C. UNE ASSIETTE CONSOLIDÉE NÉCESSITANT UNE CLEF DE RÉPARTITION

1. La consolidation s'impose à tous les membres du groupe
a) Le groupe comprend les établissements stables et les filiales installés dans l'Union européenne

Aux termes de l'article 55, « une contribuable forme un groupe à partir :

« - de l'ensemble de ses établissements stables situés dans d'autres Etats membres de l'Union européenne ;

« - de l'ensemble des établissements stables situés dans un Etat membre qui appartiennent à ses filiales [...] résidant dans un pays tiers ;

« - de l'ensemble de ses filiales [...] résidant dans un ou plusieurs Etats membres ;

« - d'autres contribuables résidentes ayant le statut de filiales [...] de la même société résidant dans un pays tiers [...] ».

La notion d'établissement stable, habituelle en droit fiscal, est définie à l'article 5, tandis que celle de filiale est précisée à l'article 54. Il s'agit des sociétés dans lesquelles la société-mère détient, directement ou indirectement, cumulativement :

- plus de 50 % des droits de vote ;

- et plus de 75 % du capital ou plus de 75 % des droits sur le bénéfice .

Il convient de noter qu'un contribuable non résident peut former un groupe à partir de l'ensemble de ses établissements stables présents sur le territoire de l'Union européenne.

La directive ne permet pas à une société-mère de choisir lesquels de ses filiales ou de ses établissements stables font partie du groupe au titre de l'assujettissement à l'ACCIS . Dès lors que les critères sont remplis, chaque filiale ou établissement stable calcule son propre résultat fiscal conformément aux règles exposées plus haut ( cf. II. B. ). Dans un second temps, « les assiettes imposables des membres d'un groupe font l'objet d'une consolidation » (article 57).

b) Une intégration fiscale plus large que le droit français

Les critères de définition de la filiale apparaissent sensiblement plus larges que ceux en vigueur en France. Ainsi, pour bénéficier du régime de l'intégration fiscale (articles 223 A et suivants du code général des impôts), la société-mère doit posséder, directement ou indirectement, 95 % du capital, mais la société mère peut alors choisir le périmètre d'intégration . A l'inverse, dans le régime du bénéfice mondial consolidé sont comprises toutes les filiales dans lesquelles la mère détient, directement ou indirectement, 50 % au moins des droits de vote 22 ( * ) .

La Commission retient quant à elle un double critère de pouvoir et de propriété (soit sur le capital, soit sur le bénéfice).

Initialement, la Commission avait proposé un seuil de détention de 50 % du capital ou des droits sur le bénéfice. Néanmoins, certains Etats, dont la France, estiment que l'intégration ne doit être ouverte qu'à un niveau bien supérieur (au minimum 90 %). A l'inverse, en droit allemand, l'intégration est possible dès lors qu'une société possède plus de 50 % du capital d'une filiale.

La position française entend réserver l'intégration fiscale à des groupes qui sont très étroitement liés d'un point de vue économique et dont la relation ne peut se réduire à une simple participation financière même majoritaire. La position allemande considère qu'il ne revient pas à la puissance publique de juger de l'étroitesse des liens entre deux entités économiques et que, par conséquent, l'intégration fiscale doit suivre les règles de l'intégration économique (propriété de plus de 50 % du capital) et comptable.

Le seuil de 75 % inscrit dans la proposition constitue simplement le juste milieu entre deux positions opposées et difficilement réconciliables.

c) Les transactions intragroupe sont neutralisées pour le calcul de l'assiette consolidée

Les articles 59 et 60 prévoient, fort logiquement, la neutralité fiscale des transactions intragroupe et permet en particulier l'élimination des problèmes liés à l'élaboration des prix de transfert . Le premier article dispose que « les profits et pertes résultant de transactions directement réalisées entre membres d'un groupe n'entrent pas en ligne de compte aux fins du calcul de l'assiette imposable consolidée » ; tandis que le second interdit toute retenue à la source sur lesdites transactions.

Pour ce faire, les groupes doivent se doter d'une « méthode uniforme et convenablement documentée », qui ne peut changer que « pour des motifs économiques valables », destinée à permettre l'enregistrement des transactions intragroupe. « La méthode d'enregistrement [...] permet l'identification de tous les transferts et ventes intragroupe pour leur coût de revient ».

Là encore, en comparaison du droit français 23 ( * ) applicable pour l'intégration fiscale, cette règle de neutralisation apparaît trop générale et, par là, trop imprécise . Par exemple, est-ce qu'un abandon de créance ou des subventions entre sociétés du groupe seraient considérées comme une « transaction intragroupe » ?

2. La clef de répartition est censée représenter le poids de chaque membre dans l'ensemble du groupe

Lorsque l'assiette imposable consolidée est positive, elle fait l'objet d'une répartition entre « les membres du groupe » et non entre les Etats membres. La distinction peut sembler subtile mais elle a son importance, notamment pour la répartition des bénéfices résultant d'activités facilement délocalisables, tel que le commerce électronique ( cf. infra ).

La répartition du résultat consolidé a pour but de distribuer à chaque membre du groupe la quote-part représentative de son poids dans l'ensemble . Pour ce faire, la clef de répartition comprend trois facteurs , chacun affecté d'une pondération égale d'un tiers :

- la main d'oeuvre ;

- les immobilisations corporelles ;

- le chiffre d'affaires .

Exemple chiffré de répartition du résultat fiscal

Le groupe est composé de A et B. L'assiette fiscale consolidée est de 900.

Main d'oeuvre totale = 100 ; A = 70 ; B = 30 ;

Immobilisations totales = 1 000 ; A = 600 ; B = 400 ;

Chiffre d'affaires total = 5 000 ; A = 3 500 ; B = 1 500.

Quote-part A =

[(1/3 x 70/100) + (1/3 x 600/1 000) + (1/3 x 3 500/5 000)] x Assiette fiscale consolidée

= [0,23 + 0,2 + 0,23] * 900

600

La quote-part de A sera (0,66 x 900), soit environ 600, soit l'équivalent de deux tiers de l'assiette consolidée.

a) Le facteur main d'oeuvre

Pour chaque membre d'un groupe, le facteur main d'oeuvre est constitué pour moitié du montant total de la masse salariale et pour moitié du nombre d'employés .

Si l'on affine l'exemple chiffré ci-dessus, le facteur main d'oeuvre se calcule selon la formule suivante :

1/3 * [(1/2 x employés A / employés groupe) + (1/2 x masse salariale A /masse salariale groupe)].

La proposition de directive définit en détail ce que recouvrent les notions d'employés et de masse salariale.

b) Le facteur immobilisations

Il n'est constitué que des seules immobilisations corporelles . En effet, compte tenu de leur caractère par trop mobile, les immobilisations incorporelles et les actifs financiers ne sont pas retenus : le risque de déplacement de la matière imposable serait trop élevé.

A titre dérogatoire, l'article 92 prévoit que les coûts supportés en matière de recherche et développement, de commercialisation et de publicité au cours des six années ayant précédé l'entrée dans le régime ACCIS seront également inclus dans le facteur « immobilisations » en tant qu'indicateur représentatif des immobilisations incorporelles et ce pour une période de cinq ans .

c) Le facteur chiffre d'affaires

Le chiffre d'affaires désigne le produit de toutes les ventes de biens et prestations de services .

L'article 96 dispose que « les ventes de biens sont incluses dans le facteur "chiffres d'affaires" du membre du groupe situé dans l'Etat membre d'arrivée de l'expédition » ; de même, les « prestations de services sont incluses dans le facteur [...] du membre du groupe situé dans l'Etat membre dans lequel la prestation de services est matériellement exécutée ».

Le principe de la vente par destination a des conséquences importantes, notamment en matière de vente par correspondance ou de commerce électronique. Soit un acheteur français qui acquiert un bien auprès d'une entreprise allemande, deux cas peuvent alors se présenter :

- soit l'entreprise allemande fait partie d'un groupe soumis à l'ACCIS et ledit groupe a une filiale en France : le produit de la vente est compté, pour la répartition du résultat consolidé, dans le facteur « chiffre d'affaires » de la filiale française alors même qu'elle n'est pas partie à la vente ;

- soit le groupe n'a pas de filiale en France et le produit de la vente est inclus dans le facteur « chiffre d'affaires » de tous les membres du groupe au prorata de leurs facteurs « main d'oeuvre » et « immobilisations ».

Aujourd'hui, lorsqu'un professionnel français achète un service de publicité en ligne auprès d'une entreprise légalement sise dans un autre Etat membre, le chiffre d'affaires résultant de cette vente est imposé dans l'autre Etat membre. Du fait du principe de la vente par destination, la proposition de directive aurait un effet bien différent. Dès lors que l'entreprise vendant le service possèderait ne serait-ce qu'un établissement stable en France, la vente serait comptabilisée dans le facteur « chiffre d'affaires » dudit établissement.

En matière de commerce électronique, la proposition aurait pour conséquence de re-territorialiser une partie de l'assiette de l'impôt sur les sociétés qui, pour le moment, échappe aux Etats membres dont la fiscalité est la moins favorable.

d) La directive prévoit une clause de sauvegarde

L'article 103 dispose que « le montant de l'imposition de chaque membre du groupe est le montant résultant de l'application du taux d'imposition national à la quote-part de résultat ». La souveraineté fiscale des Etats en matière de fixation des taux n'est pas remise en cause par la proposition de directive.

Toutefois, un Etat membre ou la société-mère peuvent estimer que « la quote-part de résultat attribuée à un membre du groupe à l'issue de l'exercice de répartition ne reflète pas fidèlement le volume d'activité de ce membre du groupe ». Ils peuvent alors demander « qu' une autre méthode soit utilisée ».

Dans ce cas, l'ensemble des autorités fiscales compétentes doivent se mettre d'accord sur une nouvelle méthode et en informer la Commission.

La proposition de directive prévoit également des dispositions particulières concernant les facteurs « chiffre d'affaires » et « immobilisations » pour les établissements financiers ; les entreprises d'assurance ; le secteur pétrolier et gazier ; le transport maritime, fluvial et aérien.

3. Les déficits peuvent faire l'objet d'un report en avant illimité

L'article 43 prévoit qu'un déficit peut être déduit, sans limitation de durée, lors des exercices fiscaux suivants , à l'instar du principe posé par l'article 209 du code général des impôts. Le report en arrière n'est pas autorisé 24 ( * ) , principalement pour des raisons tenant aux difficultés de gestion inhérentes à un tel dispositif .

De même, le résultat fiscal consolidé peut, s'il est négatif, faire l'objet d'un report en avant et être imputé sur la prochaine assiette imposable consolidée positive (article 57).


* 22 A ce titre, en droit français, il n'y a pas une identité totale entre intégration et consolidation.

* 23 Articles 223 A à 223 U du code général des impôts.

* 24 L'article 220 quinquies du code général des impôts autorise le report en arrière sur les trois exercices fiscaux précédents.

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