AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La lutte contre le dopage a toujours fait l'objet d'une grande attention et d'un large consensus de la part de votre haute assemblée. La grande constance du Sénat sur ce sujet lui a permis d'apporter sa contribution pour accompagner les pratiques des sportifs, se conformer aux dispositions du code mondial antidopage et améliorer, sans cesse, notre arsenal législatif et réglementaire.

Les membres de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication partagent tous la conviction éthique qu'il est nécessaire de préserver les valeurs du sport et la vérité de l'effort. Ils sont également convaincus d'exercer une responsabilité essentielle au regard de l'impératif de santé publique qui appelle à la plus grande rigueur pour prévenir les dommages que le dopage fait encourir aux sportifs avec ou sans leur consentement. Le dopage est à la fois un poison moral et physique et rien ne doit nous amener à transiger sur les moyens à lui opposer pour l'exclure des podiums comme des terrains et des salles de sport.

Depuis quelques années, le débat sur le dopage est devenu public à mesure que la traque contre les tricheurs s'accentuait. Les comportements ont commencé à évoluer tandis qu'une prise de conscience s'affirmait et que la détermination des pouvoirs publics se renforçait.

Afin de mesurer le chemin parcouru comme les nouveaux défis à relever, le Sénat a créé, en 2013, une commission d'enquête chargée à la fois de réaliser un état des lieux du dopage, de faire le bilan de la lutte antidopage et de formuler des propositions. Cette commission présidée par notre collègue Jean-François Humbert et dont votre rapporteur a eu l'honneur de conduire les travaux a rendu son rapport 1 ( * ) assorti de 60 propositions, le 17 juillet 2013.

Ce rapport a mis en évidence la réalité du dopage et sa persistance. Il a également dessiné les contours d'une réforme globale permettant d'améliorer sensiblement notre dispositif de lutte antidopage sans pour autant le révolutionner. De par leur nombre et leur diversité, ses recommandations devaient permettre d'enrichir le projet de loi-cadre sur le sport qui était attendu pour la fin 2013. Le 4 juin dernier, M. Thierry Braillard, secrétaire d'État aux sports, a indiqué lors de son audition par votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication 2 ( * ) , que ce texte devrait finalement être présenté au Parlement en 2015 dans une configuration repensée, déchargé en particulier de la question des compétences des collectivités territoriales qui doit être examinée dans le cadre d'un des volets de la réforme des collectivités territoriales.

Le report de ce projet de loi a amené le Gouvernement à déposer au Parlement un projet de loi distinct relatif à la transposition du code mondial antidopage (CMA) qui doit entrer en vigueur au 1 er janvier 2015. Comme l'avait indiqué le secrétaire d'État aux sports lors de son audition, le dépôt de ce projet de loi était devenu d'autant plus nécessaire que la France devrait accueillir au mois de novembre 2014 le comité exécutif de l'Agence mondiale antidopage (AMA) et qu'il était donc indispensable que le processus législatif soit engagé à ce moment-là.

C'est ainsi que le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer dans le droit interne le respect des principes du code mondial antidopage a été déposé au Sénat le 2 juillet 2014 dans le cadre d'une procédure accélérée.

Ce texte vise à mettre notre droit en conformité avec la troisième version du code mondial antidopage, adoptée lors de la quatrième conférence mondiale sur le dopage dans le sport qui s'est tenue à Johannesburg du 12 au 15 novembre 2013.

Les modifications apportées au code mondial ne modifient pas l'économie générale du dispositif, mais visent , selon l'exposé des motifs du projet de loi, à « renforcer l'efficacité du contrôle et à élargir la gamme des sanctions, tout en veillant à leur proportionnalité » . Il s'agit ainsi de mieux permettre la prise en compte de preuves indirectes , de développer le partage d'informations, d'améliorer la coopération entre les fédérations sportives et les institutions intervenant dans la lutte contre le dopage et de conférer un pouvoir d'enquête propre à l'Agence mondiale antidopage .

Par ailleurs, le délai de prescription des sanctions disciplinaires est porté de huit à dix ans . Les organisations nationales antidopage pourront effectuer des contrôles en dehors des sites où se déroulent les manifestations sportives internationales . Le nouveau code vise également à pouvoir appréhender les complicités ou les systèmes organisés de dopage en prenant en considération l'entourage des sportifs. L'échelle des sanctions est élargie , avec une exclusion pouvant aller jusqu'à quatre années contre deux actuellement. Des garanties supplémentaires sont enfin apportées quant au respect des droits des sportifs .

Le Gouvernement justifie le recours à une ordonnance, d'une part, du fait de l'urgence à légiférer et, d'autre part, du fait de la technicité particulière des modifications à effectuer et de la nécessité de prévoir une articulation adéquate avec les règles générales ou principes applicables en matière pénale ou disciplinaire.

Si le projet de loi prévoit un délai de neuf mois pour la publication de l'ordonnance, celle-ci devrait en réalité être effective avant la fin de l'année et un projet de loi de ratification devra être déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de sa publication.

Votre commission a adopté ce projet de loi sans modification, après s'être assurée, à l'occasion d'une consultation des principales fédérations sportives et de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) 3 ( * ) que le champ d'habilitation était proportionné aux objectifs recherchés et que les interrogations, apparues sur la constitutionnalité de certaines dispositions, avaient été levées.

I. UNE LUTTE ANTIDOPAGE QUI S'INSCRIT NÉCESSAIREMENT DANS UN CADRE INTERNATIONAL

A. DES PRATIQUES QUI CONTINUENT À JETER L'OPPROBRE SUR LE SPORT ET À METTRE EN DANGER LES SPORTIFS

1. Une réalité enfin reconnue mais encore mal mesurée

L'un des objectifs de la commission d'enquête du Sénat sur l'efficacité de la lutte contre le dopage consistait précisément à réaliser un état des lieux des pratiques dopantes. Cet état des lieux n'était pas évident à réaliser car les « tricheurs » ne sont évidemment pas légion à vouloir se confesser spontanément et publiquement.

Toutefois, les tables rondes, les témoignages publics et à huis clos ainsi que l'examen des données chiffrées à la disposition des agences antidopage ont permis d'établir que le dopage était une réalité qui traversait toutes les disciplines, et ceci à tous les niveaux de performance.

Des faits tragiques ont depuis longtemps attiré les soupçons et confirmé les doutes. La liste des victimes du dopage est déjà trop longue depuis la mort du coureur britannique Tom Simpson sur les pentes du mont Ventoux le 13 juillet 1967. Cet événement tragique « fondateur » a été à l'origine de la création de la commission médicale du Comité international olympique (CIO) et de l'introduction, en 1968, des premiers contrôles antidopage à l'arrivée des étapes du tour de France.

Mais il serait injuste de ne garder que le cyclisme dans le viseur. La condamnation de Ben Johnson après les Jeux olympiques de Séoul en 1988 et le scandale de la Juventus de Turin dans les années 1990 sont venus nous rappeler que le mal était largement répandu et néc essitait une politique globale.

2. La levée de l'omerta ouvre la voie à une réhabilitation de certains sports et des sportifs

Pendant trop longtemps le dopage a prospéré sur un terreau composé d'un large silence, de nombreux tabous et d'une certaine dose de complaisance. Les sportifs savaient, les fédérations ne pouvaient ignorer, les journalistes se taisaient, les responsables politiques et judiciaires détournaient le regard... Il ne fallait pas stigmatiser des héros, il n'était pas envisageable de mettre en péril des épreuves de légende...

Ce faisant, les spectateurs étaient trompés et les sportifs livrés à eux-mêmes, sommés de choisir entre deux positions intenables : refuser le dopage et passer à côté d'une carrière prometteuse ou entrer dans le système sans espoir de rédemption, mais avec l'illusion de pouvoir accéder un jour - ou plutôt une nuit - au sommet.

Si l'omerta a duré, c'est qu'une crainte existait que la vérité, une fois connue, détourne du sport les médias, les sponsors et les spectateurs, précipitant la disparition de certaines épreuves et mettant en danger la pérennité même de plusieurs disciplines. C'est pour cette raison inacceptable, même si elle est compréhensible, que le mal a prospéré avant de devenir tellement prégnant qu'il ne pouvait plus être nié, ni toléré.

Or qu'est-il advenu à l'issue de ces différentes crises consécutives à la multiplication des contrôles positifs ? L'amour des Français pour le sport ne s'est pas démenti, bien au contraire. Un malaise s'est dissipé, un débat a pu s'ouvrir, une remise à plat a été engagée. La faute de quelques-uns n'a pu avoir raison de pratiques sportives qui bénéficient d'un fort soutien populaire et constituent un élément de notre identité. Et on ne peut que regretter que d'aucuns n'aient pas eu davantage confiance dans leur sport - et en eux-mêmes - pour dénoncer et proscrire plus tôt des pratiques détestables.

Au final, force est de constater que l'opération vérité sur le dopage dans le sport s'est avérée plutôt salutaire pour les disciplines concernées. Même si le chemin de la confiance est encore long à gravir, les jeunes sportifs sont nombreux à se féliciter que les comportements exemplaires puissent être à nouveau récompensés par des résultats justes.

De la même façon, les travaux de la commission d'enquête sénatoriale ont démontré qu'il était bénéfique de parler du dopage et ainsi de participer à lever la chape de plomb qui pesait sur les esprits, et à permettre de réhabiliter, dans la durée, certaines disciplines. Comme votre rapporteur l'avait alors expliqué, « ce sont les révélations qui vont faire avancer la lutte, car on traite pas un problème que l'on ne connaît pas » 4 ( * ) .

Bref historique de l'antidopage

Le mot « dopage » vient sans doute du néerlandais « dop », qui désigne une boisson alcoolisée à base de peaux de raisin que les guerriers zoulous consommaient pour augmenter leurs prouesses au combat. L'utilisation du terme s'est répandue au début du XX e siècle, d'abord pour faire référence au dopage illicite des chevaux de course. Toutefois, la pratique consistant à améliorer les performances en recourant à des substances ou à d'autres moyens artificiels est aussi ancienne que le sport de compétition lui-même.

Les débuts du dopage et de l'antidopage

La nécessité de réglementer le dopage dans le sport s'est imposée dès les années 1920. Les athlètes de la Grèce antique usaient de régimes spéciaux et de potions fortifiantes pour se donner des forces. Au XIX e siècle, la consommation de strychnine, de caféine, de cocaïne et d'alcool était répandue parmi les cyclistes et autres athlètes d'endurance. Thomas Hicks a remporté le marathon olympique de 1904 à Saint-Louis grâce à l'oeuf cru, aux injections de strychnine et au brandy qu'on lui a donné pendant la course...

En 1928, l'IAAF (athlétisme) a été la première fédération sportive internationale à interdire le recours à des substances stimulantes. Beaucoup d'autres fédérations ont suivi son exemple, mais les restrictions sont demeurées sans effet faute de tests. Le problème s'est aggravé entre-temps avec l'apparition des hormones synthétiques dans les années 1930 et leur utilisation grandissante à des fins de dopage dans les années 1950. Le décès du cycliste danois Knud Enemark Jensen pendant les Jeux Olympiques de Rome en 1960 - l'autopsie avait révélé des traces d'amphétamine - a accentué les pressions exercées sur les autorités sportives pour introduire des contrôles du dopage.

En 1966, l'Union cycliste internationale (UCI) et la Fédération internationale de football association (FIFA) ont été parmi les premières fédérations internationales à effectuer des contrôles du dopage pendant leurs championnats du monde respectifs. L'année suivante, le Comité international olympique (CIO) a créé une commission médicale et dressé une première liste de substances interdites. Des contrôles du dopage ont été effectués à l'occasion des Jeux olympiques d'hiver de Grenoble, puis des Jeux olympiques d'été de Mexico, en 1968.

L'année précédente, un autre décès tragique, celui du cycliste Tom Simpson pendant le Tour de France, avait montré l'urgence de la lutte contre le dopage. La plupart des fédérations sportives internationales ont commencé à réaliser des contrôles du dopage dans les années 1970. L'utilisation de stéroïdes anabolisants, impossibles à déceler, s'était alors répandue, surtout dans les épreuves de force. Un test concluant a finalement été introduit en 1974, et le CIO a ajouté en 1976 les stéroïdes anabolisants à la liste des substances interdites. Cela a donné lieu, à la fin des années 1970, à une nette augmentation des disqualifications imputables au dopage, en particulier dans les sports de force comme les lancers et l'haltérophilie. La lutte contre le dopage s'est complexifiée dans les années 1970 et 1980 en raison du dopage d'État, que certains pays étaient soupçonnés de pratiquer. Ces soupçons se sont avérés largement fondés dans le cas de la République démocratique allemande. Le cas de dopage le plus célèbre est celui du Canadien Ben Johnson, champion du 100 mètres testé positif au stanozolol (stéroïde anabolisant) aux Jeux olympiques de Séoul en 1988. Le monde entier a alors pris conscience du problème du dopage. L'efficacité accrue des méthodes de dépistage n'est pas étrangère au net recul du nombre de records enregistrés dans certaines disciplines sportives dans les années 1990.

Nouveaux défis

La lutte contre les stimulants et les stéroïdes donnait certes des résultats, mais l'essentiel des efforts contre le dopage ont très vite porté sur le dopage sanguin, pratiqué depuis les années 1970, qui consiste à prélever, puis à réinjecter le sang d'un athlète pour augmenter son taux d'oxyhémoglobine. Le CIO a interdit le dopage sanguin en 1986. D'autres tentatives de dopage ont consisté à augmenter le taux d'hémoglobine des sportifs, notamment avec l'érythropoïétine (EPO), qui a été ajoutée en 1990 à la liste des substances interdites par le CIO. Longtemps inefficace faute de contrôles fiables, le dépistage de l'EPO a été introduit pour la première fois aux Jeux olympiques de Sydney en 2000.

Efforts unis

En 1998, la police découvrait une grande quantité de substances interdites lors d'un contrôle effectué pendant le Tour de France. Ce scandale s'est soldé notamment par une discussion sur le rôle des pouvoirs publics dans la lutte contre le dopage.

Au début de 1963, la France avait, la première, adopté une loi antidopage. D'autres pays lui ont emboîté le pas, mais la coopération internationale en la matière a longtemps été du ressort du Conseil de l'Europe. Dans les années 1980, la collaboration s'est nettement accrue entre les autorités sportives internationales et divers organismes gouvernementaux. Avant 1998, la question était encore discrètement débattue dans divers forums (CIO, fédérations sportives, gouvernements), donnant ainsi lieu à des définitions, des pratiques et des sanctions divergentes. Du fait de cette confusion, les sanctions contre le dopage étaient souvent contestées, et parfois annulées par des tribunaux civils.

Le scandale du Tour de France a montré la nécessité d'avoir en place un organisme international indépendant qui établirait des normes uniformes pour la lutte contre le dopage et coordonnerait les efforts des organisations sportives et des pouvoirs publics. Le CIO a pris l'initiative en organisant la première Conférence mondiale sur le dopage dans le sport à Lausanne en février 1999. L'Agence mondiale antidopage (AMA), dont la création a été proposée à l'occasion de cette Conférence, a été fondée à Lausanne le 10 novembre 1999.

Source : Agence mondiale antidopage (AMA)


* 1 « Lutte contre le dopage : avoir une longueur d'avance », rapport n° 782 (2012-2013) fait au nom de la commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage.

* 2 Audition par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du mercredi 4 juin 2014.

* 3 Audition par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication de M. Bruno Genevois, président de l'AFLD du mercredi 14 mai 2014.

* 4 Rapport de la commission d'enquête précité, p. 13

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