AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Face à l'ampleur de la crise, à la montée dramatique du chômage, à la multiplication des licenciements boursiers alors que les dividendes distribués continuent, malgré la crise, à atteindre des sommes colossales, il est devenu urgent de réagir et d'apporter de nouvelles protections pour les salarié-e-s. Régulièrement, l'actualité est marquée par l'annonce de plans de licenciement décidés par des entreprises qui affichent par ailleurs des profits élevés, ce qui choque légitimement l'opinion publique. Chacun garde en mémoire le cas des entreprises Michelin en 1999 et Lu-Danone en 2001, mais de nombreux autres exemples peuvent être cités.

Nos concitoyens n'acceptent plus que des emplois soient supprimés par des entreprises rentables, dans le seul but d'améliorer la rémunération des actionnaires. Comme l'attestent les 40 milliards d'euros versés aux actionnaires du Cac 40 en 2010, la rémunération du capital est toujours privilégiée sur la défense de l'emploi, ce qui est une illustration de la domination que la finance exerce sur l'économie réelle. Il convient aujourd'hui d'inverser ce rapport de force et de remettre la finance au service de l'économie. On ne peut plus accepter que des milliers d'emplois soient sacrifiés au nom de la crise, alors que dans le même temps, selon le Cabinet PimeView, la valeur des dividendes versés aux actionnaires a augmenté de 13 % en 2010. Dans un tel contexte, une action déterminée du pouvoir politique est indispensable pour y parvenir. A défaut, les suppressions d'emplois vont se poursuivre, notamment dans l'industrie qui a perdu à elle seule 500 000 emplois depuis cinq ans.

La proposition de loi soumise au Sénat s'inscrit dans cette perspective, même si elle n'en constitue bien sûr qu'une première étape. Elle propose une mesure très concrète consistant à interdire les licenciements boursiers . On peut définir un licenciement boursier comme une réduction d'effectifs subordonnée à une logique financière, étrangère à toute nécessité économique ou industrielle.

Si on ne peut empêcher une entreprise connaissant de réelles difficultés, ou confrontée à un bouleversement de son environnement technologique, de se restructurer, il est juste et réaliste, en revanche, d'exiger qu'aucun licenciement pour motif économique ne soit prononcé, tant que les richesses produites dans l'entreprise continuent de profiter aux actionnaires ou détenteurs de parts sociales. Ainsi, un licenciement pour motif économique ne devrait pas être autorisé tant que les détenteurs du capital continuent à être rémunérés. La proposition de loi prévoit, en conséquence, qu'un licenciement économique ne pourrait avoir lieu que si l'entreprise a renoncé à distribuer des dividendes au titre de son dernier exercice comptable.

Pour être respectée, cette règle devra être assortie de sanctions dissuasives : il est donc proposé d'obliger l'entreprise qui procéderait à un licenciement boursier, en violation de la loi, à rembourser les aides publiques qu'elle a perçues. Il n'est pas acceptable que l'argent des contribuables serve à financer des entreprises qui sacrifient l'emploi au nom d'une pure logique financière.

Les salariés victimes d'un licenciement abusif peuvent saisir les tribunaux mais la procédure est longue, ce qui peut en décourager certains d'engager un recours. C'est pourquoi l'inspection du travail devrait pouvoir intervenir en amont, pour vérifier que le licenciement décidé par une entreprise correspond bien à un licenciement pour motif économique et non à un licenciement boursier prohibé par la loi.

Les auteurs de la proposition de loi sont convaincus que ce nouveau cadre juridique est de nature à corriger les abus les plus criants dans le fonctionnement actuel du monde du travail.

I. UN DROIT DU LICENCIEMENT ENCORE INSUFFISAMMENT PROTECTEUR DES SALARIÉS

La proposition de loi vise à renforcer la protection des salariés contre le risque de licenciement boursier, toujours présenté comme étant économique. A l'heure actuelle, l'objectif de mieux rémunérer le capital l'emporte trop souvent sur le souci de développer ou de préserver l'emploi : des entreprises licencient alors que dans le même temps, elles continuent à verser d'importants dividendes.

A. RAPPEL DE LA DÉFINITION DU LICENCIEMENT POUR MOTIF ÉCONOMIQUE

Il existe en droit français deux catégories de licenciements : le licenciement pour motif personnel, qui peut sanctionner par exemple une insuffisance professionnelle ou une faute disciplinaire, et le licenciement pour motif économique. C'est la définition de cette deuxième catégorie de licenciements que la proposition de loi entend compléter.

1. La définition légale du licenciement pour motif économique

D'après l'article L. 1233-3 du code du travail, « constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques » .

Cette définition conduit à distinguer le motif économique du licenciement - la loi en cite deux : les difficultés économiques et les mutations technologiques - et l'élément matériel qui est directement à l'origine du licenciement : suppression ou transformation d'emploi ou modification refusée par le salarié d'un élément essentiel de son contrat de travail 1 ( * ) . Motif économique et élément matériel doivent être réunis pour que le licenciement soit considéré comme ayant une cause réelle et sérieuse 2 ( * ) .


* 1 Le salaire, la durée du travail, le lieu de travail sont des éléments essentiels du contrat de travail. Ils ne peuvent être modifiés sans l'accord du salarié.

* 2 Tout licenciement doit avoir une cause réelle et sérieuse pour être licite.

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