B. UN TEXTE QUI REND LES COMMUNES RESPONSABLES DE LA CRISE DU LOGEMENT ?

1. Une volonté accusatoire de mettre les communes devant leurs responsabilités

Le Gouvernement justifie son projet de loi en avançant deux propositions :

- la majoration des droits à construire serait un outil efficace pour libérer le foncier et stimuler la construction de logements (votre commission note pourtant que les éléments objectifs - notamment chiffrés - pour étayer cette affirmation font défaut) ;

- les communes sous-utiliseraient cet outil, puisque, comme cela a déjà été indiqué, moins de 1 % des communes ont pris une délibération en application du sixième alinéa de l'article L. 123-1-11.

Que faut-il déduire du rapprochement de ces deux propositions ? Souligner que les communes disposent d'un outil efficace pour stimuler la construction pour déplorer aussitôt qu'elles se refusent à l'utiliser, n'est-ce pas une manière de les accuser d'être en partie responsables de la crise du logement ? C'est ce qu'indique clairement l'étude d'impact du projet de loi : « ces dispositifs ne fonctionnent qu'à l'initiative des communes ou établissements publics de coopération intercommunale compétents sans que l'État soit en mesure de mettre en place une dynamique sur une échelle suffisante pour peser sur la politique du logement. Ils ont montré leur pertinence lorsque les communes s'en sont saisies, mais trop peu d'entre elles l'ont fait » 4 ( * ) . Il y a bien, derrière ce texte, l'idée que, par frilosité, par ignorance des textes ou par malthusianisme, les communes seraient coupables de mettre en place des règles trop restrictives qui empêcheraient les projets de se développer et de lutter contre la crise du logement.

Cette mise en accusation est exprimée sans ambages dans le discours du président de la République prononcé à Longjumeau le 2 février 2012 : « Les communes qui voudront refuser cette possibilité en auront le droit mais ce devra faire l'objet d'une délibération explicite du Conseil Municipal pour en refuser la possibilité. Chacun va prendre ses responsabilités (sic). La loi permettra 30 % de plus, les communes pourront refuser cette possibilité mais dans ce cas elles devront en délibérer et en discuter avec leurs concitoyens et voir ce qu'ils souhaitent ». On voit clairement dans les propos présidentiels que l'inversion du sens de la délibération est conçue comme l'outil de la « responsabilisation » des communes, responsabilisation synonyme de mise en accusation. C'est pourquoi le Sénat, représentant des collectivités territoriales, ne peut que s'y opposer avec force.

Une telle position du Gouvernement témoigne d'un manque de connaissance des collectivités territoriales et d'un manque de confiance dans leurs élus. Les maires, du fait de leur proximité avec leurs administrés, sont pourtant des élus conscients du caractère dramatique de la crise du logement que traverse le pays. Par ailleurs, il existe déjà de nombreuses dispositions législatives qui les obligent à prendre en compte de manière très précise les problématiques de logement et de densification urbaine. Pour mémoire, les communes sont associées à l'élaboration obligatoire des programmes locaux de l'habitat (PLH) au niveau intercommunal et leur PLU doit être compatible avec ces PLH. Les communes ont par ailleurs l'obligation de rendre leur PLU compatible avec la densification de certains secteurs urbains mise en place par le Grenelle de l'environnement à travers la réforme des schémas de cohérence territoriale. Ajoutons enfin qu'aux termes de l'article L. 123-12-1 du code de l'urbanisme, comme cela a déjà été indiqué, elles ont l'obligation de délibérer, à l'occasion du débat triennal sur le bilan du PLU, sur l'opportunité d'une application des dispositions prévues au sixième alinéa de l'article L. 123-1-11.

2. Un retour en arrière injustifié

Compte tenu de la charge accusatoire que comporte ce texte, votre commission déplore que des explications plus fournies n'aient pas été données par le Gouvernement pour expliquer pourquoi les communes ont jusqu'à présent si peu utilisé les outils de majoration des droits à construire. C'est là un point essentiel dans la démarche gouvernementale qui pèche par son manque de consistance.

Or, votre commission estime que le Gouvernement, dans sa précipitation à légiférer, confond la cause et l'effet. Il croit qu'il faut rendre la majoration des droits à construire plus contraignante pour « responsabiliser » les communes, alors qu'en réalité c'est parce que les communes prennent leurs responsabilités urbanistiques en élaborant des PLU que la majoration des droits à construire n'a pour elles qu'un intérêt très limité. En effet, il est absurde, pour une commune, de mettre plusieurs années à définir les règles de constructibilité adaptées à son projet de territoire, pour ensuite déroger aux règles qu'elle a elle-même fixées en décidant de majorer les droits à construire . Vouloir généraliser la majoration des droits à construire, comme souhaite le faire ce texte, ne peut avoir de sens que si, de façon générale , on estime que les PLU comportent des règles de constructibilité trop restrictives et donc qu'ils ont été mal conçus .

Il serait regrettable que le Gouvernement se représente ainsi le travail accompli par les collectivités en matière d'urbanisme. En tout cas, ce n'est pas une vision que partage votre commission. Celle-ci estime qu' il y a une antinomie entre la démarche urbanistique de projet conduite par les communes à travers leur PLU et un dispositif bureaucratique de majoration généralisée des droits à construire. Cette antinomie suffit à expliquer le peu d'intérêt qu'elles témoignent à ces dispositifs . Non pas qu'ils ne puissent pas avoir leur place dans le code de l'urbanisme ; mais cette place ne saurait être que marginale. Il peut en effet arriver, sur des secteurs géographiques précis, que les règles de densité d'un PLU s'avèrent finalement trop restrictives ou que les règles de densité soient saturées par les constructions déjà existantes -auquel cas les dispositifs de majoration des droits à construire peuvent être utiles (parmi d'autres outils 5 ( * ) ) pour corriger ces règles à la marge. Mais promouvoir une utilisation généralisée des règles de majorations des droits à construire revient, ni plus ni moins, qu'à affirmer que les communes élaborent leur PLU à la légère sans prendre en compte suffisamment les besoins en logement .

Il est intéressant de noter que le raisonnement qui vient d'être développé par votre rapporteur est exactement celui qu'avait tenu en 2008 le sénateur Dominique Braye, rapporteur de la commission de l'économie, lors de l'examen de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion . Pour mémoire en effet, dans sa rédaction initiale, la loi Boutin prévoyait déjà que la majoration de 20 % des droits à construire prévue à l'article L. 123-1-11 s'appliquerait d'office et que, pour y déroger, une délibération contraire des collectivités serait nécessaire. Or, ce dispositif, que le présent texte souhaite exhumer, avait été sévèrement critiqué par le rapporteur de l'époque. Voici un extrait de son rapport. Il est limpide : « votre commission s'interroge fortement sur l'opportunité d'une majoration automatique des règles de construction dans toutes les communes dotées d'un PLU. Le champ d'application de cette disposition est en effet potentiellement très large (..). Votre rapporteur juge (...) paradoxal d'inciter les communes à se doter de documents d'urbanisme pour déterminer les meilleures règles d'aménagement du tissu urbain, ce qui implique de réaliser des études dont le coût n'est pas négligeable, et de prévoir ensuite des dispositions s'imposant à tous les maires quelles que soient les spécificités de leurs territoires et modifiant en profondeur l'équilibre des documents qu'ils ont élaborés ».

Pour mémoire toujours, lors de l'examen en séance de la loi MOLLE, le principe de la majoration automatique des droits à construire avait finalement été abandonné suite à un amendement du rapporteur du Sénat. Cet amendement avait reçu un avis favorable du gouvernement et le soutien de l'opposition sénatoriale de l'époque, puis avait été confirmé par l'Assemblée nationale.

Pour conclure sur la question de la « responsabilité » des communes, votre rapporteur souhaite souligner qu'il existe, de toute évidence, des collectivités qui ne font pas tout ce qu'elles devraient faire pour favoriser la construction de logements à des prix abordables. Cependant ce texte stigmatise de manière générale toutes les communes sans apporter de solution au problème du malthusianisme d'une partie d'entre elles . En effet, celles qui, aujourd'hui, de manière délibérée, prévoient, par exemple, des COS exagérément bas ou définissent des tailles minimales de terrain excessivement grandes dans le seul but d'éviter la densification et de préserver un entre soi social, celles-là donc -on peut en être certain- prendront demain une délibération pour écarter la majoration des droits à construire prévue par ce texte. Ce projet de loi leur donne toute latitude pour cela. Il prévoit même, à son alinéa 11, une disposition aberrante en vertu de laquelle une commune, membre d'un EPCI compétent en matière de plan local d'urbanisme pourra écarter sur son territoire la majoration des droits à construire décidée par l'EPCI .

S'il existe des communes qui ne jouent pas le jeu - et il en existe - alors il serait plus juste et plus judicieux d'adopter des mesures ciblées et contraignantes à leur encontre. Au lieu de remettre en cause de manière générale la responsabilité des communes, que le Gouvernement commence par prendre les siennes en faisant en sorte que, plus de dix ans après le vote de la loi SRU, toutes les communes respectent enfin les obligations que leur fixe l'article 55.


* 4 Page 9 de l'étude d'impact.

* 5 Rien n'empêche une commune, au lieu d'utiliser les dispositifs de majoration prévus aux articles L. 123-1-11, L. 127-1 et L. 128-1, de modifier son PLU pour redéfinir les règles de constructibilité. À vrai dire, plutôt que d'introduire des règles de majoration dérogatoires aux règles des PLU, il est plus simple, plus cohérent et, pour tout dire, plus intelligent, d'intégrer directement les objectifs de densification dans le règlement du PLU. Les procédures de modification sont suffisamment souples pour le faire dans des délais raisonnables. Le cas échéant, si besoin est, mieux vaut que le législateur travaille à simplifier davantage ces procédures de modification des PLU plutôt qu'à introduire des règles dérogatoires de majoration.

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