CHAPITRE III RÉPRESSION DES VIOLENCES
Article 16 (art. 41-1 du code de procédure pénale) Limitation du recours à la médiation pénale en cas de violences commises au sein du couple
Cet article tend à encadrer fortement la possibilité de recourir à la médiation pénale dans le cadre de procédures ouvertes pour des faits de violences conjugales.
Aux termes de l'article 41-1 du code de procédure pénale, s'il lui apparaît qu'une telle mesure est susceptible d'assurer la réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de l'infraction ou de contribuer au reclassement de l'auteur des faits, le procureur de la République peut, préalablement à sa décision sur l'action publique, faire procéder, avec l'accord des parties, à une mission de médiation entre l'auteur des faits et la victime. En cas de réussite de la médiation, celle-ci donne lieu à l'établissement d'un procès-verbal, signé par les parties et par le procureur de la République ou le médiateur du procureur de la République.
Une circulaire du 16 mars 2004 précise en outre que la médiation pénale consiste, « sous l'égide d'un tiers, à mettre en relation l'auteur et la victime afin de trouver un accord sur les modalités de la réparation, mais aussi de rétablir un lien et de favoriser, autant que possible, les conditions de non-réitération de l'infraction, alors même que les parties sont appelées à se revoir ».
Cette possibilité de recourir à la médiation pénale en cas de violences conjugales est très fortement contestée par un certain nombre d'associations de défense des droits des femmes, qui font valoir que la médiation pénale pourrait accréditer l'idée d'une égalité entre l'auteur et la victime, voire d'une « coresponsabilité » dans la commission des violences, et serait, à ce titre, particulièrement inadaptée aux faits de violence conjugale. En outre, un tel traitement pénal ne serait pas ressenti comme une véritable sanction par l'auteur des faits et ne permettrait donc pas à la victime de se dégager de l'emprise qu'exerce sur elle l'auteur des violences.
De tels arguments sont d'ores et déjà pris en compte par les pouvoirs publics. Le Guide de l'action publique, édité par la direction des affaires criminelles et des grâces, précise à ce sujet : « ce type particulier de violences traduit en général un rapport de domination et une emprise de l'agresseur sur la victime, qui se trouve privée de son autonomie. Il peut s'en suivre, pour le mis en cause, un sentiment de toute puissance peu propice à développer son sens critique et, chez le plaignant, une difficulté à se positionner en tant que victime. En ce qu'elle suppose la mise en présence de deux parties souvent inégales sur un plan psychologique, en ce qu'elle est fondée sur la réflexion, le dialogue et l'écoute, et sous peine de renforcer la vulnérabilité de la victime et d'induire un sentiment d'impunité de l'auteur, la médiation pénale ne saurait donc être considérée comme adaptée à des situations où :
- l'auteur est d'une dangerosité particulière (réitérations, gravité des faits, déstructuration de la personnalité de la victime) ;
- il est dans une attitude de déni total ;
- la victime ou le mis en cause sont opposés à la mesure » 42 ( * ) .
M. Michel Desplan, procureur de la République de Versailles, a indiqué à votre rapporteur que le parquet de Versailles tendait pour sa part à limiter le recours à la médiation pénale aux faits de violences conjugales isolés ayant entraîné une faible ITT et pour lesquels l'auteur des violences reconnaît sa responsabilité.
La mission d'information de l'Assemblée nationale a toutefois considéré que les risques inhérents à une mauvaise utilisation de la médiation pénale étaient trop importants pour qu'il demeure possible d'y avoir recours. Pour cette raison, elle a souhaité que cette mesure alternative aux poursuites soit proscrite en matière de violences conjugales.
Dans sa rédaction issue des travaux de la commission spéciale, l'article 16 de la proposition de loi tend à instaurer une présomption de refus de consentement à la médiation pénale dès lors que la victime a sollicité une ordonnance de protection.
La commission spéciale a également souhaité que la médiation pénale ne puisse plus être réalisée « avec l'accord des parties », mais « à la demande ou avec l'accord de la victime » - l'auteur des faits étant quant à lui présumé consentir à une telle mesure dont l'échec pourrait se traduire par l'engagement de poursuites à son encontre par le procureur de la République.
Au cours des débats en séance publique, les députés ont souhaité compléter l'article 16 afin d'ajouter que la victime serait présumée, de façon générale, ne pas consentir à la médiation pénale en cas de violences ou d'agressions sexuelles commises par son compagnon ou son ancien compagnon (ou sa compagne ou son ancienne compagne), y compris lorsqu'elle n'a pas saisi le JAF d'une demande d'ordonnance de protection.
L'attention de votre rapporteur a été appelée sur le caractère trop systématique d'un tel ajout.
La Chancellerie a tout d'abord indiqué que les violences les plus graves et les agressions sexuelles ne donnaient jamais lieu à une médiation pénale.
En outre, l'association Citoyens et Justice, qui fédère un certain nombre d'associations intervenant auprès des juridictions, a fait valoir que, si la médiation devait indiscutablement être proscrite dans le cas de violences graves, répétées, ou lorsque la commission de ces violences s'accompagne d'une emprise de l'auteur des faits sur la victime, elle pouvait demeurer un outil utile dans des situations ne relevant pas véritablement de « violences conjugales », lorsqu'il n'y a pas emprise de l'auteur sur la victime ou lors de gestes exceptionnels commis dans le cadre d'une séparation par exemple. Lors de leur audition par votre rapporteur, les représentants de cette association ont craint que l'impossibilité générale de recourir à la médiation pénale (sauf à la demande expresse de la victime) ne conduise à réorienter vers un rappel à la loi, un classement sous condition ou une composition pénale le traitement d'infractions pour lesquelles la médiation pénale aurait représenté une réponse adaptée. Or, à la différence de la médiation pénale, la victime est très peu prise en compte dans de telles mesures alternatives aux poursuites.
Sensible à ces arguments, votre commission a souhaité revenir à l'équilibre défini par la commission spéciale de l'Assemblée nationale, qui tend à lier la présomption de refus de recourir à la médiation pénale à la saisine du JAF par la victime pour obtenir une ordonnance de protection.
Elle a donc adopté un amendement de son rapporteur en ce sens.
Votre commission observe par ailleurs que lorsque la victime n'a pas saisi le JAF d'une demande d'ordonnance de protection, elle demeure libre de refuser la médiation pénale qui lui est proposée. Le Guide de l'action publique édité par le ministère de la Justice recommande à ce sujet de s'assurer que le consentement de la victime est libre et éclairé, et qu'il convient, en outre, de l'informer de son droit d'être assistée d'un avocat. Enfin, il est précisé que le refus exprimé par la victime de participer à une mesure de médiation pénale doit conduire le parquet à envisager une autre alternative aux poursuites ou des poursuites, et non à classer sans suite la procédure.
Votre commission a adopté l'article 16 ainsi modifié .
* 42 Ministère de la Justice, DACG, Guide de l'action publique, septembre 2008, pages 48-49.