mise en oeuvre des règles relatives au marché intérieur, le respect des principes relatifs aux services d'intérêt général .

Il serait également intéressant, comme le propose la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale dans une proposition de résolution adoptée le 1 er avril dernier 34 ( * ) , que les parlementaires européens, lorsqu'ils procèdent aux auditons préalables au renouvellement de la Commission européenne, interrogent les candidats sur leur point de vue concernant les SIEG.

Votre rapporteur vous propose d'adopter un amendement tendant à ce que la compétence « services publics » soit attribuée à l'un des membres de la commission, sans exclure l'attribution d'autres compétences au même commissaire.

Votre rapporteur vous propose par ailleurs d'adopter, sur le texte de la proposition de résolution, un amendement de correction d'erreur matérielle et deux amendements de précision.

Au cours de sa réunion du jeudi 30 avril 2009, la commission des affaires économiques a adopté le rapport rectifié de M. Pierre Hérisson sur la proposition de résolution n° 57 rectifié (2008-2009) sur la communication de la Commission européenne sur sa stratégie politique annuelle pour 2009, et les huit amendements du rapporteur.

La commission n'ayant pas établi de texte, le débat en séance publique s'engagera, en application de l'article 42 du règlement, sur le texte de la proposition de résolution n° 57 rectifié.

* 26 Le texte de la proposition de résolution mentionne l'article 16 du traité par l'Union européenne, simple erreur de référence que votre rapporteur vous propose de corriger.

* 27 Déclaration annexée aux conclusions de la présidence du Conseil européen de Nice des 7, 8 et 9 décembre 2000.

* 28 Conseil européen de Laeken, 14 et 15 décembre 2001 , conclusions de la présidence.

* 29 Conseil européen de Barcelone, 15 et 16 mars 2002 , conclusions de la présidence.

* 30 « Quel cadre juridique européen pour les services sociaux d'intérêt général ? », avis du Conseil économique et social, présenté par M. Frédéric Pascal, rapporteur au nom de la section des affaires sociales, 17 avril 2008.

* 31 Voir notamment les articles 249 et suivants du Traité instituant la Communauté européenne.

* 32 Résolution n° 89 (2004-2005) , adoptée le 23 mars 2005 sur un rapport de notre collègue Jean Bizet.

* 33 Les conséquences de la non-entrée en vigueur du traité de Lisbonne , rapport n° 168 (2008-2009) de M. Hubert Haenel, fait au nom de la commission des affaires européennes, 14 janvier 2009.

* 34 Proposition de résolution de Mme Valérie Rosso-Debord, MM. Christophe Caresche, Pierre Forgues et Robert Lecou sur les services sociaux d'intérêt général, n° 1575, déposée le 1er avril 2009.

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