b) Un dispositif qui impliquerait le passage au « fédéralisme budgétaire » et ne permettrait pas d'éviter le risque de crise autoréalisatrice

• L'idée de telles « euro-obligations », ou « eurobonds », cherche à concilier deux objectifs en partie contradictoires :

- d'une part, mettre fin à la fragilité structurelle de la zone euro, qui est qu'elle rend ses membres fortement endettés vulnérables à des crises autoréalisatrices ;

- de l'autre, éviter que l'allégement de la pression des marchés qui en résulterait conduise certains de ses membres à renouer avec le laxisme budgétaire. L'objectif n'est évidemment pas de susciter d'ici une dizaine d'années une crise auto-réalisatrice au niveau de l'ensemble de la zone euro.

La question est donc de savoir quelle doit être la nature de la contrainte.

Dans la proposition de Jakob von Weizsäcker et Jacques Delpla - reprise dans ses grandes lignes par Jean-Claude Juncker, Giulio Tremonti et Pervenche Berès - ce serait celle des marchés . En effet, la dette au-delà du seuil de 60 % serait émise par l'Etat à des taux plus élevés.

Cependant cette incitation risque de ne pas fonctionner : la prime de risque demandée par les marchés risque d'être trop faible ou trop élevée, et dans ce dernier cas d'entraîner le défaut de l'Etat concerné 67 ( * ) .

Par ailleurs, les Etats « vertueux » risquent de voir leur taux d'intérêt fortement augmenter sur leur part « nationale », si les marchés anticipent qu'ils reprendront à leur charge une part importante de la dette de leurs partenaires.

Il ne faut pas perdre de vue que l'objectif essentiel est d'éviter les crises autoréalisatrices, pas de les aggraver.

Ainsi, comme le souligne George Soros - favorable aux eurobonds -, une approche en termes d'eurobonds impliquerait de mutualiser la totalité de la dette 68 ( * ) .

Certains proposent donc que la contrainte soit en partie politique . Pervenche Berès propose ainsi qu'un programme de réduction de la dette doive avoir été préalablement accepté et mis en oeuvre. Jakob von Weizsäcker et Jacques Delpla eux-mêmes proposent que le seuil de 60 points de PIB soit abaissé pour les Etats les moins « vertueux ».

Il faut cependant être cohérent. Si l'on considère que la contrainte des marchés ne serait pas adaptée, et risquerait même de déclencher des crises autoréalisatrices, alors la contrainte ne saurait être que juridique et politique .

• Par ailleurs, si l'on mutualisait les 40 ou 60 premiers points de PIB de dette, voire davantage, cette contrainte serait nécessairement permanente, et impliquerait donc le passage au fédéralisme budgétaire , ce qui ne paraît pas réaliste.

Cela explique l'hostilité de la France et de l'Allemagne aux propositions d'eurobonds. Dans le cas de la France, le Président de la République a ainsi souligné qu'elles n'avaient « aucun sens », faute de « gouvernement économique de l'Europe » 69 ( * ) .

• Le taux des eurobonds serait probablement supérieur à ceux que connaissent actuellement la France et l'Allemagne, ce qui impliquerait un coût pour ces Etats.

Certes, celui-ci pourrait être au moins partiellement atténué par un mécanisme modulant la charge d'intérêt de chaque Etat grâce à des « spreads » artificiellement recréés en fonction de divers indicateurs (comme le déficit et la dette publics). Cependant, si une solution pourrait techniquement être trouvée dans le cas de l'Allemagne, cela paraît difficile dans celui de la France, du fait de la situation plus dégradée de ses finances publiques. Autrement dit, avec des eurobonds la France paierait des taux d'intérêt plus élevés.

• L'instauration d'eurobonds impliquerait nécessairement la modification du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), et en particulier de son article 125, relatif à la « clause de no-bail out ». Des référendums seraient en outre probablement nécessaires dans certains Etats. L'instauration d'un mécanisme d'eurobonds risque dont d'être institutionnellement complexe, voire aléatoire.

• Il faut également prendre en compte le fait qu'en cas d'introduction d'eurobonds, la zone euro se distinguerait probablement d'une fédération par le fait que la charge de la dette serait payée non par des ressources fiscales communes, mais par chaque Etat, avec la garantie de ses partenaires .

Cette garantie serait d'un montant sans commune mesure avec celles accordées dans le cas du FESF, qui on le rappelle a une capacité de prêt de l'ordre de seulement 4 points du PIB de la zone euro. Par ailleurs, cette garantie devrait vraisemblablement être conjointe (c'est-à-dire que chaque Etat devrait garantir la totalité de la dette de tous les autres), contrairement à ce qui est le cas pour le FESF 70 ( * ) .

Le raisonnement consistant à raisonner de manière agrégée, et à considérer que, les agrégats de finances publiques de la zone euro étant globalement meilleurs que ceux des Etats-Unis, celle-ci devrait bénéficier de taux d'intérêts au moins aussi bas, grâce à la profondeur du marché des eurobonds, n'est donc pas nécessairement valide.

En effet, les opinions publiques des Etats « vertueux » risquent d'être fortement hostiles à l'octroi de garanties aux Etats « laxistes », et de faire douter les investisseurs de la pérennité des eurobonds.


* 67 Comme le souligne l'économiste Laurence Boone dans « Les eurobonds sont-ils une solution à la crise ? », Telos, 19 décembre 2010.

* 68 George Soros, « Comment résoudre la crise de l'euro ? », Les Echos, 16 août 2011.

* 69 « C'est un système curieux qui consisterait à dire : tel pays a la liberté autonome et souveraine de fixer son taux d'impôt sur les bénéfices au plus bas niveau d'Europe, mais le pays qui peut faire cela, aurait la capacité de transmettre et de transférer sa dette au niveau européen. Cela n'a tout simplement pas de sens. Cela n'a pas de sens en l'état actuel des choses. Lorsqu'il y aura un gouvernement économique de l'Europe, une politique économique harmonisée, plus intégrée et des écarts de compétitivité réduits, que l'on réfléchisse alors, à ce moment là, à l'harmonisation fiscale, voire un système « d'euros-bonds », sans prendre parti, pourquoi pas. Mais le faire maintenant, cela n'aurait aucun sens » (conférence de presse à l'issue de la réunion du Conseil européen du 17 décembre 2010).

* 70 En effet, dans le cas d'une garantie individuelle, chaque Etat se portant garant de seulement une partie de la dette totale, la solidité (et donc vraisemblablement la notation) de l'ensemble est celle du maillon le plus faible. Actuellement les garanties du FESF sont de fait fournies par les seuls Etats « triple A », ce qui permet de contourner la difficulté.

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