B. UNE SITUATION DES ASSURÉS LES PLUS FRAGILES À LAQUELLE PEU DE RÉPONSES ONT ÉTÉ APPORTÉES

1. La situation des femmes
a) Des inégalités de pension encore trop criantes entre les femmes et les hommes

Sous l'effet de l'accroissement de l'activité féminine et de la hausse générale du niveau de qualification des femmes, les écarts de niveau de pension entre les femmes et les hommes se réduisent au fil des générations.

Selon l'Insee, le ratio entre les pensions moyennes des femmes et celles des hommes (retraite de base et complémentaire, y compris réversion et majoration pour enfants) atteindrait 70 % pour les générations nées dans les années 1950 et progresserait ensuite plus lentement pour les générations suivantes pour atteindre 80 % pour celles nées dans les années 1970 .

La résorption des écarts a donc progressé mais les disparités de pension restent encore très importantes aujourd'hui. En 2011, le montant moyen de la pension de droit propre (hors réversion et majoration pour trois enfants et plus) s'élève à 1 256 euros par mois hommes et femmes confondus mais à 1 603 euros pour les hommes seuls contre 932 euros pour les femmes 18 ( * ) . En incluant le droit propre, la réversion, les avantages accessoires et le minimum vieillesse, le montant moyen de la pension de retraite totale s'élevait en 2008 à 1 440 euros par mois, c'est-à-dire 1 749 euros pour les hommes et 1 165 euros pour les femmes.

Ainsi, les femmes qui liquident leurs droits aujourd'hui perçoivent, comme cela est souvent rappelé, une pension en moyenne inférieure de 32 % à celle des hommes .

b) La nécessaire révision des droits familiaux de retraite

Les droits familiaux de retraite ne suffisent pas à compenser ces inégalités même s'ils contribuent indéniablement à corriger les effets sur la retraite des femmes de leurs interruptions d'activité professionnelle.

Trois types principaux de droits familiaux coexistent aujourd'hui : l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) créée en 1972 afin de prendre en compte les périodes passées au foyer pour élever des enfants, la majoration de durée d'assurance (MDA) qui permet, dans les régimes de base des salariés et non-salariés du privé de valider jusqu'à deux années par enfant élevé, et la majoration de montant de pension de 10 % pour trois enfants et plus qui s'applique à la fois aux pensions de droit propre et aux pensions de réversion.

Selon la commission Moreau, les femmes qui ont liquidé leur pension en 2010 au régime général ont validé en moyenne 23 trimestres au titre de la MDA et 30 trimestres au titre de l'AVPF. Les droits familiaux permettent ainsi de réduire les écarts de durée d'assurance validée par les femmes par rapport aux hommes.

Cependant, les droits familiaux privilégient la durée d'assurance au montant de la pension et ils tendent à avantager les pensions dont les niveaux sont les plus élevés et donc les pères par rapport aux mères . En ce qui concerne en particulier la majoration de montant de pension, elle est en effet à la fois proportionnelle à la pension et non assujettie à l'impôt sur le revenu, ce qui tend à accroître les écarts de pension entre les hommes et les femmes.

Cette situation justifie donc, comme l'a souligné avec force la commission Moreau, une remise à plat des dispositifs en matière d'avantages familiaux à retraite.

c) Remédier à l'hétérogénéité des règles applicables aux pensions de réversion

Enfin, les règles applicables en matière de pensions de réversion sont très hétérogènes d'un régime de retraite à l'autre et sont donc source d'iniquité entre les assurés.

Fin 2010, les pensions de réversion, qui représentaient une masse financière totale d'environ 30 milliards d'euros, étaient versées à 4,25 millions de personnes, dont 91 % de femmes, mais selon des règles d'attribution et de calcul fortement variables selon les régimes.

Ainsi, dans la fonction publique, la pension de réversion correspond à 50 % de la pension du conjoint décédé et elle est attribuée sans condition d'âge ni de ressources mais sous réserve que le conjoint survivant ne soit pas remarié ou en concubinage. Dans les régimes de retraite des salariés et de la plupart des non-salariés en revanche, les régimes de base retiennent un taux de 54 % sous condition d'âge et de ressources. Dans les régimes complémentaires, le taux est de 60 % sans condition de ressources et sous réserve que le conjoint survivant ne soit pas remarié.

La commission Moreau en déduit qu'il existe deux approches de la réversion. Dans la fonction publique et les régimes complémentaires, il s'agit de garantir un maintien du niveau de vie du conjoint survivant. Dans le régime général et les régimes alignés, c'est l'objectif de la solidarité qui prédomine pour assurer un niveau de ressources minimal au conjoint survivant.

La complexité et la diversité des règles applicables ainsi que les différences d'objectifs poursuivis par les dispositifs de réversion aboutissent à un traitement inéquitable entre les assurés et plaident pour une réappréciation d'ensemble du dispositif.

2. La situation des seniors

Malgré la hausse enregistrée au cours des dernières années, le taux d'emploi des seniors en France (proportion de personnes en emploi entre 55 et 64 ans) demeure inférieur à la moyenne européenne.

En 2012, il s'élevait en effet à 44,5 % en moyenne en France hexagonale contre 48,9 % dans l'Union européenne (UE). Entre 2003 et 2012, il a progressé de 7,5 points entre 2003 et 2012 contre 9 points en moyenne dans l'UE 19 ( * ) .

Dans ces conditions, la proportion d'assurés ayant validé des trimestres l'année même ou l'année précédant le départ en retraite est assez faible. En moyenne, depuis 2007, parmi l'ensemble des assurés du régime général partis en retraite, elle s'établit à environ 30 % d'assurés ayant validé un trimestre d'assurance au titre d'une activité salariée et 14 % ayant validé un trimestre dans un autre régime.

Malgré une hausse régulière de l'âge effectif du départ en retraite, la faiblesse du taux d'emploi des seniors impose ainsi de mieux articuler les politiques de retraite et celles en faveur de l'emploi.

Il s'agit également de mieux aménager les fins de carrière dans le cadre des mesures conduisant au prolongement de l'activité professionnelle. A cet égard, le dispositif de la retraite progressive, qui permet aux salariés ayant atteint l'âge d'ouverture du droit à pension de travailler à temps partiel avec une fraction de leurs pensions, reste relativement peu utilisé ; il ne compte qu'un peu plus de 2 000 bénéficiaires.

L'enjeu est d'importance car, au-delà des réalités humaines difficiles derrière le chômage des seniors et des répercussions de ce dernier sur l'activité économique, le faible niveau d'activité des seniors reste, comme l'indique la commission Moreau, « une faiblesse structurelle du système et une source de défiance vis-à-vis des mesures d'âge ou de durée ».

3. La situation des retraités agricoles

Selon l'étude d'impact annexée au projet de loi et les données fournies par la caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA) à votre rapporteure, les retraites des exploitants agricoles ne représentent aujourd'hui, en moyenne, que 70,8 % du Smic net des salariés agricoles (786 euros par mois contre 1 111 euros). En 2002, la loi « Peiro » avait pourtant fixé l'objectif de garantir, après une carrière complète en qualité de chef d'exploitation agricole, un montant total de pension de retraite de base et de retraite complémentaire obligatoire (RCO) au moins égal à 75 % du Smic net.

Il n'a jusqu'à présent pas été atteint, en raison principalement d'une progression du Smic plus forte que celle des pensions, indexées sur l'inflation. L'écart est de 564 euros par an.

De manière générale, les pensions de retraite des non-salariés agricoles, exploitants et conjoints collaborateurs confondus, sont en moyenne inférieures de 38 % à celles des ressortissants du régime général : 625 euros contre 1 015 euros. Plusieurs facteurs cumulatifs sont à l'origine de cette situation, comme la faiblesse générale des revenus agricoles, les modalités spécifiques de calcul des pensions agricoles et la création il y a seulement dix ans d'un régime de RCO. Celui-ci n'a été ouvert aux collaborateurs familiaux qu'à la date du 1 er janvier 2011.

Par ailleurs, le rapport démographique du régime est très défavorable, bien qu'il aille en s'améliorant : 3,1 retraités pour un actif en 2012 selon la Cour des comptes. Le revenu moyen par actif non salarié est de 1,1 Smic, ce qui limite leur capacité à cotiser. Ainsi, près de 10 % des non-salariés agricoles retraités avec une carrière complète perçoivent une pension mensuelle d'un montant inférieur à 600 euros. La Cour des comptes voit la cause de cette situation dans le faible niveau du revenu déclaré des exploitants (pour 40 % d'entre eux inférieur à 800 Smic), qui cotisent donc sur des assiettes très faibles.

Trois éléments composent la pension d'un non-salarié agricole : la retraite forfaitaire , d'un montant de 279,98 euros par mois, la retraite proportionnelle , qui est fonction du nombre de points acquis (la valeur de service du point est de 3,948 euros par an) et la RCO , qui est également un mécanisme par points (dont la valeur de service est cette fois de 0,3313 euros par an). Des points gratuits de RCO ont été attribués aux exploitants pour leurs années d'activité antérieures à la création de ce régime, à hauteur de cent par an.

De même, une pension majorée de référence (PMR) a été instituée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009. Elle vise à porter, sous certaines conditions, les pensions des non-salariés agricoles à un seuil minimal par le biais d'une majoration de pension. Ce niveau est fixé, en 2013, à 681,2 euros par mois pour les chefs d'exploitation et à 541,3 euros par mois pour les conjoints collaborateurs et les aides familiaux.

Pourtant, malgré plus de dix ans d'initiatives, l'écart avec le régime général n'est toujours pas résorbé. La situation des collaborateurs familiaux et des conjoints survivants est particulièrement précaire car leur niveau de cotisation est faible et la réversion de la RCO n'est pas universelle. Conscient de cette situation, le Président de la République a pris des engagements en faveur d'une revalorisation des retraites les plus faibles et d'une correction des inégalités qui persistent encore en matière de retraite parmi les non-salariés agricoles. Ce projet de loi les traduit dans ses articles 20 à 22 pour qu'en 2017 les pensions des ressortissants du régime ne puissent être inférieures à 75 % du Smic .


* 18 Drees, 2013.

* 19 PQE, PLFSS pour 2014.

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