B. CLARIFIER LA NATURE DES INDEMNISATIONS VERSÉES

La nature des indemnités versées par la branche doit également être clarifiée afin de remédier aux divergences jurisprudentielles et de permettre le meilleur niveau d'indemnisation.

1. Faut-il fiscaliser les indemnités journalières ?

L'idée de soumettre à l'impôt sur le revenu les indemnités journalières perçues au titre d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle repose sur une analogie que l'on peut qualifier de trompeuse car le régime applicable aux indemnités servies par l'assurance maladie ne peut être de la même nature que celui applicable aux sommes versées par la branche AT-MP.

L'assurance maladie indemnise un risque social, sans faute imputable, et a pour but de maintenir un niveau de revenu jusqu'à la guérison et le retour à un emploi rémunéré. La branche AT-MP a été créée pour rembourser un préjudice dont la responsabilité est présumée imputable à l'employeur. C'est la garantie d'une indemnisation sans recours à une procédure contentieuse qui justifie son caractère forfaitaire. Dès lors, en cas de faute inexcusable de l'employeur ou de responsabilité d'un tiers, leur responsabilité civile peut être recherchée pour obtenir une réparation intégrale.

Or, l'article 885 K du code général des impôts dispose que : « La valeur de capitalisation des rentes ou indemnités perçues en réparation de dommages corporels liés à un accident ou à une maladie est exclue du patrimoine des personnes bénéficiaires ou, en cas de transmission à titre gratuit par décès, du patrimoine du conjoint survivant. » . Il paraît donc contraire à la nature des indemnités versées au titre de la branche AT-MP qu'elles soient soumises à l'impôt sur le revenu, à l'inverse des autres prestations de sécurité sociale. Adopter une autre solution reviendrait à créer une inégalité entre personnes victimes d'un même préjudice, par exemple lors d'un trajet, selon qu'il s'agira d'un accident du travail ou non. Amoindrir les indemnités servies au titre de la branche AT-MP aboutira donc nécessairement à augmenter le recours au contentieux, ce qui est contraire à l'intérêt tant des employeurs que des victimes, et donc à l'objectif fondamental poursuivi par la loi de 1898. Les mesures destinées à permettre l'équilibre des finances publiques, pourtant essentielles, doivent donc faire l'objet d'une analyse précise et nuancée.

2. Comment mettre fin à une divergence jurisprudentielle ?

Une divergence de jurisprudence entre le Conseil d'Etat et la Cour de Cassation est par ailleurs apparue à la suite des arrêts pris par cette dernière en mai et juin 2009 dans des litiges où un tiers était responsable, en totalité ou partiellement, du dommage survenu à l'occasion du travail.

Conformément à la loi du 9 avril 1898, la présomption de responsabilité de l'employeur entraîne l'indemnisation de la victime par la branche AT-MP. Toutefois, la victime peut se retourner contre le tiers responsable pour obtenir la réparation intégrale, et non plus forfaitaire, du préjudice qu'elle a subi. La caisse exerce alors un recours dit subrogatoire qui lui permet d'obtenir le remboursement des sommes qu'elle a versées ainsi que du capital constitué pour la rente. Ces recours subrogatoires constituent une recette d'environ 400 millions d'euros chaque année pour la caisse.

La divergence de position entre les deux juridictions porte sur l'assiette du recours subrogatoire de la caisse , c'est-à-dire sur la partie de l'indemnité due par le tiers sur laquelle elle peut faire valoir son droit à remboursement. Cette divergence pose à la fois un problème pratique et une question de principe. Concrètement, il s'agit de savoir quelle doit être la répartition, entre la caisse et la victime, des indemnités obtenues après recours contentieux contre un tiers responsable. Cette divergence de jurisprudence pose la question fondamentale de savoir ce qu'indemnise la branche AT-MP ?

Le législateur a déjà donné des éléments de réponse en prévoyant à l'article 25, paragraphe III, de la loi de finances pour 2007 que :

« Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel.

« Conformément à l'article 1252 du code civil, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l'indemnisation, lorsqu'elle n'a été prise en charge que partiellement par les prestations sociales ; en ce cas, l'assuré social peut exercer ses droits contre le responsable, par préférence à la caisse subrogée.

« Cependant, si le tiers payeur établit qu'il a effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un poste de préjudice personnel, son recours peut s'exercer sur ce poste de préjudice. »

Il en découle que les indemnités versées par la caisse doivent d'abord indemniser le préjudice dit patrimonial ou professionnel , c'est-à-dire la perte de revenus causée par l'accident ou la maladie. La Cour de Cassation, dans plusieurs avis contentieux du 29 octobre 2007, et le Conseil d'Etat, dans son arrêt du 5 mars 2008 6 ( * ) , excluaient donc logiquement l'indemnisation du « déficit fonctionnel permanent », qui constitue un préjudice personnel, des sommes susceptibles d'être récupérées par les caisses, sauf pour elles à apporter la preuve des sommes versées. Comme l'indiquait le commissaire du gouvernement dans ses conclusions 7 ( * ) : « Pour les victimes, un tel système est aussi plus juste, dès lors que les sommes accordées au titre du préjudice personnel sont protégées, sanctuarisées en quelque sorte, sauf preuve du contraire » .

Or, plusieurs arrêts de la chambre criminelle 8 ( * ) et de la deuxième chambre civile 9 ( * ) de la Cour de Cassation ont récemment remis en cause cette analyse commune en affirmant que les caisses peuvent récupérer les sommes allouées au titre de l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent . On peut légitimement qualifier cette position nouvelle de particulièrement créative, pour ne pas dire contraire à la loi, car il en ressort que la preuve des sommes versées au titre du préjudice personnel est présumée en l'absence de préjudice professionnel . Cette opinion semble fondée sur des considérations pratiques. Elle a pour but d'assurer le remboursement aux caisses des sommes qu'elles ont engagées, y compris le capital constitué pour la rente, et non les seules sommes déjà versées. En effet, il paraît contraire à la justice qu'une victime puisse percevoir deux fois l'indemnisation d'un même préjudice, au travers de la rente servie par la caisse et au titre de l'indemnisation fixée par le juge. Si les caisses indemnisent le préjudice personnel, il faut donc qu'elles puissent récupérer les sommes en cause auprès du tiers responsable. L'enjeu financier est, on le comprend, particulièrement important. Mais ces considérations posent un problème de principe.

En effet, on peut se demander si les caisses sont fondées à indemniser le préjudice personnel de la victime, comme elles affirment l'être, et si oui sur quel fondement. Le risque est de voir une indemnisation du préjudice personnel différente selon les espèces et que le degré d'indemnisation du préjudice personnel varie selon des critères mal définis.

A l'inverse, si l'indemnisation forfaitaire ne compense qu'une partie du préjudice, on voit mal pourquoi la victime serait privée d'un recours pour la totalité de son préjudice même dans les cas où l'employeur est seul responsable. Si la caisse ne rembourse pas le préjudice personnel, celui-ci risque de ne pas être remboursé, ce qui semblerait pouvoir ouvrir une nouvelle voie contentieuse, remettant en cause l'équilibre trouvé en 1898. La question de ce que doivent indemniser les caisses, posée depuis près de vingt-ans 10 ( * ) , reste donc à trancher. On peut espérer que le programme 9 de la nouvelle Cog qui est destiné à la rénovation du dispositif de réparation de l'incapacité permanente permettra de clarifier la position de la branche sur ce sujet.

Le caractère complexe de ces questions empêche de proposer des solutions simples et rapides. Votre commission souhaite donc engager une réflexion sur ce thème afin de clarifier le régime juridique des indemnisations et donc leur nature.

* 6 N° 272447, concl. Thiellay.

* 7 AJDA 2008, p. 941.

* 8 n° 08-82.666, 08-86.050 et 08-86.465.

* 9 n° 08-17.581 et 07-21.768.

* 10 Rapport de MM. Dorion et Lenoir, La modernisation de la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles, Igas 1991.

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