III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : CONFORTER LA DÉMARCHE DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN PERMETTANT L'APPLICATION RAPIDE DES DISPOSITIONS DE LA PROPOSITION DE LOI

L'opportunité d'inscrire explicitement la notion d'inceste dans le code pénal fait l'objet d'avis contrastés parmi les professionnels de l'enfance.

De l'avis de tous, notre législation permet d'ores et déjà de réprimer sévèrement les auteurs de violences sexuelles incestueuses. Les magistrats entendus par votre rapporteur se sont tous déclarés défavorables aux dispositions de la proposition de loi visant à inscrire l'inceste dans le code pénal et à définir les auteurs d'actes incestueux, faisant valoir que de telles dispositions risqueraient d'introduire une forte insécurité juridique dans un système qui a fait la preuve de son efficacité. Dans un avis daté du 17 juin 2005, Mme Claire Brisset, ancienne Défenseure des enfants, s'était elle aussi prononcée contre une inscription explicite de l'inceste dans le code pénal, au motif que de telles dispositions risqueraient de brouiller le cadre juridique des poursuites sans pour autant donner de garanties d'amélioration de la situation de l'enfant.

Néanmoins, après avoir procédé à un certain nombre d'auditions, votre rapporteur a été convaincu de la nécessité d'inscrire explicitement la notion d'inceste dans le code pénal, tout en conservant le système actuel qui consiste à en faire une circonstance aggravante des infractions de viol, agressions sexuelles et atteintes sexuelles sur mineur, et non une infraction spécifique.

En effet, le contexte dans lequel se déroulent les violences incestueuses est toujours un contexte empreint de déni, de silence, de rejet de l'enfant accusateur. Certains agresseurs prétendent même, pour leur défense, avoir été séduits, voire même provoqués, par l'enfant qu'ils ont abusé pendant des années. Dans ce contexte de violence très particulier, la notion de « viol par ascendant ou personne ayant autorité » apparaît particulièrement obscure pour les victimes, qui ignorent parfois, jusqu'à ce qu'elles parviennent à obtenir de l'aide, qu'elles ont la possibilité de porter plainte contre leur agresseur. Comme l'a expliqué le docteur Patrick Ayoun à votre rapporteur, l'inscription de la notion d'inceste dans le code pénal permettrait de combattre le déni qui accompagne toujours la révélation de ces violences.

Néanmoins, il est apparu à votre commission que la définition retenue dans la proposition de loi des auteurs d'actes incestueux risquait de susciter un certain nombre de difficultés :

§ Tout d'abord, comme l'ont souligné un grand nombre de personnes entendues, l'énumération proposée par la proposition de loi est particulièrement rigide. En envisageant la cellule familiale à partir des liens de filiation et d'alliance, et non à partir des liens affectifs et de confiance tissés autour de l'enfant, la proposition de loi crée le risque, dans ses dispositions actuelles, d'inclure dans l'inceste un certain nombre de situations qui n'en relèvent pas de façon évidente, et au contraire d'exclure des situations dans lesquelles l'inceste est pourtant manifeste. A titre d'exemple, pourraient être désormais qualifiées d'atteintes sexuelles incestueuses les relations qu'un adolescent pourrait avoir avec la concubine de son père ou de son oncle. En revanche, la situation des « quasi-fratries » n'est pas envisagée par la proposition de loi, si bien qu'un viol commis sur un enfant par le fils de son beau-père ou de sa belle-mère ne serait pas qualifié d'incestueux.

§ En outre, la déclinaison des auteurs d'actes incestueux figurant dans la proposition de loi crée, par rapport à l'état du droit, un changement de périmètre qui risque de susciter pendant des années, compte-tenu des dispositions dérogatoires existant en matière de prescription, des difficultés de droit transitoire particulièrement inopportunes. En effet, les dispositions de la proposition de loi concernant les personnes que la jurisprudence ne considère pas aujourd'hui comme relevant de la catégorie de l' « ascendant ou toute autre personne ayant autorité sur la victime » (un oncle éloigné par exemple) ne pourraient s'appliquer, compte tenu de leur caractère plus sévère, qu'à partir de l'entrée en vigueur du texte. Les juridictions seraient donc amenées à examiner d'abord si l'auteur des faits relevait, sous l'empire du droit antérieur, de la catégorie « ascendant ou toute autre personne ayant autorité sur la victime » avant de déterminer si la nouvelle circonstance aggravante d'inceste créée par l'article 2 de la proposition de loi peut, ou non, s'appliquer, compte tenu de la date de commission des faits.

Ces considérations ont convaincu votre commission de la nécessité d'apporter au texte adopté par l'Assemblée nationale un certain nombre de modifications qui devraient répondre à ces objections et permettre à la proposition de loi de s'appliquer immédiatement :

§ tout d'abord, votre commission a souhaité que les auteurs d'actes incestueux ne soient pas énumérés de façon stricte dans la loi. En effet, en matière de violences sexuelles incestueuses, la confiance et l'affection abusée de l'enfant importe au moins autant que la filiation stricte. Dès lors, il est apparu indispensable à votre commission que la cellule familiale soit envisagée avant tout comme la cellule affective dans laquelle évolue l'enfant et qu'une liberté d'appréciation soit laissée aux juges afin de leur permettre de s'adapter à l'ensemble des configurations familiales auxquelles ils pourraient être confrontés ;

§ en outre, il est apparu tout aussi nécessaire à votre commission de conserver l'état du droit applicable à l'heure actuelle, afin que la définition de l'inceste qui serait désormais inscrite dans le code pénal puisse être utilisée immédiatement par les juges dans les affaires en cours.

Pour ces deux raisons, la commission a modifié le texte adopté par l'Assemblée nationale afin d'indiquer que les viols, les agressions sexuelles et les atteintes sexuelles sont qualifiés d'incestueux « lorsqu'ils sont commis au sein de la famille sur la personne d'un mineur par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ».

Par ailleurs, votre commission n'a pas souhaité retenir les dispositions figurant à l'article 2 de la proposition de loi et créant une nouvelle circonstance aggravante d'inceste. En effet, ce dispositif ne prendrait plus en compte en tant que circonstance aggravante les faits de violence commis au sein de la famille sur une victime majeure.

C'est la raison pour laquelle votre commission a souhaité, sous réserve de quelques modifications de nature rédactionnelle, conserver les dispositions actuelles aggravant les violences lorsqu'elles sont commises par un ascendant ou une personne ayant autorité, et faire de l'inceste une qualification supplémentaire qui viendrait se superposer aux qualifications existantes. Les juridictions, appelées à se prononcer sur des violences sexuelles commises par un ascendant ou une personne ayant autorité sur la victime, pourraient dans ces conditions retenir immédiatement, dans les affaires en cours, la qualification d'inceste lorsque ces violences ont été commises au sein de la famille.

Votre commission considère qu'un tel dispositif répondrait pleinement aux deux objectifs de cette proposition de loi qui sont, d'une part, de reconnaître explicitement le caractère incestueux des violences sexuelles qu'ont subies les victimes, et, d'autre part, de permettre l'application immédiate de ces dispositions sans poser de problème de droit transitoire.

En outre, cette « surqualification » étant d'application immédiate, le ministère de la Justice sera rapidement en mesure d'établir -enfin- des statistiques fines permettant de rendre compte de l'ampleur de l'inceste en France et du profil des victimes et des agresseurs. L'élaboration de ces statistiques permettra ensuite à l'ensemble des pouvoirs publics (Etat mais également conseils généraux en charge de la protection de l'enfance) de mettre en oeuvre une politique volontariste de prise en charge des victimes.

Au-delà de ces dispositions relatives à l'inscription de la notion d'inceste dans le code pénal, l'attention de votre rapporteur a été attirée sur les effets indésirables que pourrait entraîner la disposition figurant à l'article 6 bis et prévoyant le caractère systématique de la désignation d'un administrateur ad hoc en cas d'inceste. Il apparaît en effet que dans certaines situations d'inceste, l'un des parents, voire même les deux (lorsque les violences sont le fait d'un oncle ou d'un grand-père par exemple), demeurent aptes à assurer la protection de l'enfant victime. Dans de pareilles situations, la désignation de l'administrateur ad hoc pourrait être mal ressentie, et à juste titre, par les parents comme par l'enfant victime. Aussi votre commission a-t-elle souhaité tempérer le caractère obligatoire d'une telle désignation, en prévoyant que le juge peut y déroger à condition de motiver sa décision.

Enfin, votre commission a souhaité apporter au texte un certain nombre de modifications rédactionnelles. Le titre de la proposition de loi (« proposition de loi tendant à identifier, prévenir, détecter et lutter contre l'inceste sur les mineurs et améliorer l'accompagnement médical et social des victimes ») lui paraissant difficilement lisible du fait de son caractère trop exhaustif, votre commission lui a substitué le titre de « proposition de loi tendant à inscrire l'inceste dans le code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d'actes incestueux ». Des améliorations rédactionnelles ont été apportées à la définition de la contrainte figurant à l'article 1 er de la proposition de loi. Par coordination avec les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale et le Sénat dans le cadre du projet de loi « hôpital, patients, santé, territoires », une disposition de l'article 4 a été supprimée. La date de remise du rapport du Gouvernement au Parlement sur les dispositifs de prise en charge des victimes d'inceste a été reportée de six mois pour tenir compte des délais d'examen de la présente proposition de loi. Enfin, un article additionnel a été ajouté afin de permettre l'application du texte dans les collectivités d'outre-mer.

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La commission a adopté le texte de la proposition de loi ainsi rédigée.

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