B. LE RAPPORT DE LA COUR DES COMPTES

Le rapport public thématique de la Cour des comptes comprend quatorze propositions, d'importance inégale.

1. Des propositions dans l'ensemble pertinentes, même si l'objectif de retour à l'équilibre des hôpitaux d'instruction des armées est peut-être excessif

Comme le montre l'encadré ci-après, la quasi-totalité consistent en des mesures essentiellement techniques et de bon sens, relevant souvent de la compétence des gestionnaires du SSA, et n'appelant pas de commentaire particulier.

Les recommandations du rapport de la Cour des comptes

Optimiser la formation des praticiens des armées

1. Mieux intégrer dans la scolarité des praticiens les besoins spécifiquement militaires du soutien santé des forces ;

2. Réduire le coût de la formation en limitant le personnel d'encadrement des écoles du service de santé ;

3. S'assurer du remboursement effectif des frais dus par les élèves ou militaires qui démissionnent avant l'achèvement de leurs obligations de service ;

Améliorer le soutien santé en opérations extérieures

4. Poursuivre l'adaptation du soutien santé aux nouvelles conditions d'emploi des forces (formation militaire, équipement, psychiatrie) ;

5. Accroître la coopération avec les alliés dans le cadre des engagements en coalition ;

6. Rendre compte des délais d'évacuation des blessés en opérations extérieures ;

7. Ouvrir plus largement les dispositifs du service de santé aux populations civiles locales afin de garantir une activité suffisante aux praticiens militaires et développer une démarche de coopération civilo-militaire ;

Recentrer les médecins d'unité sur la préparation opérationnelle

8. Recentrer l'activité des médecins d'unité sur leur métier opérationnel, afin de disposer de praticiens moins nombreux mais davantage concentrés sur la pratique de la médecine militaire et d'urgence ;

9. Mutualiser les médecins d'unité au sein des bases de défense afin d'accroître leur activité médicale ;

10. Facturer aux militaires et à leurs ayants droit les consultations et les soins pour des raisons ne relevant pas du service ;

Adosser l'emploi des compétences hospitalières sur le dispositif civil de santé

11. Fixer l'objectif de retour à l'équilibre des comptes d'exploitation des hôpitaux d'instruction des armée, déterminer le calendrier pour y parvenir, et en élaborer les modalités avec le dispositif civil de santé ;

12. Rechercher systématiquement une concertation avec les agences régionales de santé pour la définition des spécialités offertes par les hôpitaux militaires ;

13. Organiser une mutualisation des infrastructures et des équipements avec les établissements publics de santé ;

14. Déconcentrer et professionnaliser la gestion hospitalière avec l'appui local des agences régionales de santé et celui de l'école des hautes études en santé publique.

Source : Cour des comptes

Ainsi, comme le souligne le ministre de la défense, dans sa réponse annexée au rapport de la Cour des comptes, « les propositions de la Cour constituent une aide précieuse pour parfaire les réformes engagées ». Le ministre ajoute : « A quelques réserves près sur le détail de la situation du SSA, je souscris largement aux propositions avancées par la Cour, dont bon nombre ont déjà été prises en compte ou sont en voie de l'être ».

a) La polémique sur la proposition de retour à l'équilibre

Le ministre de la défense ne conteste véritablement qu'une proposition de la Cour des comptes, la proposition 11 de « fixer l'objectif de retour à l'équilibre des comptes d'exploitation des hôpitaux d'instruction des armée, déterminer le calendrier pour y parvenir, et en élaborer les modalités avec le dispositif civil de santé ».

Ainsi, il écrit : « Certains développements de la Cour me paraissent cependant devoir justifier un réexamen. Il en est ainsi de ceux relatifs au « déficit d'exploitation » des HIA, qui me semble devoir être considéré comme la première approche d'un coût de possession. (...) Il serait (...) aujourd'hui inexact et aventureux de vouloir assimiler ces montants très imparfaits à un « déficit d'exploitation » dénué de sens dans ce contexte ».

Il est vrai que la Cour des comptes est très critique au sujet de ce déficit, par exemple quand elle écrit : « Les hôpitaux militaires constituent le premier déficit hospitalier de France. S'il avait été pris en compte par la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins du ministère de la santé, il aurait conduit, à lui seul, à augmenter de plus de la moitié le déficit des hôpitaux publics en 2008 (506 millions d'euros de déficit net) alors que les hôpitaux d'instruction des armées ne représentent que 2 % des capacités hospitalières publiques ». Ou bien (ce sont les dernières phrases du rapport) : le SSA « doit définir une trajectoire financière de retour à l'équilibre de ses comptes et son calendrier de mise en oeuvre. Si le service de santé des armées ne parvenait pas à améliorer substantiellement ses performances et à atteindre cet objectif, la question de la pérennité des structures hospitalières militaires devrait alors être posée ». La Cour des comptes donne ainsi parfois l'impression de recommander un système analogue à celui du Royaume-Uni, qui a fermé ses hôpitaux militaires, les praticiens militaires étant accueillis par le National Health Service , avec lequel des conventions ont été conclues pour l'accueil des blessés. Or, selon le ministère de la défense le système britannique serait moins efficace sur le terrain que le système français 30 ( * ) .

b) Une polémique qui ne doit pas dissimuler la nécessité d'accroître l'activité des hôpitaux d'instruction des armées

Au-delà de la polémique sur la pertinence du recours à la notion de « déficit d'exploitation » des HIA, et sur le caractère peut-être excessif de la proposition de fixer un objectif d'équilibre, la Cour des comptes souligne un certain nombre de faits qui ne sont pas contestables.

En particulier, l'activité civile des HIA pourrait manifestement être accrue, ce qui présenterait le double avantage de fournir des recettes supplémentaires à la mission « Défense », qui ces prochaines années en aura bien besoin, et d'améliorer le savoir-faire des praticiens :

- les soins aux soldats ne correspondent déjà qu'à 5,4 % de l'activité des hôpitaux militaires, qui ont donc une activité en quasi-totalité civile ;

- les hôpitaux militaires ont un taux d'occupation des lits de 52 %, ce qui est inférieur aux normes communément admises dans les centres hospitaliers civils comparables (75 % en chirurgie, 85 % en médecine) ;

- il en découle une sous-activité des chirurgiens (140 séjours chirurgicaux par chirurgien et par an, contre 243 dans les centres hospitaliers comparables).

Le renforcement de la coordination avec les hôpitaux civils, afin notamment d'éviter des doublons coûteux et inutiles, doit en outre être poursuivi. Ainsi, à l'initiative de son rapporteur pour avis, notre collègue Jean-Jacques Jégou, la commission des finances a adopté un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, qui prévoit que le directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) peut « demander » au SSA de « signer une convention autorisant des coopérations entre les établissements publics de santé et les hôpitaux des armées » situés dans le ressort territorial de l'ARS, et au besoin diminuer les dotations de financement des missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (MIGAC) « pour qu'une telle convention soit signée ». Cet amendement a cependant été retiré en séance par le rapporteur pour avis, Nora Berra, secrétaire d'Etat à la santé, s'étant engagée à « mettre en oeuvre des synergies et des coopérations entre structures civiles et établissements militaires ».

2. Reconnaître les spécificités du SSA

Les rapporteurs spéciaux estiment que l'objectif de retour à l'équilibre fixé par la Cour des comptes méconnaît certaines spécificités du SSA.

a) Les militaires ne sont pas des « fonctionnaires en uniforme »

Tout d'abord, les militaires, en raison de la nature de leur engagement, de leur recrutement, de leur formation initiale et davantage encore de la formation continue qu'ils suivent, ne sont pas des fonctionnaires comme les autres, « avec un uniforme en plus ».

Ils ne le sont pas davantage si l'on considère leurs conditions d'existence et surtout celles qu'ils connaissent dans les situations de combat ou quand ils évoluent dans des zones dangereuses.

Il est clair que les situations ne sont pas comparables en Afghanistan et à Rambouillet, dans l'Océan Indien ou au large de Toulon, sur une base aérienne au Tadjikistan ou à Roissy.

Au moment où le débat sur la réforme des retraites a attiré très légitimement l'attention du Parlement sur la pénibilité de certaines professions, il est à espérer que nul ne s'avisera de contester la pénibilité inhérente aux travaux militaires.

Une pénibilité maximum et un danger permanent ou quasi permanent, paraissent créer des conditions qui permettent de dire, sans que cela soit infâmant pour quiconque, que les militaires français, à l'instar de leurs collègues étrangers, ne sont pas des « fonctionnaires en uniforme ».

b) Les hôpitaux militaires sont soumis à des contraintes particulières

Ensuite, la gestion des hôpitaux militaire est par nature différente de celle des hôpitaux civils.

Tel est bien entendu le cas en situation de conflit majeur. Pendant la première guerre du Golfe, les prévisions pour les premiers jours du conflit envisageaient plus de 800 blessés. Toulon, aujourd'hui base de défense majeure du bassin méditerranéen, devenait le point d'arrivée des évacuations sanitaires et des rapatriements des blessés. Pour les accueillir, l'Hôpital des Armées Sainte Anne avait été obligé d'évacuer tous ses lits, afin de les réserver à l'accueil des éventuels arrivants. S'il n'y en eut pratiquement aucun, qu'est-que cela change à cette situation de gestion exceptionnelle ? La gestion de cet hôpital est elle comparable à celle de son homologue civil de Font Pré à Toulon ? Les contraintes militaires en temps de conflit pour ces établissements sont très spécifiques et le resteront inéluctablement

Les hôpitaux militaires sont également sollicités en cas de catastrophe naturelle à l'étranger. Partent alors dans les délais les plus brefs pour Haïti, ou pour le Chili, des hommes et des femmes expérimentés et équipés qui montrent au monde entier les capacités de notre pays dans ce domaine.

Enfin, quand nos forces sont engagées dans les OPEX, aux quatre coins du monde, dans des territoires hostiles, les armées envoient nécessairement des unités sanitaires complètes aptes à parer à toutes les situations chirurgicales, médicales ou dentaires. Si le moral et la condition opérationnelle de nos troupes, quand elles sont engagées si loin de leurs bases, sont excellentes, c'est aussi par ce que les militaires savent que leur SSA est hors pair et qu'il s'agit là d'un fait avéré au plan international. Et que dire des soins de toute nature que le SSA apporte aux populations civiles impliquées dans le conflit, isolées et privées de tout ? Chacun sait, ou devrait savoir, l'importance de cette assistance aux populations étrangères. Or pour constituer ces équipes polyvalentes et pluridisciplinaires de ces ACA (antennes chirurgicales avancées), le SSA est contraint de « piller » littéralement tous ses hôpitaux, prenant ici un chirurgien, fût-il chef de service, ici les infirmiers, dans un troisième hôpital les radiologues ou les médecins, etc.

A longueur d'année, au fil des relèves qui se succèdent, le même processus incontournable, verra tous les hôpitaux militaires, subir le même sort, contribuer régulièrement à la formation de ces ACA, elles mêmes liées obligatoirement aux OPEX.

Qui peut contester que la place de la France dans le monde, son siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l'ONU, son statut de puissance mondiale, dépendent en très grande partie de ses capacités militaires et de sa disponibilité à participer aux opérations décidées par l'ONU ?

Les actions du SSA et sa performance contribuent dans une large part à la réussite de ces opérations, mais il faut être conscient que le service subit des contraintes considérables sur sa gestion et que celle-ci ne peut être comparée dans tous les domaines à celle des établissements civils.

En conséquence, les rapporteurs spéciaux considèrent qu'une part non négligeable des jugements que la Cour des Comptes porte sur la gestion des hôpitaux militaires français ne prend pas en compte les conditions très particulières que connaissent ces établissements, et qu'il convient au Parlement d'en tenir compte.


* 30 Dans sa réponse au rapport précité de la Cour des comptes, le ministère de la défense écrit que « la fermeture des hôpitaux militaires en faveur de l'appui du NHS est aujourd'hui perçue par les anglo-saxons eux-mêmes comme une entrave à la qualité des services proposés, provoquant une variation du respect de la conformité des normes de soins apportés sur les zones de conflit et au Royaume-Uni ».

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