Rapport n° 285 (2011-2012) de M. Roland RIES , fait au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, déposé le 24 janvier 2012

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N° 285

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 janvier 2012

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire (1) sur la proposition de résolution de Mme Bernadette BOURZAI, portant avis motivé, présentée au nom de la commission des affaires européennes en application de l'article 73 octies du Règlement, sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux orientations de l' Union pour le développement du réseau transeuropéen de transport (E 6740),

Par M. Roland RIES,

Sénateur

et TEXTE DE LA COMMISSION

(1) Cette commission est composée de : M. Daniel Raoul , président ; MM. Martial Bourquin, Gérard César, Gérard Cornu, Daniel Dubois, Pierre Hérisson, Mme Élisabeth Lamure, M. Gérard Le Cam, Mme Renée Nicoux, MM. Thierry Repentin, Raymond Vall , vice-présidents ; MM. Claude Bérit-Débat, Ronan Dantec, Mme Valérie Létard, MM. Rémy Pointereau, Bruno Retailleau, Bruno Sido, Michel Teston , secrétaires ; M. Gérard Bailly, Mme Delphine Bataille, MM. Michel Bécot, Alain Bertrand, Joël Billard, Jean Bizet, Mme Bernadette Bourzai, MM. François Calvet, Pierre Camani, Vincent Capo-Canellas, Yves Chastan, Alain Chatillon, Jacques Cornano, Roland Courteau, Philippe Darniche, Marc Daunis, Marcel Deneux, Mme Évelyne Didier, MM. Claude Dilain, Michel Doublet, Philippe Esnol, Alain Fauconnier, Jean-Luc Fichet, Jean-Jacques Filleul, Alain Fouché, Francis Grignon, Didier Guillaume, Mme Odette Herviaux, MM. Michel Houel, Alain Houpert, Benoît Huré, Philippe Kaltenbach, Joël Labbé, Serge Larcher, Jean-Jacques Lasserre, Daniel Laurent, Jean-Claude Lenoir, Philippe Leroy, Alain Le Vern, Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Michel Magras, Hervé Maurey, Jean-François Mayet, Jean-Claude Merceron, Jean-Jacques Mirassou, Robert Navarro, Louis Nègre, Jackie Pierre, Ladislas Poniatowski, Charles Revet, Roland Ries, Mmes Laurence Rossignol, Mireille Schurch, Esther Sittler, MM. Henri Tandonnet, Robert Tropeano, Yannick Vaugrenard, François Vendasi, Paul Vergès, René Vestri.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

256 (2011-2012)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La commission des affaires européennes du Sénat, le 12 janvier dernier, a proposé un avis motivé de la Haute Assemblée pour indiquer au législateur européen que la proposition de règlement européen relatif au réseau transeuropéen de transport (RTE-T) ne respecte pas le principe de subsidiarité. Votre commission s'est saisie de ce projet d'avis motivé, étant compétente au fond, pour bien marquer l'importance qu'elle attache au sujet.

La mise en place d'un réseau transeuropéen de transport est un objectif ancien mais qui demeure très lointain : en effet, les initiatives européennes ne sont pas parvenues à fédérer le développement des réseaux existants, dont le cadre est resté national. L'Europe s'est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre, les trop nombreux défauts de son réseau de transport nuisent à sa compétitivité économique : dans ces conditions, les retards trop souvent constatés dans la réalisation de grands projets d'infrastructures européennes, alors même que leurs financements sont disponibles, ne sont plus acceptables.

La proposition de règlement européen prévoit de structurer le réseau transeuropéen de transport autour d'un réseau « central », subventionné par l'Union, ainsi que la mise en place de « corridors de réseau central », véritables plateformes pour la gestion des capacités, la programmation des investissements, ou encore le déploiement de systèmes de gestion du trafic interopérables - avec, pour chaque corridor, un « coordonnateur européen » doté d'un pouvoir de « diriger la mise en oeuvre coordonnée » du corridor et d'appliquer à cette fin des décisions d'exécution prises par la Commission européenne. Cette proposition de règlement fait partie d'un « paquet législatif » qui comprend également la mise en place d'un « mécanisme pour l'interconnexion en Europe », doté de 31,7 milliards d'euros pour la période 2014-2020.

Ce volontarisme bienvenu, cependant, doit respecter le principe de subsidiarité, qui commande - selon les termes de l'article 5 du traité de Lisbonne - que l'échelon européen agisse seulement lorsque l'échelon national n'est pas en mesure d'exercer de manière « satisfaisante » la compétence partagée, en l'occurrence les réseaux transeuropéens.

Or, la commission des affaires européennes estime que les articles 51 et 53 de la proposition de règlement ne respectent pas le principe de subsidiarité, en confiant des pouvoirs excessifs aux « coordonnateurs européens » et aux décisions d'exécution de la Commission européenne.

Votre commission se range d'autant plus volontiers à cet avis que la Commission européenne, dans son projet de règlement, ne justifie pas ces pouvoirs confiés aux coordonnateurs européens. Dans sa rédaction actuelle, cette proposition de règlement européen risque de contraindre les autorités nationales dans l'exercice de compétences où l'échelon national est pourtant mieux placé que l'échelon communautaire.

En conséquence, votre commission, le 24 janvier 2012, a adopté sans modification et à l'unanimité la proposition de résolution portant avis du Sénat sur la proposition de règlement (E 6740) du Parlement européen et du Conseil relatif aux orientations de l'Union pour le développement du réseau transeuropéen de transport.

I. LES AVIS MOTIVÉS SUR LA CONFORMITÉ AU PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ

La procédure d'avis motivé des Parlements nationaux sur le respect du principe de subsidiarité est récente. Introduite par le traité de Lisbonne 1 ( * ) , elle a été précisée à l'échelon européen par le protocole n° 2 annexé au traité et, à l'échelon national, par l'article 88-6 de la Constitution 2 ( * ) décliné par l'article 73 octies du Règlement du Sénat 3 ( * ) , pour ce qui concerne la Haute Assemblée.

A. LES RÈGLES EUROPÉENNES

L'article 5 du traité de l'Union définit ainsi le principe de subsidiarité : « Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l'Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu'au niveau régional et local, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union.» 4 ( * ) .

Le principe de subsidiarité concerne donc seulement les compétences partagées entre l'Union et les États-membres - les transports et les réseaux transeuropéens figurent dans la liste exhaustive de l'article 4 du traité 5 ( * ) . Ce principe préside à l'exercice de ces compétences partagées, en répondant à la question : qui doit agir ? Il établit une présomption en faveur des États membres, en confiant l'exercice de la compétence partagée à l'échelon national sauf lorsque l'action est mieux à même d'être atteinte par l'échelon communautaire - ceci en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée.

Si la doctrine a souligné l'ancienneté du principe de subsidiarité, son application longtemps implicite ainsi que son ambiguïté, le traité de Lisbonne a explicité les mécanismes de contrôle, en renforçant le rôle des Parlements nationaux.

L'article 12 du traité, d'abord, dispose que les Parlements nationaux contribuent au bon fonctionnement de l'Union « en veillant au respect du principe de subsidiarité » ; le protocole n° 2 annexé au traité, relatif aux principes de proportionnalité et de subsidiarité, définit les modalités d'un dialogue entre l'échelon national et l'échelon communautaire, en impliquant l'ensemble des institutions européennes.

Concrètement, les projets d'actes législatifs européens sont transmis aux Parlements nationaux et ils sont motivés au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité : « Tout projet d'acte législatif [comporte] une fiche contenant des éléments circonstanciés permettant d'apprécier le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité. (...) Les raisons permettant de conclure qu'un objectif de l'Union peut être mieux atteint au niveau de celle-ci s'appuient sur des indicateurs qualitatifs et, chaque fois que c'est possible, quantitatifs ». 6 ( * )

Les Parlements nationaux 7 ( * ) peuvent, dans un délai de huit semaines, adresser au législateur européen un avis motivé « exposant les raisons pour lesquelles ils estiment que le projet en cause n'est pas conforme au principe de subsidiarité ». Lorsque les avis négatifs représentent un tiers des voix attribuées aux Parlements nationaux 8 ( * ) , le projet doit être réexaminé ; à l'issue de ce réexamen, l'institution européenne à l'origine de l'acte législatif peut maintenir le projet, le modifier ou le retirer - sa décision doit alors être motivée.

Un recours pour violation du principe de subsidiarité peut être formé par un État, ou transmis par un État au nom de son Parlement national, devant la Cour de justice de l'Union européenne. A ce jour, aucun recours n'a été déposé à ce titre 9 ( * ) .

B. LES RÈGLES INTERNES

L'article 88-6 de la Constitution dispose que « l'Assemblée nationale ou le Sénat peuvent émettre un avis motivé sur la conformité d'un projet d'acte législatif européen au principe de subsidiarité » et que le Gouvernement en est informé.

L'article 73 octies du règlement du Sénat prévoit les modalités suivantes pour l'adoption d'une résolution portant avis motivé :

- Tout sénateur peut déposer une proposition de résolution, qui est envoyée à la commission des affaires européennes. Cette commission peut également adopter une telle proposition de sa propre initiative : c'est le cas pour les réseaux transeuropéens de transport (RTE-T).

- La proposition de résolution adoptée par la commission des affaires européennes est transmise à la commission compétente au fond, qui statue en concluant soit au rejet, soit à l'adoption de la proposition - éventuellement modifiée par ses soins. Si la commission compétente au fond n'a pas statué dans les délais fixés, le texte adopté par la commission des affaires européennes est considéré comme adopté par la commission compétente au fond et devient avis motivé du Sénat. Pour les RTE-T, c'est bien la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire (CEDDAT) qui est compétente au fond ; lors de sa réunion du 11 janvier 2012, la CEDDAT, constatant que le délai d'adoption courait jusqu'au 1 er février suivant, a désigné un rapporteur, M. Roland Ries, et elle a fixé au vendredi 20 janvier à 12 heures le délai-limite de dépôt des amendements, et au mardi 24 janvier l'examen de la proposition d'avis motivé en commission.

- A tout moment de la procédure, le président d'un groupe peut procéder à la demande d'examen en séance publique.

- La procédure doit être achevée dans un délai de huit semaines à compter de la transmission, par la Commission européenne, du projet d'acte législatif : dans le cas d'espèce, le texte ayant été transmis le 6 décembre 2011, la résolution portant avis motivé doit être adoptée au plus tard le 1 er février 2012.

II. L'AVIS MOTIVÉ PROPOSÉ PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES SUR LA PROPOSITION DE RÈGLEMENT RELATIF AU RÉSEAU TRANSEUROPÉEN DE TRANSPORT

La commission des affaires européennes considère que deux articles de la proposition de règlement européen relatif au réseau transeuropéen de transport (RTE-T) portent atteinte au principe de subsidiarité :

- l'article 51, qui confie à des « coordonnateurs européens » la mission de « diriger la mise en oeuvre coordonnée » des corridors de réseau central « de manière à respecter les délais fixés dans la décision d'exécution relative à chaque corridor » - sachant que la décision d'exécution est, en pratique, entre les mains de la Commission européenne ;

- l'article 53, qui autorise la Commission européenne à adopter seule des décisions d'exécution visant le développement de ces corridors, en particulier sur la planification des investissements, les coûts et les délais de mise en oeuvre, ou encore à « prévoir d'autres mesures qui sont nécessaires pour la mise en oeuvre du plan de développement des corridors et pour l'utilisation efficace des infrastructures des corridors ».

La commission des affaires européennes estime que ces dispositions vont au-delà des pouvoirs confiés à l'Union par le titre XVI du traité sur le fonctionnement de l'UE, relatif aux réseaux de transports européens (articles 170 à 172).

Ce titre XVI dispose que l'Union « contribue à l'établissement et au développement de réseaux transeuropéens » d'infrastructures de transport et qu'à cette fin « elle établit un ensemble d'orientations », « elle identifie des projets d'intérêt commun », elle aide à l'harmonisation des normes techniques et elle cofinance des projets.

Sur le plan de la méthode, « les États membres coordonnent entre eux, en liaison avec la Commission, les politiques » nationales susceptibles d'avoir un impact sur les réseaux transeuropéens et « la Commission peut prendre, en étroite collaboration avec les États membres, toute initiative utile pour promouvoir cette coordination » 10 ( * ) .

Pour la commission des affaires européennes, les articles 51 et 53 de la proposition de règlement européen rompent l'équilibre du traité européen qui confie à l'Union le soin de définir des lignes directrices, d'identifier les projets qu'elle soutient financièrement - en conservant aux États, y compris aux autorités locales, la maîtrise des opérations elles-mêmes, en particulier la définition précise des tracés, le montage financier et le pilotage des projets.

La commission des affaires européennes remarque que le pouvoir de direction attribué aux coordonnateurs européens est inédit : jusqu'ici, les coordonnateurs nommés dans d'autres domaines ne font que faciliter l'action ; qui plus est, ils sont désignés après accord des États, alors qu'ils le seraient ici après simple consultation des États. Ensuite, la commission des affaires européennes s'inquiète d'une possible interférence des décisions communautaires sur les plans de développement des corridors élaborés par les États entre eux.

La commission des affaires européennes, enfin, estime que l'article 59 de la proposition de règlement fait une meilleure application du principe de subsidiarité : en cas de retard important dans le démarrage ou le déroulement des travaux, la Commission demande aux États concernés la raison de ce retard et elle peut, après une procédure de consultation, prendre les mesures appropriées.

III. LA POSITION DE LA COMMISSION SUR LA PROPOSITION DE RÈGLEMENT RELATIF AU RÉSEAU TRANSEUROPÉEN DE TRANSPORT

Votre commission salue le regain d'engagement de la Commission européenne pour la réalisation de grandes infrastructures de transport d'échelle continentale. Cependant, tout comme la commission des affaires européennes, votre commission estime que ce volontarisme communautaire doit composer avec le principe de subsidiarité, qui régit l'exercice des compétences partagées entre les États membres et l'Union.

A. UN VOLONTARISME SALUTAIRE POUR LES RÉSEAUX TRANSEUROPÉENS

L'objectif d'un réseau transeuropéen de transport est à la fois ancien et très loin d'être atteint : les initiatives européennes ne sont pas parvenues à fédérer le développement des réseaux existants, dont le cadre est resté national.

Les premières initiatives pour un réseau transeuropéen de transport apparaissent au milieu des années 1980 ; en 1992, le traité de Maastricht donne une base juridique à l'action européenne ; en 1994, le Conseil européen d'Essen identifie 14 grands projets européens qui deviennent prioritaires pour les subventions communautaires 11 ( * ) ; en 1996, la Commission européenne fixe des orientations communautaires pour le développement d'un réseau, en annexant les 14 projets identifiés à Essen 12 ( * ) ; en 2004, à la suite du Livre blanc sur les transports et dans la perspective de l'élargissement, le Parlement européen et le Conseil adoptent une nouvelle décision 13 ( * ) : 30 projets nouveaux y figurent 14 ( * ) , établis à l'échelle des Vingt-Sept et déclarés d'intérêt européen pour une réalisation en 2020.

Pour aider le financement des projets, les institutions européennes ont mobilisé le Fonds de cohésion, le Fonds européen de développement régional (FEDR), ainsi que des prêts de la Banque européenne d'investissement ; des règles particulières ont même été définies par la Commission européenne et par un règlement financier du RTE 15 ( * ) .

Dans un souci de clarté, le Parlement européen et le Conseil ont refondu en 2010 l'ensemble des règles dans une nouvelle décision 16 ( * ) .

Le bilan de trois décennies d'intervention, cependant, est décevant : certes, des voies nouvelles ont été réalisées, des spécifications communes ont été acceptées, mais les objectifs fixés sont hors d'atteinte dans les calendriers fixés ; la Commission évalue à 500 milliards d'euros les investissements encore nécessaires à l'ensemble du réseau et les projets prioritaires ne seront pas réalisés en 2020.

Le diagnostic réalisé par la Commission européenne 17 ( * ) a identifié les principaux obstacles suivants :

- des chaînons manquants empêchent la continuité du réseau, en particulier aux tronçons transfrontaliers ;

- des différences importantes de qualité et de disponibilité des infrastructures entretiennent des goulets d'étranglement ;

- les connexions multimodales sont en nombre très insuffisant pour parvenir à fluidifier les trafics ;

- enfin, les différences dans les règles nationales, en particulier pour l'interopérabilité, entretiennent la congestion du réseau.

De plus, l'engagement européen de réduire de 60% les émissions de gaz à effet de serre par le secteur des transports d'ici 2050 passe par la mise en place d'un réseau multimodal efficace.

Dès lors, la Commission européenne a élaboré une stratégie d'action pour parvenir, d'ici 2050, à un réseau complet d'infrastructures de transport ferroviaire, fluvial, routier, maritime et aérien. Cette stratégie comprend trois axes :

- une planification qui distingue deux strates du réseau transeuropéen 18 ( * ) : d'une part, le réseau « global », composé par les infrastructures multimodales des principales aires urbaines des Vingt-Sept ainsi que les principaux ports maritimes et fluviaux, dont certaines infrastructures à créer ; la proposition de règlement fixe l'objectif que ce réseau global - infrastructures existantes et nouvelles - soit mis aux normes d'ici fin 2050, à la charge des seuls Etats-membres ; deuxième strate, le réseau « central », qui comprend les sections les plus stratégiques du réseau global, en particulier les chaînons manquants, les goulets d'étranglement et les noeuds multimodaux ; la proposition de règlement fixe l'objectif que ce réseau central soit établi d'ici fin 2030, avec le soutien des financements européens.

- la définition de nouveaux instruments de planification, en particulier des « corridors de réseau central », qui englobent les corridors de fret ferroviaire dont la réglementation européenne a déjà eu à connaître 18 ( * ) et qui serviront de cadre à la mise en oeuvre coordonnée du réseau central. Concrètement, ces corridors comportent au moins trois modes de transport et traversent au moins trois Etats membres ; chaque corridor est une plateforme pour la gestion des capacités, la programmation des investissements, l'établissement et la coordination d'installations de transbordement multimodales et le déploiement de systèmes de gestion du trafic interopérables.

- enfin, la mise en place de nouveaux outils de financement, à travers le mécanisme pour l'interconnexion en Europe (« Connecting Europe facility »), d'un montant de 31,7 milliards d'euros pour les années 2014-2020, dont 10 milliards du Fonds de cohésion qui sont réservés aux projets de transports dans les pays qui bénéficient de ce fonds.

En application de cette stratégie, la Commission européenne a présenté, le 19 octobre 2011, cinq propositions d'actes législatifs :

- trois propositions de règlements relatifs respectivement aux orientations pour les réseaux transeuropéens en matière de transport (RTE-T, objet du présent avis motivé), d'énergie (RTE-E) et de télécommunication ;

- une proposition de règlement établissant le mécanisme pour l'interconnexion en Europe (MIE), en cours d'examen par la commission des affaires européennes du Sénat ;

- une proposition de règlement pour expérimenter en 2012-2013 de nouveaux instruments financiers, en particulier des « obligations de projet » (« projects bonds »), sous la forme de garanties d'emprunts obligataires émis par des sociétés de projet d'infrastructure ; cette proposition est également en cours d'examen par la commission des affaires européennes du Sénat.

Votre commission estime que l'Union européenne est tout à fait dans son rôle lorsqu'elle établit, en concertation avec les États membres, le schéma du réseau transeuropéen, lorsqu'elle soutient l'harmonisation des normes techniques et lorsqu'elle aide financièrement les projets qui s'inscrivent dans le réseau transeuropéen. A l'évidence, un tel réseau renforce la cohésion de l'Union et réalise concrètement l'espace européen unique des transports.

Cette perspective implique un rôle moteur de l'Union, en application même du principe de subsidiarité : c'est parce que les dimensions et les effets du réseau transeuropéen vont bien au-delà du cadre - comme des moyens - de chaque État, que l'Union est mieux à même d'atteindre les objectifs de manière « suffisante », pour paraphraser l'article 5 du traité de l'Union.

Ce regain bienvenu de volontarisme, cependant, doit rester compatible avec le principe de subsidiarité.

B. LA RÉDACTION DE LA PROPOSITION DE RÈGLEMENT CONTREDIT LE PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ

L'application du principe de subsidiarité commande de préciser, dans l'exercice de la compétence partagée - ici, les réseaux transeuropéens -, ce qui relève effectivement du partage et ce que l'État ne saurait déléguer, en application du principe de responsabilité politique :

- la définition des orientations stratégiques, la carte du réseau, les critères d'allocation des subventions communautaires, relèvent bien de l'exercice communautaire de la compétence partagée : ces missions sont précisément celles qui dépassent les « capacités d'action » des États pris isolément, celles où l'échelon communautaire apporte, par construction, une plus-value ;

- en revanche, la conduite des études, le dessin précis des tracés, les décisions de lancement des travaux, le montage des financements, le pilotage de la maîtrise d'ouvrage, ainsi que la gestion des infrastructures, relèvent de l'exercice étatique de la compétence partagée : les États sont en capacité d'exercer ces missions de manière « suffisante » et ils sont même tenus de le faire puisque la programmation des infrastructures passe par des actes positifs dont les Etats sont responsables.

La procédure de la déclaration d'utilité publique illustre bien cette ligne de partage, ainsi que sa subtilité. L'enjeu est de taille puisque cette déclaration fonde juridiquement les procédures d'expropriation. L'utilité publique peut certes se fonder sur l'intérêt à l'échelle européenne que notre pays trouve dans la réalisation d'une ligne transcontinentale ; cependant, dès lors que la détermination de cette utilité publique se traduit par des expropriations réglées par le droit interne, il faut que l'État « garde la main » et qu'il maîtrise les choix qui fondent les décisions d'expropriation - au premier chef, le tracé même des voies de transport.

En d'autres termes, même si elle intègre des critères supranationaux, l'utilité publique est définie à l'échelon national, celui où coïncident la responsabilité politique et l'effet juridique des actes liés à cette utilité publique (et, partant, la contestation de ces actes).

Dans ces conditions, votre commission fait siens les griefs de la commission des affaires européennes :

- les pouvoirs confiés au « coordonnateur européen » par l'article 51 empiètent effectivement sur la programmation des infrastructures de transport, qui doit continuer d'être entre les mains des États nationaux ;

- le champ des décisions d'exécution ouvert par l'article 53 est si vaste, qu'il risque de conduire en pratique à ce que la Commission européenne interfère sur l'exercice étatique de la compétence partagée ;

- l'article 59 fait effectivement une meilleure application du principe de subsidiarité : ce n'est qu'en cas de retard important dans les travaux que la Commission peut prendre des mesures.

Du reste, votre commission ne peut manquer de souligner la faiblesse de l'argumentation présentée par la proposition de règlement elle-même. Au lieu d'éléments circonstanciés et d'indicateurs qualitatifs - voire quantitatifs - démontrant que l'objectif visé par l'Union sera mieux atteint par un exercice communautaire de la compétence, ainsi que le demande le protocole n°2 précité, l'exposé des motifs se contente de ce paragraphe lacunaire :

« Le développement coordonné d'un réseau transeuropéen de transport visant à améliorer les flux de transport au sein du marché unique européen et la cohésion économique, sociale et territoriale en Europe exige que des actions soient prises au niveau de l'Union européenne car elles ne pourraient pas être prises individuellement par chaque État membre. Cela est tout particulièrement le cas pour les réseaux d'infrastructures de transport. »

Le dernier considérant de la proposition de règlement n'est guère plus satisfaisant, puisqu'il se contente d'indiquer que l'Union peut prendre des mesures dès lors que « la création et le développement coordonnés du réseau transeuropéen de transport ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les Etats membres » (considérant 30).

Votre commission ne doute pas que l'Union doive bien avoir un rôle moteur, y compris financier, dans l'élaboration d'un réseau transeuropéen, qui passe par la réalisation de chaînons dont la valeur ajoutée est d'abord européenne. Mais ce rôle doit composer avec la répartition des compétences entre les Etats membres et l'Union, eu égard au principe de responsabilité politique.

Enfin, votre commission observe que les Parlements de plusieurs États-membres ont déjà exprimé des réserves sur cette proposition de résolution, en particulier au regard du principe de subsidiarité et des risques de dérives bureaucratiques liés la mise en place de la gouvernance des corridors. Du côté des Parlements européens, plusieurs avis motivés sont en cours de rédaction. Le Bundesrat allemand, par exemple, estime que la programmation des infrastructures de transport relève des États membres et que la nomination des coordonnateurs européens ne saurait intervenir sans l'accord préalable des dits États.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa séance du mardi 24 janvier 2012, la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire a adopté à l'unanimité la proposition de résolution portant avis motivé du Sénat, dans la rédaction issue des travaux de la commission des affaires européennes .

Réunion du mardi 24 janvier 2012

La commission procède à l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de résolution européenne portant avis motivé n° 256 (2011-2012) sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil, relatif aux orientations de l'Union européenne pour le développement du réseau transeuropéen de transport.

M. Daniel Raoul, président . - La commission examine aujourd'hui la proposition de résolution européenne portant avis motivé, déposée au nom de la commission des affaires européennes, sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux orientations de l'Union européenne pour le développement du réseau transeuropéen de transport.

M. Roland Ries , rapporteur. - Le rapport est technique mais cela ne doit pas masquer les implications politiques et financières, qui sont lourdes. La commission des affaires européennes a adopté le 12 janvier dernier, sur le rapport de Mme Bernadette Bourzai, un projet d'avis motivé estimant que la proposition de règlement européen rédigée par la Commission européenne sur les réseaux transeuropéens de transports ne respecte pas complètement le principe de subsidiarité. Mme Bourzai a eu raison et je vais essayer de vous le démontrer. C'est une affaire sérieuse !

L'adoption d'un projet d'avis motivé sur le respect du principe de subsidiarité est une procédure récente, issue du traité de Lisbonne. Depuis fin 2009, tous les projets d'actes législatifs européens - au premier chef les directives et les règlements - sont transmis aux Parlements nationaux. Ceux-ci les examinent au fond, mais peuvent également contrôler le respect du principe de subsidiarité. Lorsqu'un tiers des parlements des États-membres au moins estime que le projet européen n'est pas conforme au principe de subsidiarité, l'institution à l'origine du projet doit revoir sa copie ou la motiver - il s'agit alors d'un dialogue politique.

En 2010, nous avons modifié la Constitution puis le Règlement du Sénat pour organiser au sein de notre assemblée le déroulement de cette procédure, que notre commission applique pour la première fois. Le Sénat dispose, une fois que le projet d'acte législatif européen lui a été transmis, d'un délai de huit semaines pour émettre un avis motivé - en l'occurrence, jusqu'au 1 er février prochain. Tout sénateur peut en son nom propre déposer un projet d'avis motivé, transmis à la commission des affaires européennes. Celle-ci peut également s'autosaisir, ce qu'elle a fait pour les réseaux transeuropéens de transport.

La proposition de résolution adoptée par la commission des affaires européennes est transmise à la commission compétente au fond, qui peut soit l'adopter conforme ou avec modifications, soit ne rien faire, le texte devenant à l'expiration du délai une résolution du Sénat. J'ajoute que le président d'un groupe peut à tout moment demander un examen en séance publique.

Nous avons décidé de nous prononcer sur le respect du principe de subsidiarité en raison de l'importance du sujet, car il s'agit de rien moins que des conséquences pratiques des grands choix européens sur la planification de nos réseaux de transports.

Le principe de subsidiarité concerne seulement les compétences partagées entre l'Union et les États-membres - les transports et les réseaux transeuropéens en font partie. Répondant à la question « qui doit agir ? », il établit une présomption en faveur des États, qui exercent la compétence, sauf lorsque l'Union est mieux placée pour atteindre l'objectif, c'est-à-dire lorsque l'action visée ne peut pas être effectuée de manière « suffisante » par les États-membres. C'est l'article 5 du traité de Lisbonne.

L'idée de développer un réseau transeuropéen de transport est ancienne mais l'objectif poursuivi est très loin d'être atteint. Les premières cartes ont été tracées dans les années quatre-vingts, les premiers grands projets subventionnés par l'Union datent des années quatre-vingt-dix et c'est dans la décennie 2000 que le réseau transeuropéen de transport est devenu un objectif opérationnel. Une décision de 2004 a identifié 30 projets d'intérêt européen, avec un calendrier jusqu'à 2020 et une priorité de financement à travers le Fonds de cohésion, le Fonds européen de développement régional (FEDR) et les prêts de la Banque européenne d'investissement.

Le rythme des réalisations, cependant, est beaucoup trop lent. La Commission évalue à 500 milliards d'euros les investissements encore nécessaires. Chaînons manquants, goulots d'étranglement et autres obstacles sont entretenus par des écarts de qualité des infrastructures comme par la variété des règles nationales de circulation ou d'interopérabilité. Les connexions multimodales sont beaucoup trop rares pour que les trafics deviennent fluides. Or nous ne parviendrons pas à tenir notre engagement d'une réduction de 60 % d'ici 2050 des émissions de gaz à effet de serre dues au secteur des transports sans mettre de l'ordre dans nos réseaux et bâtir un véritable réseau européen multimodal.

La Commission européenne est passée à l'offensive - ce texte fait d'ailleurs partie d'un ensemble plus large dont nous reparlerons bientôt. Elle a défini trois axes d'action. Le premier consiste en une planification. Deux strates sont distinguées au sein du réseau transeuropéen : le « réseau global », qui relie les principales aires urbaines des Vingt Sept et les principaux ports maritimes et fluviaux, serait mis aux normes d'ici fin 2050, à la charge des seuls Etats-membres ; le « réseau central » - soit les sections les plus stratégiques du réseau global, en particulier les chaînons manquants, les goulets d'étranglement et les noeuds multimodaux - serait établi d'ici fin 2030, avec le soutien des financements européens. Une enveloppe nouvelle de 31 milliards d'euros serait débloquée d'ici 2020.

Deuxième axe, la définition de nouveaux instruments de planification, en particulier des « corridors de réseau central », comportant au moins trois modes de transport et traversant au moins trois États membres. Chaque corridor sera une plateforme pour la gestion des capacités, la programmation des investissements, l'établissement d'installations multimodales de transbordement ainsi que le déploiement de systèmes interopérables de gestion du trafic. La Commission européenne propose que chacun soit géré par un « coordonnateur européen ». C'est là que se pose un problème de subsidiarité.

Le troisième axe serait la définition de nouveaux outils de financement, avec le mécanisme de l'interconnexion en Europe, d'un montant de 31,7 milliards d'euros pour les années 2014 à 2020, dont 10 milliards du Fonds de cohésion réservés aux projets de transports dans les pays qui bénéficient de ce fonds.

Nous ne pouvons que nous réjouir de cette relance du réseau transeuropéen de transport. La France, du reste, est à la pointe s'agissant du réseau ferré, mais elle a beaucoup de progrès à accomplir pour les liaisons fluviales et l'intermodalité. Cependant, deux articles de la proposition de règlement, a estimé Mme Bourzai, ne respectent pas le principe de subsidiarité. L'article 51 confie aux coordonnateurs européens la mission de « diriger la mise en oeuvre coordonnée » des corridors de réseau central « de manière à respecter les délais fixés dans la décision d'exécution relative à chaque corridor ». Quant à l'article 53, il autorise la Commission européenne à adopter seule des décisions d'exécution concernant par exemple la planification des investissements, ou les délais de mise en oeuvre. La Commission pourrait aussi prévoir d'autres mesures « nécessaires pour la mise en oeuvre du plan de développement des corridors et pour l'utilisation efficace des infrastructures des corridors ».

Pour nos collègues des affaires européennes, ces deux articles rompent l'équilibre du traité européen qui confie à l'Union le soin de définir des lignes directrices et d'identifier les projets à soutenir, tout en laissant aux États et aux autorités locales la maîtrise des opérations, la définition des tracés précis, le montage financier et le pilotage des projets. Les coordonnateurs, habituellement chargés uniquement de faciliter la coordination, auraient un pouvoir d'intervention directe et risqueraient - ou la Commission européenne à travers eux - d'interférer avec les compétences qui relèvent des Etats. Ils seraient en outre, contrairement à l'usage, nommés après simple consultation des États, et non pas avec leur accord.

Je suggère de suivre l'avis adopté par la commission des affaires européennes : le volontarisme pour le réseau transeuropéen est une bonne nouvelle - financièrement aussi, espérons-le - mais le principe de subsidiarité ne saurait être pour autant négligé.

La définition des orientations stratégiques, la carte du réseau, les critères d'allocation des subventions communautaires, relèvent bien de la compétence partagée et l'échelon communautaire apporte une plus-value. En revanche, la conduite des études, le dessin des tracés, le lancement des travaux, le montage des financements, le pilotage de la maîtrise d'ouvrage, ainsi que la gestion des infrastructures relèvent des Etats, qui ont la capacité d'exercer ces missions de manière « suffisante ».

La procédure de la déclaration d'utilité publique illustre bien cette ligne de partage. L'enjeu est de taille puisque cette déclaration est la base juridique des procédures d'expropriation. L'utilité publique peut certes se fonder sur l'intérêt d'échelle européenne que notre pays trouve dans la réalisation d'une ligne transcontinentale ; cependant, dès lors que les expropriations sont réglées par le droit interne, l'Etat doit « garder la main » et maîtriser les choix qui fondent les décisions d'expropriation - au premier chef, le tracé des liaisons. En d'autres termes, même si elle intègre des critères supranationaux, l'utilité publique est définie à l'échelon national, celui où coïncident la responsabilité politique et l'effet juridique des actes - et, partant, leur contestation.

Dans ces conditions, la commission de l'économie fait siens les griefs de celle des affaires européennes : les pouvoirs confiés au coordonnateur européen par l'article 51 empiètent sur la programmation des infrastructures de transport, qui est une compétence nationale. Le champ des décisions d'exécution ouvert par l'article 53 est si vaste qu'il risque de conduire à des interférences communautaires sur l'exercice par les États de la compétence partagée. L'article 59 fait une meilleure application du principe de subsidiarité : la Commission ne prend des mesures qu'en cas de retard important dans les travaux.

Je vous propose d'adopter sans modification la proposition de résolution portant avis motivé adoptée par la commission des affaires européennes.

Présidence de M. Martial Bourquin, vice-président

M. Alain Le Vern . - Je suis réservé sur cette proposition de résolution. Les transports sont-ils un sujet essentiel ? Oui. Nos régions accusent un retard important, le réseau routier du nord-ouest de la France est congestionné, parce que nous avons trente ans de retard pour les grandes liaisons ferroviaires et fluviales. Notre pays n'a pas suffisamment investi. Le réseau global est une question fondamentale. Les corridors européens de transport sont tous ou presque orientés nord-sud, alors qu'en France, la porte maritime d'entrée vers l'Union européenne est formée par le complexe Paris-Rouen-Le Havre. L'Union européenne veut accélérer la construction de réseaux européens et entend y consacrer des sommes importantes : elle souhaite donc s'assurer que les choses avancent, rien de plus normal. Les huit régions du Bassin parisien se sont mises d'accord pour identifier les maillons manquants, elles sont allées les faire reconnaître auprès de M. Manuel Barroso. Mais pour la réalisation, si l'on s'en tient à la méthode actuelle, on en sera au même point dans dix ans. Dans notre vie quotidienne d'élus, nous acceptons bien la désignation d'un chef de file, donc un abandon de compétences ! Je vois pour ma part dans l'approche retenue par le projet de texte européen un gage d'efficacité plus qu'une mise en cause de la subsidiarité.

Sur le fond, les objectifs sont incontestables. Sur la forme, j'attends le débat ici pour forger ma conviction. Mais il y a urgence à agir et il ne faudrait pas se priver d'efficacité, les politiques européennes en ont besoin !

M. Daniel Dubois . - Je me limiterai ici au débat sur la forme. L'article 59 est clair et précis : la Commission européenne intervient en cas de retards et de carences, mais les articles 51 et 53 du projet de règlement européen ne tiennent pas compte des réserves émises à l'article 59. La proposition de Mme Bourzai est donc cohérente. Sa vision est juste.

Mais sur le fond, pour faire face à la crise économique, si nous voulons que l'Union européenne joue un rôle moteur dans la croissance et mette en oeuvre des schémas structurants d'équipement, ne conviendrait-il pas de revoir les contours du principe de subsidiarité, et de réviser l'article 59, afin de donner plus d'efficacité à l'action européenne ? Le groupe centriste et républicain adoptera la proposition, car il y a bien atteinte au principe de subsidiarité, mais il pose la question !

M. Francis Grignon . - Dans le déroulement d'une opération, il y a d'abord le choix des objectifs, qui relève du domaine politique, et de décisions prises par l'Europe et les Etats. Puis il y a la programmation et la définition des caractéristiques techniques. Vient enfin la détermination du maître d'ouvrage, du maître d'oeuvre, et l'exécution. Et c'est là que les problèmes de financement commencent. Dans quelles étapes l'Europe veut-elle imposer ou corriger des choses ? Et quelle est la participation financière de l'Union européenne ? Si elle paye tout, je peux comprendre qu'elle décide de tout, mais j'aimerais connaître les montants...

M. Marcel Deneux . - Tout en tenant la même position que Daniel Dubois, je me demande à quoi sert réellement une résolution votée par le Sénat, sur un texte européen. J'ai été rapporteur de trois ou quatre, je m'efforce toujours de savoir quelles suites elles ont eues... Je pense au paquet « climat énergie » : la situation était plus claire, mais c'était sous présidence française. Si l'Assemblée nationale n'adopte pas une position concordant avec la nôtre, la procédure n'est guère utile. J'ai été récemment rapporteur d'une proposition de résolution sur la volatilité des prix agricoles, le ministre de l'agriculture m'a fait comprendre que l'Assemblée nationale ne partageait pas notre avis et que la proposition serait sans résultat. En revanche, sur le paquet « climat énergie », les deux assemblées partageaient le même avis, et nous sommes allés ensemble promouvoir notre avis auprès du Parlement européen. Les députés européens ont finalement voté une résolution, qui a été entendue par le Conseil européen en décembre 2008.

M. Martial Bourquin, président . - Si un tiers des parlements nationaux partagent un avis négatif, la Commission est obligée de revoir sa copie.

M. Marcel Deneux . - Sachant que notre parlement compte deux chambres, le Sénat ne peut guère se faire entendre !

M. Roland Ries, rapporteur . - Chaque parlement national détient deux voix, une par chambre en cas de bicamérisme. Nous détenons donc un cinquante-quatrième du pouvoir de révision d'un projet d'acte européen : il y a un certain espoir - d'autant que, d'après mes informations, d'autres parlements nationaux partageraient notre avis.

M. Yannick Vaugrenard . - Je ne ferai pas comme si nous ne servions à rien. Le coordonnateur européen en charge d'un corridor serait nommé par la Commission après simple consultation des États-membres concernés. Ce n'est pas logique, l'approbation de ces derniers est nécessaire. D'autant que les programmes ne dépendent pas majoritairement des dotations de l'Union européenne : les Etats et les régions, assument la plus grosse part.

En cas de difficultés sur le terrain, imaginez-vous les dégâts si ce sont des responsables de Bruxelles qui interviennent, plutôt que les responsables locaux ou nationaux ? Pour ces deux raisons, je soutiens cette proposition.

M. Vincent Capo-Canellas . - M. Deneux pose une question de fond, lorsqu'il s'interroge sur le bilan des résolutions adoptées par le Parlement et sur la stratégie à mener pour être entendu. Veillons à ne pas apparaître comme des Européens contrits et opposés à tout, inscrivons-nous dans une logique d'influence positive.

M. Roland Ries, rapporteur . - Dans ce débat, les aspects politiques sont fondamentaux. Veut-on préserver les Etats-nations au sein de l'Europe, et leurs compétences ? Ou préfère-t-on avancer vers autre chose - mais lorsqu'il s'agira de définir vers quoi, des clivages se manifesteront à l'intérieur même de chaque grande formation politique !

M. Charles Revet . - Probablement !

M. Roland Ries, rapporteur . - Nous aurons l'occasion de parler de transport et de réseau européen lors du débat sur le mécanisme pour l'interconnexion en Europe. Nous aurons alors beaucoup à dire sur les équilibres, nord-sud, est-ouest - la liaison à grande vitesse est-ouest ne va pas jusque chez M. Le Vern... Actuellement, et jusqu'en 2013, la participation de l'Union européenne est d'environ 6 %, tout le reste demeurant à la charge des Etats et des collectivités.

M. Charles Revet . - Seulement 6 % ! Et ils voudraient diriger les opérations !

M. Roland Ries, rapporteur . - Ce montant ne justifiait pas une intervention directe des autorités européennes. Dans le projet de la Commission pour 2013-2020, l'Europe financerait 50 milliards d'euros sur un total de 500 milliards d'investissement, soit 10 %. Mais les collectivités locales et nationales continuent à porter 90 % de la charge financière !

L'Union européenne peut définir un cadre, mais toute la mise en oeuvre concrète doit être menée au niveau des Etats. Sinon, l'Europe court un risque, car la tentation sera grande de faire de Bruxelles et, accessoirement, de Strasbourg des boucs émissaires, et de les accuser de tout ce qui ne va pas. Vouloir aller au-delà de la définition du cadre reviendrait pour l'Union européenne à se tirer une balle dans le pied. « Ils sont dans leurs bureaux », « ils sont loin, ils ne comprennent rien aux réalités du terrain », entendra-t-on à tout bout de champ. L'avis de Mme Bourzai me paraît fondé, la Commission européenne va trop loin sur les articles 51 et 53, tandis que l'article 59 les contredit - peut-être fait-il office de correctif ?

Quant à repenser la subsidiarité, je rappelle qu'aux termes du titre XVI du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, l'échelon communautaire « contribue » au développement du réseau transeuropéen  d'infrastructures de transport et à cette fin, il « établit un ensemble d'orientations » et « identifie des projets d'intérêt commun ». De leur côté, les « Etats-membres coordonnent entre eux, en liaison avec la Commission européenne, les politiques » nationales ayant des conséquences sur les réseaux transeuropéens. Le traité précise encore que « la Commission peut prendre, en étroite collaboration avec les États membres, toute initiative utile pour promouvoir cette coordination ».

Le projet de règlement européen sur le réseau transeuropéen de transport est le premier susceptible de réunir contre lui un tiers des parlements nationaux.

M. Charles Revet . - C'est probable !

M. Roland Ries, rapporteur . - Nous ne sommes pas les seuls à penser que la Commission grignote trop perceptiblement du terrain...

M. Jean-Jacques Lasserre . - Je comprends votre position, d'autant que j'ai l'expérience du projet Sud-Europe-Atlantique. L'Europe en finance entre 8 et 10%, mais ses interventions sont extrêmement différenciées selon les territoires, selon les pays. Pour le tracé espagnol, l'Union européenne intervient plus et use terriblement de son pouvoir financier, d'une façon pas toujours équilibrée sur le plan économique ou politique. Les payeurs sont nationaux, ne l'oublions pas. Le prochain débat de fond concernera la ventilation de la responsabilité entre les Etats, les collectivités, les concessionnaires, car les collectivités qui veulent à toute force équiper leurs territoires seront bientôt exsangues financièrement. L'Etat en jouera, il le fait déjà, comme en Midi-Pyrénées pour l'arrivée sur Toulouse par exemple. Il y aura un débat, y compris sur le plan national, interne - et ce débat ne sera pas piqué des hannetons. Je termine en précisant que j'approuve les analyses et les chiffres présentés.

M. Martial Bourquin, président . - J'ai l'impression que l'ensemble de la commission suivra le rapporteur.

M. Francis Grignon . - Tout le groupe est d'accord.

La proposition de résolution européenne portant avis motivé est adoptée à l'unanimité.

ANNEXE I - PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE ADOPTÉE PAR LA COMMISSION, PORTANT AVIS MOTIVÉ DU SENAT

Le chapitre IV de la proposition de règlement définit les modalités de la gouvernance des « corridors du réseau central » qui sont les grands axes stratégiques de transport transeuropéen. L'article 51 prévoit la nomination de « coordonnateur européen » par la Commission européenne pour notamment diriger la mise en oeuvre de ces corridors. En outre, l'article 53 autorise la Commission européenne à prendre des décisions d'exécution pour mettre en oeuvre ces corridors.

Vu l'article 88-6 de la Constitution,

Le Sénat fait les observations suivantes :

- L'accélération de la réalisation des projets de transport d'intérêt européen doit être une priorité. Les retards fréquemment constatés depuis plusieurs années ne sont pas acceptables lorsqu'ils sont imputables à des procédures nationales différentes des administrations, à l'inertie ou à la sous-consommation des crédits européens. Cette préoccupation que la Commission européenne poursuit légitimement doit se concilier avec le principe de subsidiarité. Les Etats membres, avec les autorités locales, restent les mieux placés pour créer les conditions d'une bonne acceptabilité des projets d'infrastructure par les populations riveraines.

- Les articles 170 à 172 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne donnent compétence à l'Union pour définir les grandes orientations et objectifs des réseaux transeuropéens. En revanche, ils laissent aux Etats membres, conformément au principe de subsidiarité, la responsabilité de la mise en oeuvre des projets d'intérêt commun, l'Union venant alors en soutien.

- L'article 51 de la proposition de règlement va au-delà de ce partage des rôles en donnant au coordonnateur européen la mission de diriger la mise en oeuvre coordonnée des corridors, afin de faire respecter des délais fixés par une décision d'exécution de la Commission européenne, même dans le cas d'un projet ne recevant pas de financements européens.

- Le même reproche peut être fait à l'article 53 de la proposition de règlement qui autorise la Commission européenne à adopter seule de telles décisions d'exécution, lesquelles pourraient porter sur de nombreux aspects, en particulier la planification, les coûts et les délais de mise en oeuvre.

- Une approche plus conforme au principe de subsidiarité est celle de l'article 59 de la proposition de règlement qui prévoit l'intervention de la Commission en cas de retards des travaux. Cette situation peut en effet témoigner de la carence d'un ou de plusieurs Etats membres.

Le Sénat estime, en conséquence, que les articles 51 et 53 de la proposition de règlement (E 6740) ne sont pas conformes, dans leur rédaction actuelle, à l'article 5 du traité sur l'Union européenne et au protocole n° 2 annexé à ce traité.

ANNEXE II - LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Mercredi 18 janvier 2012

- M. Hubert du MESNIL , Président directeur général de Réseau Ferré de France (RFF)

- M. Luc ROGER , Directeur des affaires européennes et internationales de RFF

- M. Patrick FAUCHEUR , Chef du secteur transport et politique régionale au Secrétariat général des affaires européennes (SGAE)

- M. Raymond de PASTOR , Chef du secteur Questions économiques et financières au SGAE

- M. Xavier BONNET , Sous-directeur des politiques sectorielles à la Direction générale du Trésor


* 1 Signé le 1 er décembre 2007 et entré en vigueur le 13 décembre 2009.

* 2 Introduit par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la V e République.

* 3 Introduit par une Résolution du 20 décembre 2010.

* 4 Ce même article 5 dispose que l'Union agit dans les limites des compétences qui lui sont conférées et des objectifs qui lui sont assignés par les traités (principe d'attribution) et que « le contenu et la forme de l'action de l'Union n'excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités » (principe de proportionnalité).

* 5 Les compétences partagées limitativement définies par l'article 4 du traité sont les suivantes : le marché intérieur, la politique sociale, la cohésion, l'agriculture et la pêche, l'environnement, la protection des consommateurs, les transports, les réseaux transeuropéens, l'énergie, l'espace de liberté, de sécurité et de justice et certaines questions en matière de santé publique.

* 6 Article 5 du protocole n° 2 annexé au traité de l'Union. En application de cet article, la Commission publie des feuilles de route qui présentent les intentions de l'acte législatif ainsi qu'une première justification au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Ces éléments sont versés à la consultation des parties prenantes et à l'analyse d'impact. La «fiche subsidiarité» est présentée dans l'exposé des motifs et son contenu est rappelé dans les considérants de la proposition. Un comité d'analyses d'impact contrôle la qualité de ces analyses et formule des observations, qui sont reprises dans le rapport annuel sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, que la Commission européenne présente au Conseil européen, au Parlement européen et aux Parlements nationaux.

* 7 Chaque Parlement national dispose de deux voix - une par chambre, en cas de bicamérisme.

* 8 Ce seuil est abaissé au quart lorsque le projet concerne la coopération judiciaire en matière pénale ou la coopération policière.

* 9 La Cour, cependant, a rendu un arrêt en 2010 répondant à une question préjudicielle que lui posait la Haute cour de justice d'Angleterre et du Pays-de-Galles : elle a jugé qu'en plafonnant les tarifs de l'itinérance téléphonique, le règlement n°717/2007 respectait le principe de subsidiarité dès lors que les Etats nationaux pouvaient difficilement y procéder seuls sans compromettre le fonctionnement harmonieux du marché intérieur. Voir Arrêt C-58/28 Vodafone, du 8 juin 2010.

* 10 Le traité précise également que les orientations de l'Union sont arrêtées par le Parlement européen et le Conseil - mais aussi que les orientations et projets d'intérêt commun requièrent l'approbation de l'État membre dont le territoire est directement concerné.

* 11 Pour la France quatre lignes ferroviaires à grande vitesse : la ligne Paris-Bruxelles-Cologne-Amsterdam-Londres, très largement réalisée ; la ligne Sud Europe Madrid-Montpellier, partiellement réalisée ; la ligne Est Europe Paris-Karlsruhe, très largement achevée pour la partie française ; la ligne Lyon-Turin, en cours d'étude.

* 12 Décision n° 1692/96/CE du Parlement Européen et du Conseil du 23 juillet 1996 sur les orientations communautaires pour le développement du réseau transeuropéen de transport.

* 13 Décision n° 884/2004/CE du Parlement Européen et du Conseil du 29 avril 2004 modifiant la Décision n° 1692/96/CE sur les orientations communautaires pour le développement du réseau transeuropéen de transport.

* 14 Aux quatre projets de lignes ferroviaires identifiés en 1994, la décision de 2004 a ajouté la LGV Rhin-Rhône, le canal Seine-Nord-Europe, les autoroutes de la mer Atlantique et Méditerranée et une troisième traversée ferroviaire des Pyrénées.

* 15 Règlement (CE) n°680/2007 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2007 déterminant les règles générales pour l'octroi d'un concours financier communautaire dans le domaine des réseaux transeuropéens.

* 16 Décision n° 661/2010/UE du Parlement Européen et du Conseil du 7 juillet 2010 sur les orientations de l'Union pour le développement du réseau transeuropéen de transport.

* 17 La Commission européenne a mené une consultation publique entre février 2009 et juin 2010, adopté un « livre vert », publié les recommandations de plusieurs groupes d'experts, tenu deux conférences ministérielles et entretenu des contacts permanents avec les Etats membres via le comité chargé du contrôle et du suivi des orientations et de l'échange d'informations (conformément à la décision n°1692/96/CE).

* 1 Pour les cartes du réseau, voir http://ec.europa.eu/transport/infrastructure/revision-t_en.htm

* 18 Règlement (UE) n° 913/2010 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2010 relatif au réseau ferroviaire européen pour un fret compétitif.

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