C. LA CONCILIATION ENTRE LE DROIT À L'ACTION COLLECTIVE ET LES LIBERTÉS ÉCONOMIQUES

La jurisprudence de la Cour de Justice a également suscité une controverse en ce qui concerne les droits reconnus aux organisations syndicales. Les arrêts en cause sont l'arrêt « Laval », précité 3 ( * ) , et l'arrêt « Viking ».

1. Rappel des faits

L'affaire « Viking » pose le problème de la conciliation entre le respect du droit de grève et la liberté d'établissement des entreprises.

Viking est une société finlandaise qui exploite des lignes de ferries entre la Finlande et l'Estonie. Un de ses navires, le Rosella, assure la liaison entre Helsinki et Tallinn. En raison de la concurrence des navires estoniens, qui ont des coûts salariaux plus faibles, cette liaison est devenue déficitaire. En 2003, la société a envisagé d'immatriculer son navire en Estonie ou en Norvège, ce qui aurait eu pour effet de la dispenser d'appliquer la législation sociale finlandaise et l'aurait autorisée à négocier une nouvelle convention collective, moins avantageuse pour ses salariés.

Conformément au droit finlandais, la société a informé de son projet le syndicat FSU ( Finnish Seamen's Union ) et l'équipage du Rosella. FSU a fait part de sa ferme opposition et a obtenu de la fédération internationale des salariés des transports (ITF), qu'elle enjoigne, par circulaire, l'ensemble des syndicats adhérents de refuser de négocier une nouvelle convention collective avec la société Viking.

La société n'ayant pas renoncé à son projet, le syndicat FSU a ensuite annoncé une grève et exigé que, dans le cas où l'immatriculation du navire serait modifiée, elle n'entraîne aucune modification des conditions d'emploi des salariés. Dans un premier temps, Viking a accepté de différer son projet.

L'adhésion de l'Estonie à l'Union européenne, le 1 er mai 2004, lui a cependant donné de nouveaux arguments : l'entreprise a saisi la High Court of Justice , au Royaume-Uni, d'un recours tendant à faire annuler la circulaire émise par ITF, dont le siège est à Londres, au motif qu'elle entraverait la liberté d'établissement qui lui est reconnue en vertu de l'article 43 du traité instituant la Communauté européenne (traité CE).

La High Court a donné raison à la société Viking mais les syndicats FSU et ITF ont fait appel. La juridiction de renvoi a décidé d'interroger la CJCE pour savoir si le traité s'oppose à ce qu'une action syndicale tente de contrer la volonté d'un employeur de faire usage, pour des raisons économiques, de sa liberté d'établissement.

2. La solution dégagée par la Cour de justice

Dans les arrêts « Viking » et « Laval », qui ont été rendus à une semaine d'intervalle (11 et 18 décembre 2007), la CJCE a posé un certain nombre de principes relatifs au droit syndical.

? Elle reconnaît d'abord que le droit pour un syndicat de mener une action collective est un droit fondamental . Il appartient aux Etats membres d'en règlementer les conditions d'exercice, dans le respect du droit communautaire.

? La Cour rappelle ensuite que la protection d'un droit fondamental constitue un intérêt légitime de nature à justifier, en principe, une restriction aux obligations imposées par le droit communautaire. Elle ajoute cependant que l'exercice d'un droit fondamental doit être concilié avec les droits protégés par les traités communautaires et être conforme au principe de proportionnalité .

? Elle précise ensuite les conditions dans lesquelles cette conciliation doit être effectuée. Une restriction à la libre prestation de services ou à la liberté d'établissement ne saurait être admise que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le traité et se justifie par des raisons impérieuses d'intérêt général , pour autant, en pareil cas, qu'elle soit propre à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi et qu'elle n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre.

? La Cour indique enfin que le droit de mener une action collective ayant pour but la protection des travailleurs de l'Etat d'accueil contre une éventuelle pratique de dumping social peut constituer une raison impérieuse d'intérêt général .

La CJCE s'assure donc que des critères rigoureux sont remplis avant d'admettre qu'une restriction puisse être apportée aux libertés économiques consacrées par les traités : il faut pouvoir se prévaloir d'une raison impérieuse d'intérêt général et il faut que la restriction soit adaptée et proportionnée au but poursuivi. Un motif de satisfaction cependant : la Cour admet que la protection des travailleurs puisse constituer un tel motif.

3. L'application aux cas d'espèce

Une fois que les règles de droit ont été posées, il reste à les appliquer dans chaque cas d'espèce.

Dans l'affaire « Laval », la CJCE a donné raison à l'entreprise plaignante : elle a estimé que le traité CE et la directive de 1996 s'opposent à ce qu'un syndicat tente, par un blocus, de contraindre une entreprise établie dans un autre Etat membre à engager une négociation sur les salaires, dès lors que la loi de l'Etat d'accueil ne fixe pas de salaire minimum, ou à adhérer à une convention collective prévoyant des conditions plus favorables que celles figurant dans la loi.

Un point important dans le raisonnement de la Cour est l'idée que le syndicat a tenté d'imposer à l'entreprise des conditions sociales qui vont au-delà des règles impératives de protection minimale garanties par la directive. A contrario , on peut penser que si l'action syndicale avait eu pour objectif d'assurer le respect de droits garantis par la directive, la CJCE l'aurait acceptée.

Dans l'arrêt « Viking », la CJCE s'est abstenue de trancher sur le fond de l'affaire : elle a renvoyé à la juridiction compétente au Royaume-Uni le soin de déterminer si les emplois ou les conditions de travail étaient sérieusement menacés, puis de vérifier que l'action collective était adaptée et proportionnée à l'objectif poursuivi. Si ces exigences sont satisfaites, alors l'action collective engagée par le syndicat est compatible avec le droit communautaire.

* 3 Cf. p. 10.

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