N° 703

SÉNAT

SECONDE SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 septembre 2010

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , de régulation bancaire et financière ,

Par M. Philippe MARINI,

Sénateur,

Rapporteur général

Tome I : Rapport

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis , président ; M. Yann Gaillard, Mme Nicole Bricq, MM. Jean-Jacques Jégou, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Joël Bourdin, François Marc, Alain Lambert ,vice-présidents ; MM. Philippe Adnot, Jean-Claude Frécon, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Sergent, François Trucy , secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; M. Jean-Paul Alduy, Mme Michèle André, MM. Bernard Angels, Bertrand Auban, Denis Badré, Mme Marie-France Beaufils, MM. Claude Belot, Pierre Bernard-Reymond, Auguste Cazalet, Yvon Collin, Philippe Dallier, Serge Dassault, Jean-Pierre Demerliat, Éric Doligé, André Ferrand, François Fortassin, Jean-Pierre Fourcade, Christian Gaudin, Adrien Gouteyron, Charles Guené, Claude Haut, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Yves Krattinger, Gérard Longuet, Roland du Luart, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Gérard Miquel, Albéric de Montgolfier, François Rebsamen, Jean-Marc Todeschini, Bernard Vera.

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 13 ème législ.) :

2165 , 2550 et T.A. 485

Sénat :

555 et 704 (2009-2010)

Mesdames, Messieurs,

Il y a deux ans, le 15 septembre 2008, la banque d'investissement américaine Lehman Brothers se déclarait en faillite 1 ( * ) , signalant le début d'une crise financière puis économique dont les signes avant-coureurs s'étaient produits dès le printemps 2007, avec l'apparition des premières difficultés sur le marché américain du crédit hypothécaire. Les répercussions en chaîne sur de nombreux établissements financiers et le blocage du système bancaire ont dès lors fait craindre le « spectre » d'une nouvelle Grande Dépression.

Ce risque paraît aujourd'hui être tombé mais nombre des enjeux initiaux du renforcement de la régulation financière demeurent. Les attentes des citoyens et des professionnels sont donc légitimement élevées.

L'action et la réflexion sont intenses depuis fin 2008, dans un cadre concerté ou non. Des mesures d'urgence et de soutien aux banques comme aux entreprises ont été mises en oeuvre dans les mois qui ont suivi le déclenchement de la crise ; de nombreux débats académiques et politiques ont eu lieu sur le constat et les causes de la crise, les principes d'un meilleur encadrement des activités financières et leurs déclinaisons juridiques ; un vaste chantier de réforme a été initié en Europe et aux Etats-Unis.

Le Parlement français y a pris une part active lors des débats législatifs sur la mise en place du plan de soutien aux banques 2 ( * ) et du plan de relance de l'économie, et a développé sa propre réflexion sur les causes de la crise et les moyens de restaurer un fonctionnement plus sain de la sphère financière.

Outre quatre rapports d'information publiés par les commissions des finances des deux assemblées et par la commission des lois de l'Assemblée nationale 3 ( * ) , portant sur les « paradis fiscaux » et la rénovation de la régulation financière, l'Assemblée nationale et le Sénat ont constitué, de façon inédite, un groupe de travail conjoint et paritaire sur la crise financière internationale , qui s'est réuni à cinq reprises et a adressé un document de propositions au Président de la République avant chaque sommet du G 20. De même, votre commission des finances a constitué deux groupes de travail internes , l'un sur la crise financière et la régulation des marchés en 2009, l'autre sur le financement des entreprises en 2010.

Plusieurs postulats ou orientations de la dernière décennie ont été largement remis en cause : l'efficience des marchés nonobstant leur volatilité à court terme, la confiance dans les capacités d'auto-régulation des acteurs, la mutualisation et l'atténuation des risques par la titrisation (et surtout la « re-titrisation ») de créances très diversifiées. Pour autant, on ne peut occulter que la crise est née dans un secteur bancaire non pas totalement autonome et livré à lui-même, mais soumis à une régulation mal proportionnée et discontinue, d'où la prolifération de « zones d'ombre » durant la dernière décennie. Il n'y a pas eu absence de règles, mais une mauvaise régulation.

Après l'impulsion politique donnée par le G 20, des projets de réforme très ambitieux ont été élaborés ou adoptés aux niveaux européen et national pour combler les interstices de non-régulation et accroître la transparence des produits et acteurs. La modification des comportements et la mise en place effective des normes requièrent cependant du temps. Le rythme de la réforme est nécessairement plus lent que le temps de l'acceptabilité des acteurs et de l'attention médiatique, d'où la nécessité de maintenir une constante pression politique.

Le modèle français de régulation n'est pas totalement autonome et s'inscrit dans un réseau normatif ou para-normatif dont l'intensité s'est renforcée depuis la crise. Il a plutôt mieux résisté que dans d'autres pays - et peut à cet égard inspirer les évolutions du cadre européen - mais doit être perfectionné et complété. Dans un contexte d'enchevêtrement des engagements politiques et des normes juridiques et de reprise économique encore hésitante, le présent projet de loi traite des enjeux variés et présente donc l'apparence d'un quasi texte « portant diverses dispositions d'ordre économique et financier ».

Le texte initial de ce projet de loi a néanmoins pu sembler en-deçà des attentes et a été opportunément enrichi par nos collègues députés . Ses principaux axes sont dès lors :

- transposer de nouveaux textes communautaires sur les agences de notation, les collèges de superviseurs ou les échanges d'informations entre régulateurs, et habiliter le Gouvernement à transposer des directives récentes sur les organismes de placement collectif en valeurs mobilières, les droits des actionnaires ou les établissements de monnaie électronique ;

- améliorer le fonctionnement institutionnel de la régulation , en particulier par la création d'un conseil de régulation financière et du risque systémique pour une vision transversale, la ratification de l'ordonnance portant création de l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP) et la modernisation de la procédure de sanction de l'Autorité des marchés financiers (AMF) ;

- tirer les leçons de la crise par l'extension et l'approfondissement du champ de la règlementation financière : octroi de pouvoirs d'urgence à l'AMF, élargissement de son champ de compétences aux produits dérivés, renforcement du régime de règlement et de livraison de titres ou création d'un régime de transparence des prêts de titres réalisés en période d'assemblée des actionnaires ;

- aménager certaines procédures du droit boursier , dans la continuité de consultations antérieures, portant notamment sur l'action de concert, le seuil de déclenchement et le prix des offres publiques d'acquisition, ainsi que la modernisation du régime juridique du marché non réglementé Alternext ;

- enfin, faciliter la reprise en sécurisant le financement et les opérations de transport des entreprises , par la fusion interne de l'établissement public Oséo, la création de nouvelles « obligations à l'habitat » ou la réforme de l'assurance-transport.

Lors de sa réunion du mardi 14 septembre, votre commission a sensiblement amélioré et étendu la portée de ce texte en adoptant pas moins de 71 amendements (dont sept à l'initiative du Gouvernement) et sous-amendements .

EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. LES IMPÉRATIFS DE LA NOUVELLE RÉGULATION BANCAIRE ET FINANCIÈRE : DES FAILLES À COMBLER, UNE COHÉRENCE À RETROUVER

A. LES NOUVEAUX OBJECTIFS NÉS DU CONSTAT DES ERREMENTS DE LA SPHÈRE FINANCIÈRE

1. Les illusions de la rationalité et la perte de responsabilité

La crise financière a pu être décrite comme le produit d'un emballement et d'une déraison ; elle est avant tout la conséquence d'une « démesure de la rationalité 4 ( * ) » financière et d'une croyance quasi-prométhéenne dans la maîtrise totale du risque par l'évaluation, la structuration et la modélisation probabiliste 5 ( * ) . Cette forme d'excès dans la rationalité, qui nie la raison elle-même, était de surcroît cantonnée à quelques acteurs disposant d'une connaissance des marchés financiers et du crédit leur permettant de s'abstraire de certaines contraintes prudentielles ou de bilan.

Il en est résulté des asymétries d'information , au détriment par exemple des détenteurs de parts de véhicules de titrisation synthétique ou de certains fonds « monétaires dynamiques », un dévoiement des incitations individuelles et une perte de la perception des limites et de l'intérêt collectif . De même qu'on a pu s'illusionner sur un nouveau modèle économique des entreprises avec la « bulle Internet » au tournant de la dernière décennie, les établissements financiers ont prospéré sur une vision déformée de la réalité, alimentée par la « pierre philosophale » de la titrisation à plusieurs niveaux 6 ( * ) et se traduisant par un rendement disproportionné des fonds propres.

Cette inflexion dommageable des comportements et modèles économiques, dans un contexte de bulle du crédit et de sous-évaluation du risque de solvabilité des emprunteurs immobiliers, a été amplifiée par une politique monétaire accommodante 7 ( * ) et une régulation compartimentée donc incomplète. L'architecture souvent segmentée des autorités de supervision s'est ainsi montrée incohérente avec le nouveau modèle de croissance des banques , fondé sur la « marchéisation » du risque de crédit et l'optimisation du levier. Au surplus, certains acteurs, en particulier les agences de notation, ont mal joué leur rôle de « tiers de confiance » du système financier .

Ce faisant, la sophistication et la segmentation croissante des activités financières ont conduit à une moins bonne perception de la cohérence globale et de l'interaction des risques, une atténuation de leur « tarification » et de la responsabilité des acteurs qui les endossent ou les initient, et in fine à une multiplication des zones d'ombre et « passagers clandestins » (produits dérivés de gré à gré, paradis fiscaux, fonds spéculatifs à certains égards, véhicules de titrisation hors-bilan...).


* 1 Il convient à cet égard de rappeler que le Trésor américain n'avait pas accepté de soutenir cet établissement important, dans l'espoir de restaurer les vertus de l' « aléa moral ».

* 2 Par la loi de finances rectificative pour le financement de l'économie n° 2008-1061 du 16 octobre 2008, qui a créé la Société de financement de l'économie française (SFEF) et la Société de prise de participation de l'Etat (SPPE) et introduit une garantie spécifique de l'Etat à Dexia.

* 3 - Rapport d'information n° 1235 de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan de l'Assemblée nationale relatif à la crise financière, déposé le 5 novembre 2008 par MM. Didier Migaud et Gilles Carrez ;

- rapport d'information n° 1902 de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire de l'Assemblée nationale sur les paradis fiscaux, déposé le 10 septembre 2009 par MM. Didier Migaud, Gilles Carrez, Jean-Pierre Brard, Henri Emmanuelli, Jean-François Mancel et Nicolas Perruchot ;

- « 57 propositions pour un nouvel ordre financier mondial », rapport d'information n° 59
(2009-2010) de M. Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances, déposé le 21 octobre 2009 ;

- rapport d'information n° 2208 de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République de l'Assemblée nationale, en conclusion des travaux d'une mission d'information sur les défaillances de la régulation bancaire et financière, déposé le 22 décembre 2009 par M. Sébastien Huyghe.

* 4 Cf. Roger-Pol Droit in « Le banquier et le philosophe », par Roger-Pol Droit et François Henrot, Tribune Libre (Plon), février 2010.

* 5 Pour de plus amples éclaircissements sur les causes et manifestations de la crise, on pourra se référer utilement au rapport d'information de la commission, précité, intitulé « 57 propositions pour un nouvel ordre financier mondial ».

* 6 La titrisation « classique » de premier niveau peut apporter de nouvelles sources fiables de financement pour autant que la qualité des créances sous-jacentes soit correctement évaluée et restituée ; elle contient en revanche un potentiel de nocivité lorsqu'elle est « synthétique », par recours aux dérivés de crédit qui permettent de ne transférer que le risque sous-jacent aux créances, ou de second ou troisième niveau, par l'émission d'obligations adossées à des actifs titrisés telles que les CDO (« collateralised debt obligations »).

* 7 Le principal taux directeur de la Federal Reserve Bank (Fed) est ainsi passé de 6,5 % le 16 mai 2000 à 3,5 % le 21 août 2001 pour atteindre un plancher à 1 % le 25 juin 2003 . Il a ensuite été relevé à 1,25 % le 30 juin 2004, puis par paliers pour culminer à 5,25 % le 29 juin 2006.

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