B. UNE PROPOSITION DE LOI POUR UNE FISCALITÉ NEUTRE ET ÉQUITABLE...

1. Les objectifs poursuivis : neutralité et équité fiscales

Les objectifs poursuivis par la proposition de loi ne répondent pas spécifiquement à une problématique de financement de tel ou tel secteur d'activité, qu'il s'agisse de la culture, des réseaux numériques ou des collectivités territoriales, sans pour autant fermer la question de l'affectation des recettes fiscales. L'enjeu soulevé par texte dont le Sénat est saisi porte essentiellement sur le terrain de la neutralité et de l'équité fiscale. Pour Philippe Marini, « la neutralité est la taxation, quelle que soit la technologie employée pour une même fonction et l'équité est le traitement selon des règles du jeu communes ( one level playing field ) des agents économiques lorsqu'ils interviennent sur un même secteur ».

a) La neutralité technologique

Ainsi, c'est à partir du constat selon lequel la taxation de la publicité est une pratique de droit commun en matière fiscale 9 ( * ) , sur les médias télévisuels, radiophoniques ou par voie de la publicité extérieure, que l'absence de taxe spécifique à la publicité sur Internet a été identifiée.

Ainsi, les enseignes publicitaires sont assujetties à la taxe locale sur la publicité extérieure (TLPE) depuis le 1 er janvier 2009 par l'article 171 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie (dite « LME ») pour un rendement fiscal de l'ordre de 100 millions d'euros, sans que ce secteur ait été mis en danger sur le plan économique. De la même manière, la taxe sur la publicité télévisée s'applique aux régies publicitaires sur les sommes versées par les annonceurs (70 millions d'euros) et la publicité réalisée au moyen d'imprimés et d'insertion dans les journaux gratuits fait l'objet d'une taxe de 1 % due directement par l'annonceur (30 millions d'euros).

Pour Philippe Marini, rien ne justifie, a priori , que la publicité sur l'Internet échappe par nature à un prélèvement supporté par la publicité dans les médias traditionnels. C'est en vertu du même raisonnement qu'il a observé que les services de commerce en ligne échappent à la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom) applicable aux surfaces de vente au détail supérieures à 400 m 2 dont le chiffre d'affaires hors taxes est supérieur ou égal à 460 000 euros. Là encore, en application du principe de neutralité technologique , si la surface de vente en magasin constitue une assiette fiscale communément admise, il est proposé d'y associer, par analogie, une notion de services de commerce électronique, lesquels constitueraient une nouvelle base d'imposition. La Tascoé est une réponse à la question suivante : pourquoi une même activité de commerce serait-elle taxée différemment selon qu'elle relève d'une vente traditionnelle ou d'une vente en ligne ?

b) L'équité fiscale

Ce sont en premier lieu les acteurs de l'économie numérique (les opérateurs de télécommunication, l'industrie du livre et de la musique, etc.) qui ont mis en lumière la problématique de l'équité fiscale. Ceux-ci font remarquer qu'ils sont concurrencés par des sites Internet basés à l'étranger qui ne supportent ni les mêmes charges fiscales en matière de TVA et d'impôt sur les sociétés, ni les taxations spécifiques à notre pays destinées à financer l'industrie cinématographique, l'audiovisuel public, les réseaux et les collectivités locales.

C'est sur ce fondement que la proposition de loi prévoit, au moyen d'une obligation déclarative, l'extension aux acteurs basés à l'étranger des dispositifs fiscaux applicables jusqu'ici aux seules entreprises françaises.

2. Le dispositif proposé : un volet procédural et un volet fiscal
a) L'économie générale de la proposition de loi repose sur un volet procédural : l'obligation de déclaration d'activité par les acteurs de services en ligne basés à l'étranger (article premier)

L'économie générale du dispositif proposé repose sur un volet procédural , instituant une obligation de déclaration d'activité par les acteurs de services en ligne basés à l'étranger à partir de certains seuils d'activités et selon deux variantes ; l'entreprise assujettie opterait, soit pour la désignation d'un représentant fiscal sur le modèle procédural de l'agrément accordé aux sites de jeux en ligne, soit pour le régime spécial de déclaration des services fournis par voie électronique qui est une procédure simplifiée et dématérialisée permettant de respecter les principes du droit européen de non discrimination et de proportionnalité.

Selon l'exposé des motifs de la proposition de loi, cette solution tient compte des objections au regard du droit communautaire que soulève l'obligation de désignation d'un représentant fiscal. En effet, la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) prohibe le caractère général d'une obligation de représentation fiscale ( affaire C-267/09 Commission/Portugal du 5 mai 2011 ), celle-ci étant, selon la Commission, contraire à la libre circulation des personnes et des capitaux dans la mesure où elle s'avère à la fois discriminatoire et disproportionnée au regard de l'objectif tendant à assurer l'efficacité du contrôle fiscal et à lutter contre l'évasion fiscale.

b) Le volet fiscal : l'extension de taxations spécifiques à certains secteurs de l'économie numérique (articles premier et 2)

Le volet procédural est le pivot de la proposition de loi autour duquel s'organise un volet fiscal comportant une série de taxations.

Le dispositif proposé retient un nombre limité de prélèvements soumis à l'obligation de déclaration : la taxe sur la publicité en ligne, la taxe sur les services de commerce électronique (Tascoé) et la taxe sur les ventes et les locations de vidéogrammes destinés à l'usage privé du public 10 ( * ) .

S'agissant de la taxe sur la publicité en ligne , la seconde version ici présentée, qualifiée dans la presse de « taxe Google 2.0 », diffère sensiblement de la précédente car elle s'applique dorénavant aux régies, où qu'elles se situent, et non aux annonceurs. Ce afin que Google Ireland soit redevable de la taxe, qui serait assise sur le milliard d'euros présumé de chiffre d'affaires réalisé en France au titre de son audience sur le marché français en qualité de régie publicitaire. Cette taxe serait également due par tout acteur français ou étranger en fonction de seuils d'activités minimales. Assise sur les sommes, hors commission d'agence et hors taxe sur la valeur ajoutée, payées par les annonceurs aux régies pour les services de publicité dont l'audience est obtenue en France, cette taxe serait calculée en appliquant un taux de 0,5 % à la fraction comprise entre 20 millions d'euros et 250 millions d'euros et de 1 % au-delà. Il ne s'agit pas d'une mesure de rendement car le gain fiscal escompté se situerait, en l'état du marché, à un niveau inférieur ou égal à 20 millions d'euros, dont près de la moitié acquitté par le principal acteur du marché, à savoir Google.

Néanmoins, au cours de ses auditions, votre rapporteur a pu constater que les entreprises françaises seraient principalement impactées, soit de manière indirecte par la répercussion de la charge fiscale de la régie vers l'annonceur, soit directement au titre de leurs activités de régie publicitaire. A ce titre, la principale d'entre elles, le groupe Pages Jaunes, aurait ainsi à supporter une surcharge fiscale d'environ 4,5 millions d'euros au titre de la publicité en ligne en plus des quelque 126 millions d'euros d'impositions de toutes sortes déjà acquittés en France.

S'agissant de la taxe sur les services de commerce électronique (Tascoé), la nouvelle version 11 ( * ) a, elle aussi, évolué par rapport au dispositif initialement proposé lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2011. La Tascoé ici présentée prévoit, dans le même esprit que la Tascom, dont le rendement fiscal s'établit à 600 millions d'euros au bénéfice des collectivités locales, une taxation du vendeur professionnel au consommateur final (B to C) par parallélisme entre commerce de détail physique assujetti à la Tascom et commerce de détail électronique soumis à la Tascoé. Les redevables de cette taxe, qu'ils soient établis en France ou à l'étranger, seraient soumis à la même obligation de déclaration d'activité que celle prévue pour la taxe sur la publicité en ligne, ce qui permettrait d'assujettir les grands groupes de vente en ligne. Concrètement le dispositif est le suivant :

- la taxe est due par les personnes qui vendent ou louent, par un procédé de communication électronique, les biens et services à toute personne établie en France y compris dans les départements d'outre-mer, qui elle-même n'a pas pour activité la vente ou la location de biens et de services ;

- la taxe ne s'applique pas lorsque le chiffre d'affaires annuel du prestataire du service de commerce électronique est inférieur à 460 000 euros et son taux est de 0,25 % assis sur le montant hors taxe sur la valeur ajoutée du prix acquitté ;

- et pour tenir compte de la situation des commerçants opérant à la fois dans la grande distribution et dans le commerce électronique, il serait instauré une déduction du montant acquitté par le redevable de la Tascom dans la limite de 50 % de son montant.

Selon l'exposé des motifs de la proposition de loi, le rendement d'une taxe de 0,25 % aurait pu atteindre environ 100 millions d'euros dès 2013 et 175 millions d'euros en 2015, ces estimations devant être ajustées à la baisse pour tenir compte de l'exonération des entreprises dont le chiffres d'affaires est inférieur à 460 000 euros et de la déductibilité de la Tascom, dans la limite de 50 % du montant de la Tascoé, pour les entreprises qui pratiquent à la fois le commerce physique et le commerce électronique. Il est également prévu que, au même titre que la Tascom, le produit de cette taxe soit affecté au « bloc communal », dans les conditions de versement du Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC), pour tenir compte de la perspective d'érosion du commerce physique au profit du e-commerce et donc pour compenser le préjudice ainsi causé aux territoires.

Enfin, pour rétablir une forme d'équité fiscale entre acteurs français et étrangers, l'article 2 étend aux acteurs de l'Internet établis hors de France la taxe sur la fourniture de vidéogrammes à la demande (VOD). Le rendement actuel de cette taxe est limité (32 millions d'euros) mais dans son principe, et hormis la difficulté à en assurer le recouvrement à l'étranger, l'ensemble des professionnels auditionnés ont émis un avis favorable sur ce dispositif, lequel n'implique aucune charge supplémentaire aux entreprises établies en France.

c) La remise par le Gouvernement d'un rapport au Parlement sur l'impact sur les finances publiques des pratiques d'optimisation fiscale mises en oeuvre par certains acteurs de l'économie numérique (article 3)

Le dernier article de la proposition de loi prévoit la remise au Parlement par le Gouvernement d'un rapport évaluant l'impact sur les finances publiques des pratiques d'optimisation fiscale mises en oeuvre par certains acteurs de l'économie numérique basés hors du territoire français en matière de taxe sur la valeur ajoutée, d'imposition des bénéfices et de toutes taxations spécifiques.

Il est, en outre, demandé que ce rapport analyse la faisabilité et chiffre l'impact des points suivants :

- l'identification de nouvelles assiettes fiscales permettant d'instaurer une taxation des flux numériques et une contribution assise sur la valeur ajoutée des entreprises issue de leurs activités numériques sur le territoire français ;

- l'extension de la taxation des services de télévision aux nouveaux acteurs de la télévision connectée et de tous services similaires rendus par des opérateurs basés à l'étranger à destination du public français ;

- l'anticipation au 1 er janvier 2014, au lieu du 1 er janvier 2015, de la date d'entrée en vigueur du régime TVA applicable selon les règles du pays de consommation pour les services électroniques, au sens de la directive 2008/8/CE du 12 février 2008 et la réduction de la durée de la période transitoire ;

- et la redéfinition, au niveau européen et international, des règles d'imposition des bénéfices des entreprises dans le contexte du commerce électronique.


* 9 Depuis 1982, ont été mises en place des taxes sur les recettes de publicité audiovisuelles (articles 302 bis KA à KD du code général des impôts), sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques (article 302 bis KH) et sur certaines dépenses de publicité (article 302 bis MA).

* 10 L'auteur de la proposition de loi a également étudié la possibilité d'élargir l'assiette des taxes sur les services de télévision (art. L. 115-6 et suivants du code du cinéma et de l'image animée) et sur les services fournis par les opérateurs de communication électronique (art. 302 bis KH du CGI) mais a considéré que la sécurité juridique de ces dispositifs n'était pas assurée car ceux-ci font l'objet de procédures en cours devant la Commission européenne et la CJUE.

* 11 La première version de la Tascoé était due par le preneur établi en France et assise sur les activités de commerce électronique entre professionnels. Le rendement fiscal de la Tascoé pouvait atteindre 500 millions d'euros (0,5 % d'un chiffre d'affaires de 100 milliards d'euros dans le e-commerce B to B) et sa portée dépassait très largement la seule transposition de la Tascom, sans pour autant impacter les principaux sites visés, notamment Amazon et Apple.

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