II. LE TITRE II PROMEUT UNE MEILLEURE APPROCHE TERRITORIALE DES SOINS

La nécessité d'une approche territoriale de la santé a été réaffirmée à l'occasion des états généraux de l'organisation de la santé (Egos), réunis de novembre 2007 à avril 2008, qui ont défini des orientations pour sa mise en oeuvre. Telles que traduites dans le projet de loi, celles-ci reposent sur l'implication des praticiens de santé ayant un exercice libéral. En effet, pour garantir le meilleur niveau de santé possible à l'ensemble de la population française, où qu'elle réside, la politique publique ne doit plus uniquement se fonder sur la création de structures hospitalières. Il est désormais nécessaire pour garantir l'accès de tous à des soins de qualité, de déterminer le mode le plus adapté d'organisation et de s'appuyer notamment sur une organisation renforcée des professions médicales.

A. LA CONCILIATION DES IMPÉRATIFS D'ACCESSIBILITÉ ET DE QUALITÉ DES SOINS

On estime que pour trouver un médecin, 2,6 millions de personnes connaissent de sérieuses difficultés d'ordre territorial et financier. La préoccupation première est donc d'améliorer l'accessibilité des soins, mais également de garantir la meilleure efficacité des pratiques professionnelles.

1. Une nécessaire mise en cohérence de l'accès territorial et de l'accès financier

a) L'ambiguïté de la notion de premier recours

L'idée d'une organisation territoriale des soins reposant sur une approche rationnelle de leur degré de difficulté technique date de l'entre-deux-guerres 5 ( * ) . Partiellement mise en oeuvre après la Seconde Guerre mondiale au Royaume-Uni où elle trouve son origine, cette idée a, depuis, été reprise et portée par l'organisation mondiale de la santé (OMS) 6 ( * ) qui l'a adoptée comme le modèle le plus efficace pour la construction d'un système de santé. Cette approche est nouvelle en France et fait son apparition légale avec ce projet de loi. L'offre territoriale de soins a jusqu'à récemment surtout été vue en termes d'implantation d'infrastructures hospitalières publiques, tandis que la médecine de ville, reposant sur la liberté d'installation des médecins, était appelée à s'autoréguler. La double exigence d'une rationalisation financière et d'une sécurité accrue des soins dispensés imposant une redéfinition des services rendus par les hôpitaux de proximité, c'est autour de la médecine de ville que s'est restructurée la vision publique de l'offre de soins sur l'ensemble du territoire.

Cette vision n'est pas dépourvue d'ambiguïté. Malgré les efforts d'unification menés par l'OMS, il n'existe pas moins de quatre-vingt douze définitions de soins de premier recours aux Etats-Unis et une approche qui varie selon les pays en Europe 7 ( * ) . Cette imprécision découle du fait que trois logiques potentiellement antagonistes doivent être prises en compte : logique territoriale, logique technique et logique financière. Elles ne sont qu'imparfaitement conciliées par le projet de loi.

Si l'on applique strictement les préconisations de l'OMS, l'organisation territoriale des soins en niveaux de recours est particulièrement directive. Sa logique est d'abord technique : deux ou trois niveaux de recours sont définis en fonction de la complexité des soins requis. Dans cette perspective, les soins de premier recours sont les soins usuels pour les pathologies légères dont le diagnostic est aisé, ils sont dispensés par les médecins généralistes. Les soins de second recours sont les soins qui ne peuvent être pris en charge par les médecins généralistes en raison de leur complexité : ils le sont alors par les médecins spécialistes. On distingue généralement un troisième niveau de soins qui se caractérisent par la nécessité du recours à un plateau technique important ou à une médecine de pointe : il s'agit là de soins hospitaliers. La logique territoriale, dans cette vision stricte, découle de la logique technique. On doit, dans chaque commune, avoir accès aux soins de premier recours, mais la gamme complète des soins spécialisés peut n'être présente que dans un ou plusieurs centres urbains et les soins hospitaliers de pointe accessibles uniquement dans les villes les plus importantes. Enfin, pour ce qui est de la logique financière, les soins de deuxième et de troisième recours ne sont que subsidiaires et leur remboursement est conditionné par leur prescription par le médecin de premier recours.

La France n'a pas fait ce choix d'organisation des soins. La réforme mise en oeuvre par la loi du 13 août 2004 8 ( * ) relative à l'assurance maladie a instauré un parcours de soin dont le respect conditionne le remboursement des actes par l'assurance maladie. Elle a créé la fonction de médecin traitant dans une perspective d'abord économique, avec pour but essentiel de limiter le coût lié au nomadisme médical. Ainsi, elle ne repose pas sur une approche en termes de complexité technique des soins, puisqu'elle n'a pas imposé le recours systématique à un médecin généraliste, un spécialiste pouvant être choisi comme référent. Par ailleurs, la réforme a préservé l'accès direct à un certain nombre de spécialités médicales et n'a aucunement affecté le recours aux soins hospitaliers. On ne peut donc considérer qu'ait été mise en place à cette époque une organisation des soins fondée sur des niveaux de recours.

Le présent projet de loi semble dirigé par une logique différente. Il est sans effet sur la question du remboursement des soins. Il définit les soins de premier recours comme étant l'ensemble des soins de qualité accessibles territorialement, ce qui en fait un simple constat empirique, et n'augmente en aucune façon les pouvoirs du médecin généraliste en matière de régulation des soins, cette mission demeurant à la charge du médecin traitant. Même si cette distinction a un impact pratique assez faible puisque 99,5 % des Français ont choisi un médecin généraliste comme médecin traitant 9 ( * ) , elle est source de confusions dans la mesure où la définition d'un médecin généraliste de premier recours pourrait être considérée comme une remise en cause de la possibilité de choix d'un spécialiste comme médecin référent ou de l'accès direct aux spécialistes (gynécologues, ophtalmologues, psychiatres, neurologues et neuropsychiatres) désignés par les partenaires conventionnels dans le cadre de la réforme de 2004 10 ( * ) .

Si elle n'apporte pas de réorganisation du système de soins, quel peut être l'intérêt d'une présentation territoriale des soins qui se juxtaposerait au système déjà en place, des modes de remboursement ? Trois réponses, qui ne s'excluent pas, sont envisageables. La première est de considérer qu'il s'agit d'une déclaration d'intention destinée à consacrer symboliquement la place du médecin généraliste de premier recours et son rôle essentiel dans le système de soins. La deuxième suppose que l'approche territoriale est définie pour servir de base à l'élaboration des schémas régionaux d'organisation des soins (Sros) confiée aux agences régionales de santé et qu'elle n'est appelée à devenir contraignante que si les Sros sont eux-mêmes opposables et la liberté d'installation des praticiens dirigée. La troisième réponse possible est que la garantie d'une accessibilité territoriale des soins est en soi un élément essentiel de l'organisation des soins et que son inscription dans la loi permettra sa prise en compte au même titre que les considérations de coût.

En raison de la consécration de la proximité comme élément d'organisation des soins et malgré la grande imprécision qui l'entoure, la définition du niveau de recours ne paraît pas inutile à votre commission.

b) Un accès moins difficile à la consultation

La mise en oeuvre d'une approche territoriale passe concrètement par l'accès à la consultation. Celui-ci dépend d'abord de la répartition géographiquement équilibrée des professions médicales, mais aussi de l'absence de discrimination dans l'accès aux soins de la part des praticiens.

La difficulté de prendre des mesures efficaces à court terme en matière de répartition démographique d'offre de soins a été soulignée par de nombreux rapports et notamment par l'observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS) 11 ( * ) . En effet, il apparaît que les déterminants de l'installation des médecins sur le territoire sont moins liés à des préoccupations financières qu'à un souhait global de qualité de vie et d'organisation de l'exercice professionnel, ainsi qu'à l'évolution démographique des professions médicales, et notamment la tendance à une féminisation accrue des praticiens.

Source Cnam, rapport 2006-2007, Etats généraux de l'organisation de la santé, 8 février 2008, Constats de l'observatoire national de la démographie des professions de santé

S'appuyant sur le constat dressé lors des Egos, le projet de loi propose une action en deux temps pour rééquilibrer la démographie médicale. Le premier temps est celui de l'incitation . Il s'agit d'encourager l'implantation vers les zones sous-dotées dès les études, au moment où s'effectuent les orientations de carrière et où les choix de vie sont encore ouverts. Dès avant l'internat, les étudiants qui le souhaitent pourront donc signer un contrat d'engagement à s'implanter pendant une durée définie dans une zone à faible démographie médicale, en contrepartie d'une allocation mensuelle. Par ailleurs, les postes d'internat seront désormais régionalisés en raison du lien qui existe, semble-t-il, entre le lieu de formation du futur médecin et celui où il choisit de s'installer par la suite. Si elles ne devaient pas produire d'effets au bout de trois ans, ces mesures seraient complétées par un dispositif contraignant prévoyant l'intervention des médecins installés dans les zones sur-dotées pour dispenser des soins dans les zones sous-dotées ou, à défaut, l'acquittement d'une taxe. Par leur ampleur, les mesures contraignantes envisagées ne peuvent que poser la question du caractère opposable à terme du Sros et de la limitation de la liberté d'implantation. Pareil changement reviendrait sur le fondement historique du développement de la médecine de ville en France 12 ( * ) . Dans l'hypothèse où il interviendrait, il ne pourrait être simplement imposé et supposerait une concertation avec les professionnels concernés et l'assurance maladie.

Quel que soit le nombre de médecins théoriquement disponibles, l'accès aux soins dépend également de leur disponibilité réelle à l'égard des patients, en particulier au travers de la permanence des soins. La suppression de l'obligation de garde, remplacée depuis 2003 par l'organisation d'une permanence des soins sur la base du volontariat 13 ( * ) , a de fait transféré une part importante de la charge de la permanence de la médecine de ville vers les services d'urgence des hôpitaux. Ainsi, au centre hospitalier universitaire régional de Montpellier par exemple, plus de 30 % des arrivées ne relèvent en réalité pas du « service accueil urgences » ce qui prolonge le temps d'attente pour l'ensemble des patients. S'il paraît aujourd'hui impossible de revenir à une obligation pure et simple, une meilleure régulation reposant sur la participation des médecins libéraux doit être organisée. Ceci suppose une régulation téléphonique unique des appels, consacrée par le texte. Votre commission a également souhaité mettre en place une meilleure prise en charge du système de responsabilité des médecins participant à la permanence des soins.

Au-delà de ce premier accès, la permanence des soins concerne aussi la continuité des soins , par exemple la possibilité pour les malades de faire renouveler, hors cas d'urgence, une prescription en ville. Toutefois, il apparait qu'une simple amélioration du système d'information des ordres départementaux et des patients sur le professionnel chargé de remplacer le médecin traitant en cas d'absence est de nature à résoudre les difficultés actuelles sans nécessiter un quelconque recours à la contrainte.

Il convient également de lutter contre les discriminations dont peuvent être victimes les malades. Outre les différents refus de soins qui tombent déjà sous le coup de l'article 225-1 du code pénal, des discriminations économiques spécifiques ont été constatées à l'égard de la couverture maladie universelle (CMU), de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-c) et de l'aide médicale d'Etat (AME), qui totalisent plus de 4,8 millions de bénéficiaires. Ce constat a été dressé par « certaines » associations 14 ( * ) qui ont mené des pratiques dites de « testing », ainsi que par le rapport remis par Jean-François Chadelat au ministre de la santé en 2006 15 ( * ) . Tout en signalant la difficulté de mesurer l'ampleur du refus de soins, ce rapport soulignait que : « Médecins du Monde, Que choisir, la Drees, arrivent aux mêmes constatations : toutes catégories confondues, environ 15 % des professionnels de santé n'acceptaient pas les bénéficiaires de la CMU, du seul fait qu'ils étaient titulaires de la CMU ». Depuis la revalorisation des actes dans le domaine de la chirurgie dentaire, on ne peut plus arguer que le refus de soins est fondé sur une contrainte financière disproportionnée qui pèserait sur les professionnels. De telles pratiques n'ont donc aucune justification et une répression efficace doit y mettre fin. C'est ce qui est envisagé par le projet de loi au travers de la participation des caisses locales d'assurance maladie à l'instruction des plaintes et par la possibilité pour elles de prononcer des sanctions.

La prise en compte de la proximité comme élément de l'organisation des soins est importante pour assurer l'équilibre territorial en matière de santé. Mais elle ne peut être considérée comme l'unique critère de jugement. D'abord, il faut appréhender la proximité non en termes de distance mais en termes de temps de parcours. Mais surtout, c'est la qualité, donc l'efficacité et la sécurité des soins dispensés, qui doit être déterminante. Les soins de base, dont le contenu reste d'ailleurs à définir, doivent certes être physiquement proches, mais pour les soins plus complexes, il est plus important d'être bien soigné, fut-ce au prix d'un éloignement géographique, que de l'être à proximité de son lieu de résidence, mais dans des conditions moins satisfaisantes. Cette garantie de la qualité des soins passe par l'amélioration des pratiques professionnelles.

* 5 Rapport du conseil consultatif présidé par Lord Bertrand Dawson, Interim report on the futur provision of medical allied services, Londres, 1920.

* 6 Déclaration à l'issue de la Conférence internationale sur les soins de santé primaires d'Alma - Ata , le 12 septembre 1978.

* 7 Dr Rifat Atun, What are the advantages and disadvantages of restructuring a health care system to be more focused on primary care services ?, OMS, janvier 2004, p. 6.

* 8 Loi n° 2004-810.

* 9 « Le médecin traitant, adopté par la majorité des Français, favorise la prévention », assurance maladie, 22 janvier 2009.

* 10 « Réforme de l'assurance maladie : les nouveaux outils de la régulation », rapport d'information d'Alain Vasselle, n° 11, 2005-2006, p. 12.

* 11 Rapport annuel 2006-2007, juin 2008, p. 51 et suivantes.

* 12 Didier Tabuteau, «L'avenir de la médecine libérale et le spectre de Monsieur Bovary », Droit social, n° 678, 4 avril 2009.

* 13 Article 40 de la loi n° 2002-1487 du 20 décembre 2002 de financement de la sécurité sociale pour 2003 et décret n° 2003-880 du 15 septembre 2003 relatif aux modalités d'organisation de la permanence des soins et aux conditions de participation des médecins à cette permanence et modifiant le code de la santé publique, modifié par les décrets n° 2005-328 du 7 avril 2005 et n° 2006-1686 du 22 décembre 2006.

* 14 Fiche pratique du collectif interassociatif sur la santé, n°8, 2008.

* 15 « Les refus de soins aux bénéficiaires de la CMU » - 30 novembre 2006.

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