B. UN MANQUE DE TRANSPARENCE QUI PORTE PREJUDICE A L'INSTITUTION

1. La recodification du code du travail a suscité le trouble en matière de gestion financière des comités d'entreprise

A l'occasion de la recodification du code du travail, l'article R. 432-14 a subi une modification rédactionnelle, fondée d'un point de vue légistique, mais qui a entraîné des difficultés d'interprétation.

En effet, la disposition initiale prévoyait que le bilan établi par le comité d'entreprise devait être approuvé « éventuellement » par le commissaire aux comptes.

Cet adverbe a disparu de la nouvelle rédaction de l'article, devenu depuis l'article R. 2323-37, ce qui rend obligatoire la certification des comptes dans tous les comités d'entreprise, quelle que soit leur taille.

Des réflexions ont été menées sur ce sujet entre mars 2009 et fin 2010 entre le ministre du travail et le Conseil national de la comptabilité (devenu depuis l'Autorité des normes comptables), le ministère de la justice, les représentants des experts-comptables et des commissaires aux comptes afin de faire émerger des pistes de solution à droit constant. Selon la Direction générale du travail, ces travaux se sont déroulés dans le souci de ne pas interférer avec la délibération alors en cours sur les institutions représentatives du personnel, où le sujet du fonctionnement du CE aurait pu être abordé.

a) La saisine du ministère par quatre syndicats le 7 février 2011

Par un courrier commun de la CFDT, de la CFE-CGC, de la CFTC et de la CGT, les syndicats ont alerté dès le 7 février 2011 le ministre du travail sur les difficultés liées à cette nouvelle rédaction.

Trois problèmes étaient identifiés par les syndicats :

- le comité d'entreprise, pourtant doté de la personnalité civile, serait obligé de recourir au même commissaire aux comptes que celui choisi par l'entreprise ;

- l'obligation de certification du bilan par le commissaire aux comptes s'imposerait à tous les comités d'entreprise, sans distinction de seuils de ressources ;

- une ambiguïté demeure sur la définition de l'organe délibérant du comité d'entreprise en charge d'arrêter ses comptes.

C'est pourquoi les quatre syndicats signataires ont demandé qu'une réflexion soit menée en concertation et consultation avec eux afin de combler ces vides juridiques, dans la continuité des règles instaurées par la loi du 20 août 2008 sur la transparence des comptes des organisations syndicales.

b) L'avis du Haut Conseil du commissariat aux comptes le 9 juin 2011

Parallèlement à cette saisine des syndicats, le Haut Conseil du commissariat aux comptes a examiné au cours des séances du 17 février 2011 et 26 mai 2011 deux questions relatives aux diligences du commissaire aux comptes dans les comités d'entreprise.

Son avis a été rendu le 9 juin 2011.

Le Haut Conseil a estimé tout d'abord qu'il n'existait pas de textes spécifiques sur les procédures d'alerte déclenchées par les commissaires aux comptes dans les comités d'entreprise. Autrement dit, il ne va pas de soi que les comités d'entreprise soient soumis aux mêmes dispositions que les associations, mentionnées à l'article L. 612-3 du code de commerce, qui visent les personnes morales de droit privé non commerçantes ayant une activité économique.

Le Haut Conseil considère par ailleurs qu'il découle de la lecture des articles L. 2323-8 et R. 2323-37 du code du travail que le commissaire aux comptes qui « approuve » le bilan du comité d'entreprise est le même que celui qui contrôle les comptes de l'entreprise, ce qui peut être porteur de « conflit d'intérêt ». En outre, les modalités de mise en oeuvre de la mission du commissaire aux comptes dans le CE manquent de clarté.

Au demeurant, les dispositions de cet article portent à confusion : un commissaire aux comptes n'approuve pas les comptes, il les atteste ou les certifie.

2. La multiplication des affaires épinglant la transparence de certains comités d'entreprise
a) La caisse centrale des activités sociales des industries électriques et gazières peine à se réformer depuis 2007

La Cour des comptes a effectué en mai 2011 un contrôle de suivi des recommandations formulées dans son rapport public thématique d'avril 2007 consacré aux institutions sociales du personnel des industries électriques et gazières.

Parmi ces institutions, figure la Caisse centrale des activités sociales (CCAS), qui remplit les missions d'un comité d'entreprise auprès du personnel de la branche électrique et gazière (principalement le personnel d'EDF et de GDF Suez).

Comme le rappelle la Cour des comptes dans la synthèse du rapport précité de 2011, l'examen de la gestion des activités de vacances et des achats de la CCAS a révélé :

- la persistance de graves carences dans la gestion des institutions sociales ;

- l'absence de stratégie à court et moyen terme ;

- l'absence quasi-totale de mise en concurrence rigoureuse des partenaires des institutions sociales ;

- la non-application des procédures destinées à encadrer et sécuriser les paiements ;

- et l'absence de prise en compte des intérêts des électriciens et gaziers dans les décisions d'investissement.

Parmi les trente-quatre recommandations émises en 2007, une seule a été intégralement suivie d'effet. « Le bilan est donc particulièrement décevant » selon la Cour, qui souligne « l'inaction de chacun des acteurs concernés, l'Etat, les fédérations d'employeurs et les organisations représentatives de salariés ».

b) Les « constats accablants » de la Cour des comptes sur la gestion du comité d'entreprise de la RATP

Le rapport public thématique de la Cour des comptes de novembre 2011 a rencontré un écho médiatique important compte tenu des graves dysfonctionnements mis en exergue au sein du comité central d'entreprise de la RATP.

Dans sa conclusion générale 5 ( * ) , la Cour a observé que « l'absence d'obligations comptables et de certification des comptes » était « un facteur propice au développement d'irrégularités financières ». Malgré des procédures internes formalisées et des outils de gestion existants (suivi budgétaire, logiciels de comptabilité), la gestion du comité se caractérise par des « dérives » et « des prises de décision aventureuses sans considération des coûts à moyen et long terme ».

S'agissant plus précisément de la gestion des activités sociales, la Cour des comptes estime que « le bilan n'est pas bon, que l'on se situe sur le plan financier (coûts anormalement élevés), social (tarifs de cantine non différenciés en fonction des revenus de l'usager, utilisation des structures de vacances par les agents les moins défavorisés) ou strictement quantitatif (faible nombre d'ayants droit qui utilisent effectivement les prestations offertes par le comité d'entreprise) ».

Enfin, la Cour déplore que « certaines pratiques, dans un contexte d'absence de contrôle, se révèlent propices à la disparition d'encaisses ».

Suite à ce rapport, le Procureur général près la Cour des comptes a saisi le garde des sceaux de certains faits relatifs au centre de vacances de « Chanteneige » de nature à motiver l'ouverture d'une action pénale.

Par ailleurs, eu égard aux difficultés rencontrées durant le contrôle, le Procureur a également saisi la justice pour délit d'obstacle aux magistrats, ce qui constitue un fait sans précédent pour la Cour.

Selon les informations fournies à votre rapporteur, ces plaintes sont toujours en cours d'instruction.

Sur le fond, la Cour des comptes préconise depuis 2007 une réforme en profondeur de la législation en matière de gestion des comités d'entreprise, déjà esquissée dans la recommandation n° 5 du rapport public d'avril 2007 précité.

Extrait des recommandations de la Cour des comptes
en matière de comptabilité et d'audit des comités d'entreprise

La Cour recommande « dans la continuité de ses observations formulées à l'issue du contrôle des institutions sociales du personnel des industries électriques et gazières, des réformes de portée générale dans les domaines de la comptabilité et de l'audit des comités d'entreprise :

- soumettre les comités d'entreprise au droit comptable avec l'obligation d'établir des comptes annuels au sens du code de commerce, dont l'article L 612-1 dispose que les personnes morales de droit privé non commerçantes ayant une activité économique doivent établir chaque année, au-delà d'un certain seuil fixé par décret, un bilan, un compte de résultat et une annexe ;

- élaborer un référentiel comptable adapté aux comités d'entreprise sous forme d'un règlement de l'Autorité des normes comptables homologué conjointement par le ministre de l'économie, le garde des sceaux et le ministre du budget ;

- soumettre les comités d'entreprise à l'obligation de faire certifier leurs comptes, au-delà d'un seuil à déterminer, à l'instar des personnes morales de droit privé non commerçantes ayant une activité économique ;

- assurer une large publicité des comptes, des rapports d'activité et du bilan social du comité d'entreprise, et les transmettre au président du comité d'entreprise dans un délai permettant un examen approfondi et un débat en séance ».

c) Divers comités d'entreprise ont fait l'objet de plaintes

Votre rapporteur ne souhaite pas, dans le cadre du présent rapport, évoquer les nombreuses affaires relatives à la gestion des gros comités d'entreprise qui ont émaillé l'actualité ces dernières années.

Elles sont connues de tout un chacun. Interrogé par votre rapporteur, le cabinet de la ministre de la justice n'a toutefois pas été en mesure de lui communiquer le nombre de plaintes et de condamnations relatives à la gestion des comités d'entreprise depuis 2007, car les outils statistiques ne sont pas adaptés pour ce type de recherche.

On ne saurait toutefois passer sous silence la condamnation par le tribunal correctionnel de Lyon, jeudi 26 septembre 2013, de six syndicats de cheminots, en tant que personnes morales, pour avoir utilisé l'argent d'un comité d'établissement régional (CER) de la SNCF pour financer une partie de leurs activités. Les syndicats devront payer des amendes comprises entre 5 000 et 40 000 euros.

Votre rapporteur souhaite à cet égard rappeler que certains lanceurs d'alerte rencontrent de très grandes difficultés après avoir dénoncé les agissements de certains comités d'entreprise, ce qui plaide pour un renforcement de leur protection.

3. La certification des comptes, qui concerne les syndicats depuis 2008, ne s'applique pas aux comités d'entreprise

Lors des auditions de votre rapporteur, de nombreuses personnes ont estimé que les comités d'entreprise étaient les dernières personnes morales en droit français qui échappaient encore à l'obligation de transparence financière, étendue depuis quelques années aux associations et aux syndicats.

Cette assertion est en partie inexacte, compte tenu des dispositions de l'article R. 2323-37 précité, qui prévoit qu'à la fin de chaque année, le comité d'entreprise fait un « compte rendu détaillé de sa gestion financière ». Mais il est vrai que cette obligation est particulièrement elliptique et peu contraignante par rapport aux règles imposées aux autres personnes morales de droit privé, comme les associations ou, plus récemment, les syndicats.

a) La certification des comptes par les commissaires aux comptes

Si 95 % des commissaires aux comptes sont également experts-comptables, les logiques de ces deux métiers sont très différentes. Alors que l'expert-comptable tient la comptabilité et présente les comptes, tout en conseillant son client et défendant ses intérêts, le commissaire aux comptes (également appelé auditeur légal) contrôle les comptes et prévient les risques, dans l'intérêt des parties prenantes de l'entité.

La certification des comptes ne peut être assurée que par les commissaires aux comptes.

Ces derniers expriment une opinion sur la régularité, la sincérité et l'image fidèle des comptes annuels et consolidés d'une entité. Ils vérifient également la concordance entre les comptes et les informations fournies à l'assemblée générale de l'entité. Ils sont par ailleurs dotés d'un droit d'alerte afin de prévenir des difficultés éventuelles, sans toutefois s'immiscer dans la gestion de l'entité auditée. Soumis à l'obligation de prêter serment devant la cour d'appel et de suivre une déontologie stricte, ils doivent en outre révéler au Procureur de la République les faits délictueux dont ils ont eu connaissance au cours de leurs missions. Enfin, ils délivrent, le cas échéant, des prestations spécifiques (attestation de comptes intermédiaires ou opinion sur des comptes prévisionnels par exemple).

Les quelque 14 500 commissaires aux comptes exercent en profession libérale, en cabinet, en nom propre ou sous forme de société. Procédant par sondages, en fonction de leur évaluation des systèmes comptables et du contrôle interne mis en place dans l'entité, ils sont soumis à une obligation de moyen, non de résultat.

Selon les informations fournies à votre rapporteur, la certification des comptes d'une structure dotée d'un budget de 15 millions d'euros avoisine 70 000 euros.

b) Un champ d'action en constante extension

Le périmètre d'activité des commissaires aux comptes n'a cessé de croître ces dernières années.

Dans le secteur de l'entreprise, les premières entités contrôlées furent les sociétés anonymes dès 1867. La certification est obligatoire, sous conditions, pour les sociétés par actions simplifiée et les autres sociétés commerciales.

Les commissaires aux comptes interviennent de plus en plus dans les secteurs public et parapublic. Ils certifient les comptes de certains établissements publics, de l'Unedic, des chambres consulaires ou encore des universités. Depuis 2006, le législateur impose la certification à la sécurité sociale : la Cour des comptes contrôle le régime général tandis que les commissaires aux comptes contrôlent les autres régimes. Certains établissements publics de santé devront certifier leurs comptes à partir de 2014.

Dans le secteur associatif, les associations doivent certifier leurs comptes si elles remplissent deux des trois critères suivants : disposer de cinquante salariés au moins, générer un chiffre d'affaires de 3,1 millions d'euros minimum ou avoir un bilan dépassant 1,55 millions d'euros. La certification concerne également les fondations reconnues d'utilité publique et les clubs sportifs.

Enfin, la certification concerne depuis peu les syndicats.

c) L'extension récente des règles de transparence des comptes aux syndicats

La loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail a soumis les organisations syndicales et professionnelles à l'obligation d'assurer l'établissement, la consolidation, la certification et la publicité de leurs comptes (article L. 2135-5 du code du travail).

Plus exactement, l'article L. 2135-1 soumet les syndicats aux obligations comptables de droit commun, prévues à l'article L. 123-12 du code de commerce. Ils doivent par conséquent :

- procéder à l'enregistrement comptable des mouvements affectant leur patrimoine, ces mouvements étant enregistrés chronologiquement ;

- contrôler par inventaire, au moins une fois tous les douze mois, l'existence et la valeur des éléments actifs et passifs de leur patrimoine ;

- établir des comptes annuels à la clôture de l'exercice au vu des enregistrements comptables et de l'inventaire. Ces comptes annuels comprennent le bilan, le compte de résultat et une annexe, formant un tout indissociable.

L'obligation de faire certifier les comptes ne concerne que les syndicats disposant de plus de 230 000 euros à la clôture d'un exercice. Cette obligation est entrée en vigueur à compter de l'exercice comptable 2010 au niveau confédéral et fédéral, de l'exercice 2011 au niveau régional et départemental, et de l'exercice 2012 à tous les niveaux.

L'article L. 2135-2 prévoit l'établissement de comptes consolidés ou d'annexes en cas de contrôle d'une ou plusieurs personnes morales 6 ( * ) .

L'article L. 2135-3 oblige les syndicats à assurer la publicité de leurs comptes dans les conditions fixées par décret après avis de l'Autorité des normes comptables.

Ces obligations s'inscrivent dans le cadre plus large de la réforme de la représentativité des organisations syndicales, dont l'aboutissement est la publication des arrêtés fixant la liste des syndicats représentatifs par branche.

La publicité des comptes permet de répondre à l'exigence de la transparence financière , prévue à l'article L. 2121-1 du code du travail, qui est l'un des sept critères permettant l'établissement de la représentativité d'une organisation syndicale en entreprise, dans les branches et au niveau national et interprofessionnel.

Selon les chiffres du ministère, on dénombre 785 comptes déposés sur le portail de la Direction de l'information légale et administrative (Dila) entre le 1 er avril 2011 et le 10 juin 2013 (dont 448 comptes émanant de syndicats de salariés et 337 de syndicats d'employeurs). En outre, 408 comptes ont été déposés dans les services des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte).


* 5 Rapport public thématique de la Cour des comptes, « les dysfonctionnements du comité d'entreprise de la RATP », p. 111.

* 6 On appelle également « agrafage » le fait de fournir, en annexe aux comptes d'une entité, les comptes des personnes morales contrôlées, ainsi qu'une information sur la nature du lien de contrôle.

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