Rapport n° 247 (2013-2014) de Mme Bariza KHIARI , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 18 décembre 2013

Disponible au format PDF (574 Koctets)

Tableau comparatif au format PDF (29 Koctets)


N° 247

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 décembre 2013

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur la proposition de loi , ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , tendant à encadrer les conditions de la vente à distance des livres ,

Par Mme Bariza KHIARI,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Marie-Christine Blandin , présidente ; MM. Jean-Étienne Antoinette, David Assouline, Mme Françoise Cartron, M. Ambroise Dupont, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, M. Jacques Legendre, Mmes Colette Mélot, Catherine Morin-Desailly, M. Jean-Pierre Plancade , vice-présidents ; Mme Maryvonne Blondin, M. Louis Duvernois, Mme Claudine Lepage, M. Pierre Martin, Mme Sophie Primas , secrétaires ; MM. Serge Andreoni, Maurice Antiste, Dominique Bailly, Pierre Bordier, Mme Corinne Bouchoux, MM. Jean Boyer, Jean-Claude Carle, Jean-Pierre Chauveau, Jacques Chiron, Claude Domeizel, Mme Marie-Annick Duchêne, MM. Alain Dufaut, Jean-Léonce Dupont, Vincent Eblé, Mmes Jacqueline Farreyrol, Françoise Férat, MM. Louis-Constant Fleming, Gaston Flosse, Bernard Fournier, André Gattolin, Jean-Claude Gaudin, Mmes Dominique Gillot, Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-François Humbert, Mmes Bariza Khiari, Françoise Laborde, M. Pierre Laurent, Mme Françoise Laurent-Perrigot, MM. Jean-Pierre Leleux, Michel Le Scouarnec, Jean-Jacques Lozach, Philippe Madrelle, Jacques-Bernard Magner, Mme Danielle Michel, MM. Philippe Nachbar, Daniel Percheron, Marcel Rainaud, Michel Savin, Abdourahamane Soilihi, Alex Türk, Hilarion Vendegou, Maurice Vincent .

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) :

1189 , 1385 et T.A. 219

Sénat :

35 et 248 (2013-2014)

SYNTHÈSE DES TRAVAUX DE LA COMMISSION

Réunie le 18 décembre 2013, sous la présidence de Mme Marie-Christine Blandin (Ecolo-Nord), la commission de la culture, de l'éducation et de la communication a examiné, sur le rapport de Mme Bariza Khiari (Soc-Paris), la proposition de loi (n° 35, 2013-2014) tendant à encadrer les conditions de la vente à distance des livres.

Elle a adopté ce texte à l'unanimité, tout en le complétant, à l'initiative de sa rapporteure, par l'interdiction de fournir le service de livraison à domicile à titre gratuit, lorsque le livre est commandé sur un site de vente en ligne.

Dès lors, les sociétés de e-commerce ne pourront, s'agissant du livre, ni proposer une remise de 5 % sur le prix fixé par l'éditeur, ni offrir les frais de port. Les conditions d'une concurrence équilibrée avec les libraires seront ainsi rétablies.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le livre, objet culturel ô combien symbolique, fait traditionnellement l'objet, en France, d'une attention toute particulière des pouvoirs publics. Soutenu financièrement, mais surtout encadré normativement , le marché du livre se maintient tant bien que mal, dans un contexte où les industries culturelles souffrent sans exception de la révolution numérique.

De fait, la loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre, la loi n° 2011-590 du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique mais également l'application d'un taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) réduit aux livres imprimés et homothétiques constituent le socle sur lequel s'est développé et modernisé l'ensemble de la chaîne du livre et grâce auquel a survécu un réseau de librairies indépendantes dense et de qualité . A contrario , en Grande-Bretagne, lorsque le « gentleman agreement » entre éditeurs et libraires sur le prix du livre n'a plus eu cours, les librairies indépendantes ont commencé à disparaître, à tel point que le gouvernement britannique réfléchit aujourd'hui à instaurer un prix unique du livre.

Ce satisfecit ne doit toutefois pas masquer les difficultés, parfois considérables, que rencontrent les libraires depuis l'arrivée, sur le marché, des plateformes de vente de livres en ligne et spécialement d'un concurrent hors du commun de par sa puissance financière et l'agressivité de sa stratégie commerciale : Amazon.

Si le livre, produit refuge extrêmement valorisé socialement, a longtemps été épargné par la crise, la situation devient inquiétante , particulièrement depuis le mois de septembre dernier. 2012 et 2013 ont vu la chute de maisons prestigieuses, Virgin et Chapitre, et la fermeture de nombre de petits détaillants. En novembre, les ventes de livres en commerce physique enregistrent une diminution de 10 % par rapport à l'année 2012, avant, il est vrai, la période de Noël, devenue cruciale dans un marché de plus en plus saisonnier. Désormais, la vente en ligne représente l'unique segment dynamique de l'économie du livre ; Amazon y détient 70 % de parts de marché.

Le soutien public aux librairies doit donc franchir une étape supplémentaire, intégrant les conséquences, sur le commerce physique, de cette nouvelle forme de concurrence . Déjà, lors de la première lecture du projet de loi relatif à la consommation par le Sénat, le Gouvernement a introduit, cet automne, un dispositif de contrôle et de règlement amiable des contentieux de la législation applicable au prix unique du livre, grâce à la création d'un médiateur et à l'assermentation d'agents du ministère de la culture et de la communication. Annoncé en juin dernier par la ministre de la culture et de la communication, le « plan librairie » offrira, dès 2014, de nouvelles modalités de soutien aux commerces en difficulté.

La présente proposition de loi tendant à encadrer les conditions de la vente à distance des livres, adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale, participe du renforcement de l'environnement normatif relatif au marché du livre.

Dans sa rédaction actuelle, elle interdit l'application de toute remise commerciale lorsqu'un livre est commandé en ligne et livré à domicile . En conséquence, l'achat en magasin, dès lors que le libraire applique le rabais légal de 5 % sur le prix du livre, devient économiquement plus intéressant. L'objectif est d'instaurer, autant que faire se peut, les conditions d'une concurrence plus équitable entre commerce électronique et commerce physique, mais également entre plateformes de e-commerce, qui toutes ne peuvent aujourd'hui se permettre de proposer un double avantage - frais de port gratuits et remise de 5 % - à leurs clients.

Votre rapporteure salue cette initiative, qui, malgré son caractère incomplet s'agissant de l'absence d'interdiction de la gratuité des frais de port , devrait offrir un répit aux librairies, qui leur permettra sans nul doute de se maintenir dans les territoires comme de se développer en ligne. Il en va du dynamisme de la création littéraire et, au-delà, de la défense de notre exception culturelle.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. UN COMBAT INÉGAL SUR LE MARCHÉ DU LIVRE

A. DES LIBRAIRIES FRAGILISÉES

1. Un état des lieux contrasté mais préoccupant

Aux termes du premier panorama des industries culturelles et créatives réalisé par Ernst & Young pour le ministère de la culture et de la communication et rendu public au mois de novembre 2013, le secteur du livre a généré, en 2011, un chiffre d'affaires de 5,6 milliards d'euros, dont 4,1 milliards d'euros pour ce qui concerne la seule vente de livres physiques (450 millions d'exemplaires), et représente près de 79 600 emplois . Sur ce total, la part des emplois dans le domaine de la distribution en librairies et maisons de la presse s'élève à environ 31 500.

Chiffre d'affaires du livre en 2011

(en millions d'euros)

Impact économique

Montant

Ventes de livres physiques

4 171

Ventes de livres numériques

12

Ventes à l'export

664

Subventions publiques en faveur du patrimoine écrit et du livre

248

Chiffre d'affaires direct

5 095

Dépenses d'acquisition des bibliothèques municipales

129

Ventes de supports numériques de lecture

386

Copie privée hors smartphones et tablettes

5

Chiffre d'affaires connexe

520

Total chiffre d'affaires

5 615

Source : 1 er panorama des industries culturelles et créatives en France -
Novembre 2013

Emplois dans le secteur du livre en 2011

Emplois générés

Nombre

Maisons d'édition

13 613

Auteurs littéraires/traducteurs

26 328

Distribution en librairies et maisons de presse/papeterie

31 475

Emplois directs

71 416

Industrie graphique

4 001

Emplois publics en bibliothèque

2 862

Ventes de supports numériques de lecture

1 334

Emplois connexes

8 197

Total emplois

79 613

Source : 1 er panorama des industries culturelles et créatives en France -
Novembre 2013

Selon l'Union internationale des éditeurs, au regard de son chiffre d'affaires, du nombre d'emplois induits et avec plus de 85 000 nouveautés par an, le marché français du livre se place au deuxième rang européen et au cinquième rang mondial.

En termes de pratiques culturelles, le livre occupe toujours une place de choix dans les habitudes des Français, ce qui explique la relative stabilité du marché depuis une trentaine d'années , à rebours de la crise dont a été victime le secteur de la musique à l'arrivée du numérique. De fait, le livre numérique ne représente encore que 3 % du chiffre d'affaires des éditeurs.

Preuve de l'intérêt non démenti des Français pour le livre, le Salon du Livre de Paris, qui se tient traditionnellement au mois de mars, a réuni 198 000 visiteurs en 2013, soit 3 % de plus que l'année précédente et 6 % de plus qu'en 2011. De la même manière, le Salon du livre jeunesse de Montreuil , qui fêtera ses trente ans d'existence en 2014, bénéficie d'une fréquentation considérable, signe du succès de la littérature jeunesse et son renouveau créatif depuis une dizaine d'années. Comme l'ont indiqué ses organisateurs lors du déplacement au Salon de votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication le 28 novembre dernier, en 2012, 160 000 personnes s'y sont pressées, dont 30 000 enfants et adolescents. L'évènement réunit 200 auteurs à l'occasion de 700 temps de rencontre avec les lecteurs, comme avec les professionnels (illustrateurs, éditeurs, etc.).

Selon l'étude précitée de novembre 2013, 89 % des Français déclaraient ainsi, en 2011, avoir lu au moins un livre au cours des douze derniers mois et près d'un tiers estimait lire plus de dix ouvrages par an, soit une moyenne de quarante-sept minutes quotidiennement consacrées à la lecture. On peut également estimer que le succès de la littérature jeunesse attire à la lecture de nouvelles générations , phénomène encore peu mesuré par les enquêtes relatives à la pratique de la lecture des Français.

Toutefois, tous les domaines littéraires ne connaissent pas le même engouement : la poésie, le théâtre, les revues scientifiques, les dictionnaires et encyclopédies et les cartes et atlas enregistrent ainsi des pertes importantes, tandis que la littérature, qui représente encore 25 % des ventes, la bande dessinée, la littérature destinée à la jeunesse (20,5 % des ventes, en croissance annuelle de 3,5 %) et les beaux livres contribuent majoritairement au chiffre d'affaires des librairies.

L'année 2012 n'a pas modifié ce constat, en confirmant le succès constant des oeuvres de fiction, qu'elles proviennent d'auteurs reconnus ou bénéficient d'un bouche-à-oreille favorable grâce, notamment, aux libraires, aux lecteurs et aux prix littéraires. Le livre jeunesse est, pour sa part, porté par la parution, à échéances régulières, de romans pour adolescents devenus de véritables phénomènes de société. De même, le secteur de la bande dessinée profite de titres à succès bien installés dans le paysage éditorial et bénéficiant d'un lectorat fidèle.

Comme l'Allemagne, la France se caractérise par un maillage territorial dense de points de vente , dont le nombre est estimé à 25 000, 15 000 d'entre eux ayant une activité régulière de vente de livres. Parmi ces commerces, 3 000 points de vente environ, considérés comme des librairies, proposent principalement des livres. Sur ce total, 600 à 800 commerces sont qualifiés de librairies indépendantes, c'est-à- dire indépendantes d'un point de vue capitalistique comme des choix d'assortiment , dont environ 500 bénéficient du label « librairie indépendante de référence » (LIR) délivré par le CNL.

Pour bénéficier de ce label, une librairie doit être détenue au moins à 50 % par une personne physique et ne pas être franchisée, réaliser a minima la moitié de son chiffre d'affaires sur la vente de livres neufs, proposer au moins 6 000 titres pour les librairies généralistes et 3 000 pour les librairies spécialisées, consacrer au moins 12,5 % de la part du chiffre d'affaires réalisée sur le livre aux frais de personnels affectés à cette activité et proposer une animation culturelle régulière.

Ces critères sont particulièrement restrictifs , notamment s'agissant de la proportion du chiffre d'affaires qu'il est nécessaire d'affecter aux dépenses de personnel , pour de petites structures comptant un très faible nombre de salariés. Lors de son audition par votre commission de la culture le 3 décembre dernier, Vincent Monadé, président du CNL, a toutefois annoncé vouloir assouplir cette dernière condition pour les petites librairies , perspective dont votre rapporteure se réjouit.

En 2011, les librairies indépendantes ont réalisé 24 % des ventes de livres physiques (mais 28,5 % en 2003), contre 23 % pour les grandes surfaces culturelles spécialisées, 18 % pour les grandes surfaces généralistes, 15 % pour le e-commerce, 12 % pour la vente par correspondance et les clubs de lecture et 8 % pour les kiosques et autres commerces de presse.

La place prépondérante des librairies sur le marché du livre ne doit toutefois pas masquer l'existence de grandes inégalités intrinsèques, mais également entre les librairies et les autres acteurs de la vente de livres physiques.

Ainsi, les grandes surfaces spécialisées, qui proposent près de 60 000 titres, connaissent des situations fort variables : la Fnac (quatre-vingt-dix magasins), premier libraire de France avec 16 % de parts de marché, reste globalement stable, malgré une diminution de 1,5 % de son chiffre d'affaires en 2012 conforme à la moyenne nationale ; la chaîne Cultura, pour sa part, se développe avec succès en périphérie des grandes villes avec cinquante-deux magasins. En revanche, l'année 2012 a vu la chute de l'empire Virgin avec la fermeture de vingt-six magasins et la suppression d'un millier d'emplois.

S'agissant des grandes surfaces généralistes, il convient de noter la bonne santé financière des 215 espaces culturels au sein des grandes surfaces Leclerc, créés en 1989, dont le chiffre d'affaires a crû de 6 % en 2012.

Les librairies elles-mêmes, comme le rappelait notre collègue Jacques Legendre dans son avis budgétaire sur le programme 334 « Livre et industries culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » pour 2014, « ne sont pas toutes logées à la même enseigne. Les plus importantes, comme le Furet du Nord dans le Nord-Pas-de-Calais, tirent parfaitement leur épingle du jeu. C'est également le cas de grandes librairies de centre-ville : Ombres Blanches à Toulouse, Le Failler à Rennes, Gibert à Paris ou encore Mollat à Bordeaux, qui misent sur un nombre élevé de références en littérature, visent les familles et développent des politiques actives d'animation. »

A contrario , le recours au chômage partiel dans le réseau lyonnais Decitre et, surtout, le dépôt de bilan des cinquante-sept librairies Chapitre (1 200 salariés) constituent des contre-exemples inquiétants. Comme le rappelait Vincent Monadé, président du Centre national du livre (CNL) le 3 décembre dernier, devant votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication, l'échec de Chapitre est celui de la tentative de son actionnaire américain d'imposer à des librairies, autrefois indépendantes, un fonctionnement de chaîne (commandes groupées, présentation unifiée des ouvrages en magasin, etc.). Désormais, et jusqu'au 7 janvier prochain, le groupe fait l'objet d'une vente « par appartement » de la quinzaine de magasins pour lesquels un repreneur est envisageable ou envisagé.

Il n'en demeure pas moins que plusieurs dizaines de ces librairies disparaîtront, dont une trentaine sont essentielles au maillage territorial. Brive-la-Gaillarde, Mulhouse ou encore Grenoble risquent, à cette occasion, de se voir privés d'une librairie de taille conséquente.

À la chute de Chapitre s'ajoute la fermeture régulière d'autres librairies , de petite ou moyenne taille, notamment en l'absence de transmission du fonds de commerce, la situation étant particulièrement critique pour les commerces dont le chiffre d'affaires ne dépasse pas 300 000 euros par an. En conséquence, certaines villes moyennes devraient prochainement ne plus bénéficier du service d'un libraire sur leur territoire, tandis que plusieurs régions rurales, à l'instar du Limousin, en manquent déjà cruellement. C'est également le cas dans les périphéries urbaines défavorisées : on compte ainsi une librairie pour 46 000 habitants en Seine-Saint-Denis, soit une proportion dix fois moindre qu'à Paris.

Ce constat pose question au regard des objectifs de maillage du territoire et d'égal accès de tous à la lecture . Il rejoint également la problématique, chère à votre rapporteure, du maintien de la diversité culturelle , les libraires promouvant des livres que d'autres canaux de vente ne peuvent soutenir avec autant d'ardeur. Il n'est ainsi pas rare que 10 % des ventes d'un ouvrage soit le fait d'une unique librairie, qui s'engoue pour un livre et le conseille à ses clients. « Les librairies créent le son, les grandes surfaces l'amplifient » , avait, à cet égard, coutume de dire Jérôme Lindon, ancien responsable des Éditions de Minuit et éditeur militant de la cause des librairies.

2. Des causes multiples

Pour le Syndicat de la librairie française (SLF), reçu par votre rapporteure, en misant sur l'emploi, sur la diversité de son assortiment de livres, sur son implantation au coeur des villes et sur une politique d'animation culturelle , l'activité de libraire engendre des coûts « qualitatifs » importants. Les salaires , bien que trop peu élevés au regard de la qualification du personnel, représentent la moitié de la marge des libraires. Ceux-ci doivent également faire face à la flambée des loyers en centre-ville et à des frais de transport croissants , ainsi qu'à des difficultés structurelles de trésorerie liées à l'étendue et à la nature de leur stock de livres, souvent à rotation lente.

Ce constat était intégralement partagé par Serge Kancel (IGAC), dans son rapport rendu public en janvier 2013, sur « le soutien aux entreprises de librairie ». Il rappelait également que les librairies ne peuvent guère, sans risque pour la qualité des prestations proposées, économiser sur les dépenses de personnel ou limiter leur fonds. Il estimait, en outre, que les remises consenties aux libraires par les diffuseurs, dont le niveau dépend bien souvent de l'importance de l'enseigne et des volumes commandés, sont loin d'être suffisantes pour leur assurer, et notamment aux plus petits commerces, une marge commerciale convenable.

L'ensemble de ces charges pesant sur le résultat de ces entreprises, la rentabilité moyenne des librairies s'établit aujourd'hui à 0,6 % du chiffre d'affaires 1 ( * ) , soit une division par trois en dix ans, ce résultat cachant bien évidemment des inégalités et donc la rentabilité négative de certains commerces. Par ailleurs, il convient de rappeler que nombre de libraires ne se rémunèrent pas ou très peu.

À ces considérations économiques s'ajoute la diminution progressive du nombre de grands lecteurs, clients traditionnels des librairies , pour des raisons tant sociologiques que démographiques, ainsi que l'étude réalisée en juin dernier pour le SLF par Philippe Moati sur « les clients de la librairie indépendante » en fait le constat. En ce sens, elle confirme les conclusions qui ressortent de l'analyse des enquêtes réalisées depuis les années 70 par le ministère de la culture et de la communication sur les pratiques culturelles des Français, dans lesquelles il apparaît que la proportion de personnes lisant plus de vingt livres par an parmi la population française est passée de 28 % en 1973 à 16 % en 2008.

Enfin, même si votre rapporteure consacre un volet particulier du présent rapport à ce phénomène, il convient de ne pas oublier ici de mentionner la concurrence féroce du commerce de livres en ligne , et notamment celle du géant américain Amazon.

Comme le soulignait, en novembre 2012, la mission confiée à l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) sur « la librairie indépendante et les enjeux du commerce électronique », la librairie représentant désormais le secteur le moins rentable du commerce de détail , la très grande majorité des enseignes ont la plus grande peine à mobiliser des capacités d'investissement, ce qui compromet tant leur modernisation, pourtant indispensable pour lutter contre la concurrence, que, à terme, leur transmission et leur avenir .

B. LE PHÉNOMÈNE INTERNET

1. Un bouleversement de l'économie du livre

Outre les difficultés financières liées à l'augmentation de leurs charges, les librairies physiques pâtissent des conséquences de la révolution numérique sur le marché du livre parce qu'elles souffrent de la concurrence exacerbée du e-commerce d'une part, parce qu'elles peinent elles-mêmes à s'adapter à ce nouvel environnement, d'autre part.

Certes, en 2012, la vente de livres sur Internet ne représentait encore que 17 % du marché -sur ce total, Amazon détient 70 % du secteur. Néanmoins, il est indéniable, compte tenu des facilités offertes au consommateur par les « cyber librairies » mais également de leur agressivité commerciale, que cette part augmentera dans les années à venir.

De fait, l'émergence du numérique dans le domaine des industries culturelles a vu apparaître de nouveaux concurrents spécialisés, soit « pure players » , c'est-à-dire uniquement en ligne, soit, moins fréquemment, « bricks and mortar » , correspondant à des extensions numériques de magasins physiques. Ces nouveaux acteurs ont fondé, en quelques années, de véritables empires, générant des chiffres d'affaires considérables et possédant, en conséquence, des capacités d'investissement et d'innovation inégalées.

Si l'achat de livres physiques n'a guère été altéré par la révolution numérique, à la différence du séisme vécu à cette occasion par l'industrie musicale désormais majoritairement dématérialisée, les modes de consommation et l'environnement concurrentiel du marché du livre en ont été profondément bouleversés.

Comme l'indique Vincent Chabault, maître de conférences en sociologie à l'Université Paris Descartes dans son ouvrage portant sur les librairies en ligne (Les Presses de SciencesPo, 2013), « qu'elles soient uniquement présentes en ligne ou qu'elles aient ouvert une extension numérique de leur magasin physique, [les librairies en ligne] ont aménagé, à travers leur site, de nouvelles conditions d'achat pour le livre. (...) Contrairement aux librairies traditionnelles, l'assortiment présenté n'est pas limité par des contraintes spatiales , les libraires sont inexistants et le site est ouvert en continu . Le consommateur a accès à de nouveaux contenus informationnels susceptibles de guider son achat : une base de données bibliographiques quasi exhaustive et un ensemble de nouveaux intermédiaires tels que les commentaires des clients ou la présentation automatique et individualisée d'une offre visant à susciter l'intérêt. »

Dans ce cadre, la puissance d'Amazon, grâce aux prix pratiqués, à l'étendue de l'offre et aux facilités de livraison proposées, n'est pas sans incidence sur les comportements des consommateurs, qui, pour certains, en viennent à ne plus guère fréquenter les librairies physiques, notamment dans les régions où, en raison d'un maillage territorial insuffisant, l'achat en magasin nécessite un véritable effort de déplacement.

Pour autant, la préférence de certains consommateurs pour l'achat en ligne ne trouve pas seulement sa source dans l'insuffisante présence des commerces physiques de livres dans certains territoires. Ainsi, les données publiées par le ministère de la culture et de la communication pour l'année 2012 indiquent que 21 % des Parisiens sont familiers des sites de e-commerce de livres, contre 10 % des habitants des communes de plus de 100 000 habitants et 8 % des habitants des communes rurales. De fait, les caractéristiques socio-professionnelles des clients des librairies en ligne sont proches de celles des « grands » lecteurs , exception faîte du critère d'âge : il s'agit d'une population majoritairement urbaine, âgée de 20 à 44 ans, diplômée du supérieur.

Les libraires, qui auraient intérêt à devenir, à l'instar de la Fnac, des « bricks and mortar » du livre, peinent toutefois à exister sur Internet et à proposer, en ligne, une offre concurrente à celle d'Amazon. Jaloux de leur indépendance, ils ne s'allient que trop peu fréquemment, démarche pourtant indispensable s'agissant des petites et moyennes librairies, pour atteindre la taille critique nécessaire au développement d'une plateforme de vente en ligne proposant un nombre suffisant de titres.

Il est vrai, que l'échec retentissant du site 1001libraires.com , dont l'aventure a coûté plus de deux millions d'euros à la profession, en raison de difficultés de gouvernance, d'un nombre trop peu important de titres proposés, de la coûteuse installation d'un entrepôt en termes de gestion, de stockage et de frais de personnel, mais également d'un sous-investissement chronique, a pu freiner les ardeurs.

À la suite de la fermeture du site, moins d'un an après son lancement effectif, la ministre de la culture et de la communication a confié à l'IGAC une mission, dont les conclusions ont été rendues publiques en novembre 2012, sur « la librairie indépendante et les enjeux du commerce électronique ». Entre autres constats, il en ressort que nombre de libraires sont encore réticents à pénétrer l'univers numérique , que ce soit pour vendre en ligne des livres imprimés ou pour développer une offre de livres homothétiques.

Il convient toutefois de saluer quelques tentatives réussies de s'imposer sur le marché de la vente de livres en ligne. Environ 500 librairies sont aujourd'hui présentes sur Internet à des niveaux divers. De grandes librairies de centre-ville possèdent leur propre site, notamment Gibert à Paris, Ombres blanches à Toulouse, Mollat à Bordeaux, Sauramps à Montpellier, Decitre à Lyon, La Procure ou le Furet du Nord.

D'autres ont choisi de s'allier : à titre d'exemple, Librest réunit des librairies de l'est parisien, le site parislibrairies.fr rassemble soixante-dix librairies à Paris et leslibraires.fr, créé par Charles Kermarec, ancien responsable de la librairie Dialogues à Brest, est un rassemblement de près de 200 librairies implantées dans l'ouest de la France. L'association d'un grand nombre d'enseignes permet d'offrir au consommateur un nombre important de titres, géolocalisables sur le site, mais également de multiplier les « points relais » (en l'espèce les librairies du groupement) dans lesquels le livre commandé en ligne peut être récupéré.

Ces expériences demeurent toutefois rarement rentables , compte tenu des coûts d'entrée sur le marché de la vente en ligne, dans un contexte où la trésorerie des librairies ne permet pas d'investir à grande échelle, et de la place prépondérante qu'y occupent Amazon et, dans une moindre mesure, la Fnac, créant en leur faveur, un avantage concurrentiel considérable. En outre, rares sont les librairies en ligne qui proposent de livrer à domicile les livres commandés , service pourtant fort apprécié du consommateur, et qui, lorsque tel est le cas, ne facturent pas de frais de port.

On estime ainsi qu'Internet représente jusqu'à 6 % des ventes d'une librairie qui dispose d'un service en ligne. Toutefois, le chiffre d'affaires réalisé est rogné de 15 à 18 % par les frais de port, même s'ils ne sont généralement facturés que jusqu'à un certain montant d'achat (25 à 35 euros en règle générale). Dans le cas où le rabais de 5 % est appliqué en ligne, près d'un quart de la marge du libraire est alors amputée, ce qui n'est guère tenable au regard de la faible rentabilité de ces commerces.

Paradoxalement, les librairies perdent donc aujourd'hui de l'argent sur Internet mais ne peuvent pour autant pas se permettre d'y être absentes . Certaines ne disposent toutefois pas des moyens d'investir dans des solutions leur permettant de proposer leurs services en ligne.

2. Une concurrence déloyale
a) Des inégalités fiscales

Créée il y a dix-huit ans et présente en France depuis douze ans, Amazon a conquis rapidement le marché de ventes de livres en ligne, grâce à une stratégie commerciale des plus agressives, que votre rapporteure détaillera ci-après, mais également à un positionnement fiscal particulièrement favorable, qui lui permet de limiter à portion congrue le paiement de l'impôt sur les sociétés comme la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

Amazon, comme Google, Apple et Facebook, sociétés qu'il est fréquent de regrouper sous l'acronyme de « GAFA », ont en effet développé, dès leur création, des stratégies fiscales et juridiques d'évitement avec des implantations à l'étranger et des flux croisés de transferts de valeur, exploitant pour ce faire les avantages inhérents à leurs activités, et notamment le caractère dématérialisé des échanges commerciaux.

On estime ainsi entre 2 et 3 milliards d'euros le chiffre d'affaires produit en France par les GAFA. Pourtant, chacune des quatre entreprises ne s'acquitterait, en moyenne, que de 4 millions par an au titre du paiement de l'impôt sur les sociétés.

Les industries culturelles nationales, et notamment les librairies pour ce qui concerne le marché du livre, qui paient l'ensemble de leurs impôts sur le territoire national, sont les premières à souffrir de cette inégalité fiscale .

Ces stratégies d'optimisation, légales, ont pu être mises en place à la faveur du défaut d'harmonisation fiscale des législations européennes , comme le rappelle le rapport de la mission confiée à Pierre Lescure par la ministre de la culture et de la communication sur la culture à l'ère numérique, dont les conclusions ont été rendues publiques en mai dernier : « En l'absence d'harmonisation fiscale au sein de l'Union européenne, les entreprises dont le siège est établi en France sont placées dans une situation de concurrence inéquitable, qui profite aux entreprises installées dans des pays où les taux d'imposition sur les bénéfices ou de TVA sont les plus faibles. Cette asymétrie, à laquelle s'ajoutent des distorsions propres à la fiscalité culturelle spécifique à la France, handicape les acteurs français ».

S'agissant de la seule TVA, si les ventes en ligne de marchandises physiques sont taxées au taux du pays consommateur, les services culturels en ligne, à l'instar du livre numérique, obéissent, comme tous les services fournis par voie électronique, à la règle du pays d'origine : la directive 2006/112/CE prévoit, en effet, que pour les services fournis à des consommateurs finaux, le lieu de la prestation de service est considéré comme le lieu où le prestataire, qui est l'assujetti, a établi le siège de son activité économique. C'est la raison pour laquelle Amazon comme Apple ont choisi, pour servir le marché européen, de s'installer au Luxembourg , où le taux normal de TVA (15 %) est le plus bas de toute l'Union européenne. S'agissant du livre numérique, ce taux est fixé à 3 %, contre 5,5 % en France.

Ce dispositif, le seul à prévoir que l'État de consommation ne perçoit pas le produit de la TVA, fait l'objet de critiques récurrentes, en ce qu'il n'est pas conforme à la nature même de la TVA, impôt sur la consommation dont les règles de territorialité devraient donc conduire à attribuer le produit au pays de consommation.

Une évolution de cette règle s'est, en conséquence, progressivement imposée, mais s'est longtemps heurtée à l'opposition du Luxembourg , bloquant toute réforme puisque celle-ci exigeait l'unanimité des États membres de l'Union européenne.

Un compromis a toutefois été trouvé et s'est traduit par la directive 2008/8/CE du 12 février 2008, qui substitue à la règle du pays d'origine la règle du pays du consommateur : désormais, pour les services électroniques, le lieu de la prestation de service est défini comme le « lieu où cette personne (le consommateur final) est établie ou à son domicile ou sa résidence habituelle. »

Cette modification ne sera applicable qu'au 1 er janvier 2015 . À compter de cette date, le différentiel de taux applicable au consommateur sera donc supprimé. L'équité fiscale sera, à cet égard, rétablie. En revanche, du point de vue des États, une période transitoire a été aménagée : la perception des ressources pour l'État dans lequel s'effectue la prestation ne sera pleinement effective qu'à compter du 1 er janvier 2019. Ainsi, l'État du prestataire conservera 30 % des recettes de TVA jusqu'au 31 décembre 2016 et 15 % jusqu'au 31 décembre 2018.

Votre rapporteure ne peut que regretter le caractère tardif de l'application complète de la réforme , dans un contexte où les industries culturelles nationales se trouvent en grande difficulté. Elle entend toutefois les arguments développés par la mission Lescure sur ce point : « La date du 1 er janvier 2015 [peut] apparaître tardive pour les entreprises placées dans une situation d'iniquité fiscale. À l'ère numérique, où la capacité à innover est cruciale et où les effets de réseau permettent la constitution rapide de positions dominantes, voire de monopoles, [le délai] peut sembler effectivement long . Il n'apparaît toutefois pas possible d'anticiper le calendrier prévu . Une modification (...) supposerait une révision de la directive 2008/8/CE qui devrait être adoptée à l'unanimité. Elle n'est actuellement pas à l'ordre du jour des instances européennes. La réforme des règles applicables n'a pu être adoptée qu'au terme de longues négociations et moyennant un compromis sur le phasage de la mise en oeuvre. Rouvrir ce chantier à un an et demi de l'échéance n'est pas un combat réaliste et pourrait même s'avérer contreproductif en donnant matière à certains États à plaider un allongement du calendrier de la mise en oeuvre . En revanche, il convient de veiller à ce que l'échéance du 1 er janvier 2015 soit strictement respectée. Il apparaît en effet que les États membres ne sont pas tous prêts, à ce jour, à assurer la mise en oeuvre opérationnelle de la réforme . »

Pour ce qui concerne l'impôt sur les sociétés, comme le relevait notre collègue Claude Domeizel dans son avis sur la proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable 2 ( * ) , plusieurs caractéristiques de l'imposition des bénéfices ne permettent pas son application effective aux richesses produites par l'économie numérique et singulièrement le e-commerce , notamment la taxation des revenus sur le lien effectif de leur création et la taxation fondée sur la notion d'établissement stable. En effet, dans sa définition actuelle, l'établissement stable exclut en particulier toute installation (locaux, entrepôt, etc.) utilisée aux seules fins de stockage, d'exposition ou de livraison de marchandises appartenant à l'entreprise, ainsi que ces marchandises elles-mêmes, soit une grande partie de l'activité d'Amazon en France.

L'absence de magasins physiques permet également à la société d'échapper au paiement de la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom) , applicables aux surfaces de vente au détail supérieures à 400 m 2 et dont le chiffre d'affaires est supérieur à 460 000 euros. Cette taxe, à laquelle sont assujetties les librairies qui bénéficient d'une surface de vente importante, rapporte chaque année environ 600 millions d'euros aux collectivités territoriales.

Sur le territoire français, Amazon réaliserait, selon des données déjà anciennes, un chiffre d'affaires d'environ 940 millions d'euros. Mais, l'ensemble des transactions étant enregistrées par la maison mère installée au Luxembourg, la filiale française ne déclare qu'un chiffre d'affaires de l'ordre de 30 millions d'euros, correspondant à des prestations de services logistiques rémunérées par la holding 3 ( * ) .

L'entreprise fait d'ailleurs l'objet d'un contentieux fiscal en cours pour 190 millions d'euros concernant la période 2006-2010. En intégrant les années 2011 à 2013, l'impact financier de l'évasion fiscale mise en place par Amazon est estimé à près d'un demi-milliard d'euros pour la France. La société est également sous le coup de procédures de redressement au Japon, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Chine et même au Luxembourg.

L'imposition juste des GAFA au regard des règles de la fiscalité nationale constitue l'un des objectifs majeurs des pouvoirs publics en matière de soutien aux industries numériques nationales comme d'amélioration du recouvrement de l'impôt dû sur les richesses produites en France. Cependant, l'assujettissement de ces entreprises à l'impôt sur les sociétés s'avère extrêmement complexe , sauf à ce que l'OCDE modifie la définition d'établissement stable en l'élargissant aux établissements stables virtuels électroniques. Cette réforme des normes fiscales internationales, soutenue par la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne, fait certes l'objet de travaux au sein de l'institution, mais sans proposition concrète à ce jour.

À défaut, la création de taxes nouvelles sur l'économie numérique , qui leur seraient appliquées, constituerait une alternative, toutefois peu aisée, elle aussi, à mettre en oeuvre, comme le montre le foisonnement d'initiatives non encore abouties : la création d'une taxe sur la publicité en ligne et d'une taxe sur l'achat de service de commerce électronique par la proposition de loi précitée de Philippe Marini pour une fiscalité numérique neutre et équitable, renvoyée en commission par le Sénat lors de sa séance publique du 31 janvier dernier, l'imposition de l'activité de collecte de données proposée par Pierre Colin et Nicolas Collin dans leur rapport de janvier 2013 ou encore la taxation des supports de lecture numérique envisagée par la mission Lescure.

b) Des pratiques commerciales agressives

Avec plus de 400 000 références en langue française et 200 millions d'euros de chiffre d'affaires sur le seul livre, Amazon est désormais le premier libraire de France . Il est ainsi capable de satisfaire les attentes de publics exigeants. À titre d'exemple, la plateforme est le premier vendeur d'ouvrages de la prestigieuse collection La Pléiade de Gallimard, dont il est difficile pour une librairie, même de grande taille, de posséder la totalité en stock.

Au-delà de l'optimisation fiscale, Amazon doit son ascension vertigineuse (45 milliards d'euros de chiffre d'affaires tous pays confondus en 2012, soit une croissance de 27 % par rapport à l'année précédente) à des pratiques commerciales particulièrement efficaces .

Le site fut conçu au départ comme une librairie en ligne . Comme l'a admis Andrew Cecil, directeur des affaires publiques d'Amazon pour l'Europe lors de son audition par votre rapporteur, le livre, objet d'un prix modique, sans spécification technique et d'un format facilement transportable, représente en effet un produit d'appel idéal pour installer sa position sur le marché de la vente en ligne. Les fichiers de consommateurs ainsi constitués permettent ensuite à l'entreprise de proposer des offres « profilées » pour fidéliser sa clientèle.

L'entreprise n'a ensuite cessé de diversifier son activité. La seule version française, qui reçoit 14 millions de visites uniques par mois, compte ainsi 107 millions de références réparties en 28 catégories de produits vendus directement par la société ou par des commerçants, présents sur la plateforme depuis 2000. Il convient d'ailleurs de noter que certaines librairies utilisent, depuis 2003, Amazon comme « place de marché » et y écoulent leurs ouvrages. Dans ce cadre, la librairie s'acquitte d'un abonnement de 39 euros par mois auprès de la plateforme, afin d'y proposer ses produits, et lui reverse 10,44 % du prix de vente de chaque titre ainsi vendu.

La multiplication des références permet à l'entreprise de compenser ses pertes par la vente de produits plus rentables . Son développement s'appuie ainsi sur un modèle mixte, qui lui permet de compenser sur d'autres segments de son activité, la faiblesse des marges dégagées par la distribution et la diffusion de produits culturels. À titre d'exemple, l'activité d'Amazon est particulièrement rentable pour ce qui concerne la vente d'espaces de stockage de données pour d'autres sociétés.

La société affiche également des coûts de distribution inférieurs de 10 % à 15 % à ceux des magasins physiques grâce à un réseau de 89 entrepôts (dont quatre en France), où une main d'oeuvre à bas salaires (salariés et intérimaires) applique à une cadence soutenue une organisation logistique rationalisée à l'extrême : il ne s'écoule ainsi qu'environ deux heures et demie de la commande à l'expédition.

Les économies réalisées sur les coûts de distribution permettent de baisser les prix au maximum. S'agissant du livre, le rabais légal de 5 % est ainsi systématiquement appliqué et les frais de port offerts sans minimum d'achat. Par ailleurs, les ventes de livres d'occasion sur le site, le plus souvent par d'autres commerçants, ne respectent pas toujours les termes de l'article 5 de la loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre, « les détaillants peuvent pratiquer des prix inférieurs au prix de vente au public mentionné à l'article 1 er sur les livres édités ou importés depuis plus de deux ans, et dont le dernier approvisionnement remonte à plus de six mois ». Les livres à l'état neuf, issus souvent des services de presse, vendus comme des occasions, y sont légion.

Pire, Amazon, grâce à sa puissance économique, se permet d'assumer de larges pertes 4 ( * ) , préférant investir le marché, y limiter la concurrence, étranglée par des conditions commerciales qu'elle ne peut suivre tant leur coût est rédhibitoire, puis récolter les fruits de sa position dominante. D'aucuns estiment, à l'instar du SLF, que cette stratégie relève du « dumping » pur, visant à contourner la loi sur le prix unique du livre et à bâtir un monopole qui permettra à Amazon, dans quelques années, d'imposer ses conditions aux éditeurs et de relever ses prix, afin de bénéficier finalement de marges confortables.

De fait, à l'exception du Royaume-Uni, Amazon offre les frais de port sans minimum d'achat dans les pays dans lesquels s'applique un prix unique du livre (France, Allemagne, Autriche, Pays-Bas, Japon, notamment). A contrario , aux États-Unis, au Canada, en Suède, en Finlande ou en Australie, la livraison à domicile est facturée jusqu'à un certain montant d'achat (25 dollars aux États-Unis). Il s'agit donc d'un contournement organisé de la loi sur le prix unique du livre.

Les libraires ne pouvaient que réagir. Par la voix du SLF, ils assignent Amazon, en janvier 2004, pour non-respect de la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre (l'entreprise avait, en 2002 puis en 2003, offert à chaque nouveau client un chèque de 5 euros à valoir sur une commande d'un montant minimum de 10 euros), vente à perte et concurrence déloyale. Au contentieux a été jointe, en 2006, la gratuité des frais de port pour tout achat de livre, appliquée depuis 2002. Condamnée en première instance, le 11 décembre 2007 par le tribunal de grande instance de Versailles à 100 000 euros de dommages et intérêts pour vente à prime illicite, vente à perte et remise illégale, Amazon se voit interdite de proposer la gratuité de la livraison sous peine d'astreinte financière journalière, ce pendant un délai d'un mois à compter de la date de la décision, délai à l'issue duquel il est prévu de statuer à nouveau sur les conditions de vente.

L'entreprise engage alors une vaste campagne de communication auprès de ses clients, les incitant à faire valoir leur point de vue auprès du SLF. Mais ce soutien ne fut guère nécessaire : dès le 6 mai 2008, dans une affaire similaire concernant une autre plateforme de vente de livres en ligne, la Cour de cassation met un terme à toute contestation et donne raison à Amazon : la gratuité des frais de port ne peut être considérée comme une violation de la loi du 10 août 1981.

Au contournement de l'esprit, à défaut de la lettre, de la législation sur le prix unique du livre, la position dominante d'Amazon lui offre également des conditions de négociation particulièrement favorables auprès des 600 éditeurs avec qui l'entreprise entretient des relations commerciales 5 ( * ) , comme avec les logisticiens.

Pour ce qui concerne l'édition, Amazon concurrence d'ailleurs les éditeurs sur leur propre marché en proposant aux auteurs d'autoéditer, sur son site, leurs oeuvres en numérique. Ainsi, sur les 100 meilleures ventes de livres homothétiques réalisées sur Amazon, dix-sept concernent des ouvrages autoédités.

S'agissant des logisticiens, DHL et La Poste, auditionnés par votre rapporteure, ont estimé qu'Amazon pourrait, dans les années à venir, poursuivre sa stratégie d'intégration verticale en créant son propre service de livraison , ce qui constituerait une évolution problématique, notamment pour La Poste, Amazon représentant son premier client pour la livraison de colis et son chiffre d'affaires issu de la distribution du courrier diminuant d'environ 6 % par an.

L'annonce récente de Jeff Bezos, président-directeur général d'Amazon, sur la chaîne américaine CBS fait écho à cette crainte : dans un futur proche, l'entreprise pourrait livrer elle-même les petits colis (jusqu'à 2,3 kilogrammes) en zone urbaine (situées dans un rayon de 16 kilomètres autour des entrepôts), qui représentent 86 % des commandes, à l'aide de mini-drones alimentés par des moteurs électriques. Ce nouveau service permettrait d' acheminer en seulement une demi-heure, au domicile du client, les marchandises commandées en ligne.

Le projet « Amazon Prime Air » pourrait être opérationnel d'ici quatre à cinq ans, sous réserve d'obtenir les autorisations nécessaires délivrées par les autorités de l'aviation. Il est, à cet égard, loin d'être acquis que des drones puissent se déplacer en-dehors du contrôle d'une agence nationale de sécurité. La FAA, l'administration fédérale de l'aviation américaine, n'autorise, en effet, pas à ce jour l'usage de drones à des fins commerciales mais la réforme engagée de modernisation de l'opérateur pourrait conduire à lever cette interdiction dès 2015. Un jour, peut-être, ce modèle sera-t-il exporté en France, favorisant la conquête toujours plus ambitieuse du marché du livre par le géant américain.

Face à cette situation de concurrence on ne peut plus inéquitable, les pouvoirs publics français, élus et administrations, n'ont pas, loin s'en faut, réagi immédiatement. Il convient de souligner, à cet égard, qu'Amazon possède quatre entrepôts en France, dont l'installation a parfois bénéficié de subventions publiques, et y emploie des milliers de personnes, dans des régions en grande difficulté économique.

Pourtant, il serait dommageable d'oublier sous ce prétexte que les conditions d'emploi et de travail des manutentionnaires des entrepôts d'Amazon sont régulièrement dénoncées par les salariés. Cette précarité a notamment fait l'objet de vives critiques en 2013 dans l'ouvrage de Jean-Baptiste Malet « En Amazonie, infiltré dans le meilleur des mondes » . Journaliste, il s'est fait engager comme intérimaire pour la période des fêtes de fin d'année et raconte les cadences infernales exigées, les horaires extrêmes et les contrôles sévères de la hiérarchie.

Par ailleurs, votre rapporteure souhaite rappeler que la librairie indépendante génère près de dix-huit fois plus d'emplois que la vente de livres en ligne et qu'il apparaît plus qu'urgent de se préoccuper de son maintien sur l'ensemble du territoire national, à l'heure où les dispositifs actuels ne semble plus suffisants pour assurer une concurrence équitable.

II. LA LÉGISLATION SUR LE PRIX DU LIVRE À L'ÈRE NUMÉRIQUE

A. UN SOCLE DES POLITIQUES PUBLIQUES EN FAVEUR DU LIVRE

1. Le cadre normatif adapté : le prix unique du livre
a) 1981 : le livre imprimé bénéficie d'un prix unique

À l'aube des années 70, les grandes surfaces généralistes et spécialisées s'imposent sur le marché du livre. La Fnac, mais également Leclerc, proposent alors des ouvrages à des prix inférieurs de 20 à 40 % à ceux, conseillés par les éditeurs, appliqués en librairies . Le secteur entier est déstabilisé par des méthodes commerciales contre lesquelles il ne peut efficacement lutter.

Commandé par le SNE et la Fédération française des syndicats de libraires (FFSL) au cabinet de conseil Chetochine, une étude estime, dès 1974, que les librairies indépendantes ne pourront longtemps supporter une telle pression concurrentielle sur les prix , la disparition programmée de nombres d'entre elles entraînant une limitation de l'accès au livre, notamment aux ouvrages à rotation lente, et, à terme, un appauvrissement de la création par une raréfaction des titres diffusés.

Sur la base de ces conclusions, les promoteurs de la régulation du marché par la fixation d'un prix unique s'organisent au sein de l'Association pour le prix unique du livre, fondée en 1977 par Jérôme Lindon des Éditions de Minuit. René Monory, alors ministre de l'économie, décide alors, par un arrêté en date du 23 février 1979, de remplacer le « prix conseillé » par un « prix net » , laissant le détaillant responsable du prix de vente. Au cours des trente mois d'application de ce régime, les meilleures ventes, bénéficiaires de prix fort bas, ont concerné les best-sellers et les nouveautés, au détriment des ouvrages à rotation lente dont le prix avait, à l'inverse, tendance à augmenter.

Finalement, la loi n° 81-766 du 10 août 1981, dite loi « Lang » du nom du ministre de la culture de l'époque, instaure un prix unique du livre imprimé à compter du 1 er janvier 1982 . Ce prix, qui s'impose à tous les détaillants, est fixé par l'éditeur ou par l'importateur . Il ne varie ni en fonction de la période de l'année, ni en fonction des territoires. Des remises peuvent toutefois être consenties par le détaillant, sans toutefois dépasser 5 % du prix fixé (9 % pour certaines commandes publiques).

L'objectif affiché est de soutenir les libraires , afin de maintenir un réseau commercial dense sur l'ensemble du territoire national, mais aussi de favoriser la diversité littéraire et la création par un dispositif qui ne dessert pas la vente d'ouvrages difficiles.

Cette loi, dont la conformité avec le droit européen a été reconnue à plusieurs reprises, fait l'objet, à quelques très rares exceptions près, d'une acceptation unanime des professionnels du livre : auteurs, éditeurs, libraires, grandes surfaces spécialisées comme bibliothécaires.

De nombreux rapports, et notamment celui réalisé par Sophie Barluet en 2007 pour le ministère de la culture et de la communication intitulé « Pour que vive la politique du livre » , en établissent, en outre, un bilan particulièrement positif. Plus de vingt ans après sa création, il apparaît en effet que le dispositif a permis le maintien d'un réseau de librairies dense , qui représente toujours le principal acteur de la vente au détail de livres physiques, mais également d' une création éditoriale riche et variée avec plus de 60 000 nouveaux titres chaque année. Surtout, le prix unique du livre n'a nullement eu l'effet inflationniste que craignaient ses détracteurs : l'évolution du prix du livre demeure inférieure ou égale à celui des prix à la consommation et le prix moyen du livre n'a pas progressé plus fortement en France que dans d'autres pays.

b) 2011 : le prix unique s'adapte au numérique

Considérant que le livre numérique devait répondre aux mêmes règles que le livre imprimé et afin d'encadrer ce marché naissant, la loi n° 211-590 du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique, dont le principe fut porté avec énergie par de nombreux parlementaires, entre autres nos collègues David Assouline et Jacques Legendre, mais également Michel Barnier à l'Assemblée nationale, applique à son tour au livre homothétique un prix unique fixé par l'éditeur .

Adopté à l'unanimité dans les deux chambres, l'amendement dit « d'extraterritorialité » de notre collègue Jean-Pierre Leleux permet au dispositif de fixation du prix de s'appliquer à l'ensemble des sociétés exerçant leur activité sur le territoire national , y compris Amazon. Cette précision s'est avérée fort utile, au regard des pressions que l'entreprise exerce sur les éditeurs américains sur le prix des fichiers numériques. Récemment, le dernier ouvrage de Dan Brown a ainsi été proposé à la vente sur le site à moins de dix dollars, soit un prix inférieur à celui souhaité initialement par l'éditeur.

À ce jour, le dispositif, sur lequel le Gouvernement a rendu ses avis circonstanciés dans le cadre de la notification de la loi, n'a fait l'objet d' aucune restriction de la part des autorités européennes. D'autres pays ont d'ailleurs adopté des législations similaires , à l'instar de l'Allemagne, de l'Espagne et de l'Italie.

L'application d'une législation sur le prix du livre numérique identique à celle de 1981 relative au livre imprimé, même si le prix des livres dématérialisés demeure inférieur d'environ 30 % à celui fixé pour les livres physiques, est essentielle à la cohérence du dispositif d'encadrement du marché du livre. De fait, si le livre numérique ne représente encore qu'une part négligeable de ce marché, viendra le temps où il atteindra, selon les experts, près de 20 % des ventes d'ouvrages.

Sur ce point, le rapport de l'IGAC de novembre 2012 précité estime, qu'à la différence notable du disque et du DVD, « le scénario d'une disparition des livres imprimés ou même d'une réduction substantielle de leur diffusion au profit d'échanges de fichiers n'est certainement pas imaginable dans les mêmes proportions, car le bien culturel qu'est le livre n'est pas assimilable à un simple support : il fait partie prenante de l'oeuvre comme du document. (...) De l'avis des experts, le schéma le plus probable est celui d'une complémentarité entre le livre imprimé et le livre numérique, le second ne se substituant que partiellement au premier. »

Ainsi, selon l'étude rendue publique par Ernst & Young en novembre dernier, « l'équipement des Français en supports de lecture numérique a connu une augmentation significative en 2012 : le marché des tablettes a connu la croissance la plus forte avec 3,6 millions d'unités vendues (+ 140 %), accompagnée d'une diversification des modèles proposés. Les ventes de liseuse (...) ont pour leur part doublé, si bien que le seuil des 25 millions d'appareils de lecture numérique -ce qui englobe les liseuses, smartphones, ordinateurs portables et tablettes- devrait être franchi dès [2013]. »

Matériels permettant la lecture numérique (en milliers d'unités)

Source : GfK - Consumer Choices France

Le marché de l'édition numérique comprend deux types d'activité : l'édition sur support physique (DVD ou clé USB), qui ne représente que 14,3 % du marché en valeur, et l'édition numérique en ligne. Les ventes d'ouvrages en flux, qui existent uniquement pour les sciences humaines et sociales et les bandes dessinées, représentent un peu moins de 40 % des ventes, suivies des téléchargements unitaires d'oeuvres (17,2 % des ventes) et des ventes de licences d'utilisation des contenus (16 %). Les sciences humaines et sociales (principalement le droit) avec 70,2 % du marché, constituent le principal contributeur de l'édition numérique, la littérature (9,4 %) et les livres pratiques (6,4 %) se positionnant loin derrière. Il existe donc une corrélation entre le type d'oeuvre et leur développement numérique, tant il est vrai que certains ouvrages se prêtent mieux que d'autres à la lecture sur support non physique.

En conclusion de son développement sur l'édition numérique, l'étude d'Ernst & Young précitée estime que « le livre numérique relève (...) moins d'une transition du papier à l'écran que d'un enrichissement progressif des usages de lecture. »

Estimation de croissance du marché du livre numérique

Source : GfK - Consumer Choices France

Signe que les professionnels se préoccupent également de cette transition, auteurs et éditeurs ont conclu, le 21 mars 2013, un accord-cadre relatif au contrat d'édition , dont les dispositions n'avaient pas été modifiées depuis 1957, afin de l'adapter à l'édition numérique en parallèle de l'impression traditionnelle.

Désormais, le contrat d'édition déterminera les conditions de cession des droits de l'auteur à l'éditeur et de rémunération pour les deux modes d'exploitation . Toutefois, ces dispositions doivent encore être intégrées dans le code de la propriété intellectuelle afin d'assurer leur application effective par l'ensemble des parties, traduction législative que votre rapporteure souhaite voir aboutir dans les délais les plus brefs.

2. Un environnement fiscal favorable : le taux réduit de TVA

Livre imprimé et livre numérique, outre la législation sur le prix unique du livre, partagent le bénéfice d'un taux de TVA réduit, afin de favoriser, par un prix peu grevé par la fiscalité, leur consommation.

Ce parallélisme fiscal a été instauré par la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative, à compter du 1 er avril 2012. De 5,5 % au 1 er janvier 2012, le taux de TVA applicable au livre est passé à 7 % à cette date, puis, à nouveau à 5,5 % au 1 er janvier 2013 . Le projet de loi de finances pour 2014 prévoyait initialement une nouvelle diminution de ce taux, à 5 %, au 1 er janvier 2014. Toutefois, un amendement, adopté à l'Assemblée nationale en premier lecture, prévoit de le maintenir à l'identique , statu quo effectif dès la promulgation de la loi dans les jours à venir, pour le livre comme pour l'ensemble des secteurs d'activité soumis à ce taux réduit.

Votre rapporteure est certes favorable à ce qu'un taux de TVA le plus bas possible s'applique au livre sous toutes ses formes. Elle n'est cependant pas opposée à l'objectif de stabilisation de ce taux , au regard de l'ampleur de la tâche et du coût du ré-étiquetage de l'ensemble des stocks que nécessite chaque modification. Il convient de rappeler, à cet égard, que ce coût est estimé à 30 millions d'euros pour l'ensemble des commerces physiques de livres, auxquels s'ajoutent les nécessaires mises à jour des logiciels comptables.

L'application au livre homothétique du taux de TVA réduit jusqu'alors réservé au livre imprimé a conduit la France, comme le Luxembourg qui dispose d'une législation identique, au contentieux avec la Commission européenne , sous la forme d'une procédure de manquement lancée le 3 juillet 2012 et dont les conclusions devraient être connues en 2015.

La France a fait valoir, dans ce cadre, que l'harmonisation du taux de TVA sur l'ensemble des livres est favorable à la diffusion de la culture et aux consommateurs et respecte le principe de neutralité fiscale , jugeant que le livre est avant tout une oeuvre de l'esprit, quel que soit son support.

Sensible à ces arguments, la Commission européenne a lancé, parallèlement à la procédure contentieuse contre la France et le Luxembourg, une consultation sur les taux réduits de TVA et envisage une modification de la directive concernée. Si le signal est encourageant, il convient cependant de rappeler que toute réforme fiscale requiert l' unanimité des États membres.

À la suite de la Journée de Berlin du 9 septembre 2013 « Avenir du Livre, avenir de l'Europe », l'Allemagne, qui était l'un des principaux opposants à l'application du taux réduit de TVA sur le livre numérique, s'est ralliée à la France . Ce ralliement s'est officiellement traduit dans l'accord de gouvernement conclu entre le SPD et la CDU : « Les transformations que connaît le monde des supports imprimés est la raison pour laquelle ceux-ci bénéficient d'allégements fiscaux. Les offres de produits culturels et de medias qui répondent à l'intérêt général sont également valables pour le monde numérique. La coalition souhaite maintenir le taux unique de TVA pour les livres, journaux et revues, et l'appliquer aux livres audio. À l'avenir, au niveau européen, la coalition s'attachera à faire en sorte que le taux réduit de TVA soit étendu aux livres ».

Une majorité solide d'États membres est désormais favorable à cette réforme . Seuls quatre pays demeurent opposés à l'alignement des TVA « papier » et « numérique » : le Royaume-Uni (qui craint la remise en cause du taux zéro qu'il applique sur les livres imprimés), le Danemark, l'Estonie et la Bulgarie.

Dans le cadre du Conseil Européen du numérique des 24 et 25 octobre 2013, la France a envoyé une contribution aux chefs d'État et de Gouvernement, à Herman Van Rompuy et à la Commission appelant à mettre en place une réforme de la TVA, afin de permettre l'application d'un taux réduit sur l'ensemble des biens et services culturels .

Comme l'indiquait notre collègue Jacques Legendre dans son avis sur le programme 334 « Livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2014, « l'avenir du taux réduit de TVA sur le livre numérique dépend d'une course de vitesse entre, d'une part, un processus judiciaire, qui suit son cours, certes lent mais inexorable, et, d'autre part, un processus législatif, qui évolue positivement mais nécessitera l'unanimité des États membres pour aboutir » . Votre rapporteure estime qu'avec le ralliement de l'Allemagne, les raisons d'espérer une autorisation définitive du taux réduit de TVA à toutes les formes de livres sont désormais réunies.

3. Un nouvel élan en faveur des librairies

À ce socle normatif et fiscal s'ajoutent diverses aides en faveur de la promotion de la lecture, du soutien à la création littéraire et du maintien, sur le territoire national, d'un maillage conséquent de librairies . Ces aides sont gérées et versées par le CNL . Il n'existe pas moins de trente-cinq catégories d'aides aux différents acteurs de la chaîne du livre, dont le montant moyen par bénéficiaire s'établit à environ 10 500 euros. S'agissant de la seule librairie, 350 commerces se sont partagé 3,5 millions d'euros en 2012.

Avec un budget de 43 millions d'euros par an pour l'opérateur, soit environ 10 % du chiffre d'affaires généré annuellement par le marché du livre physique, mais de moins de 30 millions d'euros s'agissant de l'enveloppe consacrée aux aides, il apparaît que le livre, au regard des autres industries culturelles, ne bénéficie que fort peu des subventions publiques.

La situation préoccupante du nombre de librairies et la faillite récente de plusieurs acteurs symboliques du marché ont conduit la ministre de la culture et de la communication à renforcer le soutien public au livre et singulièrement aux librairies.

Annoncé à l'occasion du salon du livre au mois de mars puis dévoilé le 3 juin 2013 lors des rencontres nationales de la librairie à Bordeaux, le « plan librairie » , qui s'inspire largement des conclusions de la mission précitée confiée à Serge Kancel, prévoit le versement de 11 millions d'aides supplémentaires aux librairies indépendantes . Ce plan comprend trois volets :

- l'Association pour le développement de la librairie de création (ADELC), qui réunit les principaux éditeurs du bureau du Syndicat national de l'édition (SNE), abondera de 4 millions d'euros supplémentaires son fonds destiné à des prêts aux repreneurs visant à faciliter la transmission des librairies . L'ADELC dispose, en effet, de la capacité à pouvoir entrer au capital des entreprises, dont elle sort progressivement au gré des remboursements effectués par son créancier, remboursements dont la durée ne peut toutefois excéder cinq ans. Ce dispositif est essentiel, dans un contexte où de grandes librairies comme Sauramps, Ombres blanches ou Folie d'encre à Montreuil vont prochainement entrer dans une phase de transmission ;

- 5 millions d'euros seront destinés à un nouveau dispositif d'aide à la trésorerie des librairies , dont la gestion sera confiée à l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC), consistant en des prêts de trésorerie à court terme (un an maximum) ;

- enfin, le CNL renforcera son soutien aux commerces à hauteur de 2 millions d'euros . Cette aide supplémentaire, fléchée vers les librairies à budget constant pour l'opérateur, nécessitera des arbitrages aux dépends d'autres postes de dépenses.

L'ensemble des acteurs a salué le plan annoncé, regrettant cependant qu'il n'ait pas apporté de réponse à l'augmentation des charges locatives des librairies de centre-ville , qui aurait pu être limitée, par exemple, par la création d'un droit de préemption sur les locaux commerciaux pour permettre leur location à des librairies.

Par ailleurs, la revendication des librairies de pouvoir plus aisément répondre aux marchés publics des collectivités territoriales, grâce notamment au relèvement du seuil de procédure d'appel d'offres de 15 000 à 50 000 euros, n'a pas été satisfaite. Il convient de rappeler, à cet égard, que les marchés publics représentent entre 15 et 25 % du chiffre d'affaires des librairies.

Enfin, on peut regretter que les conclusions de la mission Kancel relatives au ciblage des aides dans une logique d'offre territoriale n'aient pas été suivies d'effet, de même qu'aucune réflexion n'ait été menée sur sa proposition de création d'un fonds de soutien à la librairie, dotée d'une dizaine de millions d'euros, à l'instar de ce qui existe pour d'autres industries culturelles.

Parallèlement au plan de soutien aux librairies, deux dispositions législatives permettant de renforcer l'application des lois du 10 août 1981 et du 26 mai 2011 susmentionnées relatives au prix unique du livre ont été introduites par le Sénat, à l'initiative du Gouvernement, lors de la discussion en première lecture, en septembre dernier, du projet de loi relatif à la consommation. Il s'agit, demande ancienne du SLF et du Conseil permanent des écrivains, de la création d'un médiateur du livre , instance de conciliation des litiges pouvant survenir entre les acteurs de la chaîne du livre, et de l'assermentation d'agents du ministère de la culture et de la communication pour constater d'éventuelles infractions à la législation sur le prix du livre , notamment sur les sites de e-commerce.

De fait, comme l'indiquait précédemment votre rapporteure, le développement des ventes de livres d'occasion sur Internet conduit à contourner la loi sur le prix unique du livre : de grands sites de vente de livres présentent ainsi des livres neufs (au prix unique fixé par l'éditeur) aux côtés de livres d'occasion « à l'état neuf » à un prix sensiblement inférieur, sans que ne soit toujours respectée la lettre de l'article 5 de la loi du 10 août 1981, ce qui a pour conséquence de brouiller la perception du prix par le consommateur et à le détourner de l'achat en librairie.

Certes, l'article 8 de la loi du 10 août 1981 dispose qu'en cas d'infraction constatée, des actions en cessation ou en réparation peuvent être engagées par tout concurrent, association agréée de défense des consommateurs, syndicat des professionnels de l'édition ou de la diffusion de livres ou organisation de défense des auteurs, mais le dispositif est insuffisant à fonder un contrôle satisfaisant de l'application des dispositions relatives au prix du livre, notamment en raison de la difficulté, pour ces acteurs, de contrôler efficacement des sociétés internationales de e-commerce.

Ces nouveaux dispositifs de contrôle permettront de pallier le rapport de force inégal qui s'était instauré entre les professionnels du commerce physique et les sociétés de vente en ligne dans ce domaine. Il faudra toutefois attendre le vote définitif de la loi, prévu dans les premières semaines de l'année 2014, pour les installer et voir aboutir les premières investigations.

B. UNE MODERNISATION INDISPENSABLE DE LA LÉGISLATION

1. Une initiative parlementaire unanimement approuvée

La fragilité du réseau des librairies indépendantes et la concurrence exacerbée, sur le marché du livre, d'Amazon, dont les pratiques commerciales impliquent, à terme, un risque de situation monopolistique, ont conduit l'Assemblée nationale à proposer de limiter les avantages offerts aux clients des plateformes de vente de livres en ligne.

Aux termes de la loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre, un rabais maximum de 5 % sur le prix fixé par l'éditeur ou par l'importateur peut être consenti à l'acheteur par le détaillant, quelle que soit la nature de celui-ci. Ce rabais est porté à 9 % pour les achats réalisés par les collectivités territoriales, les établissements d'enseignement, de formation professionnelle ou de recherche, les syndicats, les comités d'entreprises ou encore les bibliothèques.

Le rabais légal de 5 % est aujourd'hui pratiqué occasionnellement par les libraires, dont les faibles marges commerciales ne permettent pas l'application systématique de cette disposition, comme par la Fnac, notamment dans le cadre de programmes de fidélité.

En revanche, Amazon pratique systématiquement cette ristourne, que l'entreprise cumule, également systématiquement, avec la gratuité des frais de port , dans le cadre d'une livraison à domicile comme en « point relais ». Dans le souci de demeurer concurrentielle, la Fnac propose un service identique, à la différence près que le rabais de 5 % n'est offert qu'aux seuls bénéficiaires de la « carte adhérent ». D'aucuns estiment que ces sociétés contournent alors l'esprit de la législation sur le prix du livre par une ristourne excessive , le prix de vente de l'objet comprenant alors également le coût des frais de port, coût variable d'une société à l'autre mais, en tout état de cause, jamais nul.

La rédaction du texte de 1981, où la vente en ligne n'était ni envisageable ni envisagée par le législateur, laisse la voie ouverte à diverses interprétations en ne mentionnant pas plus clairement l'interdiction d'appliquer des frais de livraison gratuits.

Comme votre rapporteure l'a indiqué précédemment, dans son arrêt du 6 mai 2008, en se basant sur le droit des contrats et l'obligation de délivrance incombant au vendeur aux termes de l'article 1608 du code civil, la Cour de Cassation a considéré que la livraison d'un livre commandé en ligne pouvait être prise à sa charge par l'entreprise sans que cela ne constitue une vente à prime.

L'objet de la proposition de loi présentée par Christian Jacob, Christian Kert, Hervé Gaymard, Guy Geoffroy et plusieurs de leurs collègues tendant à encadrer les conditions de la vente à distance des livres vise à revenir à la lettre de la loi du 10 août 1981 en précisant, à l'article 1 er du texte, que « la prestation de livraison à domicile ne peut pas être incluse dans le prix ainsi fixé » , c'est-à-dire dans le prix fixé par l'éditeur ou l'importateur de l'ouvrage, qu'il soit ou non fait application du rabais de 5 %.

Après un long débat en séance publique le 3 octobre dernier, le texte voté par l'Assemblée nationale à l'unanimité à la suite de l'adoption d'un amendement gouvernemental, inverse intégralement la proposition initiale : il ne s'agit plus d'interdire la gratuité des frais de port, mais l'application de la remise commerciale de 5 % pour tout livre commandé en ligne et livré à domicile.

2. Un dispositif à compléter, des efforts à poursuivre

Afin de compléter , pour en améliorer l'efficacité, le dispositif issu du vote de l'Assemblée nationale , votre rapporteure propose de réguler , parallèlement à l'interdiction du rabais de 5 % lorsqu'une commande passée en ligne est livrée à domicile, les conditions de facturation du service de livraison .

Si l'obligation de facturer les frais de port au coût de revient poserait des difficultés de contrôle, le système des coûts internes d'une société étant protégé par le secret des affaires, et se traduirait sans nul doute par une « prime » aux acteurs les plus puissants, le fixation d'un prix plancher, soit une administration des prix sur la prestation de livraison, n'est pas non plus envisageable au regard du principe de liberté du commerce.

Demeure donc a minima l'interdiction d'offrir ce service à titre gratuit , même si, à l'évidence, les prix pratiqués par Amazon, en raison des conditions tarifaires obtenues auprès des logisticiens comme de sa capacité à rentabiliser son activité sur d'autres secteurs que celui du livre, resteront inférieurs à ceux que pourront pratiquer la majorité de ses concurrents. Même symbolique, la facturation de la livraison aura un effet psychologique sur le consommateur , en faisant disparaître un argument commercial majeur de la société américaine.

Le dispositif introduit par la proposition de loi ainsi modifiée, complété du « plan librairie » et d'un contrôle renforcé du respect de la législation sur le prix unique du livre, constituent des signaux indéniablement positifs en faveur les librairies.

Néanmoins, comme l'estime Olivier Babeau, professeur à l'université Paris VIII, dans sa tribune publiée dans Les Echos en date du 6 décembre dernier : « La vente en ligne en général et Amazon en particulier ont mis en évidence des faiblesses inhérentes au réseau de librairies traditionnel, notamment des délais trop longs d'acheminement et des coûts mal maîtrisés . Comme dans de nombreux secteurs, Internet a considérablement élevé la barre des attentes des consommateurs en termes de prix et de rapidité ». (...) Protégés par la loi imposant le prix unique du livre, les librairies ont peut-être eu trop tendance à négliger leurs efforts de modernisation ».

Si les librairies ne font pas l'effort nécessaire, le plan annoncé par Aurélie Filippetti, l'amélioration des contrôles grâce aux dispositifs prévus par le projet de loi relatif à la consommation, comme les dispositions de la présente proposition de loi ne feront que retarder les échéances, voire, s'agissant de l'interdiction du rabais de 5 % sur la vente en ligne, potentiellement les accélérer en permettant à Amazon d'améliorer ses marges.

Au contraire, le répit obtenu par ces mesures doit inciter les libraires à poursuivre l'effort de modernisation . Ainsi que les exhorte Olivier Babeau dans la tribune précitée : « les libraires devraient voir dans le numérique une formidable opportunité plutôt qu'une menace : leur offre peut désormais toucher, grâce aux plateformes en ligne, une zone de chalandise à l'échelle du monde » . Mais pour récolter les fruits de la révolution numérique plutôt que de la subir , une évolution des mentalités et des pratiques commerciales est nécessaire : « la librairie traditionnelle doit également savoir devenir « cross-canal », en intégrant une capacité à livrer [à domicile] des commandes réalisées en ligne. »

La mission confiée à l'IGAC en 2012 sur « la librairie indépendante et les enjeux du commerce électronique » estime toutefois que les efforts des librairies resteront vains tant qu'une réflexion ne sera pas menée sur la modernisation des canaux de distribution , afin de limiter les délais de livraison aux commerces physiques et de satisfaire, ainsi, des consommateurs de plus en plus exigeants.

De la même manière, comme l'indiquait Vincent Monadé lors de son audition devant votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication, lorsque la librairie est présente sur Internet, il est urgent que les libraires et les distributeurs réfléchissent à un nouveau mode de partage de la valeur , en cas d'envoi direct de la commande par le distributeur, afin de développer des modalités de livraison à domicile dont les délais seraient équivalents à ceux opérés par Amazon.

Votre rapporteure partage ces réflexions. Elle considère cependant que les efforts de régulation du marché par les pouvoirs publics comme de modernisation par les libraires n'auront de véritable utilité que lorsque les conditions d'une concurrence saine et équitable seront établies, c'est-à-dire lorsqu'Amazon se verra appliquer les mêmes modalités d'imposition fiscale que les autres acteurs de la chaîne du livre.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique
(art. 1er de la loi n° 81-766 du 10 août 1981
relative au prix du livre)
Encadrement des conditions de vente à distance des livres

I. Le texte initial de la proposition de loi

L'article 1 er de la loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre dispose que tout éditeur ou importateur doit fixer, pour chaque ouvrage, un prix de vente au public , tenu d'être respecté par les détaillants, quels qu'ils soient.

Toutefois, le commerçant peut appliquer à ce prix une remise maximum de 5 % , ce pourcentage pouvant être porté à 9 % pour des achats réalisés par les collectivités publiques, entreprises, bibliothèques ou encore établissements d'enseignement.

A contrario , hors les commandes d'ouvrages à l'unité non disponibles en magasin qui doivent demeurer un service gratuit au client, les détaillants peuvent proposer un produit à un prix plus élevé que celui fixé par l'éditeur ou par l'importateur, dès lors que sont facturées des prestations supplémentaires exceptionnelles à la demande de l'acheteur, dont le coût à fait l'objet d'un accord préalable.

Le flou entretenu par le texte , dont la rédaction ne pouvait prévoir l'essor du e-commerce sur le marché du livre, sur la facturation des frais de livraison , de par l'utilisation du verbe « pouvoir », laisse libre cours à la systématisation, par certaines plateformes, du double avantage offert au client , qui bénéficie de la remise légale de 5 % et de la gratuité de la livraison.

Un tel niveau de concurrence commerciale ne laisse guère d'espoir aux librairies qui souhaiteraient développer leur activité en ligne. Pire, il contribue à l'érosion du commerce physique de livres, désormais plus coûteux et d'accès moins aisé qu'un site de e-commerce délivrant, rapidement et gratuitement, toute commande à domicile.

Soucieux de rétablir, autant que faire se peut, des conditions de concurrence plus équitables entre les acteurs du marché du livre, les auteurs de la présente proposition de loi ont initialement envisagé de compléter l'article 1 er de la loi n° 81-766 du 10 août 1981 précitée par un alinéa disposant que la prestation de livraison à domicile ne peut être incluse dans le prix du livre tel que fixé par l'éditeur ou par l'importateur . Le seul avantage autorisé dans le cadre de la vente en ligne demeure ainsi le rabais de 5 %.

II. Les modifications apportées par l'Assemblée nationale

Le débat en commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale a fait montre d' un souci commun à l'ensemble des groupes politiques de soutenir les librairies indépendantes en rétablissant les conditions d'un exercice équilibré de la concurrence sur le marché du livre. Pour autant, la rédaction de l'article unique de la proposition de loi a été jugée confuse et le dispositif peu ambitieux au regard des enjeux. En conséquence, fait rare, la commission n'a pas adopté de conclusions sur le texte proposé.

Pourtant, le rapporteur et signataire de la proposition de loi, Christian Kert, proposait, par un amendement présenté en commission des affaires culturelles, d'en améliorer la rédaction. De fait, son rapport indique que « dans sa rédaction actuelle, et à la suite d'échanges que le rapporteur a eus avec les professionnels, il semble que l'article unique de la proposition de loi serait perfectible : cet article dispose que les frais de livraison ne peuvent être inclus dans le prix unique du livre. Or tel est déjà le cas dans les faits. Ces frais de livraison sont présentés à part et éventuellement offerts par le détaillant, qui peut pratiquer par ailleurs la réduction de 5 % sur le prix du livre. Il convient donc de rédiger le présent article de manière plus effective. »

L'amendement du rapporteur de l'Assemblée nationale visait, en conséquence, à supprimer la possibilité, pour le détaillant, d'offrir les frais de livraison dans le cas où le livre est remis à domicile . À cet effet, un nouvel alinéa était ajouté à l'article 1 er de la loi du 10 août 1981 précisant que « le coût de la livraison à domicile, à l'adresse choisie par l'acheteur, est ajouté par le détaillant au prix effectif de vente au public. »

En l'absence de conclusion de la commission des affaires culturelles, le texte initial de la proposition de loi a été discuté en séance publique et ce même amendement représenté à cette occasion.

Un amendement présenté par le Gouvernement lui faisant concurrence, il n'a cependant, au terme d'un long débat, pas été adopté . La rédaction gouvernementale, finalement retenue pour l'article unique de la proposition de loi, a pour objectif, en complétant le quatrième alinéa de l'article 1 er de la loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre, d' interdire le cumul des deux avantages commerciaux que sont le rabais de 5 % et la gratuité des frais de port, générosité dont seuls Amazon et, dans une moindre mesure, la Fnac peuvent se permettre de faire état.

Sur le fond, le soutien du Gouvernement à l'esprit de la proposition de loi constitue la traduction logique des propos tenus par Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication, lors des rencontres nationales de la librairie, qui se sont tenues à Bordeaux en juin dernier : « la question de la gratuité des frais de port offerte par les sites de commerce en ligne, en supplément du rabais de 5 %, me semble désormais devoir être interrogée. C'est une mesure qui ne fait pas consensus, mais elle permettrait de faire respecter la lettre et l'esprit de la loi de 1981 car le livre est souvent utilisé par ces sites comme un produit d'appel pour d'autres ventes et d'autres produits. Je vois également dans l'encadrement de cette pratique un élément non négligeable pour rétablir des conditions de concurrence qui soient équitables . »

Ainsi, les livres commandés en ligne, dès lors qu'ils ne seront pas retirés dans un commerce de vente au détail de livres, ne pourront plus bénéficier de la ristourne légale. Ce dispositif permettra aux libraires qui le peuvent et qui le souhaitent de proposer des livres moins chers en vente physique.

En revanche, il n'est plus question , dans cette version du texte, d'interdire la gratuité des frais de port mais d'offrir la possibilité aux plateformes de vente en ligne d'appliquer, sur ces frais, dont elles fixent elles-mêmes le tarif, une réduction équivalant à 5 % du prix du livre acquis dans le cadre de la transaction.

La proposition de loi a donc été transmise au Sénat dans sa rédaction issue de l'amendement gouvernemental, voté à l'unanimité par l'Assemblée nationale au cours de sa séance du 3 octobre 2013.

III. La position de votre commission

Le texte de la proposition de loi issu des travaux de l'Assemblée nationale répond, pour partie, à l'urgence de rétablir des conditions plus équitables d'exercice de la concurrence sur le marché du livre. Désormais, tout libraire physique souhaitant appliquer un rabais de 5 % en faveur de ses clients s'en trouvera automatiquement moins disant que les offres proposées en ligne. Par ailleurs, s'agissant du seul e-commerce, la concurrence entre sites ne pourra plus porter que sur les frais de livraison , évitant ainsi une atrophie des marges par l'application quasi systématique de la ristourne de 5 %.

En revanche, le dispositif demeure incomplet pour ce qui concerne les frais de port, dont il n'est plus fait mention de la facturation . En conséquence, Amazon, voire la Fnac, pourront continuer à proposer un service de livraison gratuit, asphyxiant une concurrence qui ne pourrait appliquer de tels avantages.

Certes, le principe de la liberté du commerce comme l'impossibilité de mettre en place un contrôle efficace interdisent toute fixation unilatérale et autoritaire d'un niveau plancher de frais de port. Mais l'interdiction de la gratuité de ceux-ci permettrait à tout le moins de supprimer l'argument commercial du « zéro frais de port » affiché par certaines plateformes et d'offrir l'espoir que le consommateur s'oriente vers d'autres sites de vente de livres.

Il n'en demeure pas moins qu'en réalité, les plateformes les plus puissantes continueront à afficher des frais de livraison bien inférieurs à ce que proposera une petite librairie en ligne . De fait, comme l'ont indiqué à votre rapporteure les responsables de DHL et de La Poste lors de leur audition, les frais de port appliqués sont fonction des quantités transportées et du poids des colis . En outre, lorsqu'ils sont facturés au client, ils intègrent généralement une partie des coûts logistiques . Au final, il est donc particulièrement difficile de connaître avec précision le prix exact d'une livraison pour tel ou tel opérateur .

Les quantités très importantes transportées pour Amazon laissent à penser que les prix négociés avec les logisticiens sont singulièrement inférieurs à ceux consentis aux libraires indépendants. En outre, l'entreprise a convenu avec La Poste qu'elle acheminerait elle-même les colis aux centres de tri, ce qui lui permet d'économiser les coûts facturés par La Poste pour le travail de préparation et de transport des marchandises à partir des bureaux de poste. Au final, les frais de port ainsi facturés seraient probablement de l'ordre du symbolique.

Nonobstant cette inégalité, inhérente au principe d'un marché concurrentiel, votre rapporteure estime que l'interdiction de la gratuité de la livraison aura , à tout le moins, un effet psychologique sur le consommateur , dont il convient de ne pas méconnaître les conséquences positives, si modiques seront-elles, sur le rééquilibrage de l'environnement concurrentiel du marché du livre en ligne.

Elle a, par conséquent, proposé à votre commission de compléter , par voie d'amendement, le dispositif proposé par le présent article, afin d'indiquer que le service de livraison ne peut être offert à titre gratuit , dès lors que la commande n'est pas remise en magasin.

Dès lors, toute commande de livre réalisée en ligne devra faire l'objet d'une facturation du service de livraison à domicile , y compris lorsque cette commande est intégrée à un panier comprenant d'autres produits. Dans ce cas, elle devra donc se voir appliquer une facturation différenciée.

*

* *

Votre commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.

EXAMEN EN COMMISSION

_______

MERCREDI 18 DÉCEMBRE

Mme Bariza Khiari , rapporteure . - Le livre, objet culturel par excellence, fait traditionnellement l'objet, en France, d'une attention toute particulière des pouvoirs publics. Soutenu financièrement, mais surtout encadré normativement, le marché du livre se maintient tant bien que mal, dans un contexte où les industries culturelles souffrent sans exception de la révolution numérique.

En effet, la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre, celle du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique, mais également l'application d'un taux réduit de TVA sur les livres imprimés et homothétiques constituent le socle sur lequel s'est développé et modernisé l'ensemble de la chaîne du livre et grâce auquel a survécu un réseau de librairies indépendantes dense et de qualité.

Signe de l'intérêt non démenti des Français, y compris des plus jeunes, pour la lecture, la fréquentation du Salon du livre de Paris comme celle du Salon du livre jeunesse de Montreuil ne cesse de croître.

Ce satisfecit ne doit toutefois pas masquer les difficultés, parfois considérables, que rencontrent les libraires depuis l'arrivée, sur le marché, des plateformes de vente de livres en ligne et spécialement d'un concurrent hors du commun de par sa puissance financière et l'agressivité de sa stratégie commerciale : Amazon.

En effet, implantée au Luxembourg, la société n'est imposée qu'à la marge à l'impôt sur les sociétés et, s'agissant des livres numériques, bénéficie d'un taux de TVA particulièrement bas.

Si le livre, produit refuge extrêmement valorisé socialement, a longtemps été épargné par la crise, la situation devient inquiétante, particulièrement depuis le mois de septembre dernier. 2012 et 2013 ont ainsi vu la chute de maisons bien connues - Virgin et Chapitre - et la fermeture de nombre de petits détaillants. En novembre, les ventes de livres en commerce physique enregistrent une diminution de 10 % par rapport à l'année 2012. Désormais, la vente en ligne représente l'unique segment dynamique de l'économie du livre ; Amazon détient 70 % de parts de ce marché.

Le soutien public aux librairies doit donc franchir une étape supplémentaire, intégrant les conséquences, sur le commerce physique, de cette nouvelle forme de concurrence. Déjà, lors de la première lecture du projet de loi relatif à la consommation par le Sénat, le Gouvernement a introduit, cet automne, un dispositif de contrôle et de règlement amiable des contentieux de la législation applicable au prix unique du livre, grâce à la création d'un médiateur et à l'assermentation d'agents du ministère de la culture et de la communication. Annoncé en juin dernier par la ministre de la culture et de la communication, le « plan librairie » offrira en outre, dès 2014, de nouvelles modalités de soutien aux commerces en difficulté et favorisera la transmission des fonds de commerce.

Afin de compléter ces dispositifs favorables aux librairies, la présente proposition de loi tendant à encadrer les conditions de la vente à distance des livres vise à renforcer l'environnement normatif du marché du livre.

L'article 1 er de la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre dispose que tout éditeur ou importateur doit fixer, pour chaque ouvrage, un prix de vente au public, tenu d'être respecté par les détaillants, quels qu'ils soient.

Toutefois, le commerçant peut appliquer à ce prix une remise maximum de 5 %, ce pourcentage pouvant être porté à 9 % pour des achats réalisés par les collectivités publiques, entreprises, bibliothèques ou encore établissements d'enseignement.

A contrario , hors les commandes d'ouvrages à l'unité non disponibles en magasin qui doivent demeurer un service gratuit au client, les détaillants peuvent proposer un produit à un prix plus élevé que celui fixé par l'éditeur ou par l'importateur, dès lors que sont facturées des prestations supplémentaires exceptionnelles à la demande de l'acheteur, dont le coût a fait l'objet d'un accord préalable.

Les rédacteurs ne pouvant prévoir l'essor du e-commerce sur le marché du livre, le flou entretenu par le texte sur la facturation des frais de livraison laisse donc libre cours à la systématisation, par certaines plateformes, du double avantage offert au client, qui bénéficie de la remise légale de 5 % et de la gratuité de la livraison.

Un tel niveau de concurrence commerciale ne laisse guère d'espoir aux librairies qui souhaiteraient développer leur activité en ligne. Pire, il contribue à l'érosion du commerce physique de livres, désormais plus coûteux et d'accès moins aisé qu'un site de e-commerce délivrant, rapidement et gratuitement, toute commande à domicile.

Soucieux de rétablir, autant que faire se peut, des conditions de concurrence plus équitables entre les acteurs du marché du livre, les auteurs de la présente proposition de loi ont initialement envisagé de compléter l'article 1 er de la loi du 10 août 1981 précitée par un alinéa disposant que la prestation de livraison à domicile ne peut être incluse dans le prix du livre tel que fixé par l'éditeur ou par l'importateur. Le seul avantage autorisé dans le cadre de la vente en ligne demeurerait alors le rabais de 5 %.

Le débat en commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale a fait montre d'un souci commun à l'ensemble des groupes politiques de soutenir les librairies face à la concurrence des sites de vente en ligne. Pour autant, la rédaction de l'article unique de la proposition de loi a été jugée confuse et le dispositif peu ambitieux au regard des enjeux. En conséquence, fait rare, la commission n'a pas adopté de conclusions sur le texte proposé.

En l'absence de conclusion de la commission des affaires culturelles, le texte initial de la proposition de loi a été discuté en séance publique. Il a cependant été intégralement modifié par un amendement gouvernemental.

La rédaction finalement retenue pour l'article unique de la proposition de loi a pour objectif, en complétant le quatrième alinéa de l'article 1 er de la loi du 10 août 1981, d'interdire le cumul des deux avantages commerciaux que sont le rabais de 5 % et la gratuité des frais de port.

Le soutien du Gouvernement à l'esprit de la proposition de loi constitue la traduction logique des propos tenus par Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication, qui avait estimé, lors des rencontres nationales de la librairie en juin dernier, que la suppression du double avantage commercial sur les ventes de livres en ligne permettrait de faire respecter la lettre et l'esprit de la loi de 1981, dans la mesure où le livre est utilisé par ces sites comme un produit d'appel pour écouler d'autres produits, et de rétablir des conditions de concurrence équitables.

Ainsi, les livres commandés en ligne, dès lors qu'ils ne seront pas retirés dans un commerce de vente au détail de livres, ne pourront plus bénéficier de la ristourne légale. Ce dispositif permettra donc aux libraires qui le peuvent et qui le souhaitent de proposer des livres moins chers en vente physique. Par ailleurs, s'agissant du seul e-commerce, la concurrence entre sites ne pourra plus porter que sur les frais de livraison, évitant ainsi une atrophie des marges par l'application quasi systématique de la ristourne de 5 %.

En revanche, il n'est plus question, dans cette version du texte, d'interdire la gratuité des frais de port mais d'offrir la possibilité aux plateformes de vente en ligne d'appliquer, sur ces frais, dont elles fixent elles-mêmes le tarif, une réduction équivalant à 5 % du prix du livre acquis dans le cadre de la transaction.

La proposition de loi, votée à l'unanimité par l'Assemblée nationale au cours de sa séance du 3 octobre 2013, a été transmise au Sénat dans sa rédaction issue de l'amendement gouvernemental.

Le dispositif prévu demeure, à mon sens, incomplet pour ce qui concerne les frais de port, dont il n'est plus fait mention de la facturation. De fait, certains opérateurs pourront continuer à proposer un service de livraison gratuit, asphyxiant une concurrence qui ne pourrait appliquer de tels avantages.

Certes, le principe de la liberté du commerce comme l'impossibilité de mettre en place un contrôle efficace interdisent toute fixation unilatérale et autoritaire d'un niveau plancher de frais de port, mais également l'établissement de ces frais à leur coût de revient.

Mais, l'interdiction de la gratuité de la livraison aura un effet psychologique sur le consommateur, dont il convient de ne pas méconnaître les conséquences positives, si modiques seront-elles, sur le rééquilibrage de l'environnement concurrentiel du marché du livre en ligne.

Il n'en demeure pas moins qu'en réalité, les plateformes les plus puissantes continueront toutefois à afficher des frais de livraison inférieurs à ceux que proposera une petite librairie en ligne. En effet, les quantités très importantes transportées pour les sites de e-commerce laissent à penser que les prix négociés avec les logisticiens sont singulièrement inférieurs à ceux consentis aux libraires indépendants. En conséquence, les frais de port ainsi facturés seront probablement de l'ordre du symbolique.

C'est le sens de l'amendement que je vous propose d'adopter, mes chers collègues, afin d'indiquer que le service de livraison ne peut être offert à titre gratuit, dès lors que la commande n'est pas remise en magasin.

Le dispositif introduit par la proposition de loi ainsi modifiée, complété du « plan librairie » et d'un contrôle renforcé du respect de la législation sur le prix unique du livre, constituent des signaux indéniablement positifs en faveur les librairies.

Néanmoins, ces mesures ne seront véritablement efficaces que si les libraires utilisent ce répit pour poursuivre leurs efforts de modernisation, notamment en matière de délais d'acheminement, de livraison à domicile et de maîtrise des coûts. Il s'agit pour elles de se donner ainsi les moyens de satisfaire des consommateurs de plus en plus exigeants.

Au-delà, j'estime que les efforts de régulation du marché par les pouvoirs publics comme de modernisation par les libraires n'auront de véritable utilité que lorsque les conditions d'une concurrence saine et équitable seront établies, c'est-à-dire lorsqu'Amazon se verra appliquer les mêmes modalités d'imposition fiscale que les autres acteurs de la chaîne du livre.

En conclusion, je vous propose, mes chers collègues, d'adopter la proposition de loi dans la rédaction modifiée par l'amendement que je viens de vous présenter.

Mme Marie-Christine Blandin , présidente . - Quelle gymnastique arithmétique ! Comme nous ne sommes pas à l'abri de voir émerger un nouveau major de la vente en ligne, je vous suggère donc de viser dans votre rapport, au-delà d'Amazon, « les librairies exclusivement en ligne ».

M. Vincent Eblé . - Comme il ne s'agit pas de librairies à proprement parler, il serait préférable de viser les « plateformes de vente de livres exclusivement en ligne ».

Mme Marie-Christine Blandin , présidente . - Nous ciblons, en réalité, les acteurs de la chaîne du livre qui échappent à la fiscalité française.

Mme Sophie Primas . - Effectivement. C'est la raison pour laquelle il faudrait légiférer avec plus d'ambition.

Mme Marie-Christine Blandin , présidente . - Nous ne pouvons légiférer que pour la France, vous ne l'ignorez pas.

M. Jacques Legendre . - Cette proposition de loi, déposée par les députés UMP, montre l'unanimité de vue de tous les groupes politiques en faveur des librairies physiques. Le rapport présenté par notre collègue Bariza Khiari poursuit un objectif identique.

Cependant, tous nos concitoyens n'habitant pas dans un périmètre proche d'une librairie, ils auront toujours intérêt, en raison des coûts de transport à acheter leur livre sur Internet, même à prix légèrement supérieur. Avec votre amendement, on privera seulement Amazon de son argument publicitaire sur la gratuité des livraisons.

D'une façon plus générale, pourquoi ne pas inclure les livres dans la réflexion actuellement menée sur les aides au portage des journaux à domicile ?

M. David Assouline . - Nous pouvons tous partager la remarque de notre collègue Jacques Legendre, critique quant à l'efficacité de la proposition de loi de l'UMP.

Il faudra mener le combat du livre au niveau européen, afin d'harmoniser la TVA et la fiscalité qui pèsent sur ces grands groupes. Le client, quant à lui, consomme en fonction des prix et des services proposés. Alors que le commerce en ligne est en train de bouleverser les habitudes, il importe de créer des mécanismes de pondération pour éviter la concurrence sauvage. Comme notre présidente, j'estime qu'il ne faut pas trop ostensiblement cibler Amazon car d'autres, demain, pourront se lancer dans cette activité.

M. Vincent Eblé . - La polémique sur la paternité de ce dispositif n'a pas lieu d'être, même si la proposition de loi initiale était insuffisante. Nous avons tous été saisis par les libraires indépendants et Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication, a évoqué cette préoccupation à diverses reprises. Le plan de sauvetage de la librairie indépendante intègre des aides de trésorerie, conforte les moyens du Centre national du livre (CNL), crée un médiateur du livre pour régler les litiges, assermente les agents du ministère de la culture et de la communication qui pourront faire respecter la loi de 1981.

Je soutiens l'amendement de notre collègue Bariza Khiari, mais il ne modifiera pas fondamentalement le prix du livre, puisque nous pouvons seulement interdire la gratuité totale des frais de port. Cela étant, l'effet psychologique sera important, car la gratuité constitue un argument publicitaire majeur.

Les libraires ne se bornent pas à vendre des livres : ils assurent une présence culturelle dans nos territoires et assurent la diversité de la production éditoriale.

Mme Marie-Annick Duchêne . - Quelles seront les conséquences du dispositif proposé pour la FNAC, qui livre gratuitement des livres, elle aussi ?

Mme Dominique Gillot . - Cette proposition de loi est un acte législatif symbolique : nous ne voulons pas laisser s'éteindre une activité intellectuelle, sociale, culturelle éminemment créatrice de lien. Même si je doute de la réelle efficacité du dispositif sur tous les publics, je voterai en faveur du texte, afin que les opérateurs de vente en ligne de livres ne se permettent pas d'agir sans régulation. Le progrès, dans le domaine culturel, c'est aussi penser à la valeur ajoutée des liens et des contacts humains.

Mme Sophie Primas . - Merci à notre collègue Bariza Khiari pour son exposé. À mon sens, tout ce qui tend à une diffusion plus économique et plus large du livre est utile. Or, tous les Français n'ont pas de librairie proche de leur domicile. La vente en ligne constitue une chance pour la culture et le livre.

Attachée au commerce de proximité, je constate depuis de longues années que les dispositifs destinés à leur venir en aide ont produit l'effet inverse à celui attendu. Lorsque le petit commerce redevient dynamique, c'est grâce aux commerçants eux-mêmes. Bien sûr, il faut sauver les librairies en centre-ville, comme les opticiens et les pharmaciens. Mais le prix de vente n'est pas forcément déterminant.

Amazon, entreprise de logistique, développe son activité en France. Mais peut-on parler de « cannibalisation », ou les achats sur Amazon sont-ils le fait de nouveaux lecteurs ? Peut-être Amazon soutient-il la vente des livres. Peut-on lui reprocher sa performance ? Je crains que notre combat s'apparente à celui que nous avons eu avec La Poste, à tenter de sauver le courrier concurrencé par les courriels. Je voterai malgré tout cette proposition de loi, mais elle ne règlera pas les difficultés des libraires.

Mme Corinne Bouchoux . - Je ne comprends pas la recherche de paternité de ce texte. Je suis heureuse que l'UMP dépose une proposition de loi enrichie par l'Assemblée nationale et le Gouvernement. Nous la voterons car elle défend les libraires, qui se situent à l'opposé du modèle Amazon, lequel pousse le fordisme à son extrême. Regardez les conditions de travail qui règnent dans ses entrepôts : froid, travail de nuit, cadences infernales, tout cela me choque ! Le texte va au-delà d'une mesure symbolique, car nous soutenons un modèle culturel qui valorise le métier, le conseil, le lien citoyen et les circuits courts de distribution. Il est prouvé que les clients qui commandent une fois sur Amazon ne reviennent pas en arrière. Un nouveau modèle se met en place.

M. Pierre Laurent . - Nous voterons ce texte qui répond à l'attente des librairies indépendantes et qui conforte la législation sur le prix unique. Les forces du marché continueront à attaquer la loi protectrice de 1981 ; que la concurrence ait libre cours, et les vainqueurs seront les entreprises les plus puissantes. Avec cette proposition de loi, nous défendons un modèle culturel car une librairie n'est pas seulement un point d'achat, mais également un point d'accès à la culture, un lieu de dialogue et de diversité. Des stratégies industrielles globales attaquent le marché culturel en France, en Europe et dans le monde. Celle d'Amazon passe aussi par le dumping salarial et nous devrions, dans les aides que nous distribuons, être plus sélectifs. Il serait notamment opportun d'éviter qu'Amazon ne bénéficie du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) ! Les collectivités territoriales devraient par ailleurs se garder d'accorder des subventions aux entrepôts d'Amazon, qui les sollicite en invoquant les créations d'emplois.

Mme Françoise Cartron . - Nous avons besoin d'une analyse globale sur la place du livre dans notre culture et notre société. Le système qui s'installe est très agressif, or il atteint malheureusement ses objectifs. Nous voulons que nos concitoyens retrouvent le chemin des librairies, hélas les services en ligne s'imposent progressivement. Pourtant, le livre n'est pas un objet de consommation comme les autres. Les librairies indépendantes sont souvent soutenues financièrement par les collectivités territoriales, mais beaucoup n'en sont pas moins en difficulté. Ce texte, même vertueux, ne leur redonnera sans doute pas l'oxygène nécessaire. Heureusement, le prix unique du livre est en vigueur : il n'existait pas pour les disques et tous les disquaires ont disparu.

Mme Colette Mélot . - Nos concitoyens doivent avoir accès à la culture et, à cet effet, les librairies indépendantes doivent vivre. Un sujet n'a pas été abordé : que se passera-t-il lorsqu'on commandera dans une librairie un livre qui sera ensuite livré à domicile ? Le port sera-t-il payant ou gratuit ?

Mme Bariza Khiari , rapporteure . - Deux principes ont guidé notre travail, monsieur Legendre : le maintien de la diversité culturelle et le maillage du territoire par un réseau de libraires indépendants. Je ne propose pas une révolution copernicienne : la mesure est limitée ; elle aura un impact essentiellement psychologique. Les grands groupes ne pourront plus afficher des frais de port gratuits. Or, c'est aujourd'hui un élément important de leur stratégie commerciale. Le modèle économique d'Amazon est basé sur la gratuité des frais de port, mais, une fois les concurrents éliminés, Amazon les réintroduira. Cette entreprise n'applique d'ailleurs pas la gratuité dans les pays qui n'ont pas de prix unique du livre. Le maintien de la concurrence concerne toute la filière, y compris les éditeurs car Amazon commence à éditer directement des livres numériques.

La proposition de loi offre un répit afin que les libraires organisent la livraison à domicile. Actuellement, le délai de livraison entre l'éditeur et le libraire est trop long. Un effort doit être fait pour le réduire. La livraison par les messageries de presse est une piste à explorer, vous avez raison, monsieur Legendre.

En réponse aux remarques de notre présidente et de David Assouline, je constate qu'il est difficile de ne pas nommer l'entreprise qui est seule sur son créneau. Amazon est d'ailleurs déjà citée dans plusieurs rapports, de même que Facebook, Google ou Apple l'ont été lors de nos débats sur la fiscalité du numérique. Mais nous tâcherons d'être créatifs afin de n'exclure aucun opérateur existant ou à venir.

Les distorsions de concurrence existent. Je ne le nie pas. Nous proposons d'améliorer le texte en y introduisant l'interdiction de la gratuité des frais de port. En outre, la proposition de loi n'est qu'un maillon du plan plus vaste de soutien à la librairie, comme le mentionnait M. Eblé. Je vous renvoie au rapport du président du CNL : 11 millions d'euros de subventions supplémentaires en faveur du livre sont prévues dont 4 pour la transmission des entreprises et 5 d'aides à la trésorerie.

La FNAC profitera de ce dispositif, madame Duchêne, car, à la différence d'Amazon, elle dispose de magasins physiques.

Je suis sensible aux observations de Mme Gillot sur la valeur ajoutée d'un contact humain. Les libraires jouent un rôle extraordinaire d'ouverture à la culture.

Si, en revanche, je devais résumer les propos de notre collègue Sophie Primas, je dirais : « Encore 6 mois, monsieur le bourreau !». Tout est perdu, fors l'honneur ?

Mme Sophie Primas . - Non, je dis simplement que les libraires doivent intégrer la transformation des modes de lecture. Aujourd'hui, Amazon est plus efficace et adopte des méthodes critiquables mais les libraires doivent aussi se remettre en cause.

Mme Bariza Khiari . - Le rapport insiste sur la modernisation que les libraires doivent réaliser.

Mme Primas s'interrogeait sur la « cannibalisation » du marché du livre par Amazon : en effet, les librairies réalisaient 30 % des ventes de livres en 2003 et seulement 24 % en 2011. Dans le même temps, le nombre de livres vendus et le nombre de lecteurs n'ont pas augmenté. Amazon gagne donc des parts de marché aux dépens des librairies physiques. En revanche, Amazon n'est pas particulièrement facteur de vulgarisation de la lecture : on constate que le site est très utilisé à Paris, où la densité de librairies est la plus forte, par des catégories socio-professionnelles aisées et déjà lectrices. Sa performance économique est aussi liée aux avantages fiscaux dont elle bénéficie. Je partage vos critiques sur les conditions de travail des salariés d'Amazon. Je mentionne dans mon rapport un ouvrage intitulé En Amazonie : infiltré dans « le meilleur des mondes » , écrit par un journaliste qui s'est fait embaucher comme intérimaire dans un entrepôt. Il y témoigne des cadences infernales et du climat social détestable dans l'entreprise. Les emplois amazoniens sont bien différents des emplois en librairies, qui sont dix-huit fois plus nombreux.

La remise en cause des acquis législatifs est constante. Nous avons bien résisté pour l'instant aux attaques contre le prix unique. Le principe en a été à plusieurs reprises conforté par les autorités européennes. D'autres pays ont d'ailleurs adopté un dispositif similaire. Il reste le fil conducteur de notre politique depuis 1981. Nous discuterons plus largement du financement des industries culturelles face aux géants d'Internet au moment de l'examen du projet de loi sur la création, qui devrait être adopté par le Conseil des ministres en février prochain.

La présente proposition de loi représente l'effort maximum que nous pouvons consentir en faveur des libraires en agissant sur la loi de 1981. En effet, Amazon achète du cubage, ce qui lui permet de négocier de faibles coûts de livraison auprès des logisticiens. Pour ce site de vente en ligne, le livre est un produit d'appel, qui présente de nombreux avantages : pas de tailles ou coloris différents, un emballage facile, des retours inexistants. Pour le prix des frais de port qu'elle offre, l'entreprise constitue un fichier de clients qui lui coûterait bien plus cher si elle devait l'acheter. Les clients sont « profilés ». J'en ai fait l'expérience : j'ai acheté un livre sur le site, depuis lors, je reçois sans cesse des propositions culturelles.

Il nous faudra agir sur la fiscalité. Notre apport ici est limité, je le répète, mais psychologiquement puissant. Madame Mélot, pour la commande en librairie, la loi de 1981 laisse au libraire la possibilité de choisir de facturer ou non la livraison.

Je vous remercie de votre soutien à l'amendement et au texte. Nous partageons tous la volonté de sauver les librairies.

L'amendement n° COM-1 est adopté.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

M. Vincent CHABAULT, maître de conférences en sociologie à l'Université Paris Descartes, membre du Cerlis (Centre de recherche sur les liens sociaux, CNRS)

Syndicat de la librairie française (SLF)

MM. Mathieu DE MONTCHALIN, président, et Guillaume HUSSON, délégué général

Ministère de la culture et de la communication

Cabinet : Mme Clarisse MAZOYER, conseillère en charge de la presse, du livre et de la lecture, de la langue française et des langues de France, et de la culture scientifique

Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) : M. Nicolas GEORGES, directeur adjoint, chargé du livre et de la lecture,

Deutsche Post Global Mail France

M. Thierry KLOPP, président-directeur général

FNAC

Mmes Frédérique GIAVARINI, directrice de l'organisation, de la stratégie et des affaires publiques, et Aurélie ANDRIEUX-BONNEAU, responsable des relations institutionnelles

Centre national du livre (CNL)

M. Vincent MONADÉ, président

ColiPoste : M. François COPIGNEAUX, directeur général et Groupe La Poste : M. Marc-André FEFFER, directeur général adjoint, chargé de la stratégie, du développement, des affaires internationales et juridiques et de la régulation

Amazon

M. Andrew CECIL, directeur des affaires publiques Europe, et M. Etienne BODARD


* 1 Etude Xerfi - 2013.

* 2 http://senat.fr/rap/a12-291/a12-291.html

* 3 Chiffrage réalisé en 2009 pour la commission des finances du Sénat par le cabinet Greenwich Consulting.

* 4 En 2012, les frais de port ont représenté pour Amazon, au niveau international et pour l'ensemble des produits, un coût de 5,1 milliards de dollars. Su ce coût global, les frais de port refacturés aux clients n'ont représenté que 2,3 milliards de dollars, soit une perte de plus de 2,8 milliards de dollars. Les projections pour 2013 laissent supposer que cette perte dépassera les 3 milliards de dollars.

* 5 Selon Vincent Chabault, maître de conférences en sociologie à l'Université Paris Descartes auditionné par votre rapporteure, les remises accordées à Amazon par les éditeurs s'établiraient entre 40 et 45 % contre 30 à 35 % pour les librairies.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page