EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. LES JEUX D'ARGENT ET DE HASARD EN LIGNE, UN SECTEUR LIBÉRALISÉ QUI DOIT FAIRE L'OBJET D'UN ENCADREMENT ÉTROIT

A. LE CHANGEMENT DE LOGIQUE DE LA LOI DU 12 MAI 2010 POUR UN SECTEUR TRADITIONNELLEMENT SOUS TUTELLE PUBLIQUE

1. Un secteur économique « pas comme les autres »

La puissance publique s'est toujours intéressée de près au secteur des jeux . Notre collègue François Trucy a ainsi montré, dans son rapport sur le projet de loi de libéralisation de 2010 2 ( * ) , comment notre pays était passé, au fil des siècles, « de l'interdit moral et religieux à la tutelle publique ».

Sans remonter jusqu'à la « Grande ordonnance » pour la réforme du royaume de 1254, l'un des premiers textes applicables sur l'ensemble du territoire dans lequel Louis IX a notamment interdit en France le jeu de dés, la fabrication même des dés ainsi que les jeux de « table » (trictrac ou dames) et d'échecs « doublement condamnables en tant que jeux d'argent et de hasard » 3 ( * ) , les lois suivantes, datant pour certaines du XIX e siècle, ont façonné les principes sur lesquels a reposé la réglementation des jeux jusqu'à nos jours :

- pour les loteries, les lois du 21 mai 1836 relative à la prohibition des loteries et du 12 juillet 1983 relative aux jeux de hasard, ont été immédiatement assorties de dérogations spécifiques, enrichies au fil du temps. L'interdiction porte sur l'exploitation des jeux et n'emporte donc pas pénalisation du joueur en cas d'usage d'une offre illégale .

- pour le secteur hippique, la loi du 2 juin 1891 , qui règlemente l'autorisation et le fonctionnement des courses de chevaux , la distinction entre pari mutuel sur les hippodromes (PMH) et pari mutuel urbain (PMU) ayant ensuite été établie par la loi du 16 avril 1930.

Le dispositif applicable au secteur des jeux a également été enrichi par de nombreuses dispositions réglementaires et forme ainsi un ensemble complexe.

Par suite, les jeux et paris ont été organisés et exploités par deux monopoles , sur les paris hippiques et sur les loteries, jeux de grattage et paris sportifs. Le groupement d'intérêt économique Pari mutuel urbain ( PMU ) a ainsi été constitué en 1983 par les sociétés de courses, et la Française des jeux (FdJ) a succédé à France Loto en 1990, sous la forme d'une société anonyme publique détenue à 72 % par l'Etat.

De fait, les jeux se trouvent au carrefour de préoccupations multiples de grande importance pour l'Etat , en particulier :

- la lutte contre le blanchiment d'argent ;

- la prévention de l'addiction ;

- la préservation de l'intégrité des compétitions ;

- mais aussi la préservation des recettes publiques et du financement de certaines filières - notamment la filière hippique et le sport amateur (au travers du Centre national pour le développement du sport - CNDS).

Sur ce dernier point, auquel votre commission des finances ne saurait être indifférente, le tableau suivant récapitule les divers prélèvements opérés sur le secteur des jeux au cours des trois dernières années.

Recettes engendrées par les jeux en France de 2010 à 2012

(en milliards d'euros)

2010

2011

2012

Prélèvements Etat

3,21

3,57

3,47

Française des jeux (FdJ)

1,84

2,10

2,02

Casinos

0,75

0,76

0,74

Paris hippiques

0,63

0,45

0,43

Paris sportifs

-

0,09

0,12

Jeux de cercle en ligne

-

0,07

0,07

Redevance hippique

-

0,09

0,09

Prélèvements sociaux

0,67

0,71

0,72

CSG

0,41

0,35

0,35

CRDS

0,13

0,14

0,14

Prélèvement sociaux paris et poker

0,13

0,22

0,22

Prélèvement sociaux jeux télévisés

0,002

0,002

0,003

Prélèvements en faveur des collectivités territoriales

0,26

0,29

0,28

Prélèvement sur les casinos en faveur des communes et des EPCI

0,26

0,27

0,26

Prélèvement sur les jeux de cercle en ligne

-

0,005

0,010

Prélèvement sur les paris hippiques

-

0,010

0,010

Autres bénéficiaires de taxes affectées :

0,18

0,23

0,24

Centre des monuments nationaux (CMN)

0,004

0,010

0,008

Prélèvement de 1,78% dur le mises de la Française des jeux en faveur du CNDS

0,17

0,17

0,17

Prélèvement sur les mises de la FdJ en faveur des « Grands stades » de 2012 à 2016

-

0,02

0,02

Prélèvement sur les paris sportifs en ligne en faveur du CNDS

0,01

0,02

0,03

Institut national de prévention et d'éducation pour la santé ( INPES)

0,005

0,005

0,005

Total des prélèvements fiscaux et sociaux

4,34

4,80

4,70

Retour à la filière hippique du PMU (résultat du PMU)

0,73

0,88

0,87

Source : ministère du budget

2. Le changement de logique opéré par la loi de 2010
a) Le principe de l'ouverture à la concurrence

La loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne a procédé à un véritable changement de logique pour ce qui concerne les jeux d'argent et de hasard en ligne en posant le principe de l'ouverture à la concurrence .

Le jeu en ligne n'est pas à l'abri des dangers énumérés précédemment et peut, au contraire, accroître les risques . Par exemple, le fait de jouer à domicile peut accroître les phénomènes addictifs ; la multiplication de l'offre peut faciliter le blanchiment, notamment autour de tables de poker dont les joueurs se seraient arrangés à l'avance ; elle peut aussi menacer l'intégrité des compétitions sportives, des organisations criminelles pouvant être tentées de truquer des paris.

Pour ces raisons, une régulation du secteur était indispensable.

b) La mise en place de l'ARJEL

Tout en libéralisant les jeux en ligne, le législateur de 2010 a donc souhaité maintenir un encadrement adéquat , d'une part en posant un certain nombre de règles strictes (en matière de conflits d'intérêts, de limitation de la publicité, de conditions d'enregistrement des joueurs, etc.), d'autre part en créant un régulateur sectoriel chargé de les faire appliquer, l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) .

Aux termes des articles 35 et 41 de la loi précitée du 12 mai 2010, l'ARJEL comprend :

- un collège de sept membres nommés à raison de leur compétence économique, juridique ou technique. Trois membres, dont le président, sont nommés par décret. Deux membres sont nommés par le président de l'Assemblée nationale et deux par le président du Sénat ;

- et une commission des sanctions de six membres : deux membres du Conseil d'Etat désignés par son vice-président, deux conseillers à la Cour de cassation désignés par son premier président et deux magistrats de la Cour des comptes désignés par son premier président. Le président de la commission des sanctions est désigné par décret pour la durée de son mandat parmi les membres de la commission.

Le rôle de l'ARJEL est d'une grande importance puisqu'il lui revient notamment de :

- définir les catégories de compétition et les phases de jeu pouvant faire l'objet de paris sportifs en ligne ;

- octroyer les agréments aux opérateurs qui les sollicitent ;

- contrôler le respect de leurs obligations par les opérateurs agréés et, le cas échéant, enclencher le processus de sanction ;

- évaluer les résultats des actions menées par les opérateurs agréés en matière de prévention du jeu excessif ou pathologique ;

- effectuer les contrôles nécessaires en matière de lutte contre les conflits d'intérêts ;

- lutter contre les sites illégaux ;

- proposer aux pouvoirs publics les évolutions législatives et réglementaires qui lui semblent nécessaires.


* 2 Rapport Sénat n° 209 (2009-2010), Tome I.

* 3 Jacques Le Goff, Saint Louis .

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page