C. TITRE III : LA RESTITUTION DES TRÉSORS NATIONAUX AYANT ILLICITEMENT QUITTÉ LE TERRITOIRE D'UN ETAT MEMBRE (ARTICLES 6 ET 6 BIS)

1. Une refonte de la directive de 1993
a) La question des trésors nationaux dans le droit

Le premier instrument de lutte contre le trafic illicite de biens culturels a vu le jour en 1970 à l'UNESCO. Cet accord multilatéral est entré en vigueur en 1972 mais n'a été ratifié par la France qu'en 1997. Son but était d'inciter les États parties à la convention à faciliter la restitution des biens culturels de façon diplomatique. Quelques années plus tard, l'institut international pour l'unification du droit privé - UNIDROIT - a proposé, pour répondre à la demande de l'UNESCO, une nouvelle convention portant sur les biens culturels volés ou illicitement exportés . La France a signé ce texte mais a interrompu la ratification au parlement en 2002.

La question a pris une toute autre ampleur à l'échelle européenne depuis l'ouverture des frontières au 1 er janvier 1993. La circulation d'oeuvres d'art d'un pays à l'autre est devenue plus aisée et, par conséquent, le contrôle plus compliqué. L'Union s'est alors dotée d'un dispositif spécifique avec la directive 93/7/CEE du Conseil adoptée le 15 mars 1993. Elle concilie la libre-circulation des biens avec une attention particulière portée aux trésors nationaux.

En France, « un bien culturel est considéré comme sorti illicitement du territoire d'un autre État membre de la Communauté européenne lorsque [...] il en est sorti après le 31 décembre 1992 » 21 ( * ) . La directive a été transposée en droit français par la loi n° 95-877 du 3 août 1995 22 ( * ) puis déclinée au plan règlementaire en Conseil d'État 23 ( * ) par deux décrets dont l'un 24 ( * ) instituait l'Office central de lutte contre le trafic de bien culturels (OCBC) 25 ( * ) comme autorité centrale de l'application de la directive. Coopération administrative entre autorités nationales et procédure juridique sont associées pour lutter contre le trafic d'oeuvres d'art. Néanmoins, le faible succès de ces mesures a conduit la Commission européenne à réévaluer le dispositif.

L'étude d'impact révèle que la procédure définie par la directive de 1993 n'a introduit que deux demandes de restitution : une en 2003 portant sur 33 000 archives publiques situées en Belgique et une en 2011 concernant des biens d'église du Cantal retrouvés en Allemagne. La procédure judiciaire n'a pas été conduite jusqu'à son terme.

b) Une révision de la définition de « trésor national »

La définition des « trésors nationaux » est fondamentale car l'article 36 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) les exclut du principe général de la libre-circulation des biens. Il s'agit d'une exception notable : la seule dans le domaine patrimonial.

Le considérant 3 de la directive expose « qu'en vertu et dans les limites de l'article 36 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, les États membres conservent le droit de définir leurs trésors nationaux et de prendre les mesures nécessaires pour en assurer la protection ». L'article 2 dispose également qu'un bien peut être « classé ou défini par un État membre, avant ou après avoir quitté illicitement le territoire ». Cette large acception permet à l'article 6 du présent projet de loi de préciser et compléter l'article L. 111-1 du code du patrimoine. De cette manière, la loi se veut plus lisible et permet de garantir la protection de biens qui, par leur intérêt pour le patrimoine national justifient un refus de certificat d'exportation.

Cependant, la réécriture peut être questionnée : comme le notait Catherine Chadelat, présidente du Conseil des ventes volontaires, dans sa contribution écrite, la modification apportée par le projet de loi conduirait à protéger n'importe quelle archive au même titre qu'une oeuvre d'art reconnue. Elle-même étayait son propos avec l'exemple suivant : « le procès-verbal du conseil municipal du 1 er décembre 2014 de la mairie de Romorantin délibérant sur la voirie municipale est une archive publique dont on peut s'interroger sur le caractère de trésor national ».

Cet argument peut être tempéré si l'on revient à une conception très pragmatique de la notion de « trésor national ». Premièrement, l'interprétation du Tribunal de grande instance de Paris allait dans le sens de la réécriture « les documents qui sont qualifiés d'"archives publiques" au sens de l'article L. 211-4 du code du patrimoine sont visées par les dispositions de l'art. L. 111-1 du code du patrimoine et sont considérés pour l'exportation comme des trésors nationaux ». Un tel classement correspond au niveau le plus élevé de protection et empêche la sortie définitive du territoire. Sans comparer une archive administrative classique à un tableau de Monet, il ne semble pas déraisonnable de leur appliquer le niveau de protection le plus élevé. Organiser un tri dans les archives en fonction de leur niveau d'intérêt serait disproportionné par rapport à la portée de la directive. Enfin, il est impossible de connaître l'importance que pourrait avoir ce type de documents avec plusieurs années de recul. L'intérêt historique et patrimonial peut en effet apparaître au bout d'un certain temps.

D'un point de vue pratique, la modification de l'article L. 111-1 permet également d'éviter la coexistence d'une double définition des « trésors nationaux » au sein du code du patrimoine. Elle permet une harmonisation au sein du code en procédant par renvoi à l'article L. 111-1.

2. Une nouvelle directive plus efficace
a) Une refonte pour faciliter la mise en oeuvre du dispositif

Le premier dispositif mis en place à l'échelle européenne a été l'objet de plusieurs exercices d'évaluations. Quatre rapports, en date de 2000, 2005, 2009 et 2013 26 ( * ) , ont été rendus suite à l'examen des résultats de la période 1993-2011. Les critiques formulées convergeaient vers un constat global d'inefficacité de la mesure.

Le Conseil de l'Union européenne des 13 et 14 décembre 2011 appelait de ses voeux des mesures de renforcement du dispositif. La Commission européenne a opté pour une refonte de la directive tandis qu'elle avait déjà entamé la codification du texte de 1993. Les critiques formulées à l'encontre du dispositif de la directive 93/7/CEE ont conduit à des modifications concernant, notamment, les modes de coopération, le champ des biens culturels concernés et les délais impartis.

L'Union a souhaité renforcer la coopération entre les États membres, aujourd'hui indispensable pour lutter efficacement contre les exportations illicites. Cette nécessité est expliquée au considérant 11 de la directive : « Afin d'améliorer la mise en oeuvre de la présente directive, il convient de mettre en place un module de l'IMI [information du marché intérieur] spécialement conçu pour les biens culturels » . Dans le cas de la France, il s'agit de l'OCBC cité précédemment. Aussi, le règlement n° 1215/2012 27 ( * ) du Parlement européen et du Conseil prévoit que le tribunal compétent pour connaître de l'action civile de récupération peut être celui où se trouve le bien 28 ( * ) .

La catégorie des trésors nationaux n'est plus contrainte par l'annexe à la première directive. La portée est donc élargie et les États peuvent classer comme trésors nationaux des oeuvres avant et après leur exportation. Le projet de loi présente une écriture élargie de la notion de trésor national afin de garantir une meilleure protection à ces biens.

Les délais sont allongés à plusieurs égards. Premièrement, le délai permettant aux autorités de l'État requérant de vérifier la nature du bien culturel retrouvé dans un autre État passe de deux à six mois. Le délai pour exercer l'action en restitution est étendu de un à trois ans. Le point de départ du délai de cette action est également précisé : « à compter de la date à laquelle l'autorité centrale compétente a eu connaissance du lieu où se trouve le bien culturel et de l'identité de son possesseur ou de son détenteur » 29 ( * ) .

b) La notion de « diligence requise » et la bonne foi

La directive 2014/60/UE intègre une évolution substantielle en utilisant les critères d'appréciation de la diligence requise établis dans la convention UNIDROIT de 1995. Le principal point de tension est le renversement de la charge de la preuve de la bonne foi du possesseur. Il appartient à celui qui est en possession d'une oeuvre de prouver la diligence requise lors de l'acquisition. L'article 6 dispose ainsi qu'il s'agit d'évaluer « les circonstances de l'acquisition, notamment de la documentation sur la provenance du bien, des autorisations de sortie exigées en vertu du droit de l'État membre requérant, de la qualité des parties, du prix payé, de la consultation ou non par le possesseur de tout registre accessible sur les biens culturels volés et de toute information pertinente qu'il aurait pu raisonnablement obtenir ».

Une indemnisation est versée au moment de la restitution du bien si la licéité de la transaction est démontrée.

Cette notion, qui va à rebours du droit interne, avait alerté la France lors de l'adoption de cette modification. L'article 2274 du code civil dispose en effet que « la bonne foi est toujours présumée, et c'est à celui qui allègue la mauvaise foi de la prouver ». En conséquence, cette règle issue de la directive n'aura vocation à s'appliquer qu' « aux actions introduites postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi, sans considération du droit applicable à la date d'acquisition du trésor national sorti illicitement d'un pays de l'UE » 30 ( * ) .


* 21 Article L. 112-1 du code du patrimoine.

* 22 Loi n° 95-877 du 3 août 1995 portant transposition de la directive 93/7 du 15 mars 1993 du CEE relative à la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un État membre.

* 23 Décret n° 97-286 du 25 mars 1997 relatif à la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un État membre de la communauté européenne.

* 24 Décret n° 97-285 du 25 mars 1997.

* 25 L'OCBC ayant été créée par le décret n° 75-432 du 2 juin 1975.

* 26 Étude d'impact.

* 27 Le règlement n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.

* 28 Étude d'impact.

* 29 Article 6 du projet de loi.

* 30 Étude d'impact p. 43.

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