II. RÉFORMER LE CODE CIVIL PAR ORDONNANCES ?

Le projet de loi soumis à votre examen présente une particularité par rapport à d'autres projets de loi d'habilitation, parce que l'une des habilitations sollicitées se distingue des autres. Il s'agit de celle prévue à l'article 3, qui vise la réforme des titres III et IV (hors responsabilité) du livre III du code civil, consacrés au droit des contrats et des obligations.

Le Gouvernement a soumis à votre rapporteur le texte de l'avant-projet, nourri des contributions successives, des deux avant-projets universitaires qui l'ont précédés, celui du groupe de travail réuni autour de Pierre Catala 10 ( * ) , et celui du groupe de travail de l'académie des sciences morales et politiques réuni autour de François Terré 11 ( * ) .

Par son ampleur (près de 300 articles), comme par ses répercussions éventuelles - le droit des contrats et des obligations est la source de nombreux autres droits, comme ceux des affaires et de la consommation - le présent projet de réforme est le plus ambitieux depuis la création du code civil .

Une telle réforme peut-elle être conduite par voie d'ordonnance ? L'enjeu mérite la réflexion : l'urgence de la réforme est reconnue par tous, mais son importance commande de la soumettre au Parlement.

A. L'URGENCE D'UNE RÉFORME DU DROIT CIVIL DES CONTRATS ET DES OBLIGATIONS

Trois arguments présentés par le Gouvernement plaident en faveur une réforme conduite rapidement.

1. La nécessaire modernisation du droit français des obligations et des contrats

Le droit français des obligations n'a pas connu de réforme d'ampleur depuis la création du code civil en 1804.

Sa nature conceptuelle et la qualité de son écriture, lui ont permis d'absorber, grâce à l'oeuvre de la jurisprudence, les innovations et les bouleversements économiques qu'a connus la France depuis deux siècles.

Or, comme l'ont souligné les professeurs de droit entendus par votre rapporteur, l'exercice atteint toutefois ses limites.

Quelle que soit sa qualité, la jurisprudence n'a pas la légitimité de la loi. Or certains choix, tranchés par le juge dans le silence des textes, devraient revenir au législateur.

La jurisprudence évolue chaotiquement, voire se contredit, ce qui nuit à la prévisibilité et à la lisibilité du droit. Le code civil ne rassemble plus aujourd'hui les principales règles du droit des contrats.

Des aspects importants du droit des contrats modernes ne sont tout simplement pas traités par le droit français, comme la période précontractuelle, qui méritent codification.

Selon la formule employée par le professeur Denis Mazeaud, lors de son audition par votre rapporteur, il est aujourd'hui nécessaire de réconcilier le droit des obligations et des contrats avec le code civil, car ce droit n'est pas dans ce code.

2. L'intérêt économique d'un droit modernisé

Le Gouvernement fait aussi valoir qu'un droit modernisé favoriserait la compétitivité de l'économie française, en apportant lisibilité et prévisibilité aux relations juridiques, supports des échanges économiques.

En outre, un tel droit garantirait le développement de nouveaux instruments juridiques, comme la cession de dettes, ainsi que la sécurité des relations contractuelles, en améliorant les remèdes apportés à l'inexécution des contrats, qui constitue aujourd'hui une des grandes faiblesses du droit français.

3. L'attractivité du modèle français du droit civil, par rapport aux modèles étrangers, déjà modernisés

La plupart des grands pays ou États fédérés de droit civil ont déjà réformé leur droit des obligations, à l'occasion de réformes complètes du droit civil ou de réformes particulières du droit des contrats.

Il en va ainsi de l'Allemagne (en 2002), du Brésil (en 2002), du Québec (en 1991) ou du Portugal (en 1996). L'Espagne a engagé une réforme complète de son code civil en 2012, avec une vaste consultation populaire préalable.

Cela fait maintenant plus de dix ans que le Gouvernement travaille, en France, à une telle réforme, sans qu'elle ait abouti, en dépit de contributions universitaires de très grande qualité 12 ( * ) .

Parallèlement des discussions doctrinales sont engagées, au niveau européen ou international, pour esquisser les principes de référence pour le droit des contrats : les principes Unidroit, élaborés par l'institut international pour l'unification du droit privé, publiés en 1994 et 2004, les principes du droit européen des contrats rédigé par la commission pour le droit européen des contrats, dite « commission Lando », de 1995 à 2003, le projet de code européen des contrat, dit « code Gandolfi », publié en 2000, le projet de cadre commun de référence, qui couvre tout le droit privé, et a été remis à la Commission européenne en 2008, ou, enfin, les principes contractuels communs élaborés par la société de législation comparée et l'association Henri Capitant des amis de la pensée juridique français, publiés en 2008.

Un droit modernisé serait un gage de compétitivité du droit français, pour s'exporter ou influencer la définition de ces cadres communs.

Au cours de ses auditions, votre rapporteur a pu observer que le constat de l'utilité et de l'urgence de la réforme faisait ainsi l'objet d'un très large consensus. Il relève, toutefois, que ce constat ne dit rien de la question de l'ordonnance : le Gouvernement présente celle-ci comme une voie légitime en la matière, et la seule envisageable pour aboutir rapidement. Or de solides arguments contredisent ce présupposé.


* 10 Pierre Catala (dir.), Rapport sur l'avant-projet de réforme du droit des obligations (articles 1101 à 1386 du code civil) et du droit de la prescription (articles 2234 à 2281 du code civil) , La documentation française, 2005.

* 11 Trois ouvrages sont parus sous la direction de François Terré : Pour une réforme du droit des contrats , Dalloz, 2008 ; Pour une réforme du droit de la responsabilité civile , Dalloz, 2011 ; Pour une réforme du régime général des obligations , Dalloz, 2013.

* 12 Cf. supra, les travaux des groupes académiques réunis autour de Pierre Catala d'une part, et François Terré d'autre part.

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