Article 8 (art. L. 7123-11, L. 7123-13, L. 7123-14, L. 7123-15, L. 7123-16, L 7123-26, L. 7123-27, L. 7124-4 du code du travail) - Mise en oeuvre de la directive « services » pour les agences de mannequins

Objet : Cet article autorise les agences de mannequins établies dans un Etat de l'Union européenne ou de l'EEE à exercer leur activité en France, de façon temporaire et occasionnelle, après une simple déclaration et supprime les incompatibilités professionnelles applicables aux personnes travaillant pour ces agences.

I - Le dispositif proposé

Cet article tend à apporter plusieurs modifications au chapitre du code du travail consacré aux « mannequins et agences de mannequins » (articles L. 7123-1 à L. 7123-32).

En vertu de l'article L. 7123-11, le placement de mannequins à titre onéreux ne peut être réalisé que par des personnes titulaires d'une licence d'agence de mannequins.

Cette règle s'applique aux agences établies en France mais aussi à celles établies dans un autre Etat membre de l'Union européenne ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'EEE, ce qui n'est pas conforme à la directive « services ». Afin de donner toute sa portée au principe de la libre prestation de services, la directive autorise en effet les Etats membres à soumettre les prestataires de services établis dans un autre Etat membre à des formalités déclaratives mais pas à un régime d'autorisation, qui risquerait d'être redondant avec les obligations auxquelles ils sont déjà soumis dans leur Etat d'origine.

Pour mettre le code du travail en conformité avec la directive, le de l'article propose une nouvelle rédaction de l'article L. 7123-11 du code du travail : le principe selon lequel le placement de mannequins peut être réalisé à titre onéreux serait réaffirmé ; une personne établie sur le territoire national qui exerce l'activité de placement de mannequins à titre onéreux devra être titulaire d'une licence ; enfin, les agences de mannequins légalement établies dans un autre Etat de l'Union européenne ou de l'EEE pourront exercer leur activité en France de façon temporaire et occasionnelle, sous réserve d'une simple déclaration préalable de leur activité.

Le prévoit ensuite une mesure de coordination à l'article L. 7123-13 du même code. Cet article indique que les dispositions relatives au prêt de main d'oeuvre illicite ne s'appliquent pas aux agences de mannequins, à condition que celles-ci respectent les dispositions de l'article L. 7123-11.

Le propose une nouvelle rédaction de l'article L. 7123-14. Dans sa rédaction actuelle, cet article prévoit que la licence est accordée par l'administration pour une durée déterminée renouvelable, dans des conditions fixées par la voie réglementaire.

Deux modifications seraient apportées :

- la licence serait désormais attribuée pour une durée indéterminée mais l'agence de mannequins aurait l'obligation de fournir régulièrement les pièces établissant qu'elle continue de remplir les conditions déterminant son octroi et qu'elle respecte les exigences posées par le code du travail ; à défaut, la licence deviendrait caduque ;

- ensuite, l'administration devrait tenir compte, lorsqu'une agence est légalement établie dans un autre Etat de l'Union européenne ou de l'EEE, des exigences auxquelles elle est déjà soumise dans cet Etat.

La première modification permettrait de mettre le droit français en conformité avec l'article 11 de la directive, qui précise qu'une autorisation octroyée à un prestataire de services ne doit pas avoir de durée limitée. La seconde permettrait de réduire le nombre de pièces demandées aux agences européennes qui souhaitent s'établir en France et sollicitent une licence.

Le propose une nouvelle rédaction de l'article L. 7123-15, qui fixe une liste d'incompatibilités. Actuellement, une licence d'agences de mannequins ne peut être accordée à une personne qui exerce l'une des activités suivantes :

- production ou réalisation d'oeuvres cinématographiques ou audiovisuelles ;

- distribution ou sélection pour l'adaptation d'une production ;

- organisation de cours ou de stages de formation payants pour mannequins ou comédiens ;

- agence de publicité ;

- éditeur ;

- organisateur de défilés de mode ;

- photographe.

Ces incompatibilités s'appliquent aux dirigeants sociaux et aux associés, lorsque l'agence de mannequins a la forme sociétaire, ainsi qu'aux salariés de l'agence.

Dans son rapport sur le projet de loi modifiant le code du travail et relatif aux agences de mannequins et à la protection des enfants, Claude Huriet, alors sénateur, expliquait que « cette très longue liste a été dictée notamment par le souci d'écarter de toute activité dans une agence de mannequins des personnes qui prétendent exercer cette profession pour vendre à des « candidats mannequins » des prestations sans jamais rechercher à faire travailler ces candidats comme mannequin. Beaucoup de jeunes sont victimes de ces agissements et paient cher une consultation, la confection d'un dossier photos (press-book), le tournage d'un bout d'essai ou une pseudo-formation alors que les vraies agences fournissent ces services aux mannequins gratuitement dans le but de promouvoir leur carrière et ne se font payer en retour que lorsque le mannequin reçoit la rémunération provenant de ses premiers contrats d'engagement ». 4 ( * )

Cette liste d'incompatibilités serait supprimée et remplacée par deux alinéas :

- le premier poserait un principe général selon lequel les agences de mannequins auraient l'obligation de prendre « toutes mesures nécessaires pour garantir la défense des intérêts des mannequins qu'elles emploient et éviter les situations de conflit d'intérêts » ;

- le second préciserait que les agences auraient l'obligation de rendre publiques, dans des conditions précisées par décret en Conseil d'Etat, les autres activités professionnelles exercées par leurs dirigeants, dirigeants sociaux, associés et salariés, ainsi que les mesures prises pour se conformer au principe posé au premier alinéa.

En pratique, les agences pourraient, par exemple, mettre en oeuvre des mesures de formation du personnel, élaborer une charte relative à la séparation des fonctions ou encore assurer la transparence sur les frais d'agence.

Le propose une mesure de coordination, en supprimant l'article L. 7123-16 du code du travail, qui précise le champ d'application des incompatibilités.

Le tend à modifier l'article L. 7123-26 du même code, qui punit de six mois d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende le fait d'exercer l'activité d'exploitant d'agence de mannequins sans licence. Ces sanctions s'appliqueraient désormais également aux agences établies dans un autre pays de l'Union européenne ou de l'EEE qui viendraient exercer temporairement en France sans avoir procédé à la déclaration préalable prévue par le texte.

Le comporte une autre mesure de coordination, consistant à supprimer l'article L. 7123-27 qui définit les sanctions applicables en cas de non respect des règles d'incompatibilité.

Enfin, le procède à une dernière mesure de coordination à l'article L. 7124-4. En principe, l'embauche d'un enfant de moins de seize ans en vue d'exercer une activité de mannequin est subordonnée à l'obtention d'une autorisation individuelle. Cette autorisation n'est pas requise quand l'embauche est effectuée par une agence de mannequins titulaire de la licence d'agence de mannequins et qui a obtenu un agrément lui permettant d'engager des enfants. Une modification est nécessaire pour préciser que l'autorisation n'est pas requise lorsque l'agence exerce dans les conditions prévues à l'article L. 7123-11, ce qui permet de prendre en compte le cas des agences établies dans un autre pays de l'Union européenne ou de l'EEE, l'exigence de l'agrément étant bien sûr maintenue.

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

A l'initiative de sa commission des affaires sociales, l'Assemblée nationale a corrigé une erreur de référence à l'article L. 7123-28 du code du travail et a adopté deux amendements rédactionnels. Elle a surtout précisé que le décret en Conseil d'Etat prévu pour l'application des principes posés à l'article L. 7123-15 devra fixer les sanctions applicables en cas de méconnaissance de ses dispositions.

En séance publique, l'Assemblée nationale a ensuite adopté, à l'initiative du Gouvernement, un amendement tendant à lever la présomption de salariat des mannequins établis dans un autre Etat membre de l'Union européenne ou de l'EEE qui viennent exercer leur activité en France par la voie de la prestation de service, à titre temporaire et indépendant.

Les mannequins qui exercent en France sont protégés par une présomption simple de salariat 5 ( * ) : l'article L. 7123-3 du code du travail dispose en effet que « tout contrat par lequel une personne s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un mannequin est présumé être un contrat de travail ». Au regard du droit européen, cette exigence constitue une entrave à la libre prestation de services dans la mesure où elle peut conduire à la requalification en contrat de travail des conventions passées par un mannequin venu exercer son activité en France en tant que travailleur indépendant. Cette requalification entraîne des formalités et des coûts supplémentaires, du fait notamment de l'affiliation à la sécurité sociale qui en résulte, ce qui peut décourager des mannequins européens d'exercer sur notre territoire.

III - Le texte adopté par la commission

Cet article relatif aux agences de mannequins figurait déjà dans la proposition de loi « Warsmann » de simplification et d'amélioration de la qualité du droit 6 ( * ) qui a été adoptée par le Sénat, en première lecture, en décembre dernier. Lors de l'examen de ce texte, votre commission s'était interrogée sur le bien-fondé de la suppression de la liste des professions incompatibles, qui lui semblait présenter un risque du point de vue de la défense des intérêts des mannequins.

La réflexion plus approfondie qui a été possible à l'occasion de l'examen du présent projet de loi la conduit cependant à nuancer son analyse et à considérer que cette suppression est, en définitive, acceptable. Plusieurs éléments doivent ici être pris en considération :

- d'abord, le principe de ces incompatibilités paraît difficilement conciliable avec l'article 25 de la directive, qui impose aux Etats membres de veiller à ce que les prestataires de services ne soient pas soumis à des exigences qui limitent l'exercice conjoint ou en partenariat d'activités différentes ;

- ensuite, les agences de mannequins établies en France demeureront très contrôlées, dans la mesure où elles seront toujours tenues d'obtenir une licence pour exercer leur activité ;

- enfin, le principe général selon lequel les agences seront chargées de veiller à la défense des intérêts des mannequins et d'éviter les conflits d'intérêts donnera aux services de contrôle et aux tribunaux une base juridique solide pour sanctionner d'éventuelles dérives ; un décret précisera les obligations des agences de mannequins en ce domaine.

Il est d'ailleurs intéressant de noter que la commission des affaires sociales avait jugé en 1990, dans le rapport précité de Claude Huriet, que cette liste d'incompatibilités était excessive, compte tenu des garanties qui entourent l'octroi de la licence. Elle avait même estimé qu'une partie des professions incompatibles devraient, au contraire, être considérées comme complémentaires de l'activité d'agence de mannequins.

Si la règlementation actuelle des agences de mannequins doit évoluer, la vigilance des pouvoirs publics reste néanmoins de mise : la profession de mannequin attire notamment, en effet, un grand nombre de très jeunes filles, vulnérables, et il faudra veiller à ce que les mesures de transposition de la directive « services » n'entraînent pas une dégradation des pratiques dans ce secteur. Un bilan d'étape pourrait être utilement effectué dans quelques années afin de faire le point sur ce sujet.

Sur proposition de son rapporteur, votre commission a adopté un amendement d'harmonisation rédactionnelle, identique à celui adopté à l'article 6.

Elle a adopté cet article ainsi modifié.


* 4 Rapport n° 262 (1989-1990) de Claude Huriet, fait au nom de la commission des affaires sociales.

* 5 On parle de présomption simple, par opposition à la présomption irréfragable, lorsqu'il est possible d'apporter la preuve contraire.

* 6 Cf. rapport n° 3 (2010-2011) de Françoise Henneron, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires sociales.

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