B. UN SYSTÈME FRANÇAIS DE LUTTE ANTIDOPAGE EN COHÉRENCE AVEC LES INITIATIVES INTERNATIONALES

Le rapport de la commission d'enquête sénatoriale a montré que les formes du dopage n'avaient cessé de se diversifier, rendant le phénomène de plus en plus difficile à détecter. L'imagination en ce domaine étant sans limite, on constate ainsi le recours à certaines molécules n'ayant pas fait l'objet d'une mise sur le marché ainsi que le développement d'un véritable dopage génétique.

Toutes ces techniques en perpétuelle évolution ont nécessité l'émergence d'un droit faisant, lui-même, l'objet d'une adaptation continuelle et focalisé principalement sur les trafics de produits dopants. Elles ont également nécessité une réorganisation des moyens administratifs qui s'est traduite par la création de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), fer de lance de la politique publique en la matière.

1. Un droit de la lutte contre le dopage en perpétuelle évolution

L'évolution du droit de la lutte antidopage en France a permis de faire évoluer la définition même du dopage pour réserver la réponse pénale aux pourvoyeurs de produits dopants.

Dans un premier temps, la loi a pénalisé l'usage de produits « stimulants ». La loi n° 65-412 du 1 er juin 1965 tendant à la répression de l'usage de stimulants à l'occasion de compétitions sportives ayant fait preuve de sa faible effectivité , la loi n° 89-432 du 28 juin 1989 relative à la prévention et à la répression de l'usage de produits dopants à l'occasion des compétitions et manifestions sportives a été l'occasion de consacrer une définition objective du dopage, selon laquelle il y a présomption d'usage de produits dopants dès lors que la personne contrôlée est positive à l'une des substances interdites.

La contrepartie de cette conception est alors de ne plus pénaliser l'usage de produits dopants et de déplacer la sanction d'un terrain pénal à un terrain disciplinaire et administratif. Ce sont donc désormais les fédérations sportives et l'AFLD, en lieu et place du juge pénal, qui reçoivent mission de punir ces faits.

L'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD)

L'Agence française de lutte contre le dopage, autorité publique indépendante dotée de la personnalité morale, a été créée par la loi du 5 avril 2006 relative à la lutte contre le dopage et à la protection de la santé des sportifs. Le décret du 29 septembre 2006 l'a fait réellement naître le 1 er octobre suivant. Dans la perspective d'un rapprochement avec les statuts préconisés par l'Agence mondiale antidopage, elle succède à la fois au Conseil de prévention et de lutte contre le dopage (CPLD), qui était une simple autorité administrative, au Laboratoire national de détection du dopage (LNDD) de Châtenay-Malabry, établissement public classique, et au ministère chargé de sports, pour ses attributions dans la définition de la stratégie des contrôles antidopage et leur organisation.

Une agence indépendante

L'indépendance de l'agence est très large. Son collège décide de son budget. Elle est dotée de l'autonomie financière. Aucune tutelle ministérielle ne s'impose à elle. Ses décisions essentielles sont prises par son collège, son président, ou ses trois principaux organes internes prévus par la loi (secrétaire général, directeur du département des analyses, directeur du département des contrôles). Le secrétaire général de l'agence est responsable du fonctionnement de l'ensemble des services, sous l'autorité du Président de l'agence, président du collège.

Les ressources financières de l'agence proviennent très majoritairement d'une subvention versée à partir du budget du ministère chargé des sports et du produit de prestations d'analyses ou de prélèvements qu'elle réalise pour le compte de fédérations internationales ou d'organisations antidopage étrangères.

L'agence remet chaque année un rapport d'activité au Parlement et au Gouvernement.

L'AFLD exerce ses responsabilités dans six domaines complémentaires :

- l'organisation des contrôles antidopage ;

- les analyses des prélèvements ;

- le suivi des procédures disciplinaires incombant, selon le cas, aux fédérations ou directement à l'Agence, ainsi que, en corollaire, la délivrance des autorisations d'usage à des fins thérapeutiques (AUT) ;

- la recherche ;

- la prévention ;

- la présence internationale et la fonction de conseil des fédérations et du Gouvernement dans la lutte contre le dopage.

Source : Agence française de lutte contre le dopage

Cette définition objective du dopage a été consacrée par le code mondial antidopage (CMA) qui définit le dopage au point 2.1 comme la « présence d'une substance interdite, de ses métabolites ou de ses marqueurs dans un échantillon fourni par un sportif » , en disposant au point 2.1.1 que « (...) les sportifs sont responsables de toute substance interdite ou de ses métabolites ou marqueurs dont la présence est décelée dans leurs échantillons. Par conséquent, il n'est pas nécessaire de faire la preuve de l'intention, de la faute, de la négligence ou de l'usage conscient de la part du sportif pour établir une violation des règles antidopage en vertu de l'article 2.1 » .

L'article L. 232-9 du code du sport dispose ainsi qu' « il est interdit à tout sportif : (...) 2° D'utiliser ou tenter d'utiliser une ou des substances ou méthodes interdites figurant sur la liste mentionnée au dernier alinéa du présent article » .

La réponse pénale au dopage a, quant à elle, été orientée vers l'entourage du sportif en tant que pourvoyeur de produits dopants.

Après 1989, le législateur français a adopté plusieurs lois sur le sujet du dopage et, en vingt ans, un cadre juridique très complet pour lutter contre les pourvoyeurs - entendus au sens large - de produits dopants a été progressivement constitué.

Outre la conception objective du dopage qu'elle consacre, la loi précitée du 28 juin 1989 a pénalisé l'administration et l'incitation à l'usage de produits dopants ainsi que l'opposition au contrôle antidopage et le non-respect des sanctions administratives infligées aux sportifs.

La loi n° 99-223 du 23 mars 1999 relative à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage a également créé deux autres délits ; celui de prescrire, de céder, d'offrir, d'administrer ou d'appliquer à un sportif une substance ou un procédé dopant, celui de faciliter son utilisation ou d'inciter un sportif à son usage.

Le législateur a ensuite parachevé le dispositif par la loi n° 2008-650 du 3 juillet 2008 relative à la lutte contre les trafics de produits dopants. Cette loi a tout d'abord institué un délit de détention de produits dopants, codifié à l'article L. 232-9 du code du sport. Ce délit concerne cette fois spécifiquement le sportif, au sens de l'article L. 230-3 du code du sport, c'est-à-dire « toute personne qui participe ou se prépare 1° soit à une manifestation sportive organisée par une fédération agréée ou autorisée par une fédération délégataire 2° soit à une manifestation sportive internationale » .

Cette même loi a pénalisé aussi le trafic de produits dopants, (article L. 232-10 du code du sport), soit le fait, pour toute personne « de produire, fabriquer, importer, exporter, transporter, détenir ou acquérir, aux fins d'usage par un sportif sans raison médicale dûment justifiée une ou des substances ou méthodes figurant sur la liste mentionnée au dernier alinéa de l'article L. 232-9 (...) » .

Autrement dit, la détention de produits dopants est pénalisée en tant qu'elle a pour but d'administrer des produits dopants à un sportif 5 ( * ) . Cela explique ainsi que les peines encourues par le sportif - un an d'emprisonnement ou 3 750 euros d'amende -, soient moins fortes que les peines encourues lorsque cette détention concerne un non-sportif - cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende -, car la détention de produits dopants dans ce dernier cas s'inscrit nécessairement dans le cadre d'un trafic.

L'ordonnance n° 2010-379 du 14 avril 2010 relative à la santé des sportifs et à la mise en conformité du code du sport avec les principes du CMA a permis de mettre le code du sport en conformité avec la convention de l'Organisation des nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) sur le dopage du 19 octobre 2005, ratifiée par la loi n° 2007-129 du 31 janvier 2007 autorisant la ratification de la convention internationale contre le dopage dans le sport. Cette convention incite notamment les États membres à accroître la lutte contre les trafics de produits dopants.

L'ordonnance a créé deux nouvelles incriminations : il est désormais interdit de falsifier, détruire ou dégrader tout élément relatif au contrôle, à l'échantillon ou à l'analyse ; la tentative d'enfreindre les interdictions prévues à cet article est également punie.

D'autres textes - la loi n° 2012-158 du 1 er février 2012 visant à renforcer l'éthique du sport et les droits des sportifs -, ainsi que plusieurs textes réglementaires - les trois décrets d'application de l'ordonnance du 14 avril 2010 - ont moins concerné le volet pénal de la répression du dopage que les sanctions disciplinaires et les procédures applicables devant l'AFLD, ou encore le régime des autorisations d'usage thérapeutiques.

Enfin, des peines complémentaires sont prévues à l'article L. 232-27 du code du sport dans le cas de la détention d'une substance dopante, par un sportif ou non, sans justification médicale.

Si le dispositif créé semble donc théoriquement adapté pour lutter contre les trafiquants de produits dopants évoluant dans l'entourage du sportif, des failles subsistent dans cet arsenal qui concernent en particulier les pratiquants d'un sport n'ayant pas la qualité de sportif au sens du code, ainsi que les participants à une manifestation sportive qui ne serait pas organisée ou autorisée par une fédération sportive.

2. Les recommandations de la commission d'enquête du Sénat

Après avoir fait un état des lieux de la réalité du dopage et un bilan de la politique de lutte contre le dopage, la commission d'enquête sénatoriale sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a présenté soixante propositions qui visent à améliorer tous les compartiments de la lutte antidopage, à savoir la connaissance du phénomène, la prévention, les contrôles, les analyses, les sanctions disciplinaires, la politique pénale en matière de dopage et la coopération entre les différentes autorités concernées.

Certaines propositions de la commission d'enquête étaient directement adressées à l'AMA dans la perspective de la révision du CMA. Elles avaient notamment pour objectif de mieux articuler le rôle respectif des fédérations internationales et nationales en clarifiant la qualification des épreuves.

Depuis 2006, en effet, on a assisté à une réduction considérable du domaine de compétence de l'autorité française (ministère puis AFLD), auparavant compétente pour contrôler les manifestations sur le territoire français. Ce phénomène s'est manifesté à travers une qualification de plus en plus extensive du caractère international des compétitions par les fédérations et par une définition large de la « période de compétition ».

C'est pourquoi votre rapporteur avait souhaité, dans le cadre de la commission d'enquête sénatoriale 6 ( * ) , que deux modifications principales soient apportées au code mondial antidopage :

- une limitation de la compétence des organisations internationales aux seules grandes manifestations sportives, avec implication réelle de la fédération internationale ( Proposition n° 27 ) ;

- l'établissement d'une durée maximale pour les compétitions internationales ( Proposition n° 28 ).

Ces dispositions avaient notamment pour objectif de réduire le risque de conflit d'intérêt auquel font face les fédérations internationales organisatrices de compétitions qui les amène à vivre chaque contrôle positif comme un échec.

Les propositions de la commission d'enquête sénatoriale
ayant une dimension internationale


• Instaurer, au niveau de l'AMA, une procédure d'accréditation ou d'agrément international des préleveurs ( Proposition n° 26 ).


• Soutenir auprès de l'AMA la limitation de la compétence des fédérations internationales aux seules manifestations sportives dans l'organisation desquelles elles sont réellement impliquées ( Proposition n° 27 ).


• Soutenir auprès de l'AMA une durée maximale pendant laquelle les organisations nationales antidopage (ONAD) n'ont pas de compétence de contrôle autonome sur une compétition internationale ( Proposition n° 28 ).


• Définir toutes les compétitions se déroulant en France comme nationales par défaut, sous réserve de la communication par la fédération internationale d'une liste des manifestations internationales qu'elle entend contrôler ( Proposition n° 29 ).


• Soutenir auprès de l'AMA qu'il soit permis aux ONAD de contrôler une compétition internationale sans approbation de la fédération internationale, ni de l'AMA dès lors que la fédération internationale n'entend pas exercer sa compétence ( Proposition n° 30 ).


• Systématiser les conventions entre l'AFLD et les fédérations internationales en vue de partager les programmes de contrôles sur les manifestations internationales ( Proposition n° 31 ).


• Soutenir auprès de l'AMA la suppression de la distinction entre les méthodes et substances interdites en permanence et celles qui le sont uniquement en compétition ( Proposition n° 6 ).


• Soutenir auprès de l'AMA le retrait du pouvoir de sanction des fédérations internationales à l'encontre des sportifs internationaux ( Proposition n° 42 ).


• Encourager l'adoption par l'Union européenne de directives d'harmonisation en matière de lutte contre le trafic de produits dopants ( Proposition n° 60 ).


• Suggérer à l'AMA de recommander aux membres de communiquer le point de contact en charge de la répression pénale du dopage au niveau national ( Proposition n° 59 ).

Source : commission d'enquête sénatoriale
sur l'efficacité de la lutte contre le dopage

Dans le même esprit, la commission d'enquête sénatoriale avait proposé de définir toutes les compétitions se déroulant en France comme nationales par défaut, sous réserve de la communication par la fédération internationale d'une liste des manifestations internationales qu'elle entendait contrôler ( Proposition n° 29 ). Elle avait également préconisé qu'il soit permis aux ONAD de contrôler une compétition internationale sans approbation de la fédération internationale, ni de l'AMA dès lors que la fédération internationale n'entendait pas exercer sa compétence ( Proposition n° 30 ).


* 5 au sens du code du sport.

* 6 Voir rapport précité p. 128 et suivantes.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page