N° 368

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 février 2013

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi autorisant l' expérimentation des maisons de naissance ,

Par Mme Muguette DINI,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Annie David , présidente ; M. Yves Daudigny , rapporteur général ; M. Jacky Le Menn, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Claude Jeannerot, Alain Milon, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Louis Lorrain, Jean-Marie Vanlerenberghe, Gilbert Barbier , vice-présidents ; Mmes Claire-Lise Campion, Aline Archimbaud, Catherine Deroche, M. Marc Laménie, Mme Chantal Jouanno , secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, M. Jean-Paul Amoudry, Mmes Natacha Bouchart, Marie-Thérèse Bruguière, M. Jean-Noël Cardoux, Mme Caroline Cayeux, M. Bernard Cazeau, Mmes Karine Claireaux, Laurence Cohen, Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Jean Desessard, Mmes Muguette Dini, Odette Duriez, Anne Emery-Dumas, MM. Guy Fischer, Michel Fontaine, Mme Samia Ghali, M. Bruno Gilles, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Hummel, M. Jean-François Husson, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Georges Labazée, Jean-Claude Leroy, Gérard Longuet, Hervé Marseille, Mmes Michelle Meunier, Isabelle Pasquet, M. Louis Pinton, Mmes Gisèle Printz, Catherine Procaccia, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roche, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. René Teulade, François Vendasi, Michel Vergoz, Dominique Watrin .

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

548 (2010-2011) et 369 (2012-2013)

AVANT-PROPOS

On se doit adonner aux meilleures règles, mais non pas s'y asservir,
si ce n'est à celles - s'il y en a quelqu'une - auxquelles l'obligation
et la servitude soient utiles.

Michel de Montaigne,
De l'expérience, Les essais.

Mesdames, Messieurs,

Les maisons de naissance, lieux où des sages-femmes suivent la grossesse et réalisent des accouchements physiologiques dans un cadre raisonnablement médicalisé, existent dans de nombreux pays. Elles permettent un accompagnement global et personnalisé, puisqu'un même professionnel de santé suit l'ensemble du parcours de la parturiente du début de la grossesse à la fin du post-partum , ce qui permet de créer une relation de confiance particulièrement utile tant sur le plan physique que psychologique, pour la femme et pour le couple.

La présente proposition de loi vise à expérimenter, en France, cette modalité de prise en charge de la maternité qui a fait ses preuves à l'étranger. Elle fixe des conditions de sécurité strictes et en pratique identiques à un accouchement en unité d'obstétrique classique : la maison de naissance doit en effet être attenante à une maternité et conclure avec elle une convention pour organiser leurs relations de travail, notamment les transferts de la première vers la seconde en cas de complication à un moment quelconque. Les maisons de naissance apportent ainsi une solution intermédiaire sûre entre le domicile et l'hôpital.

De nombreux pays ont connus ces vingt ou trente dernières années un processus de « technicisation » de l'accouchement. La France est particulièrement concernée, au point que le collège national des gynécologues-obstétriciens, qui est favorable à l'expérimentation des maisons de naissance, évoque lui-même, dans un avis publié en décembre 2012, « un risque iatrogène de la surmédicalisation et du surtraitement », en plus d'un « gaspillage de moyens ».

Le renforcement progressif des normes applicables aux maternités, conjugué aux évolutions des conditions de vie et au développement général du système de santé, a permis une baisse impressionnante du taux de mortalité infantile : il est passé de 52 décès pour 1 000 naissances en 1950 à 18 en 1970, 7,3 en 1990 et 3,5 en 2010. L'ensemble des pays occidentaux a connu cette formidable évolution et il ne saurait être question de la remettre en cause - ou même de risquer de la remettre en cause - par une quelconque réforme hasardeuse.

En France, le réseau des maternités s'est profondément transformé, en particulier depuis leur classification en trois catégories à partir de 1998 : elles sont moins nombreuses (1 370 en 1975 ; 535 en 2010), donc de plus grande taille, et mieux équipées. Ces restructurations hospitalières doivent être évaluées avec attention, notamment en termes d'accès aux soins mais aussi d'amélioration de la sécurité et de la qualité. On ne peut cependant reprocher aux maisons de naissance d'en être à l'origine puisqu'elles n'existent pas encore... Qui plus est, ces nouvelles structures ne peuvent pas, par définition, être créées sans une maternité attenante. Elles offrent une modalité de prise en charge complémentaire par rapport aux maternités, pour les femmes volontaires et qui poursuivent une grossesse sans pathologie.

Certaines femmes souhaitent vivre leur grossesse et leur accouchement sans médicalisation excessive mais dans de complètes conditions de sécurité pour leur bébé et pour elles-mêmes. Nul ne peut critiquer ce choix même s'il ne le partage pas. En outre, sans que cela soit lié dans un sens ou dans un autre au tempérament des professionnels, l'accompagnement en maison de naissance est par nature plus approfondi et personnalisé qu'en maternité, ne serait-ce qu'en raison de la taille des structures.

La maternité, que douleur et risque accompagnent indubitablement, n'est pas une maladie et ne doit pas être appréhendée comme telle. Pour cela, retenons les meilleures règles mais sans nous y asservir.

I. LA « TECHNICISATION » DE L'ACCOUCHEMENT EST SOUVENT EXCESSIVE POUR LES GROSSESSES PHYSIOLOGIQUES

A. UN RISQUE IATROGÈNE DE SURMÉDICALISATION

Depuis le début des années 1970, les normes applicables aux maternités ont été continûment renforcées et la médicalisation de la prise en charge de la grossesse s'est accentuée.

Selon l'enquête nationale périnatale 2010 1 ( * ) , « l'augmentation parallèle des consultations et des échographies suggère une augmentation générale de la surveillance médicale, qui serait la poursuite des tendances observées au cours des enquêtes précédentes. Un nombre important de consultations prénatales et d'échographies pose la question d'un risque de surmédicalisation ».

Dans le même esprit, le collège national des gynécologues-obstétriciens a indiqué, dans un avis qu'il a adopté en décembre 2012 :

« Il y a aujourd'hui des travaux qui démontrent que la règle « qui peut le plus, peut le moins » ne s'applique pas bien en obstétrique. En effet, les facilités offertes par un plateau technique organisé pour faire face aux pathologies graves voire gravissimes, conduit à en faire aussi usage dans des situations qui le justifient moins.

Il ne s'agit pas seulement d'un gaspillage de moyens , mas aussi du risque iatrogène de la surmédicalisation et du surtraitement .

S'ajoute également la frustration de certaines patientes qui estiment qu'elles auraient peut-être pu accoucher plus simplement ».

Concrètement, entre 2003 et 2010, le nombre moyen d'échographies, déjà élevé par rapport aux pratiques des pays européens, a légèrement augmenté, passant de 4,5 à 5,0 et la prise en charge de la douleur par une péridurale ou une rachianesthésie est devenue plus fréquente, puisqu'elle a concerné 82 % des femmes en 2010, au lieu de 75 % en 2003.

Le taux de césariennes a beaucoup augmenté jusqu'en 2007, date à partir de laquelle il se stabilise à environ 21 % ; or, l'organisation mondiale de la santé (OMS) a fixé à 15 % le taux « raisonnable », en terme statistique, de recours aux césariennes, niveau qui est dépassé dans 90 % des maternités françaises. En outre, le taux de déclenchement des accouchements (environ 20 %) est supérieur en France à celui des pays voisins.

Dans une étude 2 ( * ) publiée par l'Inpes en 2007, Madeleine Akrich, directrice du centre de sociologie de l'innovation, indique : « la politique [de médicalisation] s'est aussi traduite par des interventions techniques toujours plus envahissantes : échographies, outils de diagnostic prénatal, analyses biologiques ponctuent le suivi de la grossesse ; le monitoring en continu du rythme cardiaque foetal, la perfusion d'hormones accélérant l'accouchement, l'analgésie péridurale, l'épisiotomie sont devenus quasi incontournables pendant l'accouchement. A peine né, le bébé est enlevé très vite des bras de sa mère et soumis à toute une batterie de gestes invasifs : administration de vitamine K et d'un collyre dans les yeux, mesure, pesée et prise de température, aspiration gastrique, test de perméabilité anale et test à la seringue... »

A contrario , les Pays-Bas présentent une situation atypique : le taux de césariennes s'élève à 15 %, le taux de déclenchement à 10 % et, surtout, moins de 10 % des femmes bénéficient d'une analgésie péridurale au moment de la dilatation 3 ( * ) .


* 1 « Les naissances en 2010 et leur évolution depuis 2003 », rapport rédigé par Béatrice Blondel et Morgane Kermarrec, unité de recherche épidémiologique en santé périnatale et santé des femmes et des enfants, Inserm - U. 953, mai 2011.

* 2 Dossier « Périnatalité et parentalité : une révolution en marche ? », revue La santé de l'Homme, Institut national de prévention et d'éducation pour la santé, n° 391, septembre-octobre 2007.

* 3 « Le rôle des sages-femmes dans le système de soins », rapport sur la sécurité sociale, Cour des comptes, septembre 2011.

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