EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. UNE CRISE HISTORIQUE DU SECTEUR DE LA PRESSE QUI APPELLE UNE RÉFORME URGENTE, GLOBALE ET AUDACIEUSE DE LA PART DU GOUVERNEMENT

A. UNE SITUATION DU SECTEUR DE LA PRESSE DÉGRADÉE

1. Des chiffres inquiétants, des perspectives décourageantes
a) Une décennie noire pour la presse française

Longtemps stable, à environ sept milliards d'exemplaires vendus chaque année, la presse française - 4 530 titres , dont 107 quotidiens, 993 hebdomadaires, 1 270 mensuels, 2 080 trimestriels - a brutalement vu son volume diminuer jusqu'à atteindre environ cinq milliards d'exemplaires tirés en 2012.

Tous les types de presse sont désormais touchés par la crise . Au cours de la période 1982-2012 étudiée par l'enquête presse du ministère de la culture et de la communication, la presse quotidienne nationale a enregistré une diminution de près de 44 % du nombre d'exemplaires vendus. La dégradation, bien qu'imposante, est cependant moindre pour la presse quotidienne locale (- 19 % en volume), la presse spécialisée grand public (- 22,5 %) et la presse technique et professionnelle (- 16 %).

Ces exemplaires sont acheminés jusqu'au lecteur par différents vecteurs : La Poste, le portage et la distribution aux points de vente . Tous accusent une diminution considérable de leur activité, en valeur comme en volume.

Répartition de la diffusion par mode

Ensemble de la presse (y compris presse gratuite)

1 - En valeur

(en millions d'exemplaires et en pourcentage)

1992

1995

2000

2005

2009

2010

2011

2012

Variation 92/12

Réseau de vente

3 307

3 109

2 966

2 500

2 153

2 019

1 978

1 871

- 43,4 %

La Poste

1 535

1 529

1 466

1 399

1 326

1 267

1 223

1 153

- 24,9 %

Portage

2 207

2 381

2 591

3 123

2 956

2 684

1 891

1 844

- 16,4 %

Total

7 049

7 019

7 023

7 022

6 435

5 970

5 092

4 868

- 30,9 %

Source : Enquête annuelle de la DGMIC

2 - En proportion de l'ensemble

(en pourcentage)

1992

1995

2000

2005

2009

2010

2011

2012

Réseau de vente

46,9

44,3

42,2

35,6

33,0

33,8

38,8

38,4

La Poste

21,8

21,8

20,9

19,9

20,6

21,2

24,0

23,7

Portage

31,3

33,9

36,9

44,5

45,9

45,0

37,1

37,9

Total

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

Source : Enquête annuelle de la DGMIC

Pour autant, les données économiques les plus inquiétantes concernent la vente au numéro , assurée par le système coopératif de distribution mis en place à la Libération par la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et des publications périodiques, dite « loi Bichet », visant à préserver le pluralisme de l'information en garantissant la distribution solidaire de l'ensemble des titres sur la totalité des points de vente .

La crise de la presse représente, comme l'indiquait Pierre Laurent, rapporteur pour votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication du programme 180 « Presse » de la mission « Médias, livre et industries culturelles », dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2014, « la conséquence d'évolutions technologiques, économiques et sociales concomitantes » :

- le développement de la presse numérique concurrente du papier ;

- la conséquence de la crise économique sur les ventes de titres comme sur les recettes publicitaires ;

Source : Ministère de la culture et de la communication

Les recettes publicitaires dont bénéficie le secteur de la presse diminuent depuis 2007 ; le chiffre d'affaires a accusé une nouvelle baisse de 8,3 % en 2013, puis de 4,2 % en 2014. À titre d'illustration, lors de son audition par votre rapporteur, le président du Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR) a indiqué son secteur d'activité avait enregistré une diminution considérable de ses recettes publicitaires. À 850 millions d'euros, elles représentent désormais seulement un tiers du chiffre d'affaires contre la moitié il y a huit ans ;

- enfin, le fruit d'une mutation générationnelle : le lectorat traditionnel de la presse papier vieillit puis disparaît, remplacé par une génération de lecteurs mieux à l'aise avec les supports numériques et marqués par la culture de la gratuité.

b) Un avenir sombre

Parmi les sources précédemment évoquées de la crise de la presse, deux - la révolution numérique et l'installation d'une nouvelle génération de lecteurs - ont vocation à s'inscrire dans le temps, ce qui laisse à penser que les difficultés de la presse pourraient s'avérer durables, sauf à modifier en profondeur son modèle économique (impression, distribution, publicité, etc.). À défaut d'une telle évolution, comme l'a souligné Roch-Olivier Maistre, président de l'ARDP, lors de son audition par votre rapporteur, la diminution des ventes au numéro serait irréversible. Pourtant, les réformes du secteur sont encore timides.

S'agissant de l'enjeu publicitaire, et sans même évoquer la crise du système de distribution, la presse a massivement choisi, à l'orée du numérique, de proposer à ses lecteurs un modèle gratuit financé par la publicité. Or, les recettes publicitaires demeurent trop faibles au regard des investissements nécessaires. À titre d'illustration, elles ne représentent que 8 % du chiffre d'affaires de la presse quotidienne régionale (60 millions d'euros).

Nulle entreprise de presse n'a encore trouvé un modèle économique alternatif, une « formule magique » pourrait-on dire, permettant de développer le support numérique, de conserver un volume minimum de diffusion papier, d'attirer les annonceurs et de renouveler son lectorat.

Pour cette raison, la mission confiée par le Gouvernement à Alexandre Jevakhoff, inspecteur général des finances, relative à l'avenir du schéma de diffusion de la presse écrite, dont le rapport est demeuré confidentiel, juge sans guère de complaisance l'avenir de la presse. Auditionné par votre rapporteur, Alexandre Jevakhoff a considéré qu' : « avant la fin de la décennie, la distribution de la presse quotidienne nationale va encore diminuer de quarante points, celle de la presse magazine de trente à trente-cinq points. De nouveaux titres disparaîtront ».

2. Des acteurs à bout de souffle
a) Des entreprises de presse en difficulté

La crise de la presse n'épargne désormais aucune catégorie . La presse spécialisée, notamment professionnelle, longtemps protégée, est en difficulté. Selon le président de la fédération nationale de la presse d'information spécialisée (FNPS) auditionné par votre rapporteur, le secteur a enregistré, en 2014, une diminution de 7 % de son chiffre d'affaires et de 6 % de ses ventes. De même, après les grandes heures des années 1990 et la stabilisation des années 2000, les magazines sont entrés dans la crise en 2008, sans que la majorité d'entre eux, convaincue de la relation quasi sentimentale des lecteurs au support, ne l'ait imaginé. La presse régionale elle-même est en crise.

Au-delà de cette belle unanimité existent des différences et la presse quotidienne nationale déplore les résultats les plus dramatiques . Les publications papier ne cessent de voir leurs ventes chuter. Selon les chiffres des Déclarations déposées mensuelles (DDM) de l'Office de justification de la diffusion de la presse française (OJD), les sept quotidiens nationaux ( Aujourd'hui en France , La Croix , Les Echos , Le Figaro , Le Monde , L'Équipe et Libération ) ont enregistré une diminution moyenne de 3,52 % de leurs ventes entre les mois de janvier et d'octobre 2014. Parmi ces titres, L'Équipe , Aujourd'hui en France et Libération accusent un recul supérieur à 7 %. Seuls Les Echos tirent leur épingle du jeu avec une légère progression de 1,15 %.

Dans ce contexte, les éditeurs n'ont souvent d'autres choix, à modèle économique identique, que de procéder à une augmentation du prix de vente au numéro de leurs publications : 20 centimes pour Le Monde , Le Figaro , Les Echos et l'Humanité au 1 er janvier 2015, 10 centimes pour Libération et Le Parisien .

Mais cette fuite en avant ne suffit pas et les éditeurs diminuent progressivement les quantités imprimées - Libération ne vend plus au numéro que 30 000 exemplaires ; 66 500 pour l'emblématique Le Monde - lorsqu'ils ne disparaissent pas, à l'instar de France Soir en 2011, dès lors que, n'étant pas adossés à des grands groupes, ils n'arrivent pas à diversifier leur activité.

b) Des logisticiens encore fragiles

Le système coopératif, premier mode de distribution de la presse, est assuré par les messageries Presstalis et Messageries lyonnaises de presse (MLP), qui traitent :

• plus de 100 titres quotidiens (hors titres régionaux) soit 29 000 parutions ;

• 5 600 titres magazines soit près de 40 000 parutions ;

• 9 600 références de produits hors presse (DVD, CD, papeterie, encyclopédies, etc).

Seule Presstalis distribue des titres quotidiens et assume, de ce fait, les contraintes logistiques inhérentes à cette activité. La diminution continue de la vente au numéro a progressivement dégradé ses comptes et conduit la société à produire un effort considérable de restructuration par la mise en oeuvre, avec le soutien de l'État, de plans de réforme successifs.

En 2007, Presstalis s'est lancé dans le plan « Défi 2010 », couvrant la période 2007-2012 autour de trois objectifs affichés : le développement du réseau de points de vente , une réforme en profondeur de l'organisation de la distribution et une politique de diversification des activités « hors presse » .

Mais, dès 2009, l'accélération de la crise des ventes au numéro a conduit la messagerie à prendre des mesures d'urgence en matière de trésorerie . Dans ce cadre, le rapport de Bruno Mettling et David Lubek sur la situation de Presstalis, publié en mars 2010, a proposé de porter la dotation budgétaire pour l'aide à la distribution de la presse quotidienne nationale d'IPG à 18 millions d'euros. De surcroît, l'État a versé à la messagerie, la même année, sous la forme d'une aide exceptionnelle , une somme de 20 millions d'euros.

En 2011, la situation de la société Presstalis s'est à nouveau trouvée très dégradée. Un nouveau plan de redressement succédant à « Défi 2010 » a alors été élaboré en vue de rétablir l'équilibre financier du groupe à l'horizon 2015 avec de lourdes conséquences en matière de suppression d'emplois.

Parallèlement, l'État a diligenté deux missions, qui ont rendu leurs conclusions en 2012 : la première, confiée à Gérard Rameix, alors médiateur du crédit, relative à la recherche de solutions de financement ; la seconde, confiée à Jacques Le Pape, inspecteur général des finances, afin de finaliser les voies de financement à court et moyen termes décrites par le rapport Rameix.

Un premier accord-cadre d'objectifs, de méthode et de moyens pour la continuité d'exploitation du groupe Presstalis a été signé le 30 juillet 2012 entre l'État, Presstalis et ses coopératives d'éditeurs. Cet accord porte sur la phase 2012-2013 du plan de restructuration de Presstalis. Un second accord-cadre pour la continuité d'exploitation de l'entreprise et impliquant une réorganisation industrielle du niveau 2 a été signé le 5 octobre 2012 . Les pouvoirs publics ont accompagné ce travail de réflexion du versement d'une nouvelle aide exceptionnelle de 15 millions d'euros.

Pourtant, dès le mois de février 2013, face aux difficultés rencontrées par Presstalis dans la mise en oeuvre du volet social de son plan de restructuration , une mission de médiation a été confiée à Raymond Redding. Elle s'est conclue par la signature, en mai 2013, d'accords sur l'accompagnement social des réformes entre la direction et les organisations syndicales , permettant dès lors le déploiement du plan de restructuration de la société. Le surcoût issu de la médiation Redding s'établit à 32,7 millions d'euros, soit 19,7 millions d'euros en pertes d'exploitation et 13 millions d'euros pour les mesures d'âge supplémentaires.

La commission de suivi de la situation économique et financière, qui assiste le CSMP dans sa mission de contrôle comptable des messageries, a rendu, le 17 décembre dernier, un avis sur la situation de Presstalis et des MLP. Elle y constate certes une restauration des équilibres d'exploitation grâce « aux efforts de réorganisation effectués » , mais estime que leur situation financière demeure fragile.

Sur les neuf premiers mois de l'année 2014, Presstalis a dégagé un excédent brut d'exploitation de 4,9 millions d'euros et un résultat d'exploitation positif de 1,7 million d'euros, contre une perte d'exploitation de 1,2 million d'euros au 30 septembre 2013. La commission de suivi précise que « les ventes en montant fort ont progressé de 1,5 %, la baisse des quotidiens et des publications ayant par la forte progression des activités hors presse liée à des transferts de titres. Le résultat d'exploitation progresse sensiblement grâce aux réductions de coûts (transport, personnel) consécutives aux actions de transformation industrielle et à l'adaptation des coûts de siège et des fonctions support à la baisse de l'activité ». Lors de son audition par votre rapporteur, Anne-Marie Couderc, présidente de Presstalis, a confirmé cette progression et annoncé un résultat d'exploitation de l'ordre de 2 millions d'euros pour l'année 2014.

Ce résultat demeure toutefois inférieur au budget prévisionnel de l'opérateur du fait du retard pris dans la mise en oeuvre du schéma directeur du niveau 2. La commission de suivi met d'ailleurs en garde contre tout nouveau décalage dans l'application de l'accord tripartite de 2012, qui compromettrait à court terme l'équilibre financier de l'entreprise. De fait, cet équilibre reste on ne peut plus fragile : les prévisions de trésorerie ont diminué en 2014 en raison des investissements réalisés dans le système d'information et les restructurations sociales ; la stabilisation ne pourra âtre atteinte en 2015 que grâce au versement des aides prévues par l'accord tripartite et à la cession de filiales et d'actifs immobiliers ; et la commission de suivi de conclure : « la messagerie devra encore faire face, en 2015 et 2016 à des situations de trésorerie tendues ».

L'éclaircie constatée dans les comptes de Presstalis ne doit pas faire oublier que la messagerie n'atteint ce résultat qu'avec les 6,5 millions d'euros versés par les MLP au titre de la péréquation , mais également l'aide de l'État , qui s'établit à près de 19 millions par an sans compter les aides exceptionnelles. L'État a d'ailleurs dû verser dès ce mois de janvier les deux tiers de son aide, afin de permettre à Presstalis de faire face à ses échéances. Pire, les capitaux propres de la société restent dramatiquement négatifs, à 181,2 millions d'euros à la fin de l'année 2013.

La situation financière des MLP n'est guère plus reluisante , même si la messagerie a réussi, par une diminution de ses charges d'exploitation, à améliorer son résultat d'exploitation (1,1 million d'euros sur les six premiers mois de 2014, contre 0,6 million d'euros à la fin juin 2013) en dépit d'une forte baisse de son activité - les ventes en montant ont diminué de quelque 25 % - due à des transferts de titres vers Presstalis. Le chiffre d'affaires de l'entreprise accuse une baisse de plus de 10 % entre les mois de juin 2013 et juin 2014. Pour l'année 2014, cette diminution devrait atteindre 13 % pour un bénéfice d'exploitation de l'ordre de 2 millions d'euros similaire à celui dégagé par Presstalis.

Malgré les économies réalisées afin de demeurer bénéficiaire, la situation financière des MLP inquiète la commission de suivi, dont l'avis attire l'attention sur les 8,6 millions d'euros de capitaux propres négatifs et la diminution de la trésorerie disponible en 2014. Là encore, les tensions devraient être fortes en 2015.

c) Des vendeurs proches de l'asphyxie

Dernier échelon du système de distribution coopératif, les diffuseurs subissent de plein fouet la diminution de leurs ventes, en volume comme en montant, alors que les difficultés économiques auxquelles sont confrontés éditeurs et logisticiens ne laissent que peu d'espoir à une revalorisation de leur situation financière.

Pourtant, leur rémunération compte parmi les plus faibles d'Europe : elle représente 17 % des ventes réalisées, contre une moyenne supérieure à 20 % ailleurs. Leur rémunération moyenne annuelle ne dépasse pas 11 000 euros brut. À titre d'illustration, 40 % des diffuseurs commissionnés par les MLP ont reçu moins de 1 000 euros en 2013, 70 % moins de 3 000 euros.

Il n'est, dans ces conditions, pas exagéré d'évoquer la crise de vocations qui décime la profession , entre fermeture de points de vente et réduction, continue depuis 2007, du nombre de créations.

Selon les chiffres transmis par le CSMP, le nombre de points de vente de presse a enregistré une nouvelle baisse de 2,5 % en 2013, pour s'établir à 26 816 points de vente actifs , contre 28 579 à la fin de l'année 2011.

Évolution du nombre de points de vente

Source : Presstalis

Évolution du nombre de créations de points de vente

Source : CSMP

La dégradation devrait se poursuivre, puisque le CSMP estime que sur la période 2011-2015, les ventes par les détaillants de presse auront chuté de 25 %. Or, un réseau moins dense de diffusion ne peut conduire qu'à aggraver encore le résultat de la vente au numéro, créant un engrenage dangereux.

Pourtant, rares sont les aides en faveur des kiosquiers : 3,8 millions d'euros seront consacrés par l'État à la modernisation de leur commerce, contre 10 millions d'euros annuels entre 2009 et 2011.

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