Rapport n° 398 (2013-2014) de M. François MARC , fait au nom de la commission des finances, déposé le 26 février 2014

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N° 398

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 26 février 2014

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la proposition de résolution présentée par M. Richard YUNG au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur le Mécanisme de résolution unique : nouvelle étape de l' Union bancaire ,

Par M. François MARC,

Sénateur

et TEXTE DE LA COMMISSION

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Marini , président ; M. François Marc , rapporteur général ; Mme Michèle André , première vice-présidente ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Jean-Pierre Caffet, Yvon Collin, Jean-Claude Frécon, Mmes Fabienne Keller, Frédérique Espagnac, MM. Albéric de Montgolfier, Aymeri de Montesquiou, Roland du Luart , vice-présidents ; MM. Philippe Dallier, Jean Germain, Claude Haut, François Trucy , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Jean Arthuis, Claude Belot, Michel Berson, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Joël Bourdin, Christian Bourquin, Jacques Chiron, Serge Dassault, Vincent Delahaye, Francis Delattre, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Éric Doligé, Philippe Dominati, Jean-Paul Emorine, André Ferrand, François Fortassin, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Charles Guené, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Roger Karoutchi, Yves Krattinger, Dominique de Legge, Gérard Miquel, Georges Patient, François Patriat, Jean-Vincent Placé, François Rebsamen, Jean-Marc Todeschini, Richard Yung .

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

389 (2013-2014)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES FINANCES

Réunie le 26 février 2014, sous la présidence de M. Philippe Marini, président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de M. François Marc, rapporteur général, sur la proposition de résolution européenne n° 389 (2013-2014) , présentée par Richard Yung au nom de la commission des affaires européennes, sur le Mécanisme de résolution unique : nouvelle étape de l'union bancaire.

Le mécanisme de résolution unique (MRU) constitue le deuxième pilier de l'union bancaire, lancée en juin 2012 et visant à instaurer une régulation unique du système bancaire de la zone euro sous l'égide de la Banque centrale européenne . Alors que le mécanisme de surveillance unique (MSU), adopté en 2013, a immédiatement lancé, pour l'année 2014, une revue générale de la qualité des actifs bancaires, il est aujourd'hui nécessaire de le compléter par un mécanisme capable d'organiser et de financer, à l'échelle de la zone euro, la restructuration des banques en crise afin de réduire au maximum le recours au contribuable public et couper le lien entre difficultés bancaires et difficultés budgétaires des Etats membres.

La commission des finances a partagé l'objectif, affiché par la proposition de résolution, d'un dispositif ambitieux, avec des modalités de décisions simplifiées et une mutualisation des ressources des fonds de résolution nationaux accélérée . Elle a également souhaité que le Conseil conserve un rôle de décision dans le dispositif , dans la mesure où les Etats membres continuent d'être garants en dernier ressort du financement de la résolution.

La commission des finances a ensuite adopté la proposition de résolution européenne sans modification.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La mise en place de l' union bancaire , lancée en juin 2012 par le Conseil européen, est sans doute l'un des projets les plus structurants de l'Union européenne depuis la création de l'union économique et monétaire. Elle vise à créer un mécanisme unique de régulation du système bancaire européen , sous la responsabilité centralisée de la Banque centrale européenne, permettant ainsi de rompre le lien, qui a grandement contribué à la crise de l'euro, entre dette bancaire et dette souveraine.

Il s'agit là d'un changement majeur pour le secteur bancaire européen : à l'avenir, la supervision, qu'il s'agisse de l'agrément des établissements, de la définition des ratios prudentiels supplémentaires, ou encore du respect des règles de gouvernance et de transparence, non seulement relèvera de la responsabilité d'une instance communautaire, mais sera aussi contrôlée quotidiennement, pour les banques les plus importantes, par des équipes plurinationales, aux cultures bancaires différentes et selon des critères uniques. De même, le mécanisme de résolution unique, actuellement en discussion, implique que la décision de sauver ou, au contraire, de démanteler un établissement bancaire - avec les conséquences économiques, sociales et budgétaires que cela implique - ne sera plus désormais entre les mains de l'État dans lequel cet établissement est principalement établi, mais d'une autorité européenne.

Le mécanisme de surveillance unique (MSU) , premier pilier de l'union bancaire, a été adopté à l'automne 2013 et se met progressivement en place tout au long de l'année 2014. Après la nomination de la présidente de son conseil de supervision, en décembre 2013, par le Conseil de l'Union européenne, Mme Danièle Nouy, et le recrutement de ses équipes dirigeantes, le superviseur unique procède, tout au long de l'année 2014, à une revue générale de la qualité des actifs bancaires pour les établissements les plus importants de la zone euro. Cet exercice constitue une opération-vérité sans précédent, à la fois essentielle pour rétablir la confiance dans notre système bancaire et cruciale pour asseoir la crédibilité de la BCE comme superviseur unique.

Le mécanisme de résolution unique , deuxième pilier de l'union bancaire, est actuellement en cours de négociation entre le Conseil, le Parlement européen et la Commission européenne. Ce mécanisme n'est pas sans lien avec l'exercice de revue des actifs bancaires, puisque les résultats de ce dernier devraient conduire à identifier des établissements fragiles, dont certains devront être soumis à une procédure de démantèlement ou de restructuration.

Quatre principaux enjeux sont au coeur du mécanisme de résolution unique (MRU) :

- la procédure de décision , en particulier le titulaire de l'autorité finale de résolution, chargée d'engager la mise en oeuvre d'une procédure pour un établissement ;

- les modalités de financement, par les banques de chaque Etat membre, du fonds unique de résolution chargé de recapitaliser les établissements si le renflouement interne se révèle insuffisant ;

- la définition d'un filet de sécurité financier public permettant de garantir, de façon solidaire entre tous les États membres participant au mécanisme, le financement de la résolution ;

- la mise en place de l'instrument de recapitalisation directe des établissements en difficulté dans la période transitoire, avant la pleine entrée en vigueur du MRU, permettant de tirer les conséquences, le cas échéant, des résultats de la revue précitée.

L'ensemble de ces enjeux sont traités par la proposition de résolution européenne présentée par notre collègue Richard Yung et adoptée par la commission des affaires européennes à l'unanimité. Cette proposition témoigne de la vigilance du Sénat sur les sujets de régulation bancaire et financière, qui relèvent de plus en plus du niveau européen. Elle affirme le soutien du Sénat à un dispositif ambitieux , qui permette de mettre en oeuvre rapidement et de financer efficacement les procédures de résolution des banques en crise .

PREMIÈRE PARTIE : LE PROJET D'UNION BANCAIRE DANS UN CONTEXTE DE RÉFORMES BANCAIRES MAJEURES

Au-delà de sa nécessité dans le cadre de l'approfondissement de l'union économique et monétaire, la mise en place progressive de l'union bancaire depuis 2012 , en particulier son premier pilier de supervision unique, prolonge et complète un ensemble de réformes qui ont touché le secteur bancaire et financier depuis la crise financière de 2008, qu'il s'agisse des réglementations prudentielles ou de l'harmonisation des règles nationales en matière de résolution et de garantie des dépôts .

L'ABOUTISSEMENT DES CHANTIERS DE RÉGLEMENTATIONS PRUDENTIELLES

La mise en oeuvre des mécanismes de supervision et, à terme, de résolution unique coïncide avec l'entrée en vigueur progressive des nouvelles règles prudentielles visant, notamment, à augmenter les fonds propres et les réserves de liquidité des établissements bancaires à la suite de la crise financière.

En décembre 2010, le comité de Bâle sur le contrôle bancaire, composé de représentants des superviseurs de 27 pays, a publié un ensemble de recommandations prudentielles, dites de Bâle III , qui entendaient tirer les leçons de la crise financière et des insuffisances de la supervision que celle-ci avait mises en évidence. Le 20 juillet 2011, la Commission européenne a présenté un paquet législatif visant à transposer ces recommandations dans le droit de l'Union européenne . Ce paquet comprenait deux textes : une proposition de directive , dite Capital Requirements Directive 4 ( CRD4 ) 1 ( * ) , et une proposition de règlement , dite Capital Requirements Regulation ( CRR ), visant à transposer les règles de Bâle III relatives aux ratios de base (ratio de fonds propres, ratio de levier, ratio de liquidité).

Ce paquet avait pour objectif, d'après le communiqué de presse de la Commission européenne au moment de la publication de la proposition, de « renforcer la résilience du secteur bancaire dans l'Union européenne tout en veillant à ce que les banques continuent à financer l'activité économique et la croissance », avec trois volets : « détenir davantage de fonds propres, de meilleure qualité , pour résister par elles-mêmes aux futurs chocs » ; « mettre en place un nouveau cadre de gouvernance en donnant aux autorités de surveillance de nouveaux pouvoirs leur permettant de contrôler plus étroitement les banques et, si nécessaire, d'imposer des sanctions lorsqu'elles constatent l'existence de risques » ; et « constituer un corpus réglementaire unique pour le secteur bancaire en rassemblant toute la législation applicable en la matière ».

Le paquet a fait l'objet de négociations entre le Conseil et le Parlement européen pendant près de deux ans. Il a été publié au Journal officiel de l'Union européenne le 27 juin 2013 2 ( * ) et est entré en vigueur le 17 juillet 2013 .

Par rapport aux réglementations prudentielles bancaires antérieures, Bâle III apporte trois évolutions majeures :

• Tout d'abord, les ratios de fonds propres exigés des établissements bancaires sont considérablement renforcés, à la fois du point de vue de leur qualité 3 ( * ) et de leur quantité , avec la création de « coussins » de capital supplémentaires.

• Ensuite, deux ratios de liquidité sont introduits afin de mesurer la dépendance des établissements bancaires au refinancement externe et leur capacité à faire face à un « choc de liquidité », c'est-à-dire à un assèchement rapide de la trésorerie disponible sous l'effet d'un ralentissement, voire d'un blocage du marché interbancaire. Il s'agit d'un ratio de liquidité de court terme ( liquidity coverage ratio , LCR) et d'un ratio de liquidité de long terme ( net stable funding ratio , NSFR).

• Enfin, Bâle III instaure un ratio de levier , c'est-à-dire une limite maximale imposée aux bilans bancaires par rapport aux capitaux durs, quel que soit le risque des actifs de la banque. Cependant, le règlement CRR, qui transpose cette recommandation du comité de Bâle, prévoit seulement que les établissements publient leur ratio de levier en 2015 et que l'Autorité bancaire européenne (ABE), sur la base de ces informations, recommande un ratio de levier pour l'ensemble de l'Union, en vue d'une éventuelle application en 2018. A cet égard, l'importance de ce nouveau ratio pour la maîtrise des risques bancaires a été notamment soulignée, lors de l'audition conjointe organisée le 25 février par votre commission des finances, par Karel Lannoo, directeur général du Centre for European Policy Studies (CEPS), qui a indiqué qu'il était « urgent d'introduire le ratio de levier » car le système actuel d'évaluation des actifs présente l'inconvénient d'être facilement manipulable, dans la mesure où, « lorsque les grandes banques utilisent leur propre modèle de calcul des risques, elles peuvent réduire le capital nécessaire par rapport à un modèle de calcul standard ».

Le paquet CRD4 a non seulement transposé ces recommandations de Bâle III, mais y ajouté plusieurs autres dispositions non prévues par le comité de Bâle , sur la rémunération, la gouvernance ou encore la transparence des activités pays par pays.

L'entrée en vigueur des différentes dispositions du règlement et de la directive est prévue de façon progressive .

S'agissant de la directive CRD4, son article 162 prévoit qu'elle s'applique par défaut le 1 er janvier 2014 . Cependant, les « coussins » de fonds propres ne sont applicables qu'à compter du 1 er janvier 2016 . De même, par exception, il est prévu une application progressive entre le 1 er janvier 2016 et le 1 er janvier 2019 pour les « coussins » systémiques .

Le règlement CRR est, par définition, d'application directe dans le droit national, sans besoin de mesures de transposition. Conformément à son article 521, il est applicable à compter du 1 er janvier 2014, à l'exception :

- de la publication du ratio de levier par chaque établissement (article 451) et de la décision commune des autorités de surveillance nationales relative à la définition des exigences de liquidité pour certains établissements transfrontaliers (articles 8 et 21), au 1 er janvier 2015 ;

- du ratio de liquidité de court terme (LCR), dont l'application est progressive entre 2015 et 2018 ;

- du ratio de liquidité de long terme , dit de financement stable, au 1 er janvier 2016 .

Toutefois, les dates fixées pour l'entrée en vigueur des différentes dispositions sont largement anticipées par les établissements de crédit , qui cherchent à rassurer leurs investisseurs sur leur situation prudentielle. Par exemple, les principales banques françaises publient d'ores et déjà, dans leurs documents financiers annuels, leurs ratios de levier respectifs.

Au total, l'entrée en vigueur de ces nouvelles normes prudentielles, accroissant les fonds propres règlementaires et nécessitant, le plus souvent, une réduction de la taille du bilan des établissements, alimente un contexte général d'évolutions profondes du secteur bancaire européen ; si elles vont dans le sens d'une plus grande solidité du secteur bancaire, elles présentent également un coût d'adaptation pour les banques (cession d'activités, mise en réserve de résultats, etc.) qui s'ajoute au coût potentiellement lié à la mise en place du mécanisme de résolution unique , à la fois du point de vue du refinancement avec l'entrée en vigueur, en 2016, du renflouement interne, et des contributions bancaires au fonds de résolution.

L'HARMONISATION EUROPÉENNE DES MÉCANISMES NATIONAUX DE REDRESSEMENT, DE RÉSOLUTION ET DE GARANTIE DES DÉPÔTS

LA DIRECTIVE SUR LE REDRESSEMENT ET LA RÉSOLUTION DES BANQUES (« BRRD »)

Le 6 juin 2012, la Commission européenne a présenté une proposition de directive visant à établir un cadre commun pour le redressement et la résolution des défaillances bancaires 4 ( * ) . Cette proposition, connue sous le nom de « directive BRRD » ( Bank Recovery and Resolution Directive ), a fait l'objet d'un accord politique au sein du Conseil Ecofin, le 27 juin 2012, puis d'un accord en trilogue (Conseil, Commission, Parlement européen), le 12 décembre 2013 . Elle devrait être prochainement adoptée par le Parlement européen et le Conseil.

La directive BRRD comporte quatre principaux volets .

Le premier concerne la préparation et la prévention des crises bancaires . Ainsi, les établissements de crédit et les entreprises d'investissement devront établir et transmettre à l'autorité de résolution des plans de redressement exposant la manière dont l'établissement compte faire face à différents types de scénarios de crise. Si l'autorité de résolution identifie des obstacles juridiques ou opérationnels pour démanteler rapidement un établissement en cas de crise (la « résolvabilité » de l'établissement), en particulier du point de vue de l'organisation du groupe, elle doit pouvoir imposer des modifications de structure.

Le deuxième volet a trait à l'intervention précoce . Lorsqu'un établissement présente des difficultés financières - en particulier lorsque ses ratios prudentiels passent sous les minima requis - l'autorité de résolution pourra nommer un administrateur provisoire et réunir d'urgence une assemblée générale des actionnaires pour faire adopter les réformes nécessaires.

Le troisième volet concerne la phase la plus critique, à savoir la résolution proprement dite . La directive impose aux États membres de doter leurs autorités de résolution d'outils puissants leur permettant de mener à bien une telle résolution, en particulier : la cession ou la fusion d'autorité de certaines filiales ; la constitution d'un établissement-relais ; la conversion en capital d'actions, de titres subordonnés et de certaines créances (le renflouement interne ou « bail-in ») ; la mise en oeuvre d'un financement par le fonds de résolution national, qui devra atteindre le niveau de 1 % des dépôts garantis au maximum 10 ans après l'entrée en vigueur de la directive.

Enfin, la directive vise à organiser la coopération entre autorités nationales , notamment dans le cas du traitement des groupes bancaires transfrontaliers.

LA DIRECTIVE SUR LES SYSTÈMES DE GARANTIE DES DÉPÔTS

Le Conseil de l'UE et le Parlement européen sont parvenus, en décembre 2013, à un accord sur le projet de directive visant à renforcer l'harmonisation des règles relatives aux systèmes de garantie des dépôts (SGD) et à accroître la protection des déposants. Ce projet de directive est une refonte de la législation actuellement en vigueur, l'objectif étant d'améliorer la protection offerte aux épargnants grâce à une garantie des dépôts jusqu'à 100 000 euros.

La directive modifie les modalités de remboursement des déposants (le délai dans lequel les déposants doivent être remboursés en cas de crise de leur banque sera ramené de 20 jours actuellement à 7 jours ouvrables d'ici 2024). Par ailleurs, elle oblige à la mise en place de fonds de garantie des dépôts constitués ex ante , avec un niveau cible minimal des fonds fixé à 0,8 % des dépôts garantis, devant être atteint sur une période de dix ans et collecté à partir des contributions des banques. La constitution de ces fonds nationaux de garantie des dépôts s'ajoute à celle du fonds de résolution national - ou du fonds de résolution européen dans le cas des États membres participants.

LA TRANSPOSITION ANTICIPÉE DE LA DIRECTIVE « BRRD » PAR LA LOI DE SÉPARATION ET DE RÉGULATION DES ACTIVITÉS BANCAIRES

De façon générale, la proposition de directive BRRD vise à une harmonisation des procédures nationales , et non à la création d'une procédure de nature européenne. Elle s'appliquera à l'ensemble des vingt-huit États-membres. Elle fournit cependant, à cet égard, un socle commun sur lequel se sont fondées, notamment, les dispositions françaises en matière de résolution - récemment adoptées dans le cadre de la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires.

Cette loi comporte en effet un titre IV consacré à la « mise en place du régime de résolution bancaire » qui transpose, par anticipation, la directive BRRD. Elle a notamment confié la mission de résolution à l'autorité de contrôle prudentiel (ACP), devenue autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) . Elle a repris la plupart des éléments contenus dans la proposition de directive, notamment dans ses trois volets de prévention, d'intervention précoce et de mise en oeuvre de la résolution ; elle devra cependant, sans doute, être précisée suite aux légères évolutions du texte européen postérieures à l'adoption de la loi nationale 5 ( * ) .

En tout état de cause, la mise en place d'une autorité nationale de résolution, armée d'outils d'intervention directs et majeurs sur les établissements de crédit, pose la question de son articulation avec un superviseur désormais européen : il n'y a guère de cohérence à ce que l'ACPR évalue et sanctionne les plans de redressement de banques dont elle n'est plus l'autorité d'agrément, ni à ce qu'elle décide, le cas échéant, de l'opportunité d'engager un processus de résolution, alors même que la responsabilité de la supervision pour les établissements les plus importants représentant la quasi-totalité des actifs bancaires français et, dès lors, l'identification des difficultés financières, repose désormais sur la BCE.

Pour autant, la mission de résolution de l'ACPR ne disparaîtra pas avec l'entrée en vigueur du mécanisme de résolution unique , car celui-ci s'appuiera sur les autorités nationales de résolution. Ainsi, ces dernières seront représentées au conseil de résolution unique (cf. infra) et devraient participer aux décisions de résolution ayant trait aux établissements établis sur leur territoire de compétence. De plus, les décisions du conseil de résolution unique n'auront pas immédiatement force de loi : elles consisteront, en pratique, en des instructions à destination des autorités nationales, sur qui reposera donc la mise en oeuvre de la résolution.

LA MISE EN PLACE DU SUPERVISEUR UNIQUE

L'ADOPTION DU PAQUET SUR LE MÉCANISME DE SURVEILLANCE UNIQUE

Le 12 septembre 2012, la Commission européenne a présenté deux textes formant ensemble la proposition de création d'un mécanisme de surveillance unique (MSU) :

- une proposition de règlement du Conseil confiant à la BCE la supervision des banques de la zone euro ;

- une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil qui modifie les statuts de l'Autorité bancaire européenne (ABE), dont les modalités de fonctionnement et de prise de décision doivent être ajustées pour tenir compte des nouvelles compétences de la BCE.

Conformément à la demande du sommet de la zone euro du 29 juin 2012, ces deux propositions ont été examinées dans un délai très court au regard des procédures européennes, puisqu'un accord politique a été trouvé au Conseil en décembre 2012 et qu'un accord entre le Conseil et le Parlement a été trouvé en septembre 2013. Ainsi, les deux règlements européens ont été publiés au Journal officiel de l'Union européenne le 29 octobre 2013 6 ( * ) .

Au total, ces textes ont pour conséquence de transférer à la Banque centrale européenne la responsabilité de la supervision de l'ensemble des établissements de crédit de la zone euro. En outre, la BCE sera directement en charge de la supervision des 128 établissements les plus importants.

Votre commission des finances s'était déjà prononcée sur la mise en place du mécanisme de surveillance unique, à travers la résolution européenne du 20 novembre 2012 7 ( * ) .

Suivi des positions de votre commission des finances relatives au MSU (résolution européenne n° 32 [2012-2013] du 20 novembre 2012)

« Les demandes formulées par le Sénat dans sa résolution ont largement été soutenues par les autorités françaises tout au long de la négociation. L'un des objectifs principaux de la France était d'adopter rapidement les textes sur le mécanisme de surveillance, comme l'a demandé le Sénat. Les autres demandes sont également dans une grande mesure satisfaites dans le compromis final, s'agissant notamment des points suivants :

« - Sur le champ d'application : la France a obtenu que le MSU couvre toutes les banques, sans distinction de taille. Si la supervision directe de la BCE ne concerne que les grandes banques et les établissements bénéficiant d'un soutien financier direct européen, cela couvrira toutefois 130 à 140 groupes bancaires (et non uniquement les 27 banques systémiques comme le souhaitait l'Allemagne). En outre, la BCE pourra adresser aux autorités nationales des instructions générales relatives à la surveillance des banques moins importantes, ainsi que décider d'étendre sa surveillance directe à tout établissement moins important.

« - Quant à la répartition des compétences avec les superviseurs nationaux , les autorités françaises ont obtenu que les autorités nationales soient associées à la préparation et à la mise en oeuvre des décisions de la BCE afin que celle-ci puisse bénéficier de l'expertise, de l'expérience et des ressources des superviseurs nationaux. Les autorités nationales pourront notamment proposer des projets de décision à la BCE. Enfin, les autorités nationales seront en charge de la surveillance, au jour le jour, des établissements sous surveillance directe de la BCE.

« - Concernant l'Autorité bancaire européenne , les autorités françaises ont soutenu la réaffirmation du rôle de l'ABE en tant qu'autorité de régulation pour l'Union européenne. Elles ont défendu le principe d'un manuel de supervision qui sera élaboré par l'ABE.

« - En ce qui concerne la participation des États membres hors de la zone Euro , la France a pleinement défendu, au cours des négociations, et obtenu que le mécanisme soit réellement ouvert à tous les États membres volontaires en rendant la clause d'association assez attractive pour les pays non membres de la zone euro. Cela permettra de préserver l'intégrité du marché intérieur.

« - S'agissant de la possibilité de recapitalisation directe par le Mécanisme européen de stabilité , les autorités françaises sont favorables à une finalisation rapide de l'instrument afin de préserver la possibilité de l'utiliser dès la phase transitoire du MSU.

« - La résolution soulignait également qu'il serait essentiel de créer un cadre de résolution des défaillances bancaires . La création d'un mécanisme de résolution bancaire unique (MRU) a été proposée, le 10 juillet 2013, par la Commission européenne et les négociations sont encore en cours au sein du Conseil. Les autorités françaises soutiennent la proposition de la Commission et souhaitent une entrée en vigueur rapide du règlement. »

En outre, la résolution de votre commission des finances souhaitait que « le contrôle de la supervision bancaire européenne soit une des missions explicites de la formation chargée de la zone euro au sein de la Conférence interparlementaire prévue à l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire ». À cet égard, elle se félicite que cette question ait fait l'objet d'un atelier lors de la première conférence interparlementaire à Vilnius les 16 et 17 octobre 2013.

Source : secrétariat général aux affaires européennes

Au total, le texte adopté par le Conseil de l'Union européenne prévoit que quatre missions seront principalement effectuées par la BCE :

- la délivrance et le retrait d'agrément d'établissement de crédit pour toutes les banques de la zone euro ;

- la conformité des banques avec les exigences prudentielles et les règles de gouvernance ;

- la mise en place de tests de résistance stress tests ») ;

- la supervision complémentaire consolidée des conglomérats financiers .

Pour l'ensemble de ces tâches, la BCE sera assistée par les autorités nationales - en France, l'ACPR - qui, sous le contrôle de la BCE, assureront notamment les opérations de supervision au jour le jour. Les autorités nationales conserveront également la pleine responsabilité pour les missions non confiées à la BCE, en particulier la protection des consommateurs et des épargnants, la supervision des services de paiement ainsi que la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

La Banque centrale européenne ne sera immédiatement et directement responsable de la supervision que des banques les plus importantes, celles présentant un total d'actifs supérieur à 30 milliards d'euros ou représentant au moins 20 % du produit intérieur brut de leur pays , ainsi que les banques qui ont sollicité ou obtenu une assistance financière publique du Fonds européen de stabilité financière (FESF) ou du Mécanisme européen de stabilité (MES). 128 établissements seraient concernés. Cependant, à tout moment, la BCE pourra décider d'exercer la supervision directe sur tout établissement de crédit de la zone euro.

Pour la France, environ dix établissements, dont les six principaux groupes bancaires au moins (BNP Paribas, Crédit Agricole, BPCE, Société générale, Crédit mutuel et La Banque Postale) ainsi que la Société de financement local ou encore la Banque publique d'investissement , seront supervisés directement par la BCE, soit entre 90 et 95 % du total des actifs bancaires français . D'après les informations communiquées à votre rapporteur, ce devrait être le cas d'environ 70 % des actifs bancaires allemands et 80 % des actifs bancaires italiens.

LE LANCEMENT DE LA REVUE DE LA QUALITÉ DES ACTIFS BANCAIRES ET DES TESTS DE RÉSISTANCE

Pour lancer son activité de supervision directe des plus grands établissements de la zone euro et s'assurer, dans ce cadre, de la qualité et de la solidité des banques dont elle hérite, la Banque centrale européenne a lancé, en novembre 2013, une revue de la qualité des actifs bancaires ( asset quality review ou AQR ).

D'après la BCE, cet exercice « a trois objectifs principaux : la transparence , à travers une amélioration de la qualité des informations disponibles sur la situation des banques ; l' assainissement , grâce à l'identification et à la mise en oeuvre, le cas échéant, des mesures correctrices nécessaires ; et le renforcement de la confiance , en assurant toutes les parties prenantes que les banques sont fondamentalement solides et crédibles » 8 ( * ) .

Cette évaluation comprendra trois éléments :

- une évaluation prudentielle des risques auxquels sont exposés les établissements , y compris les risques de liquidité, d'effet de levier et de financement ;

- un examen de la qualité des actifs des banques , qui portera notamment sur l'adéquation de la valorisation des actifs et des garanties ainsi que des provisions ;

- un test de résistance visant à examiner la résilience du bilan des banques dans des scénarios de crise.

Soulignons que le champ des banques soumises à cette revue ne recouvre pas celui des banques soumises, ensuite, à la supervision directe de la BCE. Cette dernière a délibérément choisi un champ plus large , afin de procéder à un examen plus général du secteur bancaire européen.

En France, 13 établissements feront l'objet de l'examen de la BCE, y compris les trois acteurs publics que sont La Banque postale, Bpifrance et la Société de financement local (SFIL).

Liste des établissements français soumis à la revue de la qualité des actifs

Banque Centrale de Compensation (LCH Clearnet)

Banque PSA Finance

BNP Paribas

C.R.H. - Caisse de Refinancement de l'Habitat

Groupe BPCE

Groupe Crédit Agricole

Groupe Crédit Mutuel

HSBC France

La Banque Postale

BPI France (Banque Publique d'Investissement)

RCI Banque

Société de Financement Local

Société Générale

Source : Banque centrale européenne

À cet égard, la France se signale dans le paysage européen par la forte concentration de son secteur bancaire : ces 13 établissements représentent environ 95 % des actifs bancaires français et 30 % des actifs bancaires de la zone euro.

La revue sera réalisée par la BCE, avec l'appui des superviseurs nationaux et ses résultats devraient être publiés en novembre de cette année.

En parallèle, l'autorité bancaire européenne (ABE) procède également à des tests de résistance des banques de l'Union européenne : l'ensemble des établissements de l'Union européenne, y compris ceux hors de la zone euro et ne participant pas au MSU, en particulier les établissements britanniques, sont donc inclus dans cet exercice. Pour l'ensemble de l'Union, il concerne 124 établissements, qui représentent au moins 50 % de chaque secteur bancaire national. Les risques étudiés sont le risque de crédit, le risque de marché, le risque souverain, la titrisation et le coût de financement.

En pratique, les critères retenus par l'ABE pour cet exercice sont harmonisés avec ceux de la BCE dans le cadre de l'AQR , notamment en termes de ratios de fonds propres attendus. L'objectif de l'exercice de l'ABE est d'assurer une comparabilité des résultats de l'AQR de la BCE avec les performances des banques des autres États membres.

Au total, l'enjeu de cet exercice d'évaluation et de test de résistance est de réaliser une sorte d' « opération vérité » du secteur bancaire de la zone euro , afin d'assurer, dès le début de son entrée en vigueur, la crédibilité du nouveau superviseur unique. Ainsi, Danièle Nouy a indiqué, dans une interview au journal Financial Times du 7 février 2014 : « nous devons accepter le fait que certaines banques n'ont pas d'avenir. Nous devons en laisser quelques-unes disparaître de manière ordonnée, et pas forcément essayer de les fusionner avec d'autres institutions » 9 ( * ) .

Dès lors, il est nécessaire de prévoir un mécanisme de traitement des établissements dont il apparaîtrait qu'ils ne remplissent pas les critères de solidité fixés par la BCE .

La procédure elle-même restera purement nationale : ainsi, même si la « sonnette d'alarme » sera tirée par la BCE, la décision d'engager un redressement ou un démantèlement de l'établissement reviendra aux autorités nationales. S'agissant du financement des éventuelles recapitalisations nécessaires, le Conseil Ecofin le 15 novembre 2013 a défini une « feuille de route » qui prévoit :

- en premier lieu, un financement privé , y compris le bail-in , c'est-à-dire le renflouement interne par certains créanciers ;

- en deuxième lieu, un soutien public national , en veillant à la compatibilité avec les règles des aides d'Etat ;

- en troisième lieu et en dernier recours, lorsque l'Etat membre n'est pas en mesure de fournir seul le soutien financier nécessaire, une recapitalisation par le Mécanisme européen de stabilité (MES), qui consisterait en un prêt du MES à l'État membre, fléché vers l'institution financière en difficulté , après approbation par le conseil des gouverneurs du MES. Le MES peut être sollicité à cette fin dans la limite de 60 milliards d'euros.

L'instrument de recapitalisation directe de l'établissement par le MES n'est pas encore mis au point, malgré les déclarations répétées du Conseil européen, de l'Eurogroupe et du Conseil Ecofin en ce sens. Pourtant, il apparaît comme la seule solution crédible et globale pour mettre fin au cercle vicieux entre dette bancaire et dette souveraine et pour assurer, en dernier ressort, un financement crédible de la recapitalisation des établissements fragiles de la zone euro à l'issue de la revue de la qualité des actifs. En conséquence, votre rapporteur appelle de ses voeux un accord rapide sur l'instrument de recapitalisation directe, permettant sa mise en oeuvre dès l'automne 2014, en complément des financements privés des financements publics strictement nationaux .

DEUXIÈME PARTIE : POUR UNE PROCÉDURE DE DÉCISION ÉQUILIBRÉE ET EFFICACE DU MÉCANISME DE RÉSOLUTION UNIQUE

LA RÉSOLUTION UNIQUE DES BANQUES DE LA ZONE EURO, UNE ÉTAPE INDISPENSABLE POUR LA CRÉDIBILITÉ DE L'UNION BANCAIRE

Dès la feuille de route présentée par la Commission européenne, l'union bancaire est présentée comme composée de trois piliers, dont le premier est le superviseur unique et le deuxième la résolution unique. En effet, la définition d'une procédure de traitement des établissements en difficulté apparaît comme le corollaire nécessaire de la mise en place d'un superviseur , afin d'assurer l'articulation entre l'identification des difficultés d'un établissement par le superviseur d'une part, et le lancement d'une procédure de traitement, d'autre part.

Dans le même esprit que le superviseur unique, l'un des principaux objectifs du mécanisme de résolution unique est de réduire les considérations politiques nationales dans la procédure de résolution des banques , et de garantir un processus plus objectif et plus efficace de traitement des établissements en difficulté.

En conséquence, le projet de mécanisme de résolution unique (MRU) a été présenté par la Commission européenne avant même que le mécanisme de surveillance unique (MSU) ait été formellement adopté, comme l'illustre le tableau chronologique suivant.

Chronologie de l'avancement des différentes composantes de l'Union bancaire

Source : Commission des finances

Les différents intervenants auditionnés par votre commission des finances ont tous souligné l'importance du MRU pour compléter le MSU. Laurence Scialom, professeure d'économie à l'université Paris X - Nanterre, a ainsi indiqué que « le MSU est (...) un puissant instrument de lutte contre la fragmentation financière, à condition toutefois que le MRU soit instauré afin d'organiser, en cas de défaillance d'une banque, l'allocation des pertes et de structurer son renflouement ».

LE DÉROULEMENT DE LA PROCÉDURE

UN CHAMP D'APPLICATION LARGE

Selon l'article 2 de la proposition de règlement, le mécanisme de résolution unique serait compétent pour l'ensemble des banques des Etats membres participant au mécanisme de supervision unique , soit environ 6 000 établissements selon la Commission européenne. Les Etats participant au MSU sont, outre les dix-huit Etats dont la monnaie est l'euro, les Etats membres ayant librement décidé d'une coopération rapprochée avec la BCE en matière de surveillance. Pour l'heure, aucun d'entre eux n'a officiellement rejoint le mécanisme dans le cadre d'une telle coopération.

Selon le schéma du MSU, la BCE est responsable de l'ensemble des établissements mais n'assure la supervision directe que des établissements les plus importants ; en outre, elle dispose d'un pouvoir d'évocation pour tout établissement qui présenterait, par exemple, des difficultés financières justifiant une surveillance directe de la BCE.

En conséquence, tous les établissements en difficulté, quelle que soit leur taille, seront, du fait de ce pouvoir d'évocation, a priori directement supervisés par la BCE . Il est donc logique que le mécanisme de résolution unique couvre de la même manière l'ensemble des établissements, sans distinction de taille, contrairement au MSU .

En outre, contrairement à la supervision dont l'ampleur quotidienne de la tâche nécessitait un partage des missions entre administrations nationales et administration de la BCE, l'activité de résolution, plus exceptionnelle et consistant essentiellement en des procédures de prise de décision (sur la base d'informations fournies par le superviseur), ne nécessite pas un tel partage des tâches.

Tout en partageant la volonté d'un champ d'application plus large que celui du MSU, le Conseil semble vouloir le restreindre aux seules banques ayant une activité transfrontalière. Corso Bavagnoli, sous-directeur des banques et du financement d'intérêt général à la direction générale du Trésor, a ainsi indiqué à votre commission des finances, lors de l'audition conjointe précitée, que « la responsabilité directe de l'autorité européenne de résolution concernera toutes les banques de la zone euro, dès lors qu'elles ont une activités transfrontalière ».

En tout état de cause, une très large partie du système bancaire de la zone euro sera concernée par le MRU , dans toutes ses composantes. Cela implique non seulement que la décision de mise en résolution sera systématiquement prise au niveau européen, mais aussi que les établissements concernés contribueront tous au fond de résolution, dont ils pourront également tous bénéficier, le cas échéant.

LA MISE EN oeUVRE DE LA PROCÉDURE DE RÉSOLUTION : PRISE DE DÉCISION POLITIQUE ET PROCÉDURE EFFICACE

Selon le texte proposé par la Commission européenne, la procédure de résolution se déroulerait essentiellement en quatre étapes :

1. La BCE, en tant que superviseur, informe la Commission européenne et le conseil de résolution unique (CRU) qu'un établissement de crédit est « en situation de défaillance avérée ou prévisible » et qu'il « n'existe aucune perspective raisonnable qu'une autre mesure de nature privée ou prudentielle (...) empêche sa défaillance dans un délai raisonnable » (article 16).

2. Le comité de résolution unique (CRU) , agence de l'Union européenne composé de quatre membres propres (un directeur exécutif, un directeur exécutif adjoint, un membre nommé par la Commission et un membre nommé par la BCE) ainsi que d'un membre représentant l'autorité nationale de résolution de chaque Etat membre participant, évalue si les deux conditions précédemment mentionnées sont réunies et si une mesure de résolution est nécessaire « dans l'intérêt général ». Si oui, il recommande à la Commission européenne de soumettre l'établissement à une procédure de résolution , en précisant le cadre de l'utilisation des instruments de résolution et du recours au Fonds.

3. La Commission décide , sur la base de cette recommandation, s'il y a lieu de soumettre l'établissement à une procédure de résolution. Cette prise de décision par une institution de l'Union, en l'occurrence la Commission européenne, est indispensable en application de la jurisprudence Meroni de la Cour de justice des communautés européennes de 1958 10 ( * ) , selon laquelle certains pouvoirs ne peuvent être exercés que par des institutions de l'Union européennes et non par de simples agences instituées, comme le CRU, par le droit dérivé.

4. Si la Commission européenne décide de l'entrée en résolution, le conseil de résolution unique met en oeuvre cette procédure , avec l'appui de la ou des autorités nationales de résolution concernées. Il informe la Commission européenne tout au long de cette mise en oeuvre. Il peut également demander à la Commission européenne de modifier le cadre de l'utilisation des instruments de résolution et/ou du recours au Fonds de résolution.

Cette architecture, proposée initialement par la Commission européenne, présente deux principaux enjeux : le titulaire du pouvoir de décision de la résolution d'une part et les modalités de fonctionnement du conseil de résolution unique d'autre part.

LE TITULAIRE DU POUVOIR DE DÉCIDER DE LA MISE EN oeUVRE DE LA RÉSOLUTION

La prise de décision de « mise en résolution » puis les différentes décisions de démantèlement ont des conséquences économiques, sociales et - potentiellement - budgétaires majeures : pertes imputées sur les actionnaires et les créanciers, cessions et restructurations d'entités entraînant une réduction de l'offre de crédit à l'économie, injection de capitaux en provenance du fonds de résolution et, si nécessaire, des pouvoirs publics.

Au regard de ces conséquences potentielles et compte tenu de la jurisprudence Meroni précitée, l'intervention d'une institution de l'Union européenne est indispensable pour décider de soumettre un établissement de crédit à la procédure de résolution . Trois institutions semblent être en mesure, théoriquement, de remplir ce rôle : la Banque centrale européenne, la Commission européenne et le Conseil de l'Union européenne.

Confier ce rôle à la BCE n'est pas envisageable dès lors que celle-ci, déjà autorité de supervision, pourrait être suspectée de partialité et de conflit d'intérêt s'agissant du traitement de banques dont elle n'aurait pas su anticiper les difficultés.

Si la Commission a proposé d'être titulaire de ce pouvoir de décision, l'accord politique du Conseil du 18 décembre 2013 donne quant à lui une place centrale au Conseil . Cet accord prévoit en effet que le conseil de résolution unique (CRU) décide de l'entrée en procédure de résolution et des instruments utilisés mais que le Conseil peut, sur proposition de la Commission, dans un délai de vingt-quatre heures et à la majorité simple, s'opposer à cette décision. Le CRU pourrait alors, dans certaines conditions non précisées par le texte publié par le Conseil, former un recours contre cette opposition. En tout état de cause, l'autorité ultimement responsable serait donc bien le Conseil .

On peut certes regretter qu'en faisant intervenir le Conseil, la procédure permette aux Etats membres ne participant pas au mécanisme d'être présent dans le processus de décision et d'être ainsi tenus informés de la situation d'établissements qui ne relèvent pas de leur juridiction. En tout état de cause, ces Etats membres ne devraient pas avoir de droit de vote dans ce cas.

Cependant, d'après les informations recueillies par votre rapporteur, le Conseil craint notamment que les décisions prises par la Commission en matière de mise en oeuvre de la procédure ne soient, dans une certaine mesure, orientées par son rôle en matière de contrôle des aides d'Etat - qu'elle continuera en effet, en tout état de cause, d'assumer dès lors qu'une garantie publique ou, a fortiori , une recapitalisation publique serait à l'ordre du jour.

De plus, il s'agit, pour le Conseil, de faire en sorte que les Etats membres conservent un droit de regard sur une décision aussi lourde de conséquences politiques et économiques .

En outre et surtout, la mise en place du MRU n'exclut pas totalement une intervention financière publique de niveau national , en particulier une garantie de l'Etat membre si un établissement présente des premières difficultés. De même, dans un premier temps, les fonds de résolution nationaux ne seront pas complètement intégrés dans le nouveau fonds unique ; ainsi, ce seront toujours, dans ce premier temps, les banques d'un Etat membre qui financeront, le cas échéant, le renflouement des banques en difficulté de ce même Etat membre. En conséquence, au regard des intérêts nationaux en jeu, votre rapporteur estime qu'il est légitime de conserver au Conseil, plutôt qu'à la Commission, la responsabilité ultime de la décision de résolution .

LE FONCTIONNEMENT DU CONSEIL DE RÉSOLUTION UNIQUE

En pratique, le principe de « responsabilité ultime » d'une institution de l'Union vis-à-vis des décisions de résolution ne devrait se manifester que dans des cas exceptionnels , lorsque les recommandations du conseil de résolution unique (CRU) ne feraient pas consensus. L'organe déterminant pour la gestion de la procédure de résolution reste donc le conseil de résolution unique, qui fait office d' autorité opérationnelle de résolution pour l'ensemble des pays participants.

L'accord du Conseil diffère sur deux points de la proposition de la Commission s'agissant du CRU.

Tout d'abord, le Conseil souhaite que le CRU comprenne quatre membres indépendants en lieu et place du directeur exécutif adjoint et des membres respectivement désignés par la Commission et par la BCE, tels que proposé par la Commission. Il s'agit essentiellement de bien distinguer entre les missions du CRU et les missions de la BCE (en amont, en matière de supervision) et de la Commission (en aval, en matière de contrôle des aides d'Etat et de contrôle de la procédure de résolution). Rappelons qu'à côté de ces membres et du directeur, le CRU comprend également un représentant de chaque autorité nationale de résolution par Etat membre participant.

Surtout, la principale différence réside dans les missions que Commission et Conseil souhaitent respectivement confier à la session plénière et à la session exécutive (restreinte) du CRU . En effet, il est prévu que le CRU puisse se réunir dans deux formations distinctes :

- une session plénière, comprenant l'ensemble des membres du CRU ;

- une session exécutive , comprenant le directeur, les membres à plein temps, ainsi que les représentants des seules autorités nationales de résolution où l'établissement bancaire examiné est établi.

La Commission a proposé de limiter le rôle de la session plénière aux décisions de nature générale et budgétaire, en confiant les décisions préparatoires et opérationnelles de résolution à la session exécutive.

Sans remettre en cause cette répartition générale des tâches, le Conseil souhaite que toutes les décisions de financement significatif par le fonds de résolution 11 ( * ) soient de la responsabilité de la session plénière . Dans ce cas, « les décisions seraient prises à une majorité des deux tiers des membres représentant au moins 50 % des contributions ».

Le Conseil cherche ainsi à permettre à l'ensemble des Etats participants et, notamment, à ceux dont le secteur bancaire sera fortement contributeur au fonds de résolution - au premier rang desquels l'Allemagne et la France -, d'avoir un droit de regard et une capacité de décision sur l'utilisation de ce fonds même lorsque l'établissement en difficulté n'est pas établi sur leur territoire .

*

Au total et tout en étant favorable au principe de l'implication du Conseil dans le processus de décision, votre rapporteur estime que la procédure telle que projetée par le Conseil dans son accord de décembre 2013 n'est pas pleinement satisfaisante, pour deux raisons .

La première est qu'elle est, a priori , trop complexe au sens où elle fait intervenir quatre instances (le CRU en session plénière, le CRU en session exécutive, la Commission et le Conseil) qui, de plus, sont toutes collégiales : les procédures de contestation et de médiation prévues par le Conseil, dont le détail n'est pas connu, sont autant de risques de blocage institutionnel dans un contexte de crise où la rapidité sera pourtant nécessaire pour éviter une contagion à d'autres acteurs bancaires.

Aussi, pour limiter le jeu des considérations politiques nationales et les possibilités de blocage, ainsi que donner sa pleine efficacité au fonds de résolution, votre rapporteur rejoint l'auteur de la proposition de résolution en souhaitant qu'un rôle plus important soit confié à la session exécutive du CRU , même lorsqu'il s'agit de faire usage du fonds de résolution unique . Cette utilisation doit en effet avant tout dépendre de l'enjeu en termes de stabilité financière pour la zone euro et ses Etats membres, et non d'une logique de « retour sur investissement » privilégiant les Etats-membres les plus fortement contributeurs.

DES DÉCISIONS DE RÉSOLUTION DÉJÀ PRÉVUES PAR LA DIRECTIVE « BRRD »

Les mesures de résolution qui peuvent être prises par le CRU ne présentent pas d'innovation particulière par rapport à la palette d'outils figurant dans la directive BRRD et dont la France dispose déjà depuis l'entrée en vigueur de la loi précitée de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 juillet 2013.

Cette palette, reprise à l'article 19 de la proposition de règlement, comprend notamment :

- la cession des activités ;

- le recours à un établissement-relais ;

- la séparation des actifs ;

- le renflouement interne ou bail-in c'est-à-dire l'absorption des pertes par certaines créances non privilégiées ;

- l'utilisation du fonds de résolution.

Le principal enjeu financier réside dans la mise en oeuvre de ce renflouement interne . Si ce mécanisme est bienvenu pour permettre de faire porter la charge des recapitalisations sur le secteur privé, et non sur le contribuable, il pourrait cependant induire en pratique non seulement une augmentation du coût de refinancement des banques mais également, en cas de mise en oeuvre effective mal contrôlée, des difficultés financières en chaîne au sein des établissements financiers créanciers de la banque en résolution. Sa mise en oeuvre, par l'autorité de résolution, devra donc résulter d'une analyse au cas par cas, tenant compte des interdépendances entre les différents établissements.

TROISIÈME PARTIE : LE FINANCEMENT DE LA RÉSOLUTION : UNE MUTUALISATION SOUS CONDITIONS

L'un des principaux objectifs d'une procédure de résolution est, une fois les pertes chiffrées, de trouver un financement pour absorber ces pertes , sans quoi les difficultés de l'établissement se transmettent à ses contreparties non remboursées, créant une crise potentiellement systémique. Pour répondre à cette nécessité de financement, qui a conduit les Etats à venir au secours des banques lors de la crise financière de 2008, avec des recapitalisations publiques massives, le projet de règlement du MRU transpose à la zone euro le mécanisme de financement de la résolution prévu par la directive BRRD, en faisant d'abord appel au secteur privé , qu'il s'agisse des créanciers de l'établissement ou des autres banques, à travers le fonds de résolution.

LA PRIORITÉ DONNÉE AU RENFLOUEMENT INTERNE

L' ordre d'imputation des pertes est déterminé par la directive BRRD et repris par les articles 18 et 21 du projet de règlement :

- les fonds propres de base, c'est-à-dire les actions ;

- les autres instruments de fonds propres pouvant être convertis en actions, c'est-à-dire les titres subordonnés ;

- les créances non privilégiées, à l'exclusion des dépôts garantis ;

- le fonds de résolution.

La possibilité de convertir en capital et de réduire en conséquence les créances non privilégiées est la grande innovation dans le financement de la résolution permise par la directive BRRD . Elle replace les investisseurs face à leur responsabilité, en leur rappelant que tout financement non garanti comporte un risque. Ce risque a un prix, qui se traduira par un taux d'intérêt plus important pour les obligations émises par les banques et susceptibles de faire l'objet d'une mesure de conversion en capital dans le cadre d'une procédure de résolution (dette dite « bail-inable »). Le coût de refinancement des établissements pourrait donc s'en trouver légèrement augmenté.

Outre ce principe de renflouement interne, applicable à compter du 1 er janvier 2016, la directive BRRD prévoit également que le fonds de résolution ne pourra être mis à contribution que si un renflouement interne à hauteur de 8 % minimum du passif de la banque a auparavant été réalisé. Il y a là une forme de « verrou » à l'utilisation du fonds de résolution, qu'il soit national ou, s'agissant du MRU, européen.

Pour autant que l'instrument du bail-in soit mis en oeuvre conformément aux règles établies, l'utilisation du fonds de résolution sera donc résiduelle et devrait être, en pratique, marginale : d'après les estimations communiquées par BNP Paribas à la commission des affaires européennes, les recapitalisations indispensables au sauvetage des banques grecques auraient représenté, par exemple, seulement 2,3 % de leur passif. Ainsi, le recours au fonds de résolution n'aurait pas été nécessaire pour y procéder.

Cependant, cela implique que les banques disposent d'un volume suffisant de dette « bail-inable » dans la structure de leur passif ; il est en conséquence essentiel, pour la cohérence globale du dispositif et la crédibilité du principe de renflouement interne, que l'objectif fixé par la BRRD pour tous les établissements, de 10 % du passif constitué de dette bail-inable , soit effectivement mis en oeuvre et vérifié par le superviseur européen. C'est, à côté de l'impact en termes de coût de refinancement pour les banques, l'un des principaux objets de l'évaluation établie par la Commission européenne et dont votre rapporteur, rejoignant en cela l'auteur de la proposition de résolution, souhaite que les parlements nationaux soient destinataires.

En tout état de cause, le renflouement interne n'entrera en vigueur qu'au 1 er janvier 2016 , si bien que les mesures de financement qui pourront être prises jusqu'à cette date - en particulier celles prises à l'issue de la revue de la qualité des actifs - ne comprendront pas de renflouement interne, à moins que l'Etat membre concerné n'ait déjà adopté des dispositions de droit national en ce sens. S'agissant de la France, la loi de séparation et de régulation des activités bancaires a prévu un dispositif de renflouement interne, limité toutefois aux seuls créanciers juniors, à l'exclusion des créanciers ordinaires.

LA MISE EN PLACE D'UN FONDS DE RÉSOLUTION

Pour compléter le financement de l'éventuelle recapitalisation des établissements en difficulté, la directive BRRD impose la constitution d'un fonds de résolution, alimenté par les banques, et dont le volume total doit atteindre, à terme, 1 % du montant des dépôts garantis .

Le projet de règlement du MRU fait application de ce principe en prévoyant, dans son article 64, la création d'un fonds de résolution unique , alimenté par l'ensemble des banques et devant atteindre au terme de 10 ans 12 ( * ) au moins 1 % du montant des dépôts de l'ensemble des établissements de crédit agréés et qui sont garantis à hauteur de 100 000 euros. D'après la Commission européenne, cela correspond à un montant-cible d'environ 55 milliards d'euros .

La mise en place du fonds de résolution pose deux principales questions : la clé de répartition des contributions entre les banques et les modalités de mutualisation des fonds nationaux .

LA CLÉ DE CONTRIBUTION DÉTERMINANT LE MONTANT PAR SECTEUR BANCAIRE NATIONAL

Si l'article 66 de la proposition de règlement de la Commission prévoit que « la contribution de chaque établissement (...) est calculée proportionnellement au montant de son passif » et qu'elle est « ajustée en fonction du profil de risque de chaque établissement », la détermination des critères exacts permettant de déterminer le niveau de contribution de chaque établissement est renvoyée par le projet à un acte délégué de la Commission européenne .

Il apparaît ainsi que la cible de 1 % des dépôts couverts ne s'applique pas pays par pays ; le montant de la contribution d'un secteur bancaire national dépendra du montant de son passif et de son profil de risque tel que mesuré par la Commission européenne.

D'après les informations recueillies par votre rapporteur, le gouvernement français milite cependant pour que ce montant ne soit pas radicalement différent du montant qu'aurait atteint le fonds national en application de la directive BRRD, soit environ 13 milliards d'euros pour le secteur bancaire français.

Le choix des critères de calcul des contributions des établissements comporte des enjeux majeurs pour chaque Etat membre.

Le premier enjeu est économique : dans les années de constitution du fonds, une part significative des résultats des différentes banques de la zone euro - et, dès lors, de leur marge de manoeuvre en termes de financement de l'économie - sera absorbée par les versements au fonds européen. Rappelons cependant que les banques ont également intérêt à un fonds important, puisque la surface financière du fonds et le système de solidarité qu'il assure influent sur la perception qu'ont les investisseurs de la crédibilité de leur cadre de régulation.

Le deuxième enjeu est fiscal et budgétaire : en réduisant les résultats des banques, ces contributions diminuent proportionnellement les recettes fiscales nationales, en particulier les recettes d'impôt sur les sociétés. Pour rappel, sur les années 2010 et 2011, le secteur bancaire a représenté une recette d'environ 3 milliards d'euros par an au seul titre de l'impôt sur les sociétés 13 ( * ) .

Enfin, le troisième enjeu est celui du lien entre contribution et utilisation du fonds . A cet égard, votre rapporteur estime que le fonds de résolution doit faire contribuer davantage les établissements présentant le plus de probabilité d'entrer en résolution et, s'ils sont en résolution, le coût potentiel le plus important. Le fonds de résolution résulte en effet du croisement d'une logique de solidarité, la taille du bilan devant être le critère déterminant des contributions des banques, et d'une logique assurantielle, réclamant une forme de « malus » pour les établissements les plus risqués.

Dès lors, l'idée d'une « surcontribution » pour les établissements systémiques ne semble pas appropriée . D'une part, elle conduirait à augmenter considérablement la contribution de certains secteurs bancaires nationaux, dont celui de la France, pour des raisons qui tiennent seulement à l'organisation historique de ce secteur (forte concentration). D'autre part, la probabilité de résolution d'un établissement systémique n'est pas plus élevée que celle d'un établissement de taille plus réduite.

En revanche, le critère des actifs pondérés par les risques, tel que préconisé par l'auteur de la proposition de résolution, paraît pertinent . En effet, il permet, sur la base d'une pondération contrôlée et harmonisée par le nouveau superviseur unique européen dans le cadre de l'AQR, d'ajuster les contributions des établissements en fonction de la qualité de leur portefeuille, des risques qu'ils prennent dans le cadre de leurs activités et, partant, de la probabilité d'entrée en procédure de résolution. Cette position est partagée par le gouvernement, qui a indiqué, par la voix de Corso Bavagnoli lors de l'audition précitée, que « deux paramètres existent pour déterminer la contribution des banques : leur taille, et le risque qu'elles présentent. La France estime que le second, exprimé par la pondération par les risques au sens des Risk Weighted Assets (RWA) des banques, est le plus important ».

En tout état de cause, votre rapporteur ne souhaite pas que la durée de constitution du fonds soit raccourcie : cela reviendrait à faire peser une charge sur le secteur bancaire importante dans un contexte de réformes prudentielles et d'ajustement budgétaire justifiant d'étaler dans le temps l'impact sur le résultat fiscal des banques de leurs contributions au fonds.

VERS UNE MUTUALISATION ACCÉLÉRÉE DES CONTRIBUTIONS NATIONALES

Dans le projet de règlement proposé par la Commission, le fonds unique européen devait être progressivement alimenté par des contributions des différentes banques, avec une mutualisation immédiate et complète de l'ensemble de ces contributions .

L'accord du Conseil du 19 décembre 2013 prévoit, au contraire, que les contributions des banques transitent par des compartiments nationaux au sein du fonds de résolution . Ces compartiments nationaux ne seraient que progressivement mutualisés, à hauteur de 10 % par an pendant 10 ans . Ainsi, si un établissement de crédit d'un Etat membre participant était soumis à résolution lors de la première année de mise en oeuvre du mécanisme, il ne pourrait bénéficier, outre de la totalité du compartiment national de cet Etat, que de 10 % du montant de chacun des autres compartiments nationaux.

Ce délai de mutualisation se justifie pour éviter que la totalité des contributions au fonds (ou à ses différents compartiments) dans les premières années soit absorbée par le financement d'une ou plusieurs procédures de résolution dans quelques Etats membres au secteur bancaire fragile.

Cependant, telle que projetée par le Conseil, la progressivité de la mutualisation réduit considérablement le principe de solidarité au coeur du MRU . En effet, elle signifierait que ne seraient mutualisées et ne pourraient donc être utilisées pour la résolution d'un établissement que des ressources très réduites lors des premières années (seulement 10 % des contributions annuelles, elles-mêmes établies à 10 % du montant-cible de 55 milliards d'euros, soit seulement 550 millions d'euros la première année).

En ce sens, votre rapporteur salue la proposition formulée par le commissaire européen Michel Barnier devant le Parlement européen le 6 février dernier, indiquant qu'il était favorable à une mutualisation en 5 ans ; si la durée de la mutualisation devait être parallèle à la durée de constitution du fonds, il serait alors possible de prévoir une durée totale de 7 ans et « une mutualisation accrue en début de période . Par exemple, au lieu de 15 % par an sur sept ans, on pourrait imaginer 40 % la première année, 30 % la deuxième, 20 % la troisième et 5 % les quatrième et cinquième années » 14 ( * ) .

Votre rapporteur rejoint donc l'auteur de la proposition de résolution européenne pour demander une réduction à cinq ans de la durée de mutualisation des compartiments nationaux , afin de rendre plus effectif le principe de solidarité qui fait la force et la crédibilité du MRU.

UN FILET DE SÉCURITÉ FINANCIER PUBLIC SOLIDE

Malgré l'ensemble des financements privés prévus par le texte (actionnaires, créanciers, fonds de résolution), une grande part de la crédibilité du MRU reposera sur l'existence et la solidité du filet de sécurité destiné à financer la résolution en cas d'insuffisance des instruments précédemment mentionnés, moins parce que ces instruments seraient en eux-mêmes insuffisants que parce qu'ils pourraient ne pas être encore en place.

Au-delà du montant du fonds de résolution, la proposition initiale de la Commission prévoyait deux moyens de financements alternatifs à la disposition du CRU, gestionnaire du fonds :

- des contributions ex post des établissements bancaires - fortement limitées par la nécessité de prendre garde à ne pas provoquer des difficultés financières en chaîne (article 67 de la proposition de règlement) ;

- une possibilité d'emprunt du fonds de résolution auprès de ses membres ou des marchés financiers (article 69).

Il ne s'agit que de solutions financières de nature privée , la Commission n'étant pas en mesure de proposer un filet de sécurité financier public.

L'accord du Conseil du 19 décembre 2013 prévoit quant à lui qu' « un filet de sécurité commun sera développé pendant la phase transitoire [de constitution du fonds], qui sera pleinement opérationnel au plus tard au bout de 10 ans. Ce filet de sécurité faciliterait les emprunts par le fonds . Il serait ultimement remboursé par le secteur bancaire via des contributions, y compris ex post ».

Les modalités de ce mécanisme de « facilitation de l'emprunt » du fonds sont au coeur des négociations actuellement en cours entre les Etats membres et entre le Conseil, le Parlement européen et la Commission européenne.

Deux solutions semblent a priori envisageables : une garantie du mécanisme européen de stabilité (MES) ou une garantie conjointe et solidaire de tous les Etats membres participants . La première présente l'inconvénient de nécessiter une modification du traité sur le MES du 2 février 2012. Votre rapporteur est donc plutôt favorable à la seconde, dont la crédibilité financière est, par définition, au moins aussi importante que celle du MES.

Dans la phase initiale de constitution du fonds , cet instrument ne sera, en tout état de cause, pas encore mis en oeuvre. Comme il a déjà été mentionné précédemment à propos des résultats de l'AQR, le principe défini par le Conseil Ecofin du 15 novembre 2013 est celui d'un financement national et, en cas d'incapacité budgétaire de l'Etat membre en question, d'un prêt du MES à cet Etat, fléché vers l'institution financière, conformément à l'article 15 du traité du MES 15 ( * ) .

Votre rapporteur estime que cette procédure, utile dans une phase de transition, demeure toutefois insuffisante pour permettre une véritable dissociation entre risque souverain et risque bancaire : sa mise en oeuvre est non seulement conditionnée à l'existence d'un risque souverain mais elle le renforce puisqu'elle conduit à alourdir la dette de l'Etat en question.

En conséquence, votre rapporteur se félicite que la proposition de résolution appelle de ses voeux la mise en place rapide d'un véritable instrument de recapitalisation directe par le MES des établissements en difficulté , tel que le Conseil européen l'a à plusieurs reprises affirmé (27 et 28 juin 2012 ; 24 et 25 octobre 2013).

La déclaration conjointe des gouvernements français et allemand à l'occasion du 16 ème conseil des ministres franco-allemand , le 19 février 2014, précise un calendrier possible pour la mise en place de cet instrument , puisqu'elle indique que « la France et l'Allemagne se donnent pour objectif d'achever l'union bancaire et considèrent prioritaires l'obtention d'un accord final avec le Parlement européen sur le mécanisme de résolution unique avant les élections européennes sur le fondement de l'orientation générale obtenue par le Conseil en décembre, ainsi que, de manière complémentaire, l'obtention d'un accord politique final sur l'instrument de recapitalisation directe par le MES en mars prochain ».

Ce calendrier a été confirmé par Corso Bavagnoli lors de l'audition conjointe, qui a par ailleurs indiqué que, selon la France « une modification du traité n'est pas nécessaire : l'article 19 du traité sur le MES permet déjà la création de nouveaux instruments » 16 ( * ) .

Ainsi, cet instrument essentiel permettra de parfaire le système mis en place depuis deux ans et de conforter le système bancaire de la zone euro et, partant, la monnaie unique, quelle que soit la nature des résultats de la revue de la qualité des actifs par la BCE en novembre 2014.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE ADOPTÉE PAR LA COMMISSION

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre pour le redressement et la résolution des défaillances des établissements de crédit et d'entreprises d'investissement COM (2012) 280,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux systèmes de garantie des dépôts COM (2010) 368,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d'investissement dans le cadre d'un mécanisme de résolution unique et d'un fonds de résolution bancaire unique COM (2013) 520,

Vu le règlement (UE) n° 1024/2013 du Conseil confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de contrôle prudentiel des établissements de crédit,

Vu le règlement (UE) n° 1022/2013 du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) n° 1093/2010 instituant une Autorité européenne de surveillance (Autorité bancaire européenne) en ce qui concerne son interaction avec le règlement du Conseil confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de contrôle prudentiel des établissements de crédit,

Vu la communication du 30 juillet 2013 de la Commission concernant l'application, à partir du 1 er août 2013, des règles en matière d'aides d'État aux aides accordées aux banques dans le contexte de la crise financière (2013/C 216/01),

Vu les procédures relatives à la fourniture de liquidité d'urgence publiées par la Banque centrale européenne le 17 octobre 2013,

Vu les conclusions des Conseils européens des 13 et 14 décembre 2012, des 27 et 28 juin 2013 et des 24 et 25 octobre 2013 ainsi que les conclusions du Conseil ECOFIN du 15 novembre et du 18 décembre 2013,

Réaffirme son soutien au processus de mise en place d'une union bancaire, conformément à sa résolution n° 32 en date du 20 novembre 2012 ;

Sur la revue de la qualité des actifs bancaires

Attire l'attention sur les enjeux de la revue de la qualité des actifs bancaires menée par la Banque centrale européenne et des tests de résistance conduits par l'Autorité bancaire européenne ;

Souligne que cet exercice doit être mené avec la même rigueur et de façon homogène sur l'ensemble des établissements de l'Union bancaire tout en tenant compte des spécificités des différentes structures et activités ;

Sur le Mécanisme européen de stabilité

Rappelle que l'instrument de recapitalisation directe des banques par le Mécanisme européen de stabilité doit être opérationnel dès la mise en oeuvre effective du Mécanisme de surveillance unique, soit au terme de la publication par la Banque centrale européenne de l'évaluation de la qualité des actifs ;

Appelle en conséquence à la finalisation de l'accord sur la recapitalisation directe des établissements de crédit par le Mécanisme européen de stabilité conformément aux conclusions du Conseil européen ;

Soutient les grandes lignes de l'accord du Conseil de l'Union européenne du 18 décembre 2013 et souhaite que soit mis en place, avant la fin de la législature du Parlement européen, un mécanisme de résolution unique crédible et opérationnel dans le cadre de l'Union bancaire ;

Sur la stabilité et l'intégration des marchés financiers européens

Se félicite de la prochaine adoption des directives relatives, d'une part, au cadre de redressement et de résolution des défaillances des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, et d'autre part, aux systèmes de garantie des dépôts, éléments indispensables à la stabilisation de l'ensemble du système bancaire européen ;

Rappelle que les infrastructures de marché sont des rouages essentiels du fonctionnement des marchés financiers et souhaite, qu'à ce titre, une réflexion soit engagée sur un cadre harmonisé et un mécanisme européen de supervision, de redressement et de résolution de ces infrastructures ;

Sur le renflouement interne

Note que le principe de renflouement interne est un élément majeur du cadre de redressement et de résolution proposé et qu'il doit permettre de limiter au maximum les éventuels recours à des fonds publics ;

Appelle, afin de préserver le bon fonctionnement du marché unique des services financiers, à la plus grande vigilance sur les éventuelles divergences d'application du principe de renflouement interne entre les États participants à l'Union bancaire et les États non participants ;

Relève que le principe de renflouement interne pourrait avoir des incidences sur la stabilité du système financier et sa capacité à financer l'économie ;

Souhaite que le bilan qui doit être établi par la Commission sur l'application du Mécanisme de résolution unique intègre une analyse détaillée des conséquences de l'adoption du principe de renflouement interne dans le droit communautaire ;

Demande que ce bilan détaillé soit présenté pour la première fois un an après l'entrée en vigueur du renflouement interne puis tous les deux ans et soit transmis aux Parlements nationaux ;

Sur le mécanisme de résolution unique

Considère que la crédibilité du Mécanisme de résolution unique repose notamment sur des processus de décision rapides et efficaces, un filet de sécurité financier et l'accès à une liquidité d'urgence ;

Estime que la gouvernance ne doit pas être source de complexité et devra, à terme, être simplifiée ; considère toutefois qu'elle est de nature à assurer un équilibre entre décisions techniques et politiques, du ressort national ou européen, jusqu'à la mutualisation complète du financement de la résolution ;

Souhaite néanmoins, afin de permettre des décisions rapides et opérationnelles, que soient proposés un renforcement des pouvoirs de décision du comité exécutif du Conseil de résolution ainsi qu'une procédure d'urgence ;

Juge qu'un filet de sécurité financier doit être mis en place dans les meilleurs délais et, qu'à défaut de révision du traité du Mécanisme européen de stabilité, une capacité d'emprunt propre du Fonds de résolution unique doit être la solution privilégiée ;

Souligne que l'accès à une liquidité d'urgence fait partie intégrante d'un dispositif de résolution ; encourage en conséquence les États participants et l'Eurosystème à renforcer la transparence du processus de fourniture de liquidité par les banques centrales et sa conformité aux objectifs de l'Union bancaire ;

Sur le Fonds de résolution unique

Considère que les règles de contribution au Fonds de résolution unique ne doivent pas créer de distorsion entre les systèmes bancaires nationaux tant au sein de l'Union bancaire que vis-à-vis des États ne participant pas à l'Union bancaire ;

Souhaite que le calcul des contributions intègre une estimation des risques des établissements de crédit qui pourrait être fondée sur les actifs bancaires pondérés par les risques tels qu'ils auront été revus par la Banque centrale européenne ;

Est d'avis que les modalités de calcul des contributions ainsi que les principes d'administration et d'investissement du Fonds de résolution constituent des aspects essentiels du mécanisme de résolution unique et ne doivent pas relever d'actes délégués ;

Souhaite qu'un rapport annuel du Conseil de résolution unique comprenant les comptes définitifs, un rapport sur les activités de résolution ainsi qu'un rapport de gestion du Fonds de résolution soit transmis au Conseil, au Parlement européen et aux Parlements nationaux ;

Constate que le recours à un accord intergouvernemental soustrait une partie du Mécanisme de résolution unique à la procédure législative ordinaire de l'article 114 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union européenne ;

Insiste en conséquence sur la nécessité d'en limiter strictement le champ aux conditions des transferts et de la mutualisation des contributions au fonds de résolution unique ;

Considère que, dès lors que la revue des établissements de crédit menée par la Banque centrale européenne aura établi une évaluation impartiale des situations bancaires et en particulier de l'héritage des situations antérieures, la période de mutualisation des compartiments nationaux du Fonds de résolution unique pourrait être réduite à 5 ans ;

Juge en revanche que, au regard des contraintes prudentielles pesant sur les établissements de crédit, la durée de 10 ans de constitution du Fonds de résolution ne doit pas être réduite ;

Demande au Gouvernement de défendre et de faire valoir ces orientations auprès des institutions européennes.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

AUDITION CONJOINTE DU 25 FÉVRIER 2014 SUR L'ÉTAT D'AVANCEMENT ET LES PERSPECTIVES D'ÉVOLUTION DE L'UNION BANCAIRE

Au cours d'une première réunion, la commission procède à l'audition conjointe de MM. Corso Bavagnoli, sous-directeur des banques et du financement d'intérêt général à la direction générale du Trésor, Frédéric Visnovsky, secrétaire général adjoint de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), Karel Lannoo, directeur général du Centre for European Policy Studies (CEPS), Pierre de Lauzun, directeur général délégué de la Fédération bancaire française, et Mme Laurence Scialom, professeure d'économie à l'Université Paris-X, sur l'état d'avancement et les perspectives d'évolution de l'union bancaire.

M. Philippe Marini , président . - Je vous prie d'excuser l'absence de notre rapporteur général François Marc, retenu dans son département du Finistère par les obsèques d'un parlementaire exemplaire, Alphonse Arzel. Je poserai ses questions en son nom.

Les auditions de ce matin portent sur l'état d'avancement et les perspectives d'évolution de l'union bancaire. Depuis le Conseil européen de juin 2012, plusieurs étapes importantes ont été franchies : le mécanisme de surveillance unique (MSU) a été adopté à l'automne 2013 et entrera en vigueur progressivement courant 2014. La Banque centrale européenne (BCE) sera, à la fin de l'année, responsable de la supervision de l'ensemble des établissements de crédit de la zone euro, et assurera cette supervision directement pour les plus importants d'entre eux, soit, en France, leur quasi-totalité.

Le lancement d'un superviseur unique s'accompagne d'une sorte d'opération vérité sur le secteur bancaire européen. La BCE procède en effet à une revue de la qualité des actifs bancaires - ou asset quality review - qui mesurera la solidité des établissements et leur résistance aux crises. L'objectif est de « faire sortir les cadavres des placards » où les superviseurs nationaux les avaient peut-être opportunément laissés depuis le début de la crise. Où en est cet exercice ? Que doivent en attendre les banques européennes en général, et françaises en particulier ? Quelles en seront les conséquences pour les établissements jugés trop fragiles ?

Le second volet de l'union bancaire consiste en un mécanisme de résolution unique (MRU), censé encadrer le démantèlement ou la restructuration ordonnée des banques en crise. Les négociations entre le Conseil, le Parlement européen et la Commission portent d'abord sur les procédures de décision. La Commission souhaite jouer un rôle principal. Les États membres entendent conserver certaines prérogatives. Comment garantir la rapidité et l'efficacité du mécanisme ? Quel financement des recapitalisations faut-il prévoir ? Selon quelles modalités les banques alimenteront-elles le fonds de résolution européen, dont la capacité devrait atteindre 55 milliards d'euros ? À quelle vitesse les contributions des différents secteurs bancaires nationaux seront-elles mutualisées ? Si les ressources privées sont insuffisantes, y aura-t-il une garantie publique ?

Ces questions, d'apparence technique, sont politiques et institutionnelles. Les États membres estiment qu'un nouvel accord intergouvernemental est nécessaire. Pour la Commission, un acte de droit communautaire dérivé suffit. L'enjeu reste, pour nous, dans la perspective de l'examen, dès demain, du rapport de François Marc sur la proposition de résolution européenne déposée par Richard Yung, de comprendre dans quelle mesure les évolutions en cours seront de nature à couper tout lien entre risque bancaire et risque souverain, donc à protéger le budget des États membres et la monnaie unique ? En d'autres termes, sommes-nous complètement tirés d'affaire de la crise des dettes souveraines ?

Pour répondre à toutes ces questions, nous entendons Corso Bavagnoli, sous-directeur des banques et du financement d'intérêt général à la direction générale du Trésor ; Karel Lannoo, directeur général du Centre for European Policy Studies (CEPS), qui avait été le premier à proposer de donner une licence bancaire au Fonds européen de stabilité financière, proposition formulée par nos soins dans le projet de loi de finances rectificative de septembre 2011 et devenue position du gouvernement français ; Frédéric Visnovsky, secrétaire général adjoint de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ; Pierre de Lauzun, directeur général délégué de la Fédération bancaire française ; et Laurence Scialom, professeure d'économie à l'Université Paris-X.

M. Bavagnoli, quels sont les enjeux de ces évolutions ? Quelle est la position française, ainsi que celle des autres États membres sur ces questions ? L'Allemagne et la France ont-elles les mêmes intérêts, les mêmes positions ? La France doit-elle craindre le lourd tribut que ses banques risquent de verser  dont les petites banques allemandes les plus fragiles pourraient être les premières bénéficiaires - une position à fronts renversés, pour ainsi dire ?

M. Corso Bavagnoli, sous-directeur des banques et du financement d'intérêt général, direction générale du Trésor . - Ma première intervention sera brève et laissera certaines questions en suspens en attendant la fin du tour de table. Depuis juin 2012, la mise en place de l'union bancaire est une priorité de l'agenda européen. En mettant fin au cercle vicieux entre risque souverain et risque bancaire, surtout dans les États périphériques de la zone euro, elle est indispensable à la reprise de l'activité économique.

L'union bancaire était déjà en filigrane dans le traité de Maastricht, qui envisageait de doter la BCE, le moment venu, de compétences de supervision. Début 2011, sur les préconisations du rapport de Jacques de Larosière, une autorité bancaire européenne, une autorité européenne des marchés financiers et une autorité européenne des assurances ont été mises en place, et le paquet CRD4/CRR a instauré un corpus unique de règles en matière de surveillance bancaire. Une étape décisive a été franchie en juin 2012, lorsque le Conseil européen a pris une position de principe en faveur de la création de mécanismes de supervision et de résolution uniques, ainsi que de la mise en place d'un système unifié de garantie des dépôts.

Les marchés européens sont, en effet, de plus en plus intégrés, mais la responsabilité de la supervision et de la résolution est demeurée essentiellement nationale. Il était urgent d'agir sur le canal par lequel l'érosion de la confiance des marchés aboutissait à exporter les difficultés de financement aux États souverains, comme ce fut le cas en Espagne avant le Conseil européen de juin 2012. Ce cercle vicieux a conduit à renationaliser les marchés financiers et compliqué, en dernière instance, les conditions de financement de l'économie réelle en périphérie de la zone euro. En juin 2012, les chefs d'États et de gouvernements ont décidé d'autoriser le mécanisme européen de stabilité (MES) à recapitaliser directement les banques de la zone euro lorsqu'un mécanisme de supervision unique (MSU) aura été établi car, dès lors que les ressources des contribuables européens étaient sollicitées, il fallait simultanément créer une responsabilité commune de prévention des risques bancaires.

Sur le fondement du règlement adopté à l'automne 2013, le MSU est en cours de mise en oeuvre, et devrait être opérationnel en novembre 2014. Les responsables de son conseil de supervision ont été nommés. Les chantiers prioritaires seront la revue des actifs conduite par le MSU et les tests de résistance, menés par l'Autorité bancaire européenne. À terme, la BCE sera responsable de la supervision de toutes les banques européennes. Cette supervision sera directe pour les 128 plus grands établissements, qui ne sont pas tous systémiques, représentant 85 % des actifs de la zone euro, et indirecte pour les autres. Le secteur bancaire français, plus concentré que dans les autres pays, sera contrôlé directement à 95 %.

Le deuxième étage du système est constitué du mécanisme de résolution unique (MRU), encore en discussion. Un règlement européen et un accord intergouvernemental sur le transfert et la mutualisation des contributions au fonds unique de résolution formeront sa base juridique. Le Conseil européen a trouvé un accord, le 18 décembre dernier, sur un projet de règlement, et les discussions avec le Parlement européen ont commencé. Son périmètre sera plus large que celui du MSU, car la responsabilité directe de l'autorité européenne de résolution concernera toutes les banques de la zone euro, dès lors qu'elles ont une activité transfrontalière. Le MRU sera administré par un conseil de résolution restreint, afin d'assurer la rapidité de ses décisions, qui associera étroitement les autorités nationales concernées. Les décisions prises seront soumises sur proposition de la Commission européenne à l'approbation du Conseil européen, qui disposera de vingt-quatre heures pour rendre sa décision.

Le fonds unique de résolution européen de 55 milliards d'euros, soit 1 % des dépôts garantis de la zone euro, sera créé au sein du MRU, et financé par les établissements de crédit sur une période transitoire de dix ans. Des compartiments nationaux seront utilisés en résolution, mais de manière dégressive, à mesure que progressera la mutualisation. Au bout de dix ans, le fonds unique, totalement mutualisé, bénéficiera d'un filet de sécurité public européen commun. Le système sera alors totalement fédéralisé.

Ces instruments résultent de compromis, mais il ne faut pas sous-estimer leur ambition. Le champ du MRU est large, ce qui incitera la BCE à étendre celui de sa supervision. Le fonds unique sera opérationnel dès 2015, sa mutualisation progressive et sa capacité, importante, permettra de faire payer au secteur bancaire ses propres crises.

Le mécanisme européen de garantie des dépôts sera le dernier pilier de l'union bancaire. Des progrès importants ont déjà été accomplis, puisqu'une nouvelle directive d'harmonisation sera adoptée en trilogue au printemps, après accord du Conseil Ecofin. Elle unifiera le mode de financement des garanties des dépôts en Europe, et accélèrera le remboursement des particuliers et des entreprises bénéficiaires. À terme, il faudra aller plus loin, et mettre en place une mutualisation de la garantie des dépôts pour tous les États membres participant à l'union bancaire. Cela permettra d'obtenir un même niveau de protection pour tous les déposants au sein de l'union bancaire.

L'union bancaire, qui est un défi considérable a, pour l'heure, fait l'objet de progrès extraordinairement rapides. Il reste à conclure, d'ici au printemps, les négociations sur l'accord intergouvernemental et, avec le Parlement européen, sur le règlement où ce dernier a un pouvoir de codécision, afin que le mécanisme soit opérationnel dès 2015.

M. Philippe Marini , président . - M. Lannoo, l'union bancaire coupera-t-elle tout lien entre risque bancaire et risque souverain ? Vu de Bruxelles, quels en sont les enjeux ? Comment voyez-vous la stratégie des différents acteurs, dont la France et l'Allemagne ?

M. Karel Lannoo, directeur général du CEPS . - C'est un plaisir de m'exprimer devant vous. J'étudie ces questions depuis vingt ans. L'union bancaire est une étape critique pour l'intégration européenne, aussi critique, pour certains, que l'était l'union économique et monétaire. Ce n'est pas faux. L'ampleur de la crise qui a frappé le secteur bancaire imposait de créer urgemment un système plus intégré. La décision n'a été prise qu'en octobre 2013. Donnons à la BCE le temps de réaliser ce travail titanesque. Humainement d'abord : elle a déjà prévu d'embaucher près de 800 personnes. Méthodologiquement ensuite : l'harmonisation des données bancaires, dont les définitions sont encore nationales, sera un chantier majeur. La création de la BCE elle-même a pris cinq années. Si cela ne tenait qu'à moi, je lui donnerais davantage qu'un an pour mettre en place l'union bancaire.

En effet, beaucoup reste à faire. Le marché intérieur fonctionne depuis vingt ans, mais certaines questions n'ont toujours pas été tranchées. L'harmonisation des règles prudentielles n'est pas totale - certaines règles issues de la directive CRD4 unifiant les définitions du capital des banques ne sont connues que depuis août dernier. De même pour les règles de reporting par les banques, ou celles relatives aux prêts non performants ou douteux, dont la définition repose sur la durée d'impayé - trois, six ou neuf mois selon les pays. La BCE ne pourrait harmoniser ces règles unilatéralement, car l'impact sur le cycle du crédit serait trop brutal et pénaliserait les entreprises.

Autre source de difficultés pour la BCE : de nombreuses compétences sont restées dans les mains des États membres, les ratios de capital par exemple. La BCE a affirmé il y a deux semaines que les autorités de régulation nationales participant au MSU devaient la solliciter sur toute mesure prise dans ce domaine : nous verrons comment cela s'applique. Les normes comptables sont également de la compétence des États membres, comme la fiscalité ou la réglementation des prix de transfert. La BCE devra relever le défi d'imposer son système de supervision. Cela durera sans doute un certain temps.

À long terme, l'ambition est de créer une culture européenne de supervision bancaire. Pour ce faire, la BCE constituera des équipes multinationales, afin d'écarter tout risque de biais dans ses contrôles. A raison de quarante ou cinquante personnes par équipe, la supervision de 130 banques sollicitera des effectifs énormes. Là encore, cela demandera du temps.

Avons-nous découplé le risque bancaire et le risque souverain ? Nous avons d'abord renforcé la réglementation sur les fonds propres des banques. Si ces fonds propres ne suffisent pas, le mécanisme de résolution prévoit ensuite une procédure de renflouement - ou bail-in - obligatoire jusqu'à 8 % du passif des banques, ce qui est énorme et n'existe pour l'heure qu'en Suisse. En outre, chaque État membre doit constituer un fonds de résolution national, doté à hauteur de 0,8 % de ses dépôts bancaires. Enfin, le mécanisme de garantie des dépôts disposera également d'un montant égal à 0,8 % des dépôts. Les États membres disposaient déjà d'un mécanisme de garantie, mais il n'était financé, pour certains, qu' a posteriori .

À Bruxelles, les critiques portent essentiellement sur la complexité de la procédure de décision, sur l'insuffisance du fonds et sur le fait qu'il ne sera opérationnel qu'en 2026. Je ne suis toutefois pas inquiet. Le MES fait office de prêteur en dernier ressort. En attendant le MRU, la contagion du risque bancaire au risque souverain n'est pas exclue, mais dans dix ou douze ans, le système sera beaucoup plus intégré et le risque amoindri.

M. Philippe Marini , président . - En somme, et pour paraphraser Lord Keynes, à long terme nous serons tous guéris... M. Visnovsky, à quoi servira, à terme, l'ACPR ? Ne faudrait-il pas réduire ses moyens ? La procédure nationale de résolution créée par la loi de séparation bancaire de juillet 2013 est-elle déjà désuète ?

M. Frédéric Visnovsky, secrétaire général adjoint de l'ACPR . - La compétence de supervision est partagée entre la BCE, qui contrôle directement les grands établissements, et les autorités nationales pour les autres. C'est en effet un grand chantier, mais les travaux préparatoires durent depuis de nombreux mois. Nous pouvons envisager la mise en place de ces mécanismes avec optimisme.

Six chantiers ont été lancés. La gouvernance du dispositif d'abord. Depuis la nomination de sa présidente, Danièle Nouy, le conseil de supervision, qui se réunit tous les quinze jours, a tenu deux réunions et prépare la troisième, prévue ce jeudi. Il est en train d'adopter, comme toute nouvelle structure, son règlement intérieur et le code de conduite de ses membres. Bref, l'organisation fonctionne.

Deuxième chantier : le cadre juridique dans lequel la BCE conduira ses missions. Publié le 7 février, il est en consultation jusqu'au 7 mars. Il définit les pouvoirs de l'institution et ses relations avec les autres acteurs.

Ses compétences étant pour partie partagées, des équipes de surveillance conjointes devront être mises en place. Les moyens de chaque autorité nationale pour le contrôle de ceux des 128 groupes dont elle a la responsabilité ont été évalués. Incidemment, ceux de l'ACPR sont nettement inférieurs à ceux de ses homologues allemand, italien ou espagnol, parfois du simple au double. Ces équipes commenceront à travailler dès le mois d'avril, en fonction d'une méthodologie commune à tous les établissements.

Quatrième chantier, la mise en place des services au sein de la BCE, qui comprendront quatre directions générales : deux chargées de la supervision des 128 établissements directement contrôlés, une chargée de la surveillance indirecte, et une des contrôles horizontaux et transversaux. Près de 770 personnes seront recrutées.

M. Philippe Marini , président . - Sous statut de fonctionnaire international ?

M. Frédéric Visnovsky . - J'ignore quel sera leur statut.

M. Philippe Marini , président . - Il sera sans doute généreux...

M. Frédéric Visnovsky . - Sans doute davantage que celui des personnels de l'ACPR !

Cinquième chantier : l'élaboration des outils nécessaires à ces nouvelles missions, au-delà des exigences méthodologiques. La BCE appliquera les standards de reporting définis par l'autorité bancaire européenne. Les prêts non performants, par exemple, font l'objet d'une définition unique qui s'imposera dans l'ensemble de l'Union européenne, non à la seule BCE. Quant au financement de celle-ci, un projet de règlement sera finalisé d'ici l'été, qui précisera le mode de financement des dépenses occasionnées par l'activité de supervision.

Enfin, d'ici le 4 novembre, seront conduits : l'évaluation prudentielle de l'ensemble des risques des 128 établissements, au printemps ; la revue de la qualité des actifs, afin de « sortir d'éventuels cadavres des placards », mais surtout d'assurer la transparence de l'information disponible au marché pour redonner confiance dans le système bancaire européen ; enfin, les tests de résistance, conduits par l'autorité bancaire européenne. Nous tenons demain une réunion à ce propos, afin d'en définir les modalités. Ces opérations seront menées avec une extrême rigueur et dans le respect des échéances fixées.

Le Gouvernement, en élaborant le projet de loi de séparation bancaire, n'ignorait rien des chantiers en préparation au niveau européen. Si l'ACPR appliquera bien sûr le droit en vigueur, des adaptations seront nécessaires. Le collège de résolution a tenu une première séance ; une seconde, opérationnelle, est prévue début mars. Une direction de la résolution a été créée au sein du secrétariat général. Les plans de rétablissement exigés des grands groupes bancaires français illustrent cette activité de résolution, préventive et curative.

M. Philippe Marini , président . - M. de Lauzun, par quoi se traduiront ces évolutions pour les banques ? Devront-elles accorder plus de temps au contrôle et aux contrôleurs, et donc moins au financement de l'économie ?

M. Pierre de Lauzun, directeur général délégué de la Fédération bancaire française . - La Fédération bancaire française a été d'emblée très favorable à l'union bancaire. La supervision commune est un changement majeur pour les établissements, dont les interlocuteurs seront ceux de la BCE, et non plus de l'ACPR. Au lieu d'être contrôlées par des équipes françaises dans un cadre français, les banques le seront par des équipes de dix-huit pays, et un conseil composé de représentants de ces dix-huit pays.

M. Philippe Marini , président . - Voulez-vous dire que les contrôles étaient plus complaisants dans un cadre franco-français ?

M. Pierre de Lauzun . - Les décisions prises par des équipes moins intégrées au sein d'une structure culturellement homogène seront nécessairement plus formalisées. Notre régulateur n'était à l'évidence pas laxiste, les résultats le prouvent. Le changement principal réside dans la vision paneuropéenne du secteur qui sera ainsi fournie, nécessaire dès lors que nos groupes sont eux aussi paneuropéens.

La revue de qualité des actifs n'est pas une grosse opération, c'est une opération colossale. La définition de méthodes communes, préalable à ce travail gigantesque, sera capitale. Les marchés européens ont chacun leurs caractéristiques. En matière de crédits immobilier par exemple, le taux de sinistralité est négligeable en France car la distribution du crédit est relativement sévère, mais ce n'est pas le cas partout. La méthode harmonisée devra tenir compte de ces réalités variables, sans faire de favoritisme. En toute hypothèse, adopter des planchers ou des plafonds communs risque de fausser l'analyse des situations. Nous ne pouvons, sur ce point, qu'exprimer notre confiance a priori. Cette démarche pourrait avoir le mérite de faire ressortir les problèmes de certains pays, les banques françaises sont confiantes en la matière. Or les mécanismes de résolution ne seront pas nécessairement en place : il est vital que le système européen soit en état d'aider les banques concernées.

En matière de résolution, distinguons deux choses : la directive « renflouement interne des banques » sur le redressement et la résolution n'a rien à voir avec l'union bancaire, elle s'applique aux vingt-huit États membres de l'Union européenne. Elle prévoit une procédure de renflouement interne, ou bail-in, permettant de faire porter les pertes non sur les contribuables, mais sur la banque elle-même, ses actionnaires ou ses partenaires créanciers. C'est une réforme extrêmement positive. Il n'est pas normal que les contribuables interviennent dans le sauvetage d'établissements privés responsables de leur faillite. Nous sommes plus réservés sur le seuil de 8 %. Nous pensons qu'il fallait aller au bout de la logique de renflouement interne en faisant porter sa responsabilité sur les créanciers de la banque en faillite, qui devaient apprécier le risque au moment d'entrer en relation avec elle, plutôt que sur d'autres banques.

Faire intervenir le fonds de résolution précocement imposait de lui conférer une certaine crédibilité. Rapportés aux chiffres évoqués pendant la crise, celui de 55 milliards d'euros peut sembler une somme modeste, mais elle est énorme. Le fonds sera abondé par toutes les banques de la zone. Les nôtres sont sans doute les moins risquées, et ce seront sans doute celles qui paieront le plus.

M. Philippe Marini , président . - Combien ?

M. Pierre de Lauzun . - Je rappelle que nous payons déjà 900 millions d'euros au titre de la taxe systémique, cette taxe fondée sur l'idée que les banques devaient contribuer à leur propre sauvetage par la puissance publique. Si l'on ajoute les contributions au fonds de résolution et au fonds de garantie des dépôts, nous arrivons à une participation située entre 2,7 et 2,8 milliards d'euros par an.

La somme de 17 ou 18 milliards d'euros, qui serait atteinte après dix ans, représente 170 à 180 milliards d'euros de crédits en moins, soit quatre fois le volume que la banque publique d'investissement (BPI) apportera.

M. Philippe Marini , président . - Voilà qui mérite d'être dit ! Une BPI de créée, quatre de supprimées... Cela fait trois BPI en moins !

M. Pierre de Lauzun . - Chacun veut faire payer les banques sans toujours en mesurer les conséquences. Nous aurions préféré un fonds plus modeste, et l'utilisation systématique du renflouement interne, qui épargne le contribuable.

Les modalités de calcul de la répartition à dix-huit pénalisent les banques françaises par rapport aux règles nationales, pour un montant d'environ 3 milliards d'euros, soit 30 milliards d'euros de crédits. Il faut mieux tenir compte des risques et se fonder sur les encours pondérés, comme le recommande, à juste titre, la proposition de résolution de Richard Yung.

Pardonnez-moi d'aligner ainsi les chiffres, mais le secteur bancaire français s'étant révélé le plus stable d'Europe, il serait anormal qu'il soit le principal contributeur au fonds de résolution, en lieu et place de son homologue allemand.

M. Philippe Marini , président . - Mme Scialom, ce dispositif est-il malthusien ? Restreint-il la distribution du crédit ? L'uniformisation européenne des critères de prêt fera-t-elle des gagnants et des perdants ? En France, le crédit immobilier se fait en fonction de la solvabilité de l'emprunteur. Dans les pays anglo-saxons, seule la valeur hypothécaire du bien entre en ligne de compte. Comment unifier ces pratiques ? Tout ceci vise-t-il à rassurer nos concitoyens en édifiant une sorte de ligne Maginot bancaire contre le retour de la crise, ou ces évolutions aboutiront-elles à une réelle consolidation du système ?

M. Jean-Claude Frécon . - Surprenante comparaison !

Mme Laurence Scialom, professeure d'économie à l'Université Paris X . - L'importance du projet d'union bancaire ne vient pas seulement des raisons couramment évoquées : lutte contre la fragmentation de l'espace financier, rupture du lien entre dette souveraine et fragilité bancaire, prévention et gestion des crises bancaires. Il s'agit, avant tout, de compléter l'euro en réparant les graves déficiences qui l'affectent depuis sa création. Ses fondateurs avaient en effet oublié, semble-t-il, que 80 % de la monnaie était émise par les banques, dont ils ont organisé la supervision en appliquant le principe de subsidiarité. Du coup, en période de crise institutionnelle, un euro émis par une banque allemande risque de ne plus être considéré comme de même valeur qu'un euro émis par une banque portugaise, ou grecque. L'union bancaire est susceptible de pallier ces inconvénients, pourvu que les États ne la tronquent pas et acceptent de faire le saut fédéral qu'elle implique.

Elle se met en place par séquences, malheureusement disjointes alors qu'elles devraient être imbriquées, et comporte trois piliers indissociables. La mise en place du MSU, d'abord, ouvre une phase très délicate pour la BCE, qui joue sa crédibilité sur le succès de la revue de qualité des actifs et celui des tests de résistance : elle a été préférée à l'autorité bancaire européenne en raison de l'échec des tests de résistance conduits par celle-ci, qui n'avaient pas empêché l'effondrement du système bancaire irlandais et, chez nous, de Dexia. Il s'agit d'unifier la surveillance des risques en Europe et de réduire les distorsions en mettant le superviseur à l'abri des pressions nationales. Le MSU est donc un puissant instrument de lutte contre la fragmentation de l'espace financier, à condition toutefois que le MRU soit instauré afin d'organiser, en cas de défaillance d'une banque, l'allocation des pertes, et de structurer son renflouement. La rapidité de son intervention sera déterminante pour limiter le risque de contagion. Cela dit, l'accord de décembre 2013 ne donne une idée précise de ce dispositif qu'à l'horizon 2025 : bail-in , fonds de résolution et, uniquement en dernier ressort, argent public. C'est séduisant, mais les risques n'attendront pas 2025 ! Les gouvernements ont souhaité garder la main sur le processus de résolution, ce qui est une erreur majeure car l'objectif du MRU est la réduction des délais, qui réduira fortement les coûts des résolutions. Tous les grands sauvetages de banques se sont effectués en l'espace de vingt-quatre ou quarante-huit heures, entre vendredi soir et lundi matin...

M. Philippe Marini , président . - Sinon, des files d'attentes se forment devant les guichets.

Mme Laurence Scialom . - Et créent surtout un risque de contagion massif ! La prééminence de l'intergouvernemental dans l'accord actuel diminuera la réactivité du MRU, ce qui est fâcheux pour un mécanisme prévu pour faire face à une crise. Il faut maîtriser ses effets redistributifs en l'isolant de toute pression. Le Conseil ne doit donc pas avoir le dernier mot. Le Parlement européen et la Commission ont d'ailleurs protesté contre le dispositif retenu.

Pour l'heure, aucune garantie publique n'a été prévue pour la période qui s'ouvrira avec la fin des tests menés par la BCE, et le bail-in ne sera opérationnel qu'en janvier 2016. Le lien entre les banques et la dette souveraine n'est donc pas rompu... Terra Nova va publier une note proposant qu'une règle de partage des pertes entre tous les États impliqués soit prévue dans les testaments bancaires. Comme l'a écrit Mervyn King, les banques internationales redeviennent nationales quand elles meurent, alors que leur sauvetage bénéficie à tous les pays où elles sont implantées.

L'opacité des groupes bancaires européens est une source importante de conflits juridictionnels, ce qui entrave la résolution des faillites les concernant. Une réforme est indispensable : les groupes bancaires doivent pouvoir être démantelés de manière ordonnée. À cet égard, tout est dit dans le rapport Liikanen remis le 30 janvier 2013 à Michel Barnier. Les filiales implantées à l'étranger doivent pouvoir être séparées en quarante-huit heures au maximum pour réduire les risques de contagion au sein d'un groupe. Une telle règle existe en Nouvelle-Zélande, par exemple. Les filiales doivent donc être en mesure d'assurer, indépendamment de la maison-mère, le fonctionnement des systèmes d'information, l'accès aux moyens de paiement et aux dépôts. Un système d'assurance des dépôts fédéral est également nécessaire.

M. Philippe Marini , président . - Plus il y a de fonds propres cantonnés, moins la banque peut accorder de crédits.

Mme Laurence Scialom . - C'est très discuté. De nombreuses études montrent le contraire. Ainsi, selon Martin Hellwig, une meilleure capitalisation des banques accroît le volume de crédit. Une part du rationnement du crédit vient du fait qu'une banque est universelle : les travaux de Boot et Ratnovski, ceux de Posner, montrent que le fait de coupler activités de marché et activités de crédit aboutit à une allocation sous-optimale pour la société. Les activités de marché évincent les activités de crédits, notamment dès lors que prévaut une règle de pondération des actifs par les risques. Une véritable filialisation pourrait comporter des règles de capitalisation séparées qui ne pénaliseraient pas le financement des PME.

M. Philippe Marini , président . - Je donne la parole à Richard Yung, qui a été rapporteur de la loi de régulation bancaire et financière, et est à l'origine de plusieurs résolutions européennes sur ce sujet.

M. Richard Yung . - Saluons d'abord le progrès formidable accompli. C'est la réponse à la crise de 2008. Le Parlement européen a raison de dire que la dimension intergouvernementale est malvenue dans le dispositif. Mais il faut être réaliste : l'accord a été signé, nous ne pouvons guère que l'aménager. Il répond à une demande de l'Allemagne, qui souhaitait que le Bundestag soit saisi. Du coup, le Sénat le sera aussi !

M. Philippe Marini , président . - Merci au Bundestag !

M. Richard Yung . - Laurence Scialom a critiqué le rôle du Conseil dans le dispositif. Remarquons toutefois que les États sont, jusqu'en 2026, garants du système. Il est donc normal que les ministres des finances aient leur mot à dire. Éventuellement, leur poids pourrait être diminué à mesure que le fonds se constituera...

Un délai de dix ans semble, pour beaucoup, une manière de botter en touche. Pourquoi ne pas accélérer la mutualisation, sans toucher au rythme de contribution ? Est-ce possible ? Il est paradoxal que la France doive payer davantage que l'Allemagne : 15 ou 16 milliards d'euros contre 11 milliards d'euros. Cela résulte du choix d'une clé de répartition reposant sur le nombre de capitaux de renflouement. Or, plus une banque en a, plus elle peut participer au renflouement ! Un meilleur critère serait celui des risques pondérés. Y a-t-il une chance pour qu'on y revienne ?

Il n'y a pas, pour l'heure, de garantie publique ultime de recapitalisation des banques, car l'Allemagne refuse que le MES soit utilisé. Que faire ? Faut-il donner une capacité d'emprunt, garantie par les États, au MRU ?

M. Francis Delattre . - Michel Barnier déclare fréquemment que la Commission a des problèmes avec certains États, dont la France. En particulier, la France s'oppose à son projet de renforcement des séparations entre banques d'affaires et banques de dépôt. Pourtant, il s'agissait d'un des engagements forts du Président de la République. Que pensez-vous de ce projet ? A-t-il une chance d'aboutir ? La loi rapportée par Richard Yung a renforcé le conseil de résolution, au détriment - quoi qu'on en dise - de la Banque de France, qui se trouve ainsi remplacée par quatre ou cinq hauts fonctionnaires, auxquels reviennent de très importants pouvoirs : recapitalisation, restructuration, et surtout utilisation du fonds de garantie des dépôts. Un système européen de ce type est-il à l'étude ? Le fonds de garantie doit monter en puissance. Quelle est la destination finale des sommes qu'il rassemble ?

M. Philippe Marini , président . - Je vous pose à présent les questions préparées par François Marc, rapporteur général

La recapitalisation directe des banques en difficulté par le MES a été au coeur de l'actualité lors de la crise espagnole. Une modification du traité est-elle nécessaire ? Quelles sont les positions respectives de la France et de l'Allemagne à cet égard ? Le fonds de résolution, au sein du fonds de garantie des dépôts, a été alimenté, selon la loi de séparation et de régulation des activités bancaires de juillet 2013, à hauteur de 500 millions d'euros en 2013. L'Allemagne, elle, dispose d'un fonds spécifique de résolution créé en 2011 et dont le montant atteint 1,8 milliard d'euros. Comment s'articuleront le fonds français et le fonds européen ? La France va-t-elle mutualiser une partie du fonds de garantie des dépôts et de résolution ? La mission du fonds français est-elle déjà dépassée ? Par ailleurs, les montants de contribution des banques au fonds de résolution évoqués par Pierre de Lauzun correspondront-ils à une perte fiscale pour l'État, qui contribuerait ainsi, en quelque sorte, à ces versements ? Faut-il faire contribuer davantage les banques présentant les risques les plus importants ?

J'ajoute, pour ma part, une question sur les procédures en cours : comment les dossiers de Dexia et du Crédit immobilier de France vont-ils être traités ? Seront-ils soumis à la procédure de résolution unique ? Quid des dossiers analogues dans d'autres pays ?

M. Corso Bavagnoli . - Le Parlement européen s'interroge aussi sur l'opportunité d'accélérer la montée en puissance de la mutualisation au sein du fonds unique de résolution. La France n'y est pas opposée, d'autant que cela n'irait pas forcément de pair avec une augmentation du rythme des contributions.

Deux paramètres existent pour déterminer la contribution des banques : leur taille, et le risque qu'elles présentent. La France estime que le second, exprimé par la pondération par les risques au sens des Risk Weighted Assets (RWA) des banques, est le plus important.

Les chiffres avancés par la Fédération bancaire française cumulent garantie des dépôts et fonds de résolution, et il est trop tôt pour prévoir le résultat des discussions sur le règlement, mais nous veillerons à ce que les contributions soient proportionnées à la taille de notre secteur bancaire et aux risques qui pèsent sur lui.

Le ministre avait annoncé, lors des débats sur la loi bancaire, que la France se doterait d'un fonds de résolution doté de 10 milliards d'euros d'ici 2020. Le sujet des contributions bancaires était donc déjà sur le table et accepté. La question est aujourd'hui de savoir s'il faut aller plus loin dans le montant et si l'équilibre entre les différents États européens est respecté.

J'insiste sur le fait que, contrairement à ce qui a été dit, un mécanisme est prévu avant 2025. La France plaide depuis longtemps pour que le MES puisse procéder à des recapitalisations directes. Un projet en ce sens sera finalisé début mars, qui devra être ratifié par les États. En Allemagne, un vote du Parlement sera nécessaire. Il s'agit d'un élément essentiel de séparation entre risque souverain et risque bancaire.

La France a choisi de fusionner garantie des dépôts et fonds de résolution. Ce n'est pas le choix européen, car les Allemands se sont opposés à la mutualisation de la garantie des dépôts. Il nous faudra donc dissocier les deux. Le fonds de garantie des dépôts restera donc national, tandis que le fonds de résolution sera le compartiment français du fonds de résolution unique, avec lequel il sera progressivement fusionné. Il y aura donc bien deux fonds.

La France estime qu'une modification du traité n'est pas nécessaire : l'article 19 du traité sur le MES permet déjà la création de nouveaux instruments.

M. Philippe Marini , président . - Les Allemands ne sont pas de cet avis !

M. Corso Bavagnoli . - Il y a en effet une discussion sur ce point, mais nos arguments sont solides. S'agissant des banques actuellement en restructuration que vous avez évoquées, les procédures de résolution ont été lancées avant que les règles nouvelles, notamment de bail-in , n'entrent en vigueur ; elles continueront donc de se poursuivre selon les règles en vigueur au moment de leur mise en place.

M. Karel Lannoo . - Dans sa communication de juillet, la Direction générale de la concurrence a indiqué que toutes les règles, notamment le bail-in , seraient appliquées, même si elles ne sont pas complètement entrées en vigueur.

La séparation des banques les fragilise. D'après nos études, les banques universelles et diversifiées, financées par des dépôts, comme BNP Paribas ou Santander, sont celles qui résistent le mieux aux crises. Les banques les plus fragiles sont celles qui, comme Northern Rock ou certaines caisses d'épargnes espagnoles, sont spécialisées sur certains types d'actifs, ou les banques d'investissement uniquement financées sur les marchés. De plus, en séparant les fonds propres, la séparation rend plus difficile l'intervention du superviseur en vue d'un renforcement de ces derniers.

La garantie des dépôts restera nationale, je crois. Le cas des grandes banques transfrontalières, notamment, n'est pas réglé.

Le ratio de levier n'est pas encore disponible. Aujourd'hui, on mesure donc l'actif selon le risque qu'il présente. L'inconvénient de ce système est que, lorsque les grandes banques utilisent leur propre modèle de calcul des risques, elles peuvent réduire le capital nécessaire par rapport à un modèle de calcul standard : les banques européennes ont ainsi un capital qui représente 33 % de ce qu'il devrait selon un modèle standard, contre 58 % pour les banques américaines. Il est donc urgent d'introduire un ratio de levier.

M. Frédéric Visnovsky . - La loi bancaire a fixé un bon équilibre dans la séparation des activités spéculatives de celles de tenue de marché. L'ACPR contrôlera la mise en oeuvre de ses textes d'application. Michel Barnier propose d'aller jusqu'à séparer des banques les activités de tenue de marché. Cela aurait un impact sur le financement de l'économie.

M. Francis Delattre . - Je suis bien d'accord !

M. Frédéric Visnovsky . - Aussi n'approuvons-nous pas cette proposition. Les cadres nationaux actuels suffisent. La réglementation prudentielle, d'inspiration anglo-saxonne, pousse au financement de marché. Si les banques ne peuvent pas accompagner les entreprises dans la recherche de ces financements, cela posera un problème de cohérence.

Mme Laurence Scialom . - Le critère du RWA n'est pas bon : la plupart des banques qui ont fait faillite respectaient parfaitement leurs ratios de capitalisation au sens des RW, à tel point que la FSA britannique a autorisé la Northern Rock à utiliser un modèle avancé ! Toutes, en revanche, avaient un ratio de levier simple excessivement élevé. Il faut donc se fonder sur ce critère, couplé avec un critère de taille, pour calculer les contributions des banques au fonds. De nombreuses études montrent que le critère de RWA est manipulable. Ce critère pose aussi le problème de la valorisation des portefeuilles de dérivés.

J'espère que dans la revue de qualité des actifs, la BCE testera aussi la qualité et la soutenabilité du passif. Les crises de solvabilité sont venues de crises de liquidité.

Réformer la structure des banques est la seule manière de rendre crédible le MRU. Des banques universelles, dont le bilan dépasse parfois le PIB du pays où elles sont implantées, ne peuvent faire l'objet d'une résolution rapide si elles ne sont pas filialisées.

La séparation entraînerait des coûts supplémentaires, certes. Mais il ne faut pas vouloir, à tout crin, baisser le coût du crédit. La crise est venue d'un excès d'endettement. L'enjeu est de s'assurer que les risques sont bien discernés. Or, dans nos cycles financiers, lorsque les bulles se créent, les prix baissent pour tous, et pendant les crises, ils s'élèvent aussi pour tous, sans discrimination. Le risque a un coût. Si celui-ci est trop bas, cela signifie que des subventions implicites font baisser son prix. Qui les paie ? Vous et moi.

M. Philippe Marini , président . - Le système financier français, avec ses grandes banques universelles, a bien résisté à la crise, grâce aux leçons tirées des épisodes des années quatre-vingt-dix et à une législation protectrice. Or, il semble que les banques françaises doivent être les principales contributrices au système fédéral que vous nous décrivez avec enthousiasme.

M. Pierre de Lauzun . - Mes chiffres sont ceux de la Commission européenne. Certes, la négociation n'est pas achevée, mais nous savons déjà que nous serons les plus gros contributeurs, et souhaitons donc que ce surcoût soit minimisé. La taxe systémique de 900 millions d'euros n'a plus de sens, dès lors qu'un fonds de résolution existe. Bien sûr, le surcoût annuel de 1,7 milliard d'euros qui nous est imposé coûtera environ 600 millions d'euros par an de recettes fiscales à l'État. Le contribuable, qui croyait échapper par la porte, est rattrapé par la fenêtre !

M. Philippe Marini , président . - Il paie toujours !

M. Pierre de Lauzun . - Le critère des RWA pondère les risques, quand le critère des ratios leviers, qui était en usage avant 2007, place au même niveau ce qui est risqué et ce qui ne l'est pas, ce qui incite les banques à mettre leur capital sur des produits risqués, qui sont les plus rentables. Abandonner l'idée de pondérer les actifs serait criminel. Il faut veiller à ce que les méthodes d'évaluation soient homogènes. Aux États-Unis, l'économie est financée aux trois quarts par le marché. Les bilans bancaires y concentrent les produits risqués et illiquides. Il est donc normal que les pondérations y soient plus lourdes. En France, cinquante ans d'expérience justifient que les encours immobiliers soient beaucoup plus faiblement pondérés qu'aux États-Unis.

Les projets de séparation de Michel Barnier livreraient le marché financier européen aux banques américaines, sans véritablement atteindre son objectif, qui réclamerait une action plus radicale. Il importe, au contraire, de développer une activité de marché significative, car les nouveaux ratios donnent aux marchés financiers un rôle accru dans le financement de l'économie.

Les grandes crises, c'est vrai, ne sont pas causées par les marchés financiers, mais par l'endettement. Attention, pour autant, à ne pas diminuer brutalement l'activité des banques. Il faut pondérer correctement les encours pour que la pression du capital s'exerce de manière adaptée : lourdement sur les activités à risque, faiblement sur l'immobilier ou le financement des PME, qui n'ont pas à pâtir de mesures décidées pour d'autres secteurs.

M. Philippe Marini , président . - Merci de vos contributions.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 26 février 2014, sous la présidence de M. Philippe Marini, président, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. François Marc et à l'élaboration du texte de la commission sur la proposition de résolution européenne n° 389 (2013-2014) de M. Richard YUNG, présentée au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur le Mécanisme de résolution unique : nouvelle étape de l'Union bancaire.

M. François Marc , rapporteur général . - Je serai bref, car je souscris à cette proposition de résolution européenne. À la suite de l'audition conjointe d'hier, à laquelle je n'ai malheureusement pas pu assister, nous en examinons le texte tel qu'adopté jeudi dernier à l'unanimité par la commission des affaires européennes, à l'initiative de notre excellent collègue Richard Yung.

Cette proposition permet au Sénat de prendre position dans un débat dont les enjeux politiques, économiques et budgétaires sont majeurs.

Quelques éléments de contexte relatifs à l'union bancaire, tout d'abord. L'année 2014 est marquée par la mise en place du superviseur unique européen, en parallèle de la négociation sur le mécanisme de résolution unique. A l'automne 2013, le Parlement européen et le Conseil ont adopté deux textes qui ont transféré à la Banque centrale européenne (BCE) la responsabilité de la supervision de l'ensemble des établissements de crédit de la zone euro : c'est le mécanisme de surveillance unique (MSU), premier pilier de l'union bancaire.

La BCE sera directement en charge de la supervision des 128 établissements les plus importants, soit ceux qui présentent un bilan supérieur à 30 milliards d'euros, ou qui représentent plus de 20 % du PIB de leur pays d'origine, ou encore qui ont requis une aide financière du Fonds européen de stabilité financière (FESF) ou du Mécanisme européen de stabilité (MES). Ainsi, la supervision de la plupart des banques françaises ne sera plus, à l'avenir, assurée par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), qui conservera néanmoins la charge de la surveillance quotidienne des établissements.

Pour lancer sa nouvelle mission sur des bases saines et connaître - mais aussi faire connaître - la réalité de la situation des banques de la zone euro, une revue générale de la qualité des actifs bancaires pour ces 128 établissements a été engagée ; cet exercice se conclura par des tests de résistance.

La présidente du conseil de supervision de la BCE, Danièle Nouy, a d'ores et déjà annoncé, le 7 février, que certains établissements devraient ne pas sortir indemnes de cet exercice : « Nous devons accepter le fait que certaines banques n'ont pas d'avenir. Nous devons en laisser quelques unes disparaître de manière ordonnée, et ne pas forcément essayer de les fusionner avec d'autres institutions. »

M. Jean-Claude Frécon . - On ne peut être plus clair !

M. François Marc , rapporteur général . - La proposition de résolution européenne de notre collègue Richard Yung appelle l'attention sur cet exercice et souligne, à juste titre, qu'il ne sera gage de crédibilité pour la zone euro que si une réponse forte et coordonnée est apportée à la publication des résultats et aux difficultés qui se feraient jour. En ce sens, il est important que la résolution demande, aux alinéas 16 et 17, que soit finalisé l'instrument de recapitalisation directe par le MES des établissements en difficulté. Le principe de cet outil a été maintes fois affirmé par les conseils européens et les conseils Ecofin successifs, et il est nécessaire, pour amortir le résultat de cet exercice, en attendant la mise en place complète du mécanisme de résolution unique. Le sous-directeur du Trésor, Corso Bavagnoli, a, me semble-t-il, indiqué que l'objectif était de parvenir à un accord sur cet instrument d'ici au mois de mars.

Le mécanisme de résolution unique (MRU), deuxième volet de l'union bancaire, doit comprendre une procédure décisionnelle efficace et garantir une responsabilité politique des décisions prises.

La mise en place d'un MRU est le corollaire nécessaire de celle du superviseur unique, afin d'assurer l'articulation entre l'identification des difficultés d'un établissement par le superviseur d'une part, et le lancement d'une procédure de restructuration, d'autre part.

La Commission a présenté une proposition de règlement pour le MRU en juillet 2013, avant même que le MSU ait été formellement adopté. Le Conseil est parvenu à un accord sur cette proposition le 19 décembre dernier. Les négociations sont actuellement en cours entre le Conseil, la Commission et le Parlement européen.

Le MRU transpose, pour la zone euro, le mécanisme de résolution qui a été harmonisé pour tous les États membres de l'Union par la directive sur le redressement et la résolution des banques dite « BRRD ». Il n'innove donc pas dans la palette des outils de résolution dont disposera l'autorité de résolution : plans de redressement des établissements a priori , établissements-relais, transferts d'actifs, cession ou fermeture d'activités, conversion de certaines créances en capital, etc. L'outil le plus décisif sera, à coup sûr, le renflouement interne, c'est-à-dire la recapitalisation par les créanciers, dont les conséquences sur le refinancement des banques devront être précisément évaluées, sachant que ces créances, plus risquées, seront pour elles plus onéreuses.

La procédure de prise de décision reste un point très débattu : qui aura la faculté d'« appuyer sur le bouton » de la résolution et d'engager le démantèlement d'une banque, avec les conséquences économiques et sociales que cela implique ? La Commission souhaiterait être cette autorité, mais on peut craindre qu'elle ne fasse primer des considérations techniques ou juridiques, alors que le Conseil pourrait trouver un équilibre entre l'appréciation de la viabilité d'un établissement et les considérations politiques, européennes et nationales. Comme l'a dit, je crois, Richard Yung hier : il n'est pas anormal que, tant que les États font fonction de filet de sécurité, ils conservent un pouvoir de décision sur la résolution.

Le système de décision proposé par le compromis du Conseil du 19 décembre 2013, faisant appel à quatre instances, toutes collégiales de surcroît - conseil de résolution unique en session plénière, conseil de résolution unique en session exécutive, Commission, Conseil - est complexe et propice aux blocages institutionnels : lorsque des difficultés sont déclarées, les marchés n'attendent pas pour mettre à mort un établissement. Il est donc nécessaire de prévoir une simplification du processus de décision, voire une procédure d'urgence. C'est l'objet des alinéas 30 et 31 de la proposition de résolution.

Le financement de la résolution doit passer par un fonds de résolution solide et rapidement mutualisé et par un filet de sécurité financier efficace.

C'est l'un des principaux objectifs d'une procédure de résolution que de trouver un financement pour absorber les pertes, afin d'éviter que les difficultés de l'établissement ne se transmettent à ses contreparties non remboursées, créant une crise potentiellement systémique.

Ce financement devra, à l'avenir, être essentiellement privé : d'abord les actionnaires, puis les créanciers, enfin un fonds de résolution alimenté par les banques.

Le premier enjeu réside dans les modalités de constitution de ce fonds, qui doit atteindre, en dix ans, 55 milliards d'euros. Il ne s'agit pas, à travers les règles de calcul, de protéger nos banques nationales par rapport aux banques des autres États membres, mais de faire en sorte que les contributions soient adaptées aux caractéristiques du bilan des établissements et tiennent notamment compte du risque de leurs activités. C'est pourquoi la proposition de résolution demande, à juste titre, l'application du critère des actifs pondérés par les risques, à côté de celui de la taille des établissements. Il s'agit de trouver un bon compromis entre logique de solidarité, inhérente à l'Union bancaire, et dimension assurantielle, responsabilisant les parties prenantes.

Le second enjeu réside dans la vitesse à laquelle les compartiments nationaux, alimentés par les secteurs bancaires nationaux, seront mutualisés dans un fonds unique européen. Si un délai semble justifié pour éviter que la totalité des contributions au fonds dans les premières années soit absorbée par le financement d'une ou plusieurs procédures de résolution dans quelques États membres au secteur bancaire fragile, il n'en demeure pas moins que le rythme de mutualisation de 10 % par an que projette le Conseil réduit considérablement le principe de solidarité : ne pourraient au départ être utilisées que des ressources très limitées - seulement 550 millions d'euros pour toute la zone euro la première année.

C'est pourquoi nous pouvons, je crois, être favorable à la solution de compromis consistant à réduire à cinq ans le délai de mutualisation des compartiments nationaux. C'est le sens de l'alinéa 41 de la proposition de résolution. Au terme de ces cinq ans, le montant-cible du fonds - 55 milliards d'euros - n'aura pas encore été atteint, mais les contributions annuelles des banques seront versées directement au fonds unique, sans transiter par des compartiments nationaux.

Enfin, pour assurer la crédibilité du mécanisme, il est nécessaire de mettre en place une forme de garantie publique en dernier ressort. Le Conseil souhaite que ce filet de sécurité permette de faciliter le recours du fonds de résolution à l'emprunt : ce pourrait être une garantie du MES, ou une garantie conjointe des États participants sur les émissions du fonds de résolution.

En attendant et pour la durée de la période de mutualisation, un filet de sécurité doit être en place : il ne peut s'agir que du MES, doté d'une capacité de recapitalisation directe des établissements.

Ainsi, le risque bancaire ne pourrait plus créer de risque souverain puisqu'à aucun moment la défaillance d'un établissement ne pourrait peser directement sur le budget d'un État membre. Cela ne signifie pas que le soutien public national soit complètement exclu : des garanties publiques, notamment lorsque la banque en difficulté peut être redressée, pourraient continuer d'être accordées. Mais les recapitalisations publiques de banques vouées sans cela à disparaître, telles nous les avons connues, ne devraient plus être possibles.

Je ne propose pas d'amendement à cette proposition de résolution européenne qui traite, de façon précise, l'ensemble des enjeux-clés du mécanisme et va même au-delà en rappelant certains aspects souvent occultés, comme l'exigence d'une régulation des infrastructures de marché et les conséquences du renflouement interne. Sur l'ensemble des questions, elle apporte des réponses qui vont dans le sens d'un dispositif crédible, ambitieux et équilibré.

M. Philippe Marini , président . - Je suis tenté de vous suivre dans cette analyse. Une question, cependant, sur l'alinéa 27 de la résolution, qui juge que les modalités de calcul des contributions ainsi que les principes d'administration et d'investissement du Fonds de résolution ne doivent pas relever d'actes délégués. Cela signifie-t-il que ces dispositions doivent figurer dans l'accord intergouvernemental ?

M. Richard Yung . - Prévoir que ces fonds, qui atteindront pour le moins 55 milliards d'euros, soient gérés selon des règles fixées par des actes délégués, c'est aller loin dans les pouvoirs accordés à la Commission. Il nous semblerait normal que ce soit le comité exécutif du fonds de résolution, où sont présents les États membres, qui assure cette gestion.

M. Philippe Marini , président . - Souhaitez-vous faire d'autres observations ?

M. Richard Yung . - Les parlements nationaux ont bien du mal à suivre et contrôler ces politiques ; nous l'avons touché du doigt à Bruxelles. Nous devons inventer des moyens plus précis de contrôle. Le ministre pourrait venir devant notre commission pour expliquer où en sont les négociations.

M. Philippe Marini , président . - Le 17 avril, nous entendrons Pierre Moscovici sur le programme de stabilité. Nous pourrions en effet en profiter pour l'interroger sur ce sujet.

La proposition de résolution a alors été adoptée sans modification.


* 1 Directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE.

* 2 Directive 2013/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et à la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE ; règlement (UE) n° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d'investissement et modifiant le règlement (UE) n° 648/2012.

* 3 Au sein des ratios de fonds propres de base, les capitaux durs de la meilleure qualité (dits Common Equity Tier 1 et Tier 1, c'est-à-dire les réserves disponibles, les actions ordinaires et les instruments hybrides) doivent représenter 6 % des actifs pondérés par les risques, contre 4 % auparavant.

* 4 Proposition de directive établissant un cadre pour le redressement et la résolution des défaillances d'établissements de crédit et d'entreprises d'investissement et modifiant les directives 77/91/CEE et 82/891/CE du Conseil ainsi que les directives 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE et 2011/35/UE et le règlement (UE) n° 1093/2010 du Parlement européen et du Conseil.

* 5 La principale différence réside dans le régime du renflouement interne, qui a été limité dans la loi française aux seules créances dites « junior », c'est-à-dire aux créances subordonnées (de rang inférieur aux créances ordinaires), alors que la directive BRRD prévoit la possibilité de convertir en capital les créances ordinaires également, à l'exclusion toutefois des dépôts dans la limite de la garantie universelle de 100 000 euros.

* 6 Règlement n° 1024/2013 du 15 octobre 2013 du Conseil confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de contrôle prudentiel des établissements de crédit ; et règlement n° 1022/2013 du 22 octobre 2013 du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) n° 1093/2010 instituant une Autorité européenne de surveillance (Autorité bancaire européenne) en ce qui concerne son interaction avec le règlement du Conseil confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de contrôle prudentiel des établissements de crédit.

* 7 Résolution européenne n° 32 (2012-2013) du 20 novembre 2012.

* 8 Communiqué de presse de la BCE du 23 octobre 2013.

* 9 Article du Financial Times du 7 février 2014, « Let weak banks die, says eurozone super-regulator ».

* 10 Arrêt Meroni/Haute Autorité du 13 juin 1958 (aff. 9/56 et 10/56, Rec. 1958 p. 11).

* 11 Il s'agit de celles impliquant « un soutien en liquidité excédant 20 % du capital du fonds de résolution ou toute autre forme de soutien tel que des recapitalisations bancaires, excédant 10 % du capital du fonds, de même que les décisions nécessitant un accès au fonds dès lors qu'un total de 5 milliards d'euros a déjà été utilisé au cours de l'année calendaire ».

* 12 Cette durée peut être augmentée à 14 ans par une décision du CRU.

* 13 Rapport du Conseil des prélèvements obligatoires de janvier 2013 « Les prélèvements obligatoires et la taxation du secteur financier ».

* 14 Compte-rendu de la séance du 6 février 2014 du Parlement européen.

* 15 L'article 15 du traité du MES du 2 février 2012 prévoit que « Le conseil des gouverneurs peut décider d'octroyer une assistance financière sous forme de prêts à un membre du MES, dans le but spécifique de recapitaliser des institutions financières de ce membre ».

* 16 Cet article prévoit que « le conseil des gouverneurs peut réexaminer la liste des instruments d'assistance financière prévus aux articles 14 et 18 et décider de la modifier ».

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