N° 101

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2009

RAPPORT GÉNÉRAL

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de finances pour 2010 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

Par M. Philippe MARINI,

Sénateur,

Rapporteur général.

TOME I

LE BUDGET DE 2010

ET SON CONTEXTE ÉCONOMIQUE ET FINANCIER

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis , président ; M. Yann Gaillard, Mme Nicole Bricq, MM. Jean-Jacques Jégou, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Joël Bourdin, François Marc, Alain Lambert , vice-présidents ; MM. Philippe Adnot, Jean-Claude Frécon, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Sergent, François Trucy , secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; M. Jean-Paul Alduy, Mme Michèle André, MM. Bernard Angels, Bertrand Auban, Denis Badré, Mme Marie-France Beaufils, MM. Claude Belot, Pierre Bernard-Reymond, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Yvon Collin, Philippe Dallier, Serge Dassault, Jean-Pierre Demerliat, Éric Doligé, André Ferrand, Jean-Pierre Fourcade, Christian Gaudin, Adrien Gouteyron, Charles Guené, Claude Haut, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Yves Krattinger, Gérard Longuet, Roland du Luart, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Gérard Miquel, Albéric de Montgolfier, François Rebsamen, Jean-Marc Todeschini, Bernard Vera.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 13 ème législ.) : 1946, 1967 à 1974 et T.A. 360

Sénat : 100 (2009-2010)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La crise a profondément perturbé nos repères.

D'abord, parce que les ordres de grandeur ne sont plus les mêmes. Partout dans le monde et à tous les niveaux : déficits, dettes, bilans des banques centrales, tout a changé d'échelle.

La France ne fait pas exception : 116 milliards d'euros de déficit pour le budget de l'Etat de 2010 après sans doute plus de 140 milliards d'euros en 2009, soit entre deux et trois fois plus que le déficit moyen des années 2000, pourtant particulièrement important. En 2010, le taux de couverture des dépenses par les recettes du budget général devrait être inférieur à 70 %. Au niveau de l'ensemble des administrations publiques, l'augmentation est tout aussi spectaculaire puisque le déficit passerait en pourcentage du PIB de 3,4 points en 2008 à 8,2 points en 2009 et 8,5 points en 2010.

Ensuite, et c'est là un facteur de perte de repères supplémentaire, parce que nous ne savons pas bien où en est l'économie mondiale en cette fin d'année 2009 : nous ne sommes plus vraiment en crise, mais nous ne sommes pas non plus encore en phase de reprise.

L'environnement apparaît sinon irréel du moins largement insaisissable. Beaucoup de signaux sont contradictoires ; d'autres, apparemment favorables, se révèlent, à l'analyse, ambivalents.

Sortie de crise : des signaux souvent ambivalents

On peut, à juste titre, avoir le sentiment d'être comme en état d'apesanteur financière et, sans doute, dans l'oeil du cyclone.

La dette explose et pourtant elle paraît légère, si légère même que cette légèreté est, à l'évidence, insoutenable. A un moment ou à un autre, les choses vont changer, l'inflation va réapparaître et les taux d'intérêt remonter, tandis qu'il faudra bien rembourser toute cette dette accumulée.

Les lendemains sont, plus que jamais, incertains. Nous avons bien conscience, confusément, que les contradictions à l'origine de la crise n'ayant pas disparu, les mêmes causes, ou presque, pourraient bien produire les mêmes effets.

Des indices sont là pour nous indiquer que les errements du passé sont loin d'être éradiqués. Le volume sans précédent de liquidités mises sur le marché pourrait alimenter de nouvelles bulles d'actifs qu'il s'agisse de matières premières, d'immobilier, voire tout simplement de titres : depuis mars 2009 les marchés actions ont connu une hausse exceptionnelle accentuant le décalage entre une sphère réelle encore languissante et une sphère financière à nouveau plutôt florissante .

Les gouvernements et les banques centrales ont , à l'évidence, soigné - mais pouvait-on faire autrement ? - le mal par le mal . C'est la création monétaire qui a rendu possible l'hypertrophie de la sphère financière et finalement la crise ; c'est toujours elle encore qui nous a permis de surmonter la crise financière et d'éviter l'implosion du système financier ; mais c'est encore elle qui crée les conditions de nouvelles « bulles » et donc de nouvelles difficultés, dont certaines sont déjà sensibles.

C'est que tout signe extérieur de sortie de crise par trop caractérisé fait craindre l'emballement et jette un doute sur le caractère durable de la reprise. Les banques centrales elles-mêmes sont visiblement partagées entre la crainte d'étouffer le retour de la croissance et celle de créer les conditions d'une nouvelle crise spéculative.

Des perspectives paradoxales

Les banques - ou du moins un certain nombre d'entre elles - semblent avoir retrouvé une santé éclatante au point qu'on l'on pourrait soutenir que c'est le seul secteur qui semble sortir de la crise avec des pertes, certes, mais des résultats dans l'ensemble très positifs. Il y a là sans doute moins l'effet des aides d'Etat qu'un approvisionnement en liquidités à un coût quasi-nul, ce qui, malgré la montée du coût du risque, améliore leur rentabilité.

L'afflux de liquidités à coût nul commence à faire sentir ses effets pervers sur les marchés de changes avec la baisse annoncée du dollar ; bientôt ce seront les prix des matières premières qui vont remonter, même si pour l'instant seul celui de l'or redécolle pour dépasser 1.100 dollars l'once.

Nul doute que l'on a tout lieu d'appréhender le retour à la normale de l'économie mondiale, paradoxalement, porteur d'incertitudes .

Avec la reprise, les matières premières pourraient à nouveau s'envoler, à commencer par le pétrole ce qui devrait relancer l'inflation.

Avec la reprise, encore, par souci de lutter contre cette inflation, les banques centrales seront tentées de durcir leur politique monétaire. Aux confins du système bancaire mondial, certaines banques amorcent déjà le mouvement. Le relèvement des taux d'intérêt commencerait par renchérir les charges de la dette d'un certain nombre d'États - dont les budgets deviendraient impossibles à « boucler » sans prélèvement supplémentaires ou coupes budgétaires substantielles ; en outre, dès lors qu'il convient de prendre en compte les « risques extrêmes », on ne peut pas exclure qu'il puisse, par suite de ce relèvement, devenir difficile de placer une dette publique que, pour l'instant, tout le monde s'arrache en dépit du faible intérêt qu'elle porte. Cela vaut pour certains « petits » pays situés en périphérie qui pourraient bien être les « maillons faibles » du système mais aussi pour les plus grands d'entre eux, dont on ne sait comment ils financeront un endettement devenu colossal.

Avec la reprise, enfin, on va voir se creuser les différences entre les pays. En Europe, on connaît déjà les noms de ceux qui sortent relativement fragilisés de la crise et notamment le Royaume Uni et l'Espagne, dont les modèles, longtemps vantés même de ce côté de la Manche ou des Pyrénées, montrent aujourd'hui leurs limites ; on sait aussi le nom du vainqueur, l'Allemagne, qui, tout en ayant su limiter les déficits, devrait naturellement profiter des premières brises de reprise en qualité de fournisseur des zones émergentes.

Les taux d'intérêt exceptionnellement bas : une fenêtre d'opportunité

La France apparaît relativement bien placée, avec un taux de croissance dont le Premier ministre estime désormais qu'il sera compris « sans doute » entre 1 % et 1,5 %, ce qui en fera « une des meilleures performances sinon la meilleure performance de l'ensemble des pays européens ». Mais toute la question est de savoir si cette situation est durable.

Dans le contexte actuel, on peut dire que le présent projet de loi de finances traduit un premier pari : profiter de taux d'intérêt bas non seulement pour laisser encore jouer à plein les stabilisateurs automatiques mais encore pour prolonger le plan de relance par de nouvelles mesures discrétionnaires de stimulation ; il en annonce aussi un second, plus audacieux encore, avec le grand emprunt qui devrait venir, tel un budget extraordinaire, compléter ce budget ordinaire.

Taxe professionnelle et taxe carbone : deux ré formes importantes à mener sans précipitation

En d'autres termes, et à considérer d'emblée les deux volets de la démarche du Gouvernement dont à ce stade on ne connaît que le premier, il est clair que l'on cherche à profiter de la situation pour « faire passer » une réforme capitale pour notre compétitivité, en l'occurrence celle de la taxe professionnelle, qu'il aurait été difficile de décider dans un autre contexte.

Mais la hâte du Gouvernement à mettre en oeuvre cette réforme - qui est moins une suppression qu'une transformation - ne doit pas avoir pour corrélat un excès de précipitation dans la définition du volet « collectivités territoriales ».

Telle est la raison pour laquelle, votre commission des finances a souhaité se donner des marges de manoeuvre, d'une part, en reportant en seconde partie l'examen des éléments du dispositif non directement applicables en 2010 afin de bénéficier d'un délai de réflexion supplémentaire de quelques jours et, d'autre part, en se contentant de renvoyer, dans certains cas, à de simples principes, sachant qu'il est sage, en tout état de cause, de prévoir une clause de rendez-vous pour ajuster la réforme lorsque l'on y verra un peu plus clair sur ses conséquences pour les différentes catégories de collectivités.

Dans une certaine mesure, la seconde réforme majeure introduite dans le présent projet de loi de finances avec l'introduction de la taxe carbone est également facilitée par la conjoncture budgétaire, ne serait-ce que parce qu'il aurait été plus délicat de procéder à d'aussi larges compensations en d'autres circonstances.

Un « grand emprunt » qui doit avoir des contreparties mesurables pour ne pas alourdir encore nos équations budgétaires

Le « grand emprunt national » procède, lui aussi, de la volonté du Gouvernement de tirer profit de la « fenêtre » d'opportunité que constitue une conjoncture financière aussi exceptionnelle dans laquelle tous les pays de la zone euro, ou presque, y compris l'Allemagne, ont tendance à différer les mesures, pourtant nécessaires, de rééquilibrage budgétaire.

Cette période d'incertitude peut donc être mise à profit pour ne pas subir passivement voire frileusement des contraintes accrues mais pour s'efforcer de réagir. Si la crise actuelle a provoqué un traumatisme durable, elle constitue aussi une nouvelle donne offrant de vraies opportunités de progrès.

Le grand emprunt a le mérite de susciter un débat salutaire dont l'objectif politique est bien de provoquer une sorte de mobilisation économique générale pour restaurer un potentiel de croissance sans doute affecté par la crise .

La question essentielle sera donc d'abord de prendre la mesure du traumatisme, en l'occurrence de savoir, en termes techniques, à partir de quel niveau de produit intérieur brut potentiel nous allons redémarrer et à quel rythme de croissance nous sommes encore capables de progresser.

Avant la crise, l'ordre de grandeur du taux de croissance potentiel était fixé par les économistes à environ 2 % l'an. Retrouverons-nous ce taux de 2 % et à partir de quel niveau de produit intérieur brut ? Toute l'équation des finances publiques dépend de cela : si le niveau de départ et, le cas échéant, le taux de croissance potentiel de l'économie sont plus bas, une proportion importante du déficit, qui aurait été estimée de nature conjoncturelle selon l'ancienne analyse, devient structurelle. En d'autres termes, cela signifie que les efforts à faire pour converger vers l'équilibre devront être plus importants demain qu'ils ne l'auraient été hier dans la dynamique de l'économie que nous connaissions avant 2008.

L'un des enseignements de la crise est que le rétablissement des comptes publics ne peut résulter que du retour de la croissance . Le nouveau contexte qui en résulte, rend nécessaire une adaptation de notre appareil de production et sans doute l'invention d'un nouveau modèle de développement.

Le grand emprunt vient donc opportunément pour élargir une marge de manoeuvre singulièrement réduite. A cet égard, il est vertueux en tant qu'il se rattache à la « règle d'or », entendue comme n'autorisant l'Etat à emprunter que pour financer ses dépenses d'investissement et qu'il permet, à un horizon raisonnable, un retour sur investissement .

Il convient d'abord de distinguer la dette de fonctionnement de celle adossée à des actifs, qu'ils soient financiers ou physiques, qui n'a pas la même nature que celle finançant des opérations courantes. La « règle d'or » prend alors un nouveau sens : une dette, qui peut se rembourser avec la cession d'un actif ou qui s'amortit en même temps que lui, peut être considérée comme soutenable voire comme une « bonne » dette, surtout lorsqu'elle favorise l'amélioration de la productivité des facteurs et qu'elle est porteuse de sa propre rentabilité.

Sur le plan de la gouvernance, une rentabilité ne s'apprécie commodément que lorsque les interventions sont effectuées dans un cadre spécifique permettant d'isoler les charges et les ressources issues de l'emprunt. Une telle solution extrabudgétaire est sans doute préférable, au regard de la nécessaire traçabilité des interventions financées sur le grand emprunt, à celle consistant, sur le modèle du plan de relance, à placer sur une ligne budgétaire distincte les dépenses ainsi financées.

Au surplus votre rapporteur général rappelle que la voie sera étroite, dès lors qu'il faudra soit se comporter en investisseur avisé soit soumettre les interventions à financer sur les fonds du grand emprunt au contrôle de la Commission européenne au titre des aides d'Etat.

Mais, si le réalisme incite à profiter de la conjoncture pour se financer à des taux d'intérêt historiquement bas, faire appel aux marchés a des contreparties : tôt ou tard, ceux-ci vont se poser à nouveau la question de la solvabilité des Etats pour établir une nouvelle hiérarchie en fonction de la soutenabilité de leurs finances publiques. Nul doute qu'ils n'apprécieront pas seulement notre aptitude à investir utilement mais aussi à faire des économies de fonctionnement et même des sacrifices : c'est même indispensable si l'on veut que les marges de manoeuvre que l'on se donne avec le grand emprunt, servent à quelque chose et que les charges d'intérêt qu'il occasionne soient supportables.

La conviction de votre rapporteur général est que, sans doute plus tôt que l'on ne pense, la pression sur les comptes publics , aujourd'hui entre parenthèses, va ressurgir . Telle est la raison pour laquelle il soutient la démarche du Gouvernement que traduit le présent projet de loi de finances, consistant à ne pas laisser filer les dépenses de fonctionnement et à relancer les nécessaires réformes de structure.

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