B. DES DISPOSITIONS COÛTEUSES ET LARGEMENT INUTILES

Outre les risques d'inconstitutionnalité non négligeables qu'encourt la proposition de loi, votre rapporteur estime l'intervention du législateur inopportune , alors que de nombreuses marges de manoeuvre en faveur des langues régionales restent inexploitées par les collectivités. Ainsi que le rappelait à votre commission M. Xavier North, délégué général à la langue française et aux langues de France, « si l'usage du français s'impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public, cet impératif ne s'oppose nullement à l'usage des langues régionales dès lors que leur expression est assortie d'une version en langue française, qui, seule, a valeur juridique, de sorte que les collectivités peuvent par exemple, pour l'information du public, recourir à une langue régionale, au côté du français, dans leurs actes d'état civil, sur leurs répondeurs téléphoniques, dans leur signalétique, sur leurs formulaires, leurs cartons d'invitation, leur papier à en-tête, les cartels d'expositions, les programmes culturels, dans les visites guidées, sur les sites internet... sans qu'il y ait besoin de se référer en la matière à un texte légal. » 1 ( * )

Plusieurs dispositions des titres IV, V et VI ne font qu'énumérer des facultés qui sont satisfaites par le droit existant et qu'il est inutile d'inscrire dans la loi. Outre l'effet d'encombrement et de redondance, il est préférable de ne pas mettre en avant certains cas particuliers, sous peine d'affaiblir la portée générale des possibilités offertes par le droit existant. Par exemple, il n'est pas judicieux de distinguer aux articles 44 et 45 de la proposition de loi les seuls services de la petite enfance et ceux qui accueillent des personnes âgées. En effet, ces énumérations peuvent nourrir des interprétations restrictives limitant les facultés d'emploi des langues régionales aux seuls cas mentionnés expressément dans la loi. Même si ces interprétations restrictives n'étaient pas in fine valides, elles ne manqueraient pas de fleurir, de troubler les élus et les acteurs de terrain et de susciter des recours devant les tribunaux, dont l'issue serait incertaine. Loin de clarifier et de protéger les possibilités offertes aujourd'hui, la proposition de loi par ses ambiguïtés crée paradoxalement les conditions d'un affaiblissement de la situation des langues régionales .

La loi n'a pas vocation à énumérer et régler tous les cas de figure, c'est là le rôle d'une circulaire , comme celle que prépare actuellement le ministère de la culture, en collaboration avec les ministères de l'éducation nationale et de l'intérieur, qui rappellera utilement les facultés existantes. Plus généralement, votre rapporteur ne peut approuver l'inclusion de dispositions d'ordre réglementaire dans un texte de loi. Dans tous les cas, la montée dans l'ordre législatif, outre qu'elle contrevient à l'article 34 de la Constitution, ne serait pas judicieuse car elle aboutirait à des différences de traitement injustifiées entre des situations semblables.

En particulier, l'article 18 du texte souhaite inscrire dans la loi les modalités de formation et de recrutement des enseignants de langue régionale si le statut général de la fonction publique est d'ordre législatif, l'organisation des statuts particuliers des corps de fonctionnaires est d'ordre réglementaire. L'organisation des concours et du recrutement des différents corps d'enseignants, ainsi que le détail des formations initiale et continue qui leur est réservée, ne dépendent pas de la loi, mais de décrets du ministre de l'éducation nationale ou du ministre de l'enseignement supérieur. Il ne peut être réservé sans fondement légitime un sort particulier aux seuls enseignants de langues régionales de l'éducation nationale, comme le voudrait la proposition de loi.

Enfin, votre rapporteur se doit d'insister sur le coût indéterminé mais potentiellement très élevé de la mise en oeuvre de toutes les mesures inscrites dans la proposition de loi. L'éducation nationale, le ministère de la culture, France télévisions, l'association des régions de France (ARF), lors de leurs auditions, se sont montrés préoccupés par l'impact financier du texte, tant pour l'État que pour les collectivités territoriales. Dans un contexte budgétaire très difficile, les efforts demandés par le texte paraissent excessifs. Ils visent essentiellement à faire émerger une demande de langues régionales au sein de la population, par tous les moyens, plutôt qu'à répondre à des besoins clairement identifiés, qui sont en réalité largement satisfaits .

Malgré son attachement sincère à la préservation de la richesse culturelle que porte les langues régionales, votre rapporteur ne peut dès lors qu'émettre un avis défavorable à l'adoption de la présente proposition de loi .


* 1 Audition du 1 er juin 2011.

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