2. Une zone monétaire déséquilibrée

La conjonction d'une situation financière particulièrement préoccupante des Etats développés et des fragilités intrinsèques de la zone euro conduit certains économistes à estimer que cette dernière risque d'être le lieu de la prochaine crise de la dette souveraine.

Ainsi, selon Michel Aglietta, « il y a une seule crise du capitalisme financiarisé et drogué à la dette, qui a débuté en août 2007 et qui a connu un premier paroxysme à l'automne 2008. Nous sommes entrés dans le deuxième acte de cette crise. Dans leur ouvrage sur les crises financières dans l'histoire, Carmen Reinhardt et Kenneth Rogoff montrent que les crises bancaires internationales rebondissent presque toujours en crises de dettes souveraines. Les lieux où elles rebondissent sont les maillons faibles de l'économie mondiale. Ce fut l'Amérique latine dans les années 1980, c'est la zone euro aujourd'hui » 22 ( * ) .

a) La zone euro n'est pas une zone monétaire optimale

En effet, la zone euro fait depuis l'origine l'objet de critiques très vives, tenant au fait qu'elle ne constitue pas une zone monétaire optimale.

Une zone monétaire optimale est une zone monétaire dans laquelle les inconvénients présentés par une monnaie commune (impossibilité de mener une politique monétaire et de change adaptée à la situation spécifique d'une partie du territoire) sont compensés par des mécanismes démographiques (déplacement de la population vers les zones en forte croissance) ou financiers (transferts en faveur des régions en difficulté). La zone euro, caractérisée par une très faible mobilité de la main-d'oeuvre entre Etats membres, et des transferts financiers négligeables, ne constitue donc pas une zone monétaire optimale.

Aussi, de nombreux économistes considèrent que la zone euro ne peut subsister en l'absence de réformes structurelles très importantes, et de fait inenvisageables.

b) Quel ajustement pour les Etats « périphériques » ?

Une question-clé est de savoir si les Etats « périphériques » de la zone euro doivent ou non réaliser l'équivalent d'une dévaluation pour effectuer les ajustements budgétaires demandés.

(1) Une idée souvent affirmée

Si tel est le cas, ils doivent en conséquence fortement réduire leurs salaires, ce qui risque de les faire plonger dans la déflation.

Ainsi, selon Paul Krugman, prix Nobel d'économie, « les salaires de la périphérie doivent baisser de 20-30 % par rapport à l'Allemagne » pour ramener les salaires et les coûts à un niveau raisonnable, le nier revenant à « ignorer l'éléphant dans l'euro » 23 ( * ) , de sorte que l'euro « paraît maintenant avoir été une mauvaise idée précisément pour les raisons avancées par les sceptiques » 24 ( * ) .

De fait, depuis la mise en place de l'euro, les Etats « périphériques » de la zone euro ont connu une inflation importante, qui s'est traduite par une perte de compétitivité, et donc par une dégradation de leur solde courant, comme l'indique le graphique ci-après.

Inflation et évolution du solde courant au sein de la zone euro (2002-2008)*

* Le graphique ne prend pas en compte la Slovaquie et la Slovénie.

Index des prix à la consommation harmonisé
(évolution en % par rapport à l'année précédente)

Solde du compte courant (en points de PIB)

Slovaquie

4,6

-6,9

Slovénie

4,4

-2,5

Grèce

3,5

-12,5

Espagne

3,3

-7,1

Irlande

3,1

-2,5

Luxembourg

3,0

9,6

Chypre

2,8

-7,7

Portugal

2,8

-9,3

Malte

2,6

-5,3

Italie

2,5

-1,4

Belgique

2,3

3,8

France

2,2

-1,2

Pays-Bas

2,0

7,2

Autriche

2,0

2,7

Allemagne

1,9

5,1

Finlande

1,6

5,2

Zone euro

2,3

0,3

Source : d'après Eurostat

Les déséquilibres extérieurs des pays concernés ne sont pas soutenables sur la durée, parce qu'ils les obligent à s'endetter. En régime de changes flexibles ces déséquilibres auraient été réduits par la dépréciation de la monnaie, mais en union monétaire de telles crises de change sont remplacées par des crises d'endettement.

Si ces pays sombraient dans la déflation, leurs problèmes budgétaires s'en trouveraient considérablement accrus, alors que les taux d'intérêts réels seraient plus élevés, et l'effet « boule de neige » plus important.

(2) Cette thèse doit être nuancée

Ces analyses doivent être relativisées.

Tout d'abord, il n'est pas évident que les Etats d'Europe du sud aient un problème de compétitivité-coût. Ainsi, Patrick Artus estime, dans une récente note 25 ( * ) , que les problèmes de compétitivité des Etats d'Europe du sud proviennent non d'une compétitivité-coût insuffisante, mais de facteurs plus structurels (insuffisance de l'innovation, excès d'endettement). En particulier, Italie exceptée, le niveau des coûts unitaires de production est toujours plus bas dans les pays du Sud de la zone euro qu'en Allemagne ou en France.

Le coût salarial unitaire des Etats de la zone euro, selon Natixis

(Allemagne=100)

Source : Patrick Artus, « Y a-t-il vraiment un problème de compétitivité-coût dans les pays d'Europe du Sud ? », Flash Economie n° 198, Natixis, 28 avril 2010

Ensuite, il faut distinguer deux sujets : l'ajustement budgétaire devant être réalisé à moyen terme et la soutenabilité à long terme du modèle de croissance. A moyen terme, la nécessité de réaliser un ajustement budgétaire considérable, sans pouvoir déprécier la monnaie, place incontestablement les Etats concernés dans une situation difficile. Cependant, on conçoit bien que le problème n'est pas de la même nature s'ils doivent réduire rapidement leurs salaires de 20-30 % par rapport à ceux de l'Allemagne pour être capables d'exporter ou si ce dont ils ont besoin à moyen terme, c'est juste d'un stimulus (comme une dépréciation de l'euro) pour limiter l'effet récessif d'un ajustement budgétaire.

* 22 Michel Aglietta, « La longue crise de l'Europe », Le Monde, 17 mai 2010.

* 23 « Ignoring The Elephant In the Euro », 15 mai 2010 ; « Et Tu, Wolfgang ? », 17 mai 2010 ; articles publié par l'auteur sur son blog du New York Times ( http://krugman.blogs.nytimes.com ).

* 24 Paul Krugman, « The Euro Trap », 29 avril 2010 ( http://www.nytimes.com ).

* 25 Patrick Artus, « Y a-t-il vraiment un problème de compétitivité-coût dans les pays d'Europe du Sud ? », Flash Economie n° 198, Natixis, 28 avril 2010.

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