C. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Votre rapporteur spécial approuve pleinement, dans son principe, le transfert de certains sites et monuments aux collectivités territoriales volontaires. Par ailleurs, certaines modifications adoptées à l'Assemblée nationale sont opportunes, mais toutes n'apparaissent pas nécessaires. A contrario , les débats au Sénat devront permettre d'apporter des réponses à certaines questions que la discussion à l'Assemblée nationale n'a pas permis d'aborder.

1. L'opportunité des modifications adoptées à l'Assemblée nationale

a) Pourquoi deux avis ?

Les amendements tendant à prévoir un avis des ministres chargés de la culture d'une part, et des monuments historiques et du domaine d'autre part, résultent d'interrogations légitimes sur l'articulation d'une large décentralisation des monuments avec le pilotage national de la politique du patrimoine .

De fait, la rédaction initiale de l'article 52 ne précise pas les modalités d'intervention du ministre de la culture , autorité responsable du classement ou de l'inscription des monuments, en application du code du patrimoine 55 ( * ) . Or, la nouvelle procédure de dévolution des monuments n'étant bornée ni dans l'espace ni dans le temps, toute collectivité pourra se porter, à tout moment, candidate à l'acquisition de tout monument inscrit ou classé. L'application de l'article 52 est donc susceptible de faire évoluer en permanence le périmètre des monuments relevant de l'Etat.

L'avis des ministres pourrait donc garantir qu'une décentralisation « au fil de l'eau » des monuments demeure compatible avec la stratégie de long terme dont doit se doter l'Etat en matière d'entretien et de restauration et avec la nécessité qui s'impose à lui de programmer des investissements souvent lourds et étalés sur plusieurs années.

Votre rapporteur spécial doute néanmoins de la nécessité de préciser à deux reprises , dans le texte de l'article 97, qu'un avis des ministres sera sollicité, tout en ne visant pas exactement les mêmes ministres. La cohérence rédactionnelle de l'article commande donc que l'une des deux mentions soit supprimée.

b) La « réutilisation » des monuments transférés

Il convient également de s'interroger sur la portée exacte des dispositions, ajoutées par l'Assemblée nationale, relatives à la « réutilisation éventuelle (d'un monument) dans des conditions respectueuses de son histoire et de son intérêt artistique et architectural ». Selon l'objet de l'amendement, cette précision vise à « donner plus de liberté d'action aux collectivités tout en respectant le patrimoine transféré » .

Votre rapporteur spécial n'est pas parvenu à identifier clairement quels cas précis pouvait viser une telle disposition, destinée, selon notre collègue députée Murielle Marland-Militello, à « renforcer la sécurité artistique et patrimoniale des monuments transférés » . Il s'agit, selon toute vraisemblance, des circonstances où un monument pourrait changer d'affectation ou de destination.

Si tel est le cas, la loi dispose déjà que la convention de transfert fixe « l'utilisation prévue du monument transféré » . Cette rédaction est assez large pour englober les cas de « réutilisation éventuelle » et l'existence d'une convention devrait suffire à garantir qu'elle s'opèrera dans des conditions respectueuses de l'intégrité ou de l'identité du monument en question . Pour ces raisons, votre rapporteur spécial vous proposera de supprimer cette mention.

c) La remise d'un rapport par les collectivités territoriales

Le fait d'imposer aux collectivités la remise d'un rapport, dix ans après le transfert, n'apparaît pas justifié à votre rapporteur spécial. Outre que le délai prévu peut paraître arbitraire, ce type de contrainte administrative est rendu inutile par le fait que le transfert est assorti d'une convention signée entre l'Etat et les collectivités, convention qui apparaît largement suffisante pour assurer l'encadrement et le suivi de la gestion du monument transféré. Dans ces conditions, une telle formalité semble devoir être supprimée .

2. Des précisions nécessaires en séance publique

Les débats en séance devront enfin permettre d'apporter quelques éclaircissements au Sénat sur les modalités concrètes d'application du nouveau dispositif, s'agissant en particulier des critères présidant au refus de transfert.

a) La portée des critères présidant au refus du transfert

L'article proposé se caractérise par un certain laconisme quant aux critères qui permettront au préfet de refuser un transfert. Le premier de ces critères est l'importance qui s'attache au maintien du bien concerné dans le patrimoine de l'Etat . Sur ce point, votre rapporteur spécial rappelle que la commission « Rémond » avait défini un certain nombre de caractéristiques justifiant le maintien d'un monument sous propriété de l'Etat. Ces caractéristiques étaient :

1) l'appartenance à la mémoire de la Nation : devaient ainsi relever de l'Etat les champs de bataille, les cimetières militaires, les palais nationaux, les monuments perpétuant « le souvenir de nos discordes » (colonne de Juillet, statue du Maréchal Ney...) ou dédiés aux gloires de la France (statue de Jeanne d'Arc de la place des Pyramides) ;

2) la notoriété internationale et le rayonnement faisant d'un monument un élément du patrimoine européen ou universel (grands sites archéologiques, vestiges de l'abbaye de Cluny, obélisque de la Concorde...) ;

3) le fait que l'Etat ait consenti d'importants moyens financiers ou acquis récemment les monuments en question, ou encore le fait que ces monuments nécessitent une gestion de très long terme (sites archéologiques à exploiter ultérieurement) ou exigent des compétences et moyens techniques de pointe (grottes ornées).

Il serait donc opportun que le Gouvernement précise au Sénat, au cours des débats, les éléments sur lesquels se fonderont les préfets de région pour refuser un transfert , éléments qui seront selon toute vraisemblance précisés par voie réglementaire 56 ( * ) .

b) Les autres questions en suspens

Deux questions demeurent enfin sur les modalités concrètes d'application du nouveau dispositif :

1) le présent article ouvre la possibilité de ne transférer qu'une partie d'un site ou d'un monument. Cette possibilité est de nature à mettre un terme à certains « démembrements » de sites entre l'Etat et les collectivités, mais pourrait aussi aboutir à en « démembrer » d'autres, et à susciter un enchevêtrement de compétences et d'interventions croisées nuisibles à la cohérence de la gestion d'un site ;

2) l'articulation du présent dispositif avec l'action menée par France Domaine 57 ( * ) et avec le mécanisme spécifique de cessions des sites de la défense, prévu par la loi de programmation militaire, n'est pas précisée.

Sur ces points, qui ne sont toutefois pas de nature à remettre en cause le bien-fondé du dispositif proposé, votre rapporteur spécial s'attachera à obtenir des éclaircissements, en séance, de la part du Gouvernement.

Position de votre commission : votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi modifié.

* 55 Les préfets de région se tourneront naturellement vers le ministre pour les transferts les plus significatifs.

* 56 Un décret en Conseil d'Etat précisera les modalités d'application du présent article et une circulaire du ministre de la culture et de la communication « sera adressée aux préfets de régions et aux directeurs régionaux des affaires culturelles pour leur expliquer l'esprit de la mesure et les conditions dans lesquelles ils doivent conduire d'éventuelles négociations avec des collectivités candidates » .

* 57 Sur ce point, l'avis du ministre chargé du domaine, introduit par l'Assemblée nationale, est de nature à garantir la cohérence des procédures mises en oeuvre par France Domaine et de l'application de l'article 97, dans sa nouvelle rédaction.

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