EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Les États généraux de la démocratie territoriale, organisés sous l'égide du Président du Sénat, ont permis de confirmer l'inquiétude des élus locaux devant l'amoncellement des normes règlementaires qu'ils doivent appliquer quotidiennement.

Si l'édiction de règles répond à un besoin essentiel de sécurité technique et juridique, la surproduction normative est à l'origine de réelles difficultés pour les collectivités territoriales qui sont chargées de les appliquer, en raison de la complexité des procédures et des coûts importants sur les budgets locaux. Notre collègue Éric Doligé, qui a dénoncé, dans le cadre de sa mission auprès du Président de la République, le « zèle normatif » qui anime certaines administrations centrales ou déconcentrées, avait relevé que l'extrême précision règlementaire des décrets, des arrêtés et des circulaires était vécue, par les élus locaux, comme un excès de défiance à leur égard, « une présomption d'incapacité à remplir l'objectif de la norme en dehors d'un cadre prédéterminé. » Par ailleurs, l'inflation normative entrave la mise en place de politiques publiques locales dynamiques et adaptées, ce qui nuit à la compétitivité des territoires.

C'est pourquoi notre pays doit se doter des outils nécessaires destinés à alléger le fardeau normatif. Un « grand soir » de la simplification n'est certes pas à portée de main du fait du poids d'objectifs d'intérêt général contradictoire mais les États Généraux mettent le Parlement, lieu premier d'édiction des règles, et particulièrement le Sénat, devant la responsabilité d'inverser réellement la tendance à la complexification. C'est en réponse à cet objectif que s'inscrit la proposition de loi déposée par nos collègues Jacqueline Gourault, présidente de la Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, et Jean-Pierre Sueur, président de la commission des Lois, élaborée à la demande du Président du Sénat.

Des progrès significatifs ont été réalisés ces dernières années, grâce notamment au rôle du commissaire à la simplification, de la commission consultative d'évaluation des normes (CCEN) et de la commission d'examen des règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs (CERFRES) qui, à travers le dialogue et la concertation, ont permis l'évolution des méthodes de travail des administrations centrales, qui s'interrogent davantage sur l'utilité des textes qu'elles rédigent et évaluent avec les élus locaux les conséquences techniques et budgétaires de leurs prescriptions. En effet, les élus locaux ne sont pas réfractaires, par définition, à toute norme nouvelle. Ils refusent en revanche toute règle nouvelle inutile, coûteuse et disproportionnée. La proposition de loi, sagement selon votre rapporteur, prévoit de combiner les capacités de ces instances en renforçant leurs moyens d'intervention. Serait ainsi instauré un cadre de préparation de textes qui préviendrait les excès d'encadrement normatif pesant sur les collectivités locales.

Les récentes déclarations du Président de la République, à l'occasion des États Généraux de la Démocratie Territoriale, et celles du Premier ministre, lors du premier Comité interministériel pour la modernisation de l'action publique, le 18 décembre 2012, reflètent la volonté politique au sommet de l'exécutif d'endiguer le flux normatif et de conduire une politique d'allègement des normes. Ceci anticipe une volonté de coopérer entre les deux pouvoirs constitutionnels pour rendre rapidement effectif le nouveau cadre d'élaboration des textes. Cette disponibilité du Président de la République et du Gouvernement est d'autant plus bienvenue que l'une des principales étapes prévues dans la proposition de loi de Jacqueline Gourault et de Jean-Pierre Sueur, dans un dispositif ambitieux et pragmatique, est de faire intervenir la nouvelle instance de prévention au stade de l'élaboration des projets législatifs et de la négociation des textes de l'Union européenne.

Cette proposition de loi offre au Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales, l'opportunité de donner à l'État tout entier les instruments pour répondre, au-delà des tendances politiques, à la demande des élus locaux d'endiguer l'envahissement normatif auquel ils font face quotidiennement.

I. LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES FACE À UN ÉTAU NORMATIF CONTRAIGNANT

Le constat d'une inflation normative disproportionnée avait été dénoncé par le Conseil d'État en 1991 qui condamnait la « surproduction normative » et estimait que « quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête qu'une oreille distraite ».

Cette conclusion demeure toujours d'actualité comme l'ont confirmé de nombreux travaux du Sénat plus récents. Ainsi, en 2000, la mission commune d'information du Sénat chargée de dresser le bilan de la décentralisation et de proposer les améliorations de nature à faciliter l'exercice des compétences locales relevait que « les administrations de l'État [ont pris] , en effet, l'habitude d'intervenir sous la forme de règlements qui, sans dessaisir, au moins en théorie, les autorités locales, ont contribué à limiter leurs pouvoirs de manière significative. »

En 2007, le groupe de travail portant sur les relations entre l'État et les collectivités territoriales, présidé par notre ancien collègue Alain Lambert, soulignait également l'accroissement des charges pesant sur les collectivités en raison d'un double phénomène : l'inflation des textes normatifs et la complexité des procédures à appliquer.

Enfin, ce constat était confirmé par les travaux de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation en 2011, notre collègue Claude Belot évoquant la « maladie de la norme » 1 ( * ) .

Les collectivités territoriales ont ainsi perdu la maîtrise de leurs compétences en raison de l'inflation normative qui entrave leur libre administration et engendre un coût budgétaire préjudiciable à leurs politiques d'investissement. Ce constat a conduit à la mise en place de nouvelles instances dont la principale mission est de contrôler la pertinence des normes que doivent appliquer les collectivités territoriales. Le bilan prometteur de ces commissions est salué par l'ensemble des acteurs locaux.

A. LE POIDS DES NORMES DANS L'ACTIVITÉ QUOTIDIENNE DES ÉLUS LOCAUX

L'étau normatif auquel doivent faire face les collectivités territoriales est lié à la combinaison de plusieurs facteurs, relevé par notre collègue Claude Belot : « l'atomisation du pouvoir prescripteur », la diversité des secteurs concernés et le poids des normes sportives.

1. Des prescripteurs multiples

L'un des facteurs concourant à la prolifération normative est lié au nombre élevé des prescripteurs, que notre collègue Claude Belot qualifie d' « atomisation du pouvoir prescripteur ».

Le premier responsable de cette situation est l' État . La responsabilité de celui-ci est toutefois partagée entre le législateur et le pouvoir réglementaire. De nombreuses lois font l'objet de mesures d'application qui relèvent de ce dernier. Par exemple, la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement représente un potentiel de 173 décrets d'application : à ce jour, plus d'une centaine a été publiée mais certains sont encore en attente de publication.

A ce constat s'ajoutent les décisions prises par les services déconcentrés de l'État. La mission de certains services se réduit à la rédaction de normes dont l'utilité est discutée par les élus locaux qui les jugent comme une des causes de cette situation néfaste à l'exercice de politiques locales ambitieuses.

Aux normes imposées par l'État s'ajoutent celles décidées par les autorités communautaires dont une part importante des directives et des règlements s'appliquent aux collectivités territoriales. Il convient de relever également le pouvoir règlementaire des fédérations sportives , qui sera abordé supra par votre rapporteur, ainsi que le caractère contraignant de normes non obligatoires, dites de « bonne pratique » mais qui s'imposent, de fait, aux élus locaux : il s'agit principalement des normes techniques édictées par l'Association française de normalisation (AFNOR) ou les normes ISO.

Enfin, certaines collectivités territoriales peuvent subordonner leurs subventions, dont peuvent bénéficier d'autres collectivités, au respect de certaines exigences techniques.

2. De nombreux secteurs concernés

La totalité des secteurs des politiques publiques locales est soumise à ce phénomène. Le précédent Président de la République avait saisi les trois principales associations nationales d'élus 2 ( * ) afin qu'elles établissent un relevé des secteurs de politiques publiques locales faisant l'objet d'une production normative contraignante. Les secteurs identifiés étaient proches de ceux qui avaient été relevés par les commissions permanentes du Sénat, à la demande de notre collègue Gérard Larcher, alors président de notre assemblée. Le tableau suivant récapitule les secteurs pour lesquels l'intensité de production réglementaire est jugée la plus disproportionnée.

Secteurs générateurs de normes

I. Les secteurs pointés par les associations nationales d'élus

Pour l'Association des Maires de France (AMF) :

- accessibilité des bâtiments par les personnes en situation de handicap ;

- normes de sécurité relatives aux bâtiments ;

- environnement ;

- enfance ;

- urbanisme ;

- normes édictées par les fédérations sportives.

Pour l'Assemblée des Départements de France (ADF) :

- secteur social et médico-social ;

- sécurité civile ;

- installation et équipements sportifs ;

- établissements accueillant du public.

Pour l'Association des Régions de France (ARF) :

- transports ;

- formation professionnelle.

II. Les secteurs pointés par les commissions permanentes du Sénat

Pour la commission des Lois :

- le droit des sols ;

- la protection civile ;

- l'Outre-mer.

Pour la commission des Finances :

- les SDIS ;

- l'accessibilité ;

- les normes de sécurité, notamment dans le domaine de l'aménagement urbain ;

- la réglementation des travaux publics ;

- les plans d'urbanisme.

Pour la commission des Affaires sociales :

- la politique du handicap ;

- la politique de la petite enfance ;

Pour la commission de l'Économie :

- la construction ;

- l'urbanisme ;

- l'environnement.

Pour la commission de la Culture :

- les normes décidées par les fédérations et ligues sportives ;

- l'encadrement des élèves lors des séances de piscine ;

- les normes applicables aux jeux d'enfants.

Source : Rapport n° 338 (2011-2012) de Mme Jacqueline Gourault, au nom de la commission des lois.

3. La question des normes sportives

80 % des infrastructures sportives françaises sont gérées par les communes et leurs établissements publics. En conséquence, les décisions prises par les fédérations sportives affectent directement la gestion des équipements sportifs locaux et, in fine , les budgets des collectivités territoriales.

Une récente étude de l'Assemblée des Communautés de France (ADCF) relève que « les collectivités très impliquées dans le développement des clubs sportifs locaux se sentent bien souvent « prises en otages » par les exigences des fédérations nationales imposant régulièrement des améliorations des équipements, en allant parfois au-delà de leur pouvoir normatif ».

On précisera que, pour chaque discipline sportive, il existe une fédération sportive qui, par délégation du ministre chargé des sports, peut édicter les règles techniques et administratives permettant le bon déroulement des compétitions, selon les dispositions de l'article 17 de la loi du 16 juillet 1984 3 ( * ) . Cet article dispose que « Dans chaque discipline sportive et pour une période déterminée, une seule fédération reçoit délégation du ministre chargé des sports pour organiser les compétitions sportives à l'issue desquelles sont délivrés les titres internationaux, nationaux, régionaux ou départementaux et procéder aux sélections correspondantes. Cette fédération définit, dans le respect des règlements internationaux, les règles techniques propres à sa discipline. »

Face aux difficultés budgétaires que génèrent, pour les collectivités territoriales, les demandes des fédérations, le ministre chargé des sports a saisi en 2003 le Conseil d'État afin de préciser l'étendue de la compétence dont bénéficient les fédérations sportives en vertu de l'article 17 de la loi précitée du 16 juillet 1984.

Dans un avis rendu le 20 novembre 2003, le Conseil d'État a considéré que, sous réserve des compétences dévolues à l'État dans sa sphère d'attribution, prévue par les articles 42-1 et 42-2 de la loi précitée, les fédérations peuvent définir les normes applicables aux équipements nécessaires au bon déroulement des compétitions sportives. Cette compétence s'étend aussi bien aux installations édifiées sur l'aire de jeu ouverte aux sportifs qu'à celles qui, tout en étant extérieures à l'aire de jeu, n'en concourent pas moins au déroulement des compétitions dans les conditions d'hygiène, de sécurité et de loyauté satisfaisantes .

En revanche, le Conseil d'État a estimé que les exigences exclusivement dictées par des impératifs d'ordre commercial, comme celles qui touchent à la contenance minimale des espaces affectés à l'accueil du public pour chaque type de compétition ou la détermination de dispositifs électriques et d'installations ayant pour seul objet de favoriser la retransmission télévisée ou radiophonique des compétitions, excèdent le champ des compétences des fédérations titulaires d'une délégation prévue par l'article 17. Dans ces domaines, les fédérations ne peuvent intervenir que par voie de recommandations dépourvues de caractère obligatoire .

A la suite de cet avis, le ministère chargé des sports a publié un décret destiné à donner une portée règlementaire à l'avis du Conseil d'État 4 ( * ) .

Votre rapporteur a pu constater, à travers les auditions qu'il a conduites, que la situation constatée il y a dix ans perdure. En effet, les personnes entendues ont confirmé les nombreuses modifications apportées par les fédérations aux règlements sportifs imposés aux communes, notamment en matière d'immobilier (terrains, vestiaires, accueil du public). Par ailleurs, M. Noël de Saint-Pulgent, président de la commission d'examen des règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs (CERFRES), a regretté le comportement ambigu de certaines fédérations entre ce qui relève d'une prescription obligatoire ou d'une simple recommandation. Les élus locaux ne disposent pas souvent de la connaissance suffisante pour opérer cette distinction.


* 1 Rapport d'information n° 317 (2010-2011) de M. Claude Belot, « La maladie de la norme », fait au nom de la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2010/r10-317-notice.html

* 2 Association des Maires de France (AMF), Assemblée des Départements de France (ADF) et Association des Régions de France (ARF).

* 3 Loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives.

* 4 Décret n° 2006-217 du 22 février 2006 relatif aux règles édictées en matière d'équipements sportifs par les fédérations sportives mentionnées à l'article 17 de la loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 modifiée.

Page mise à jour le

Partager cette page