2. Un texte incomplet, partiel et dont l'impact concret doit encore être déterminé

Outre les questions soulevées par tout débat général sur le cumul des mandats, la proposition de loi pose des problèmes spécifiques.

Problèmes de rédaction , tout d'abord. Votre rapporteur observe ainsi que les notions employées par les auteurs manquent de clarté : quelle est, par exemple, la portée juridique exacte du terme « fonction exécutive locale » ? Les vice-présidents non pourvus d'une délégation , et donc de facto dénués de pouvoir exécutif réel, seront-ils soumis à l'incompatibilité prévue par le présent texte ? Et, si tel était le cas, n'existerait-il pas un risque que les présidents de collectivité territoriale ou d'EPCI abusent de ces dispositions en confiant des délégations aux membres du bureau qu'ils voudraient empêcher d'obtenir ou de conserver un mandat au Parlement ?

Dans le cas contraire, c'est-à-dire si tous les membres du bureau étaient concernés par cette incompatibilité, qu'ils aient ou non une délégation, ne serait-il pas injuste de soumettre à un même régime des élus dépositaires de responsabilités aussi variées, et de traiter de manière similaire un président doté de nombreux pouvoirs et un vice-président nommé à titre purement honorifique ?

Problèmes de fond , ensuite, car la proposition de loi organique intervient dans un contexte de bouleversements profonds de la législation électorale.

Tout d'abord, votre rapporteur constate que toutes les lois limitant le cumul des mandats que le législateur a adoptées depuis 1985 concernaient l'ensemble des mandats électoraux et des fonctions électives, ce qui leur permettait de mettre en place une vision globale de cette question. A l'inverse, le présent texte ne développe qu'une approche « sectorielle » et partielle des incompatibilités électorales . Ce procédé n'est pas satisfaisant. Il nuit à la clarté des intentions du Parlement.

En outre, la présente proposition de loi organique a des liens forts avec la réforme des collectivités territoriales , qui crée les conseillers territoriaux, nouvelle catégorie d'élus cumulant les fonctions de conseiller général et de conseiller régional, et modifie en profondeur le mode de désignation des membres des organes délibérants des EPCI à fiscalité propre, qui seront désormais élus par le biais d'un système de « fléchage » dans lequel les conseillers municipaux ayant vocation à siéger au conseil communautaire exerceront, le plus souvent, des fonctions exécutives au niveau de la commune : elle rénove donc en profondeur la démocratie locale.

Cette réforme doit être prise en considération pour la fixation du régime d'incompatibilités applicable aux parlementaires. En effet, la question du cumul des mandats n'aurait pas de sens si elle était posée sans tenir compte de la nature des mandats locaux et de l'étendue des responsabilités et des prérogatives confiées aux élus : l'examen séparé de ces sujets exposerait le législateur à l'incohérence et l'empêcherait de mettre en oeuvre des mesures pragmatiques et adaptées aux besoins du « terrain ».

Ce problème a été particulièrement mis en lumière par M. Jean-Claude Colliard, président de l'université de Paris-I : celui-ci a notamment souligné que la charge de travail et l'importance des responsabilités des futurs conseillers territoriaux devrait, à terme, conduire le législateur à repenser l'ensemble des incompatibilités.

Votre rapporteur estime donc que la prohibition du cumul entre un mandat parlementaire et une fonction exécutive locale doit être examinée dans le cadre du projet de loi organique déposé par le gouvernement en octobre 2009 18 ( * ) , et non dans un texte à part.

Si ce texte n'était pas inscrit à l'ordre du jour du Sénat dans un délai raisonnable, la question de la limitation du cumul des mandats pour les parlementaires pourrait également être traitée lors de la recodification du code électoral , qui a lieu « à droit mouvant » : en effet, d'après les services du ministère de l'Intérieur, un texte réécrivant toutes les dispositions à valeur organique du code électoral devrait rapidement être déposé.

Problèmes de délais , enfin, dans la mesure où le présent texte devrait être examiné -tant par la commission qu'en séance publique- dans des délais courts, alors même qu'il soulève des questions fondamentales :

- l'absence de critère pour exclure certaines collectivités ou certains EPCI du champ d'application de l'incompatibilité. Il convient en effet de déterminer si la mise en place de règles identiques pour les élus des « petites » communes et des « petits » EPCI dénués de fiscalité propre et pour ceux des grandes villes, des départements et des régions est légitime au regard des objectifs poursuivis par le texte. Les auditions menées par votre rapporteur ont mis en évidence la complexité inhérente à cet exercice : la nécessité de ne pas décourager les trop rares citoyens qui désirent s'impliquer dans la vie des petites communes, qui impliquerait d'exclure les villes et les EPCI les moins peuplés du dispositif prévu par la proposition de loi organique, doit en effet être nuancée par la prise en compte de réalités pratiques (et notamment, comme le soulignait M. Guy Carcassonne, du fait qu'il est bien plus facile pour le maire d'une grande ville d'assurer la gestion quotidienne de sa municipalité, grâce à la taille des services sur lesquels il peut s'appuyer, que pour les maires des petites et moyennes communes). Cette question est donc loin de faire consensus ;

- la limitation du champ de l'incompatibilité aux fonctions exécutives locales . Il semble que cette disposition ne satisfasse pleinement ni les partisans du mandat unique, qui prônent une déconnection totale entre les mandats locaux et les mandats nationaux, ni les défenseurs d'un « non-cumul » limité.

Enfin, la proposition de loi organique ne saurait en aucun cas être examinée dans un délai trop court, dans la mesure où aucun consensus ne se dégage sur la question du cumul des mandats. Au cours de ses auditions, votre rapporteur a ainsi constaté que le seul point d'accord entre les personnes entendues était la nécessité de mieux tenir compte, à l'avenir, des EPCI (dont il resterait encore à déterminer s'ils doivent tous être pris en compte, ou si seuls les plus importants doivent être concernés) dans la législation relative au cumul des mandats . De même, les associations d'élus locaux que votre rapporteur a contactées -à savoir l'Association des maires de France, l'Assemblée des départements de France et l'Association des régions de France- ont toutes admis qu'elles étaient, à l'heure actuelle, dans l'incapacité de dégager une position commune à l'ensemble de leurs membres, qui sont très divisés sur la question du cumul des mandats, et donc sur les suites à donner à la présente proposition de loi organique.

*

Pour toutes ces raisons et malgré l'importance des enjeux qui sous-tendent le présent texte, votre commission a considéré qu'il serait prématuré d'examiner dès à présent la proposition de loi organique. Elle a décidé, pour ménager l'avenir, de ne pas établir de texte et de déposer une motion tendant au renvoi en commission du présent texte.


* 18 Projet de loi organique n° 62 (2009-2010) relatif à l'élection des membres des conseils des collectivités territoriales et des EPCI.

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