N° 287

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 janvier 2013

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la proposition de loi de M. Philippe MARINI une fiscalité numérique neutre et équitable ,

Par M. Yvon COLLIN,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Marini , président ; M. François Marc , rapporteur général ; Mme Michèle André , première vice-présidente ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Jean-Pierre Caffet, Yvon Collin, Jean-Claude Frécon, Mmes Fabienne Keller, Frédérique Espagnac, MM. Albéric de Montgolfier, Aymeri de Montesquiou, Roland du Luart , vice-présidents ; MM. Philippe Dallier, Jean Germain, Claude Haut, François Trucy , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Jean Arthuis, Claude Belot, Michel Berson, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Joël Bourdin, Christian Bourquin, Serge Dassault, Vincent Delahaye, Francis Delattre, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Éric Doligé, Philippe Dominati, Jean-Paul Emorine, André Ferrand, François Fortassin, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Charles Guené, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Roger Karoutchi, Yves Krattinger, Dominique de Legge, Marc Massion, Gérard Miquel, Georges Patient, François Patriat, Jean-Vincent Placé, François Rebsamen, Jean-Marc Todeschini, Richard Yung .

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

682 (2011-2012) et 288 (2012-2013).

Mesdames, Messieurs,

La démarche engagée par Philippe Marini, retracée dans son rapport n° 614 (2011-2012) en date du 27 juin dernier établissant une feuille de route pour une fiscalité numérique neutre et équitable au plan international, européen et national, traduit une préoccupation de la commission des finances mais aussi de l'ensemble des acteurs de l'économie numérique.

A cet égard, ce sujet, qui se caractérise par son caractère transversal et trans-partisan, a conduit trois commissions à se saisir pour avis sur la présente proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable présente : la commission de la culture, la commission du développement durable et la commission de l'économie ont respectivement désigné nos collègues Claude Domeizel, Yves Rome et Bruno Retailleau en qualité de rapporteur pour avis.

L'intérêt que portent les parlementaires aux phénomènes de distorsions de concurrence et aux stratégies d'optimisation fiscale employées par les grands groupes de l'Internet, dans les secteurs de la publicité en ligne et du commerce électronique, ainsi qu'au danger que représente la concurrence déloyale des grands acteurs de l'Internet basés dans les pays à fiscalité réduite, les a conduit, en retenant des approches diverses, à formuler des initiatives en faveur du financement de la culture 1 ( * ) et des réseaux 2 ( * ) , ou encore à s'interroger sur les effets du développement du commerce électronique sur le commerce traditionnel et les grandes surfaces de distribution 3 ( * ) .

A la lumière de ces travaux parlementaires, le fait que cette problématique soit entrée au coeur du débat public et institutionnel constitue donc aujourd'hui un premier succès de l'activité sénatoriale.

Pour sa part, le Gouvernement s'est très rapidement saisi de la question de l'optimisation fiscale pratiquée par les multinationales de l'Internet. Ainsi, au niveau national, il a lancé, le 12 juillet 2012, une mission d'expertise sur la fiscalité de l'économie numérique dont l'un des objectifs est précisément de « dégager des propositions en matière de localisation et d'imposition des bénéfices, du chiffre d'affaires, ou, éventuellement, sur d'autres assiettes taxables ». Son action s'est également prolongée sur le plan international et européen en s'associant à la saisine, en novembre dernier, d'une part de l'OCDE sur la question de la territorialité des bénéfices et de l'érosion des bases fiscales, d'autre part de la Commission européenne afin de définir une approche européenne de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales dans le domaine de l'économie numérique.

Le rapport d'expertise demandé par le Gouvernement sur la fiscalité numérique a été rendu public le 18 janvier dernier 4 ( * ) et, dans la foulée, leurs auteurs ont été auditionnés par votre commission des finances afin d'éclairer le débat parlementaire 5 ( * ) . Les conclusions de ce rapport confortent en tous points l'analyse de Philippe Marini selon laquelle les modèles d'affaires de l'économie numérique sont mal appréhendés par le droit fiscal et que le développement des échanges dématérialisés facilite l'évasion fiscale. Sur la base de ce diagnostic, la mission soutient la poursuite des efforts internationaux mais encourage une prise de décision au niveau national en formulant une proposition tendant à l'instauration d'une fiscalité incitative en matière de collecte et d'exploitation des données.

Cette piste mérite d'être examinée de manière approfondie dans la perspective de l'élaboration d'un dispositif législatif complémentaire ou alternatif à la proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable présentée par Philippe Marini.

I. UNE PROPOSITION DE LOI QUI TRADUIT LA VOLONTÉ D'APPRÉHENDER LES NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES ISSUS DE L'ÉCONOMIE NUMÉRIQUE

A. UN RAPPEL DES TRAVAUX MENÉS PAR LA COMMISSION DES FINANCES À L'INITIATIVE DE PHILIPPE MARINI

1. Un premier rapport sur l'impact du développement du commerce électronique sur les finances de l'Etat

C'est à l'initiative de Philippe Marini, alors rapporteur général, que la commission des finances avait commandé en 2009 une étude au cabinet Greenwich Consulting puis organisé, le 7 avril 2010, une première table ronde sur l'impact du développement du commerce électronique sur les finances de l'Etat.

En matière de TVA et d'impôt sur les sociétés, il avait, dès cette époque, constaté un déplacement de la matière imposable des grands pays de consommation du e-commerce d'où proviennent les flux de richesses (Allemagne, Grande-Bretagne, France, Italie, Espagne) vers les pays d'établissement des « GAFA » 6 ( * ) (Luxembourg et Irlande) et tenté d'apporter une première réponse au niveau national en proposant une taxation sur la publicité en ligne et sur le commerce électronique et en préconisant parallèlement une modification des règles internationales d'imposition des bénéfices 7 ( * ) .

2. Une taxe sur la publicité en ligne « première version » : votée puis supprimée

A l'initiative du Sénat, alors soutenu notamment par les membres du groupe communiste, républicain et citoyen et du groupe socialiste 8 ( * ) , l'article 27 de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 a institué une taxe sur l'achat de services de publicité en ligne par les entreprises établies en France égale à 1 % du montant de la prestation.

La première version de la taxe sur la publicité en ligne, votée en loi de finances pour 2011 (ancien article 302 bis KI), était applicable aux seuls annonceurs établis en France, sans seuil d'activité. Par la suite, cette disposition a été supprimée en loi de finances rectificative pour 2011, avant la date d'entrée en vigueur de la taxe prévue le 1 er juillet 2011. Il avait en effet été considéré que, s'appliquant aux seuls annonceurs basés en France, cette taxe présentait le risque de voir les groupes délocaliser leurs activités d'annonceur et donc de ne faire peser cette taxe nouvelle que sur les PME françaises sans appréhender l'activité des sites basés à l'étranger, notamment Google.

Article 302 bis KI du code général des impôts ( abrogé )

I. Il est institué, à compter du 1 er juillet 2011, une taxe sur l'achat de services de publicité en ligne. Par services de publicité en ligne sont désignées les prestations de communication électronique autres que les services téléphoniques, de radiodiffusion et de télévision dont l'objet est de promouvoir l'image, les produits ou les services du preneur.

II. Cette taxe est due par tout preneur, assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée au sens de l'article 256 A et établi en France, de services de publicité en ligne et est assise sur le montant, hors taxe sur la valeur ajoutée, des sommes versées au titre des prestations mentionnées au I.

III. Le taux de la taxe est de 1 %.

IV. Cette taxe est liquidée et acquittée au titre de l'année civile précédente lors du dépôt de la déclaration, mentionnée au 1 de l'article 287, du mois de mars ou du premier trimestre de l'année civile.

V. La taxe est recouvrée et contrôlée selon les mêmes procédures et sous les mêmes sanctions, garanties, sûretés et privilèges que la taxe sur la valeur ajoutée. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables à cette même taxe.

Parallèlement, la commission des finances avait adopté un second amendement visant à créer une taxe sur l'achat de services de commerce électronique (Tascoé) , également due par les professionnels, dont la portée était potentiellement considérable. Alors que le produit de la taxe sur la publicité en ligne était estimé, au plus, à 20 millions d'euros (1 % d'un chiffre d'affaires de 2 milliards d'euros), le rendement fiscal de la Tascoé pouvait atteindre 500 millions d'euros (0,5 % d'un chiffre d'affaires de 100 milliards d'euros dans le e-commerce B to B ).

Cette initiative résultait du constat que le commerce électronique échappe à la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom) qui s'applique au commerce traditionnel et que, en vertu du principe de neutralité, il apparaissait légitime d'envisager la création d'une imposition spécifique sur un marché en plein essor. Par analogie avec la Tascom, la création d'une taxe sur les achats de services de commerce électronique devait être mise à la charge de l'entreprise.

Le dispositif proposé alors était le suivant :

- cette taxe était due par tout preneur - entreprises établie en France et soumise à la taxe sur la valeur ajoutée - de services de commerce électronique ;

- elle était assise sur le montant des dépenses engagées pour l'achat de toute fourniture de biens ou services effectué au moyen d'une communication électronique dans des conditions définies par décret ;

- elle ne s'appliquait pas lorsque le chiffre d'affaires annuel de l'établissement preneur de la prestation de commerce électronique est inférieur à 460 000 euros (ce montant étant identique à celui qui déclenche l'exigibilité de la Tascom). Par conséquent, près des deux tiers des entreprises en étaient exonérées.

Cet amendement avait été retiré en séance au bénéfice de l'engagement du Gouvernement de l'époque d'engager une réflexion globale.


* 1 Rapport d'information n° 478 (2011-2012) du 11 janvier 2012 « Comment concilier liberté de l'Internet et rémunération des créateurs ? » présenté par Marie-Christine Blandin.

* 2 Proposition de loi n° 118 (2011-2012) visant à assurer l'aménagement numérique du territoire présentée par Hervé Maurey et Philippe Leroy.

* 3 Rapport d'information n° 272 (2011-2012) du 18 janvier 2012 « Commerce électronique : l'irrésistible expansion » présenté par Joël Bourdin.

* 4 Le rapport au ministre de l'économie et des finances, au ministre du redressement productif, au ministre délégué chargé du budget et à la ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique établi par MM. Pierre Collin, conseiller d'Etat, et Nicolas Colin, inspecteur des finances, est disponible sur le lien suivant : http://www.economie.gouv.fr/files/rapport-fiscalite-du-numerique_2013.pdf .

* 5 Cf . infra les travaux de la commission (audition du 22 janvier 2013).

* 6 Acronyme désignant Google, Apple, Facebook et Amazon.

* 7 Rapport n° 398 (2009-2010) « le développement du commerce électronique : quel impact sur les finances publiques ? » (7 avril 2010).

* 8 L'amendement relatif à la publicité en ligne a été repris et déposé dans les mêmes termes par Jack Ralite et les membres du groupe communiste, républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche. A cette occasion, notre ancienne collègue Nicole Bricq déclarait : « Nous voterons ces amendements identiques, car, depuis la loi du 1 er août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, dite « loi DADVSI », le groupe socialiste ne cesse de demander la taxation d'Internet. En vain. Nous souscrivons à un grand nombre des propos de M. le rapporteur général de la commission des finances ».

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