N° 386

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 mars 2011

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et le Royaume-Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du nord relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes ,

Par M. Xavier PINTAT,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Josselin de Rohan , président ; MM. Jacques Blanc, Didier Boulaud, Jean-Louis Carrère, Jean-Pierre Chevènement, Robert del Picchia, Jean François-Poncet, Robert Hue, Joseph Kergueris , vice-présidents ; Mmes Monique Cerisier-ben Guiga, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. André Trillard, André Vantomme, Mme Dominique Voynet , secrétaires ; MM. Jean-Étienne Antoinette, Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, René Beaumont, Jean-Pierre Bel, Jacques Berthou, Jean Besson, Michel Billout, Didier Borotra, Michel Boutant, Christian Cambon, Marcel-Pierre Cléach, Raymond Couderc, Mme Michelle Demessine, M. André Dulait, Mmes Bernadette Dupont, Josette Durrieu, MM. Jean Faure, Jean-Paul Fournier, Mme Gisèle Gautier, M. Jacques Gautier, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Robert Laufoaulu, Simon Loueckhote, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Rachel Mazuir, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jean Milhau, Charles Pasqua, Philippe Paul, Xavier Pintat, Bernard Piras, Christian Poncelet, Yves Pozzo di Borgo, Jean-Pierre Raffarin, Daniel Reiner, Roger Romani, Mme Catherine Tasca.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

322 et 387 (2010-2011)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le présent projet de loi a pour objet d'autoriser la ratification du traité entre la France et le Royaume-Uni relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes, signé à Londres le 2 novembre 2010.

Sur la base de ce traité, la France et le Royaume-Uni vont réaliser en commun certains outils d'expérimentation nécessaires pour garantir la fiabilité et la sûreté de leurs armes nucléaires.

Grâce au partage des investissements, cette coopération va générer une économie appréciable, évaluée entre 400 et 450 millions d'euros pour chacun des deux pays.

Le traité présente par ailleurs une dimension politique et stratégique majeure, puisqu'il engage entre la France et le Royaume-Uni une coopération touchant à leur capacité de dissuasion nucléaire.

C'est également le 2 novembre 2010, lors du 31 ème sommet franco-britannique, qu'a été signé un traité bilatéral de coopération en matière de défense et de sécurité, dont la ratification ne nécessite pas quant à elle, au regard des stipulations de ce texte et de l'article 53 de la Constitution, de procédure d'autorisation parlementaire.

Ces deux instruments traduisent la volonté de la France et du Royaume-Uni de renforcer vigoureusement leur coopération dans le domaine de la défense, douze ans après le sommet bilatéral de Saint-Malo qui avait donné une impulsion décisive à la mise en place d'une politique européenne de sécurité et de défense.

Les orientations définies lors du sommet de Londres, le 2 novembre 2010, couvrent l'ensemble des aspects de la relation de défense franco-britannique, qu'il s'agisse de la coopération opérationnelle, du partage ou de la mutualisation d'équipements et d'actions de formation ou de soutien, de la coopération en matière de recherche et d'armement ou encore de rapprochements dans l'industrie de défense.

Entre la France et Royaume-Uni, les facteurs de convergence dans le domaine de la défense sont nombreux. Leur effort de défense, le volume de leurs forces, la gamme de leurs capacités opérationnelles et industrielles en font les deux plus importantes puissances militaires en Europe. Membres permanents du Conseil de sécurité, les deux pays entendent maintenir un outil de défense à la mesure de leurs responsabilités internationales.

La relance de la coopération bilatérale résulte d'une démarche pragmatique, stimulée par la situation dégradée des finances publiques. Il s'agit de rechercher, dans tous les domaines, les moyens d'optimiser les investissements et les capacités de défense, dans le respect de la souveraineté et des intérêts nationaux de chaque partenaire.

Cette démarche entend également prendre valeur d'exemple à l'échelle européenne, en montrant l'intérêt du partage des capacités, des mutualisations et des investissements communs, à l'heure où les politiques budgétaires se traduisent par un affaissement inquiétant de l'effort de défense en Europe.

Votre rapporteur présentera en premier lieu les principaux axes définis lors du sommet de Londres pour la coopération de défense franco-britannique.

Il évoquera ensuite plus précisément les perspectives de coopération dans le domaine nucléaire militaire, qui portent sur des installations d'expérimentation dédiées à la simulation pour les armes nucléaires, avant de détailler les dispositions du traité relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes, soumis à l'examen du Sénat.

I. LA RELANCE DE LA COOPÉRATION DE DÉFENSE FRANCO-BRITANNIQUE

Le renforcement de la coopération franco-britannique de défense et de sécurité repose sur de nombreuses convergences objectives d'intérêts et d'ambitions entre les deux pays.

Stimulé par la contrainte budgétaire, ce renforcement n'aurait pas été possible sans une vigoureuse impulsion politique au plus haut niveau, ainsi qu'un haut degré de confiance entre les deux partenaires. A cet égard, la clarification de la position française au sein de l'OTAN a joué un rôle positif en levant certains obstacles psychologiques.

Les décisions prises à Londres le 2 novembre 2010 constituent une feuille de route ambitieuse en vue d'établir des relations plus étroites entre les deux principales puissances militaires européennes et d'optimiser leur outil de défense.

A. DES CONVERGENCES D'INTÉRÊTS ET D'AMBITIONS

Dans un rapport d'information 1 ( * ) publié le 9 juillet 2010 au nom de la commission des affaires étrangères et de la défense, le président Josselin de Rohan et de notre collègue Daniel Reiner insistaient sur l'opportunité nouvelle qui se présentait pour renforcer la coopération et le partenariat entre la France et le Royaume-Uni.

Votre rapporteur renvoie à la lecture de ce rapport d'information et se limitera à brièvement rappeler les raisons qui militent pour ce rapprochement.

1. Des convergences objectives

Les convergences entre la France et le Royaume-Uni en matière de défense et de sécurité s'appuient sur deux types de réalités objectives.

Elles sont d'abord d'ordre politique et stratégique . Les deux pays constatent qu'ils ont des intérêts de sécurité identiques et l'ont souligné à de nombreuses reprises, et en dernier lieu lors du sommet de Londres. Par leur histoire, leur statut international de membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, l'étendue des relations qu'ils entretiennent sur l'ensemble des continents, ils portent une attention particulière aux conflits, crises ou menaces susceptibles de mettre en cause la sécurité internationale. Il est significatif que la France et le Royaume-Uni soient à l'origine de près de 80 % des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité des Nations unies, signe de leur implication dans le règlement des crises internationales et de leur grande proximité de vues. La crise libyenne en offre une nouvelle illustration.

Les convergences franco-britanniques tiennent également à une posture de défense très comparable. Les deux pays possèdent une force de dissuasion nucléaire et un éventail analogue de capacités conventionnelles. La France comme le Royaume-Uni jugent indispensable de conserver un outil militaire capable de faire face à une large gamme de scénarios, y compris des opérations de combat de haute intensité. En dehors des Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni figurent parmi les rares pays à être capables de projeter leurs capacités militaires à longue distance pour de telles opérations. A l'analogie des missions fixées aux deux politiques de défense répond un dimensionnement assez voisin des armées respectives. Les budgets de défense sont du même ordre de grandeur : autour de 40 milliards d'euros par an, soit environ 2 % du PIB. Les deux pays souhaitent également maintenir leur industrie de défense au meilleur niveau technologique. Celle-ci représente environ 200 000 emplois directs pour chacun d'entre eux.

Cela est souvent souligné, la France et le Royaume-Uni rassemblent à eux seuls près de 50 % des budgets défense de l'ensemble de l'Union européenne, près de 50 % des dépenses d'équipement et près des deux-tiers des dépenses de recherche et technologie de défense.

2. Deux outils de défense placés devant un même défi

La France et le Royaume-Uni disposent d'un outil de défense de dimension comparable et entendent conserver un éventail de capacités qui fait d'eux des acteurs militaires majeurs, en Europe et dans le monde, en accord avec leurs responsabilités internationales.

Cette ambition est fragilisée par les contraintes budgétaires extrêmement fortes pesant sur l'un et l'autre pays.

Votre rapporteur rappelle, pour ce qui est de la France , que la loi triennale de programmation des finances publiques pour la période 2011-2013 a déjà conduit à retoucher les objectifs de la loi de programmation militaire. Certes, il faut le souligner, la défense a véritablement bénéficié d'une attention prioritaire. À la différence des autres ministères, elle doit voir ses crédits progresser d'ici 2013, même si ce n'est pas dans la proportion initialement prévue par la loi de programmation. Il en résulte une diminution des crédits programmés de 3,5 milliards d'euros sur la période 2011-2013, qui pourrait en partie être compensée par un surcroît de recettes exceptionnelles, évalué à 2,3 milliards d'euros sur la même période.

L'impact des réductions opérées paraît assez modeste sur l'exercice 2011. Il sera en revanche plus sensible à partir de 2012 et au-delà, puisqu'un certain nombre de décalages de programmes ou d'étalements des paiements ont déjà été annoncés. En tout état de cause, ce cadrage financier sera de nouveau réexaminé en 2012. Il faut rappeler que le format des armées et les capacités militaires prévus par le Livre blanc avaient été établis sur la base d'une hypothèse d'accroissement du budget de la défense de 1 % par an en volume, c'est-à-dire 1 % de plus que l'inflation, à partir de 2012 et jusqu'en 2020.

Le Royaume-Uni a pour sa part arrêté ses choix budgétaires de défense dans le cadre de la Strategic Defence and Security Review publiée le 19 octobre 2010. Par rapport à l'année 2010, qui constituait il est vrai un « pic » budgétaire pour la défense britannique (avec un montant de 39,3 milliards de livres, supérieur de 11 % au montant de 2006), le Royaume-Uni a programmé une diminution progressive du budget de défense de 7,5 % en volume d'ici 2015 , soit une enveloppe annuelle de 37 milliards de livres (42 milliards d'euros) sur la durée de la législature. Il s'agit certes d'un arbitrage relativement favorable à la défense, alors que le Chancelier de l'Echiquier avait évoqué une diminution pouvant aller jusqu'à 20 %. Les crédits devraient progresser en valeur, jusqu'en 2015, ce qui permettrait, selon le Premier ministre, une stabilisation de l'effort de défense au-dessus de 2 % du PIB sur la période.

Ces décisions se traduiront par une réduction significative du format des armées britanniques .

Les diminutions d' effectifs portent sur 17 000 postes militaires et 25 000 postes civils d'ici 2015, soit 42 000 postes supprimés sur 275 000.

En termes d' équipements , le programme de renouvellement des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins est repoussé à 2016, le nombre de frégates et de destroyers sera réduit de 23 à 19, le nombre de blindés (chars Challenger II ) sera diminué de 40 % et le volume de l'artillerie lourde de 35 %, le nombre d'avions de combat Tornado conservés en l'attente de l'arrivée du Joint Strike Fighter (JSF) sera lui aussi réduit. Les deux décisions les plus remarquées concernent le retrait du service du porte-avions Ark Royal et des avions Harrier , qui prive le Royaume-Uni d'un groupe aérien embarqué jusqu'à l'entrée en service du nouveau porte-avions, doté du JSF, à l'horizon 2020, et le renoncement au programme d'avion de surveillance Nimrod MRA-4 , qui équivaut à un abandon de capacité en matière d'aviation de patrouille maritime.

Le resserrement des contraintes budgétaires incite puissamment la France comme le Royaume-Uni à rechercher des coopérations et des mutualisations si chacun des deux pays souhaite demeurer une puissance militaire globale, ce que les commentateurs, invoquant une « entente frugale », ont résumé par le dilemme « share it or loose it ».

3. Une coopération bilatérale utile à l'Europe

Il est notable de relever que dans la Strategic Defence and Security Review , comme dans le « Livre vert » publié quelques mois auparavant par le gouvernement de Gordon Brown, le Royaume-Uni met l'accent sur les partenariats , en particulier sur de nouveaux modèles de coopération bilatérale avec les pays ayant une posture de défense comparable ou participant aux mêmes opérations multinationales.

La relation de défense et de sécurité avec les Etats-Unis conserve pour Londres une place prééminente.

Toutefois, la France est expressément considérée, après les Etats-Unis, comme le premier pays avec lequel la coopération doit être intensifiée .

C'est le sens de la démarche pragmatique qui a permis, au sommet de Londres, d'arrêter un certain nombre de projets répondant à une réelle convergence d'objectifs et de calendriers.

Le renforcement de la coopération de défense franco-britannique annoncé le 2 novembre dernier a provoqué certaines interrogations : ce rapprochement entre les deux principaux acteurs militaires européens n'allait-il pas, par contrecoup, affaiblir la politique de sécurité et de défense commune et les coopérations avec les autres pays européens ?

Votre rapporteur ne le pense pas pour trois séries de raisons.

Premièrement, il est évident qu'un effritement des capacités militaires françaises et britanniques nuirait à la défense européenne dans son ensemble. En cherchant à optimiser leurs moyens et à préserver leurs capacités, les deux pays obéissent à leurs intérêts nationaux, mais ils font également en sorte de pouvoir maintenir une contribution européenne significative dans l'OTAN et une base solide pour les opérations de la politique de sécurité et de défense commune . On a trop souvent regretté que le Royaume-Uni ne se tourne pas suffisamment vers l'Europe en matière de défense pour lui reprocher aujourd'hui une coopération renforcée avec l'autre acteur militaire européen majeur qu'est la France.

Deuxièmement, la coopération franco-britannique n'est pas exclusive de la participation d'autres partenaires européens aux projets décidés en commun, dès lors qu'ils partagent les mêmes objectifs. Elle n'est pas davantage exclusive d'autres formats de coopération et elle ne couvre pas, loin de là, tout le champ potentiel de cette coopération. A titre d'exemple, dans le domaine spatial, les deux pays souhaitent coopérer sur les satellites de télécommunications, mais le Royaume-Uni n'est pas impliqué dans les satellites d'observation, qui font l'objet pour leur part d'une coopération associant d'autres pays, dont la France.

Troisièmement, on peut constater que cette démarche de coopération réaliste , fondée sur de véritables besoins et calendriers communs, a été montrée en exemple par plusieurs responsables étrangers. Elle témoigne que des partages de capacités ou des dépendances mutuelles sont envisageables. Il est souhaitable que d'autres groupes de pays engagent, sur le même modèle, des coopérations de nature à mieux utiliser leurs ressources.

C'est pourquoi cette coopération, bien que bilatérale, est incontestablement utile pour l'Europe dans son ensemble .


* 1 « La coopération bilatérale de défense entre la France et le Royaume-Uni » - Document Sénat n° 658 (2009-2010) - http://www.senat.fr/notice-rapport/2009/r09-658-notice.html

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