II. L'APPLICATION DU PRINCIPE D'ÉGALITÉ DEVANT LE SUFFRAGE PAR LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Le Conseil constitutionnel applique depuis 1985 une jurisprudence constante, fondée sur l'appréciation démographique du principe d'égalité devant le suffrage, à l'examen de la constitutionnalité des lois électorales. Cette appréciation ne souffre que des correctifs limités et justifiés par des motifs d'intérêt général.

A. LE PRINCIPE D'ÉGALITÉ DEVANT LE SUFFRAGE

1. La formulation du principe

Le considérant de principe formulé en 1985 par le Conseil constitutionnel n'a connu que des modifications formelles. Dans sa rédaction applicable aux collectivités territoriales, le juge constitutionnel énonce qu' « il ressort de ces dispositions que l'organe délibérant [...] doit être élu sur des bases essentiellement démographiques selon une répartition des sièges et une délimitation des circonscriptions respectant au mieux l'égalité devant le suffrage ; que, s'il ne s'ensuit pas que la répartition des sièges doive être nécessairement proportionnelle à la population de chaque [collectivité territoriale] ni qu'il ne puisse être tenu compte d'autres impératifs d'intérêt général, ces considérations ne peuvent toutefois intervenir que dans une mesure limitée ».

2. Les élections concernées

Le principe d'égalité devant le suffrage s'applique autant aux élections nationales que locales.

Au niveau local, le Conseil constitutionnel a étendu la jurisprudence des « bases essentiellement démographiques » aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre : « dès lors que des établissements publics de coopération entre les collectivités territoriales exercent en lieu et place de ces dernières des compétences qui leur auraient été sinon dévolues » 5 ( * ) .

À ce jour, le Conseil constitutionnel n'a pas été saisi de dispositions applicables aux autres formes de coopérations entre collectivités (syndicats de communes, syndicats mixtes, etc.).

Le Conseil constitutionnel n'a jamais soulevé cette question pour les instances représentatives des Français établis hors de France, même si l'application des autres règles constitutionnelles en matière d'élection de ces élus du suffrage universel laisse à penser que le principe d'égalité devant le suffrage s'applique à leur élection.

3. La population de référence

Ce principe conduit à ce que chaque élu d'une même assemblée représente un nombre équivalent d'habitants. Le Conseil constitutionnel a rappelé que le calcul de la représentation moyenne de chaque élu devait se fonder sur la population représentée et non sur le nombre d'électeurs 6 ( * ) .

Le pouvoir législatif ou règlementaire doit donc se fonder sur la seule population recensée 7 ( * ) et faire évoluer le découpage et la répartition des sièges en fonction de l'évolution démographique. Les modifications démographiques du pays ont ainsi conduit le Conseil constitutionnel à censurer en 2009 8 ( * ) le minimum de deux sièges de députés par département après l'avoir validé en 1986 9 ( * ) , et ce au nom du changement des circonstances de fait avec l'évolution démographique et de droit avec la fixation d'un nombre maximum de députés à l'article 24 de la Constitution par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.

4. Le niveau pertinent d'appréciation

Par ailleurs, le respect de ce principe d'égalité devant le suffrage s'apprécie au niveau du ressort territorial de la collectivité territoriale et de l'assemblée délibérante qui y est élue.

En revanche, ce principe ne saurait conduire à examiner les ratios de représentations entre collectivités territoriales, comme l'a explicitement jugé le Conseil constitutionnel. Le pouvoir législatif n'est ainsi pas tenu de respecter une règle de proportionnalité entre les effectifs de plusieurs conseils régionaux car les conseillers régionaux « n'ont pas vocation à constituer, au niveau national, une assemblée unique », ce qui a conduit le juge constitutionnel à considérer comme inopérant « le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant le suffrage en tant qu'il s'applique aux écarts de représentation entre régions par rapport à la moyenne nationale » 10 ( * ) .

5. Les effets selon le mode de scrutin

Des conséquences différentes découlent de son application selon les règles électorales applicables.

Soit le mode de scrutin est construit à partir d'un nombre identique d'élus au sein de plusieurs circonscriptions - un lors des élections législatives ou deux lors des élections départementales 11 ( * ) -, le principe d'égalité devant le suffrage doit alors être respecté dans la délimitation des circonscriptions d'élection. Soit le scrutin conduit à élire au sein de plusieurs circonscriptions prédéterminées un nombre de sièges qui peut varier
- comme pour les élections sénatoriales, communautaires ou européennes 12 ( * ) -, ce principe contraint le pouvoir législatif ou règlementaire dans le nombre de sièges qui sont attribués à chaque circonscription.

Enfin, ce principe n'a pas d'incidence lorsque l'élection a lieu au sein d'une circonscription unique, comme pour l'élection du Président de la République, des conseillers régionaux et de l'assemblée de Corse ou des conseillers municipaux, exception faite des rares communes qui comptent des sections électorales.

Le Conseil constitutionnel a récemment eu à se prononcer, à propos de l'élection des conseillers régionaux, sur l'application du principe d'égalité devant le suffrage pour des élections qui ont lieu dans le cadre d'une circonscription unique mais avec des candidatures qui sont présentées au titre de plusieurs sections . Dans ce cas, il a considéré le principe inopérant car les sections départementales ne constituaient pas des circonscriptions d'élections 13 ( * ) : un élu présenté au titre d'une section départementale figure sur le bulletin de vote régional et le suffrage de tout électeur de la région peut se porter sur lui. Toutefois, si le législateur veut assurer la représentation minimale d'un département en imposant la réattribution de sièges au sein de listes pour qu'un nombre minimal de candidats d'une section départementale donné soit élu, le Conseil constitutionnel veille au respect d'égalité. Ainsi, il veille classiquement à ce que la différence de traitement résulte de situations différentes ou d'un motif d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit, ce qu'il a admis dans le cas cité 14 ( * ) .


* 5 Conseil constitutionnel, 20 juin 2014, n° 2014-405 QPC.

* 6 Le Conseil constitutionnel a censuré, au sein du projet de loi portant habilitation à procéder au redécoupage des circonscriptions législatives, la précision selon laquelle la population prise en compte l'était « en fonction notamment de l'évolution respective de la population et des électeurs inscrits sur les listes électorales » (Conseil constitutionnel, 8 janvier 2009, n° 2008-573 DC).

* 7 Pour les élections à l'étranger, la population de référence est celle inscrite sur le registre des Français établis hors de France dans chaque circonscription consulaire, comme l'exige la jurisprudence constitutionnelle (Conseil constitutionnel, 8 janvier 2009, n° 2008-573 DC).

* 8 Conseil constitutionnel, 8 janvier 2009, n° 2008-573 DC.

* 9 Selon le commentaire, « le Conseil a donc estimé que les écarts de population qui résulteraient de l'application de la règle des « deux députés » seraient tels que, indépendamment du nombre limité des départements bénéficiant de son application, elle ne pouvait plus être admis ».

* 10 Conseil constitutionnel, 21 juillet 2011, n° 2011-634 DC.

* 11 C'est également le cas pour l'élection des membres du conseil de la métropole de Lyon.

* 12 C'est également le cas pour l'élection des membres de l'assemblée de Guyane, de l'assemblée de Martinique, de l'assemblée de la Polynésie française, de l'assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna et du Congrès de la Nouvelle-Calédonie ainsi que de l'assemblée des Français de l'étranger.

* 13 Le Conseil a relevé que « les conseillers régionaux sont élus sur une unique liste régionale et non dans des circonscriptions départementales » et « que, par suite, le grief tiré de ce que les modalités d'attribution des sièges à chaque section départementale méconnaîtraient le principe d'égalité devant le suffrage est inopérant » (Conseil constitutionnel, 15 janvier 2015, n° 2014-709 DC).

* 14 Conseil constitutionnel, 15 janvier 2015, n° 2014-709 DC.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page